Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec RTL le 6 février 2014, sur la situation en Centrafrique et sur le budget de la Défense.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Jean-Yves LE DRIAN.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Les militaires français sont présents en Centrafrique depuis le 5 décembre dernier, deux mois donc de présence à Bangui. Comment est la situation sur le terrain ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On revient de très loin. On a même évité le pire dans ce pays d'un peu plus de quatre millions d'habitants où le quart de la population est déplacé et où il y a des exactions depuis plus d'un an, des massacres à répétition, des situations dramatiques, épouvantables avec une situation humanitaire catastrophique. Notre rôle a permis de faire baisser la tension sur Bangui, a permis aussi progressivement à la force africaine de s'installer, a permis aussi de commencer à répondre au mandat des Nations Unies, parce que nous sommes là sur mandat de la communauté internationale…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pour pacifier la situation, on est loin du compte encore, mais…
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour commencer à pacifier. Pardon ?
JEAN-MICHEL APHATIE
On est loin du compte encore ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On est encore loin du compte. A Bangui, la situation est à peu près stabilisée, même s'il y a encore des exactions régulières, sur le reste du territoire, c'est beaucoup plus compliqué, et je pense que, à partir du moment où la force européenne va arriver, à partir du moment où la force africaine commence à se structurer, il y a 6.000 militaires africains actuellement, on pourra être plus présent sur l'ensemble du territoire centrafricain pour là encore, par notre seule présence et par les patrouilles que nous faisons, faire baisser les tensions, et préparer la transition politique, parce que le sujet, c'est bien d'avoir une transition politique sereine qui puisse se mettre en place, il y a une nouvelle présidente de transition, madame SAMBA-PANZA…
JEAN-MICHEL APHATIE
Depuis quinze jours…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et qui elle ne pourra pas aller au-delà de l'élection, mais il faut qu'elle prépare l'élection, et c'est un travail très important et très difficile…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pendant combien de temps la présence française, militaire française sera nécessaire…
JEAN-YVES LE DRIAN
On ne peut pas fixer de date…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous aviez dit six mois à l'origine, c'était trop optimiste ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, nous avons un mandat des Nations Unies pour six mois. Après, il est renouvelable.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il faudra le renouveler…
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faut qu'à la fin de l'histoire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et il faudra le renouveler le mandat ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faudra surtout qu'il y ait une mission des Nations Unies elles-mêmes, c'est-à-dire que les casques bleus viennent, sinon, ce pays, qui est soumis à des atrocités régulières, risque de tomber dans le chaos, et c'est très dangereux qu'un pays au centre de l'Afrique comme cela, à proximité des zones à risque, comme le Sahel, des zones à risque comme la Corne d'Afrique, des zones à risque comme les Grands Lacs, s'effondre. Et à ce moment-là, ça devient le creuset de toutes les aventures dramatiques qui peuvent arriver.
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce qu'il faudra renouveler le mandat…
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est vraisemblable…
JEAN-MICHEL APHATIE
Auprès de l'ONU…
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est vraisemblable, mais enfin, on va aviser en temps utile. Pour l'instant, nos soldats font preuve d'un très grand sang-froid, parce qu'il faut du sang-froid dans ce genre de situation, et la situation s'améliore de jour en jour, même si c'est très difficile, et ça suppose aussi que les autorités religieuses, ce qu'elles font, puissent appeler à la sérénité entre les communautés pour éviter un affrontement confessionnel qui serait tout à fait malvenu.
JEAN-MICHEL APHATIE
L'essentiel de l'action en Centrafrique est soutenu par l'armée de terre, c'est normal, c'est son métier, on parle beaucoup du mauvais moral de l'armée de terre, et beaucoup de papiers sont publiés ; ce n'est pas la première fois qu'on le voit, mais peut-être là, avec une intonation plus importante que d'autres fois.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez, moi, je vais quasiment toutes les semaines dans les unités, soit à l'extérieur, je vais à Bangui dimanche, soit dans les garnisons en France, je vois des soldats déterminés, fiers de ce qu'ils font, professionnels, prêts…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais atteints par les coupes budgétaires…
JEAN-YVES LE DRIAN
Prêts à servir leur pays…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et leurs conditions de vie…
JEAN-YVES LE DRIAN
Il n'y a pas eu de coupes budgétaires dans le budget de la Défense, puisque la loi de programmation militaire a permis de sanctuariser l'effort de la France pour sa défense pour six années. Mais il y a des inquiétudes, que je comprends. Quelles sont-elles ? La première, c'est que les militaires, et singulièrement ceux de l'armée de terre, sont victimes d'un système de soldes épouvantable, mal engagé, que j'ai trouvé en arrivant, que je suis en train de réformer de fond en comble, donc ce n'est pas normal que les militaires ne soient pas payés à la fin du mois, donc ils sont inquiets de cela. Ils sont inquiets aussi de l'insuffisance de la préparation opérationnelle, je suis en train d'y remédier, ils sont inquiets de la paperasserie, parce qu'il y a eu des réformes qui ont été mises en oeuvre de manière accélérée, beaucoup trop rapide et qui induisent des tracas administratifs qui ne correspondent pas à la pratique militaire habituelle, et puis, ils sont inquiets aussi de l'avenir. Mais la loi de programmation fixe un cap, une orientation…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il ne faudra pas la revoir dans le cadre des économies budgétaires que l'on évoque ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Elle vient d'être votée, elle vient d'être votée à la fin du mois de décembre…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et il ne faudra pas la revoir ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et le président de la République dans ses voeux…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez été voir Bernard CAZENEUVE, le ministre du Budget, il y a deux semaines…
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, Bernard CAZENEUVE…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il ne vous a pas demandé d'imaginer couper encore dans les crédits ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Bernard CAZENEUVE sait très bien que la loi de programmation militaire vient d'être votée il y a un mois…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous n'y toucherez pas ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et que le président de la République a annoncé dans ses voeux aux armées au début du mois de janvier qu'il était important de sanctuariser la loi de programmation militaire qui est déjà le fruit de beaucoup d'efforts, parce que nous avons une déflation d'effectifs significative, et la défense a fait les efforts nécessaires…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est le deuxième budget de l'Etat, on dit : il faut faire des économies, il faut faire de nouvelles économies, cinquante milliards, cinquante milliards, cinquante milliards…
JEAN-YVES LE DRIAN
Dans l'état actuel des choses, le Parlement a tranché, et le Parlement a voté, et il a voté il y a très peu de temps. Et donc on a une feuille de route qui me paraît à la fois cohérente et lisible.
JEAN-MICHEL APHATIE
Si on quitte la casquette du ministre de l'Intérieur pour évoquer…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne suis pas ministre de l'Intérieur…
JEAN-MICHEL APHATIE
De la Défense, pardon…
JEAN-YVES LE DRIAN
A ma connaissance, mais…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez raison, vous avez raison. Pour évoquer l'actualité politique, le gouvernement a capitulé devant une manifestation dimanche, il a retiré lundi sa loi Famille. Je voudrais vous faire écouter la candidate socialiste à Paris, Anne HIDALGO, qui n'est pas contente après le gouvernement. Ecoutez-là.
ANNE HIDALGO, PREMIERE ADJOINTE MAIRIE DE PARIS (PS)
Je regrette vraiment que l'on ait reculé devant finalement des groupes ultra conservateurs.
JEAN-MICHEL APHATIE
Qu'est-ce que vous lui dites à Anne HIDALGO ? Vous avez reculé devant des groupes ultra conservateurs ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez, moi, je n'ai pas l'habitude de m'exprimer sur d'autres sujets que ceux de ma compétence de ministre de la Défense…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Madame…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est une manière de dire…
JEAN-YVES LE DRIAN
Madame la ministre de la Famille s'est exprimée à plusieurs reprises sur le sujet, mais…
JEAN-MICHEL APHATIE
Que vous comprenez la colère d'Anne HIDALGO ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais je considère, si je peux sortir un peu de mon registre de compétences, que lorsqu'il y a des réformes importantes, des réformes de société, des réformes qui touchent la protection des enfants, le droit des enfants, l'adoption, il faut que cette réforme-là soit menée de manière sereine, et que si le moment ne s'y prête pas, eh bien, il faut attendre un peu, c'est ce qu'a décidé le président de la République, je crois qu'il a eu raison.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il a eu raison pour… parce que le climat n'était pas…
JEAN-YVES LE DRIAN
De considérer que le climat n'était pas suffisamment serein pour aborder cette loi sur la famille avec le maximum d'esprit de confiance et de responsabilité, il y a la période électorale, tout ça viendra en son temps, je crois que ça n'est pas une suppression, c'est un report.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez évoqué François HOLLANDE, on avait dit qu'il irait en Bretagne voir les Bretons qui n'étaient pas contents, et puis, on ne l'a toujours pas vu en Bretagne, et on imagine que les Bretons ne sont toujours pas contents.
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, je ne sais pas si les Bretons sont contents ou pas, ce que je constate, c'est que plusieurs ministres sont venus, le Premier ministre lui-même est venu en Bretagne pour annoncer un pacte d'avenir important, qui, je crois, mobilise aujourd'hui les énergies, et permet à la détermination historique des Bretons de trouver de quoi faire. Le président de la République viendra quand il estimera le moment venu. Il y a une crise, il y a aussi une très forte volonté des Bretons de la surmonter, parce qu'il y a beaucoup d'atouts et beaucoup de ressources dans cette région.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donc bientôt le président de la République en Bretagne ? Vous ne savez pas ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Peut-être.
JEAN-MICHEL APHATIE
Peut-être, allez, on va se quitter là-dessus. Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense, était avec nous, et il reste, je crois, avec nous ?
LAURENT BAZIN
Non, non, mais il aurait été le bienvenu, mais ce n'est pas le cas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah oui, c'est vrai, j'ai la tête un peu à l'envers moi, ce matin !
LAURENT BAZIN
Merci à vous… non, mais…
JEAN-MICHEL APHATIE
Si, si, j'ai la tête à l'envers.
LAURENT BAZIN
Allez, je vous sers un petit café, on va vous organiser ça, Jean-Michel…
JEAN-MICHEL APHATIE
Allez, merci !
LAURENT BAZIN
On va vous remonter tout ce qui est nécessaire pour que vous ayez la tonicité nécessaire pour votre belle journée !
JEAN-MICHEL APHATIE
Allez c'est gentil !
LAURENT BAZIN
Jean-Yves LE DRIAN, bonne journée à vous aussi.
JEAN-YVES LE DRIAN
Merci.
LAURENT BAZIN
Merci d'avoir été sur RTL ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 février 2014