Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 18 février 2014, sur la situation au Mali, en Centrafrique et en Syrie et sur la politique gouvernementale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

LAURENT FABIUS
Merci.
GUILLAUME DURAND
Nous allons parler évidemment de la Centrafrique, beaucoup de chefs d'Etat africains réclament des troupes supplémentaires car la situation devient angoissante, il n'y a pas d'autre mot, la Syrie, la pression continue, la vôtre et celle des Américains, pour essayer de trouver une solution, peut-être un gouvernement de transition, mais je suis obligé de vous poser ce matin la question qui est dans les journaux, à savoir celle d'un remaniement qui est annoncé, par l'OPINION, par Dominique DE MONTVALON qui considère qu'il y aura un remaniement. Je vous donne l'hypothèse qui est retenue, un remaniement au mois de mars, Jean-Marc AYRAULT sort, Claude BARTOLONE, que vous connaissez bien, entre.
LAURENT FABIUS
Ecoutez, on parle…
GUILLAUME DURAND
A froid, au petit-déjeuner, c'est un peu rapide, mais…
LAURENT FABIUS
Comme vous dites. On parle de remaniement périodiquement, c'est la décision du chef de l'Etat, et puis voilà, il n'y a pas d'autre commentaire à faire.
GUILLAUME DURAND
Oui, mais est-ce que ça vous paraît nécessaire pour que justement la conduite de la politique de l'Etat se fasse dans de bonnes conditions ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, moi je ne me pose pas ce type de question, ce que je vois c'est que François HOLLANDE a pris une certaine direction, que j'approuve, qui consiste à dire que, pour redresser la situation de l'emploi, il faut baisser les charges, il faut faire des économies, il faut redynamiser l'investissement, compétitivité, attractivité, sobriété budgétaire, et maintenant il faut le faire, voilà, c'est tout.
GUILLAUME DURAND
Mais il faut une majorité politique. Vous êtes suffisamment expérimenté pour savoir qu'il est impossible d'avancer si vous avez la moitié du gouvernement qui…
LAURENT FABIUS
Elle est là, elle est là, la majorité politique, la majorité est là, au Parlement, et c'est ça qui compte. D'ailleurs, oui, le chef de l'Etat a dit que, pour ce qui concerne le Pacte de responsabilité, qui est une très bonne chose, le Premier ministre engagerait sa responsabilité devant l'Assemblée, et puis voilà.
GUILLAUME DURAND
Donc ce ne sont que des rumeurs ?
LAURENT FABIUS
Moi je…
GUILLAUME DURAND
Nous aurons Jean-Marc AYRAULT à la fin de session du printemps ?
LAURENT FABIUS
Normalement oui. Vous savez, il en est des remaniements ministériels comme des dévaluations, elles interviennent toujours quand on ne les prévoit pas.
GUILLAUME DURAND
Mais peut-être que Dominique DE MONTVALON est bien informé, peut-être qu'il a vu Jean-Marc AYRAULT qui lui a confirmé que le président lui avait dit que cette expérience se terminait.
LAURENT FABIUS
Oui, mais ça c'est comme le commentaire de…
GUILLAUME DURAND
Paul-Henri DU LIMBERT.
LAURENT FABIUS
Monsieur DU LIMBERT tout à l'heure, je pense qu'il ne faut pas aller dans la politique fiction, donc revenons aux réalités si vous le voulez bien.
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, mais dans le livre de Cécile AMAR, qui est consacré à François HOLLANDE, elle écrit, d'ailleurs ça concerne un domaine que vous connaissez bien, qui est la politique étrangère, qu'au fond il n'a pris le sens de sa présidence qu'après l'intervention au Mali. Alors, je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est faux, mais est-ce que vous pouvez en témoigner ?
LAURENT FABIUS
Ce dont je peux témoigner c'est que la France, sur le plan international, bénéficie d'un grand crédit politique, on l'a vu encore la semaine dernière aux Etats-Unis, où la France, c'était François HOLLANDE, la France était reçue de façon tout à fait exceptionnelle, et moi je vois dans l'ensemble de mes contacts internationaux, la France est un des grands pays en matière de politique étrangère, et, évidemment, c'est le président de la République qui imprime la direction des affaires.
GUILLAUME DURAND
Mais il aurait pris cette conscience à ce moment-là ?
LAURENT FABIUS
Non, l'intervention au Mali… moi j'étais à ses côtés, j'étais à ses côtés, c'est vrai que c'est un moment très important, pourquoi ? C'était une fin d'après-midi et François HOLLANDE a reçu un coup de fil du président d'alors, du Mali, qui était un président de transition, qui lui a dit « Monsieur le président de la République, je vous demande d'intervenir, puisque vous avez des troupes françaises qui ne sont pas loin, et si vous n'intervenez pas, demain je serai mort. » Et là c'est le moment de vérité. Vous avez, quand vous êtes chef de l'Etat, la possibilité de lever le pouce ou de baisser le pouce, et François HOLLANDE a fait une analyse, pas seulement en termes personnel, mais par rapport à la lutte contre le terrorisme, puisque les troupes terroristes étaient à 300 kilomètres de Bamako, et donc il a dit « il faut intervenir. » Ça a été le cas, c'était il y a 1 an, on l'oublie, et en 1 an la sécurité a été rétablie, un nouveau président a été élu, les fonds ont été réunis pour permettre le redéveloppement, et tout le monde, à travers le monde, et l'Afrique en particulier, reconnait que c'est un grand succès. Et nous essayons, dans les autres domaines, de politique étrangère, d'avoir des objectifs très clairs et puis après de les appliquer. Les objectifs sont au nombre de 4, il n'y en n'a pas 25. Un, la sécurité, partout, deux, la planète, la question du climat, de l'organisation de la planète, trois, l'Europe, et quatre, le redressement de la France, et toutes nos actions, en matière de politique étrangère, sont guidées par cela.
GUILLAUME DURAND
On va parler évidemment de tous ces dossiers, les uns après les autres, mais je vais revenir, parce que je suis un peu obsédé ou insistant, pourquoi les gens…
LAURENT FABIUS
Têtu en tout cas.
GUILLAUME DURAND
Voilà, têtu. Pourquoi les gens, après tout il n'est qu'à 20% d'opinions positives dans les sondages, ont-il l'impression qu'en fait sa présidence a commencée il y a 3 semaines, lors de la conférence de presse ?
LAURENT FABIUS
Non, je ne dirai pas cela, mais…
GUILLAUME DURAND
Attendez, vous venez de dire qu'il a changé de cap.
LAURENT FABIUS
Non non, c'est vous qui l'avez dit, j'ai dit qu'il avait fixé un cap.
GUILLAUME DURAND
Je l'ai suggéré alors.
LAURENT FABIUS
Les choses ont été dites d'une façon claire, et en plus il n'est pas interdit d'adapter ses décisions en fonction de la situation.
GUILLAUME DURAND
Oui, mais ça fait 20 mois pour rien.
LAURENT FABIUS
Non, pas du tout, il y a eu des décisions importantes qui ont été prises dans un certain nombre de champs de réformes, et puis après on s'adapter à la situation, ça ne me choque pas.
GUILLAUME DURAND
Parlons de la Centrafrique. La présidente intérimaire réclame évidemment une installation des troupes françaises sur un long terme, plus d'1 an maintenant. D'abord est-ce que vous confirmez que ça pourrait être le cas, et est-ce qu'il faut, comme le réclame le président voisin du Congo, qu'il y ait plus de troupes en urgence, en rappelant que sur place il y a les Français et la MISCA ?
LAURENT FABIUS
Il y a les Français et la MISCA. Alors, les Français sont au nombre de 1600 et la MISCA, c'est-à-dire les troupes africaines, sont montées, sont en train de monter à 6000. Depuis nous avons obtenu, et ça demande une action diplomatique très ferme, le concours des Européens, et madame ASHTON, qui est la ministre des Affaires étrangères européenne, a dit qu'elle pourrait obtenir 1000 hommes, bien formés, bien équipés, c'est ça qui est très important, et puis…
GUILLAUME DURAND
Quand ?
LAURENT FABIUS
Elle a dit au mois de mars, voilà ; donc ça va nous donner une capacité supplémentaire, et le président de la République a décidé l'envoi de 400 hommes en plus, donc passage de 1600 à 2000.
GUILLAUME DURAND
Et sur la durée du mandat ?
LAURENT FABIUS
Sur la durée, ce que nous avons demandé, c'est de passer sous Casques bleus, c'est-à-dire que ça serait une opération de l'ONU, parce que ça va demander l'installation permanente de troupes. Il y aura, dans ces troupes, des Africains, bien sûr, il y aura des non Africains, et le chiffre qui a été cité par l'ONU c'est 10 000 hommes, donc il faut arriver – et c'est d'ailleurs, je crois, le chiffre que reprend monsieur SASSOU-NGUESSO dans son papier du FIGARO ce matin, dans son interview, c'est le chiffre de 10 000 hommes, voilà. Mais, pour revenir à la France…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est quasiment une installation permanente, parce qu'il va falloir assumer les élections, puis qu'un nouveau pouvoir se mette en place, puis qu'on règle la question des rivalités entre les chrétiens et les musulmans.
LAURENT FABIUS
Bien sûr, bien sûr. Ça va faire partie des pays dans le monde, il y en a quelques-uns, où pour reconstituer un Etat il faut que l'ONU intervienne, mais c'est le rôle des Nations Unies, et la France prendra sa part. La France a été la première à intervenir parce que c'était…
GUILLAUME DURAND
Oui, mais ça devait être une opération de police, je me souviens.
LAURENT FABIUS
Non non, écoutez, moi j'ai dit…
GUILLAUME DURAND
Ça devait être une opération de police sur 6 mois.
LAURENT FABIUS
J'ai dit, dès le début, « nous intervenons » – j'avais employé cette formule, elle n'est peut-être pas exacte totalement, mais enfin elle dit bien ce que ça veut dire – « parce que nous sommes en situation de quasi génocide », vous vous rappelez ça, et c'est vrai que nous sommes intervenu, je crois 4 heures, après que les Nations Unies nous en aient donné l'autorisation. Nous n'intervenons pas s'il n'y a pas d'autorisation internationale. L'autorisation internationale nous a été donnée, je crois, le 4 ou le 5 décembre, nous sommes intervenus quelques heures après. Et heureusement, parce que le jour, la veille du jour où nous sommes intervenus, il y a eu près de 1000 morts, nous avons empêché ce quasi génocide, mais en même temps il faut tout reconstruire, c'est très lent, très lourd, il faut non seulement des hommes, sur le plan de la sécurité, il faut sur le plan humanitaire des moyens considérables, et, vous y avez fait allusion, il faut préparer la transition politique. Madame SAMBA-PANZA, que j'ai rencontrée…
GUILLAUME DURAND
La présidente…
LAURENT FABIUS
Est tout à fait remarquable, mais elle est une présidente de transition, il va falloir donc préparer les élections.
GUILLAUME DURAND
Mais soyons francs, nous sommes là pour très longtemps.
LAURENT FABIUS
Nous sommes là…
GUILLAUME DURAND
Ce n'est pas un défaut d'ailleurs !, parce que les gens ont l'air de le regretter.
LAURENT FABIUS
Nous sommes là…
GUILLAUME DURAND
Pour plus d'1 an.
LAURENT FABIUS
Je n'imagine pas que, au moment où l'OMP, c'est-à-dire l'opération de maintien de la paix, s'installera, on n'imagine pas que les Français passent de 2000 à 0, mais nous n'avons pas vocation à rester en permanence là-bas.
GUILLAUME DURAND
On va y rester plus d'1 an.
LAURENT FABIUS
Nous avons commencé à y être au mois de décembre, avant nous avions 250 hommes, 300 hommes, je pense que nous resterons y compris au début de l'OMP, de l'opération de maintien de la paix.
GUILLAUME DURAND
La Syrie, que faut-il faire pour obliger POUTINE à faire quelque chose, puisqu'il a évoqué un gouvernement de transition, mais il n'a jamais rien fait.
LAURENT FABIUS
Oui, mais il n'a pas du tout travaillé dans ce sens.
GUILLAUME DURAND
Donc, qu'est-ce qu'on fait ?
LAURENT FABIUS
L'objet de la Conférence de Genève c'était préparer un gouvernement de transition, c'est-à-dire avec des gens du régime, mais sans Bachar, et avec l'opposition. Ce qui s'est passé concrètement c'est que les gens de l'opposition sont venus, ont fait des propositions très raisonnables, et en revanche les envoyés du régime de Bachar ont saboté l'affaire. En fait, eux ce qui les intéresse…
GUILLAUME DURAND
Vous ne vous attendiez pas au contraire, à ce qu'ils rendent les armes ?
LAURENT FABIUS
Justement, vous faisiez allusion à la Russie, la Russie avait accepté l'idée que Genève avait pour objet le gouvernement de transition, et en fait rien n'a été fait, mais d'autres éléments sont intervenus, qui sont gravissimes. Vous savez que tout le monde s'est engagé à ce qu'il y ait une destruction des armes chimiques, parce que la France avait fait une pression très très forte, en fait cette destruction des armes chimiques a été retardée. Et troisième élément qui est gravissime, nous avons obtenu que la ville de Homs soit libérée, et qu'est-ce qui s'est passé, on ne l'a pas assez souligné, sur les radios et les télévisions, Bachar a laissé sortir les gens de Homs, et à peine sortis il a fait arrêter les hommes qui avaient été libérés, et torturés. C'est-à-dire un régime vraiment, on ne s'en rend pas compte parce qu'il y a tellement de catastrophes dans le monde, un régime abominable. Donc, qu'est-ce que nous faisons, nous, nous continuons à soutenir l'opposition modérée et nous disons à ceux qui ont une influence, je pense aux Russes, je pense aux Iraniens, de faire ce qu'ils doivent faire, et nous déposons aujourd'hui, nous discutons une résolution aux Nations Unies, pour obliger, je dis bien obliger, à ce qu'il y ait des solutions humanitaires.
GUILLAUME DURAND
Vous dites obliger, mais dans la tête des gens, obliger c'est comme pour la Centrafrique, c'est l'intervention militaire. Est-ce que vous nous dites – parce qu'il y a des tas de dépêches qui sont tombées cette nuit…
LAURENT FABIUS
Non, mais monsieur Bachar EL-ASSAD ne pourrait pas faire ce qu'il fait s'il n'avait pas le soutien des Iraniens et des Russes, c'est clair et c'est net. Les Russes disent…
GUILLAUME DURAND
Qui ne serait pas qu'un soutien diplomatique, mais un soutien militaire aussi.
LAURENT FABIUS
C'est ce qui existe, ce sont les Russes qui fournissent les armes, et ce sont les Iraniens, à travers Hezbollah, qui organisent une série de combats, c'est bien connu. Donc, ce que nous demandons, aux Russes en particulier, qui sont un grand pays, qui a pignon sur rue sur le plan international, c'est d'user de toute leur influence pour faire en sorte que ce pays, qui est martyrisé par son dirigeant, et par sa famille, puisse évoluer, et l'opposition est là.
GUILLAUME DURAND
Mais pour l'instant ils ne cèdent pas, toutes les pressions diplomatiques…
LAURENT FABIUS
Mais bien sûr, il faut continuer, il faut continuer. Ce n'est pas parce qu'on n'obtient pas une solution qu'il faut abandonner.
GUILLAUME DURAND
Et donc la force, l'idée de la force est impossible parce qu'il y a les Russes de l'autre côté ?
LAURENT FABIUS
Non mais, on ne va pas faire une guerre mondiale en Syrie, mais en revanche qu'il faille appuyer l'opposition modérée, responsable, oui, oui.
GUILLAUME DURAND
Laurent FABIUS, vous avez été Premier ministre, je le disais tout à l'heure, on a l'impression, et ça s'écrit beaucoup dans les journaux, que, au fond, les équipes qui ont dirigé la gauche, celle de François MITTERRAND ou celle de Lionel JOSPIN, étaient d'un autre niveau que celle de François HOLLANDE.
LAURENT FABIUS
Non…
GUILLAUME DURAND
Vous avez lu LE POINT, ce cher Franz-Olivier GIESBERT, « Les sous-doués au pouvoir. » Alors, est-ce que vous considérez que l'un des problèmes de François HOLLANDE c'est aussi son équipe ?
LAURENT FABIUS
Non, non, ça serait très injuste de dire cela. La seule chose que me donne peut-être la possibilité d'exprimer mon expérience, ça a été dit très très souvent, c'est que le jour, le jour où il y aura une évolution, je pense qu'il y a, structurellement, comment dire, une équipe très ramassée, et je pense en particulier, et je l'ai dit, qu'en ce qui concerne tout le secteur de l'économie et des finances – j'ai été ministre de l'Economie et des Finances, il y a 10 ans – c'est un grand ministère, et je pense qu'il faut une équipe très très resserrée. Mais la décision appartient au président de la République, il peut intervenir dans plusieurs…
GUILLAUME DURAND
Mais en le suggérant, vous entérinez l'idée ?
LAURENT FABIUS
Non non, pas du tout, je me place d'un point de vue uniquement de la structure. Par exemple, demain nous avons un Conseil des ministres franco-allemand, nous avons des ministres allemands qui vont venir, et des ministres français. Du côté allemand, je ne sais pas le chiffre exact, mais il y a une quinzaine ou une vingtaine de ministres, je pense que nous pourrions avoir un mécanisme du même ordre. Mais, encore une fois, la décision appartient au président, il est juge du moment, et il est juge de la nature et de la composition, et personne d'autre.
GUILLAUME DURAND
Et s'il vous appelle ?
LAURENT FABIUS
J'ai déjà répondu 25 fois à ça, je suis extrêmement bien au ministère des Affaires étrangères…
GUILLAUME DURAND
Que même s'il vous appelle, vous n'irez pas ?
LAURENT FABIUS
Je suis très bien là où je suis, la politique étrangère de la France me passionne, nous avons un grand crédit international, et je m'occupe de cela.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 février 2014