Texte intégral
Je vous remercie, M. le président, de m'accueillir dans votre commission pour un échange consacré au sens que je souhaite donner à la politique mémorielle et à la présentation de l'année commémorative,importante, qui s'annonce en 2014.
Cette année 2014 qui inaugure le Centenaire de la première guerre mondiale et qui commémore le 70e anniversaire de la Libération du territoire en 1944 doit être un moment important où la Nation se recentre et se rassemble autour de son histoire commune.
Ces commémorations sont d'abord une occasion unique de parler aux Français de la Nation, de la République et du patriotisme, au plus beau sens du terme.
Elles sont également pour notre pays une occasion de rayonnement international en direction des pays qui ont combattu sur notre sol et dont la mémoire est aussi inscrite dans notre pierre (je pense aux Australiens, aux Néo-Zélandais, aux Canadiens dont le souvenir de leur engagement est dans la Somme, dans le Nord). Mais aussi en direction des pays qui vinrent jadis défendre notre liberté et enfin d'anciens adversaires avec qui nous pourrons célébrer la paix retrouvée et la réconciliation.
C'est le cap que le Président de la République nous a fixé à l'occasion du coup d'envoi des deux cycles de commémorations qu'il a donné ces derniers mois : le 4 octobre en Corse ; le 7 novembre, depuis le Palais de l'Élysée où il a prononcé un discours très important ; le 11 novembre enfin, à Oyonnax.
Nous entrons dans un moment particulier où la France doute, où les Françaises et les Français interrogent leur rapport à la Nation, leur identité aussi parfois. Vous le constatez chaque jour sur le terrain et au contact des habitants de vos circonscriptions.
C'est pourquoi j'ai souhaité préparer ces cycles mémoriels avec le souci permanent de la recherche de la cohésion nationale. Le sentiment d'appartenance à la Nation doit être renforcé. Nous devons veiller à ce que toutes les mémoires se retrouvent,dans un climat apaisée, au sein de la mémoire collective.
Cette cohésion nationale, elle peut d'abord s'exprimer à travers le renforcement du lien intergénérationnel. Le 70e anniversaire de la seconde guerre mondiale donnera la parole aux Anciens, aux acteurs et témoins de cette histoire afin qu'elle soit transmise à la jeune génération. C'est, vous le savez, tout l'enjeu de demain.
J'ai à cur, à chaque fois que j'en ai l'occasion, d'associer des jeunes aux cérémonies qui nous réunissent : c'était le cas en Corse en octobre avec le Président de la République, c'était le cas la semaine dernière à Toulouse pour rendre hommage aux victimes de l'Holocauste, en Moselle pour inaugurer un monument aux morts, et à la forêt de Bouconne dimanche dernier, pour commémorer la mort de François Verdier.
Je souhaite que nous renforcions cette dimension tout au long de l'année et que des pistes de réflexion soient lancées pour attirer la jeune génération dans ses manifestations.
Cette cohésion nationale, elle doit aussi s'exprimer entre nos concitoyens quelle que soit leur origine, car réintégrer toutes les Françaises et tous les Français dans la mémoire nationale, c'est aussi leur dire qu'ils y ont leur place où qu'ils soient nés et où que leurs parents soient nés.
Nous avons là une occasion unique de dire aux plus jeunes,notamment à ceux qui ne se sentent pas à leur place dans la société française, combien ils peuvent être fiers d'appartenir à cette histoire, une histoire marquée par les faits d'armes de leur père ou de leur grand-père.
Ces commémorations doivent aussi être l'occasion de rappeler le lien entre les générations du feu. En rendant hommage aux Anciens, nous encourageons nos soldats engagés aujourd'hui sur des théâtres extérieurs. Nous saluons aussi toute cette histoire d'engagement pour la quelle j'ai la plus grande admiration.
Je souhaite en effet que la dimension militaire soit au cur de ces commémorations. La Grande Guerre, et bien qu'elle ait impacté toute la société, c'est d'abord 8 millions de soldats mobilisés en France, c'est des régiments constitués pour aller au front, c'est 1,4 millions de soldats morts pour la France.
C'est ainsi que je conçois ma politique mémorielle, comme un élément dynamique qui nous invite à regarder vers l'avenir. Mais qui nous invite aussi à faire vivre nos territoires.
Faire vivre, mesdames et messieurs les sénateurs, vos territoires. Ces deux cycles mémoriels sont une chance pour nos collectivités de se réapproprier leur mémoire locale, de la valoriser et de la diffuser vers nos concitoyens.
Depuis mon entrée en fonctions il y a presque deux ans, je me prépare, avec les services du ministère de la Défense et tous nos opérateurs et interlocuteurs locaux, à cette année commémorative. Le chef de l'État lui-même est très engagé sur ces questions, je l'ai rappelé tout à l'heure.
Les services du ministère de la Défense et des 8 ministères partenaires qui sont représentés au sein de la mission interministérielle des anniversaires des deux guerres mondiales placée auprès de moi sont eux-mêmes très impliqués. Nos opérateurs enfin, je pense à l'Office national des Anciens combattants et victimes de guerre, à la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, à la mission du Centenaire uvrent au quotidien pour la mise en uvre des grandes cérémonies nationales et internationales qui se tiendront tout au long de l'année.
A nos côtés, il y a bien sûr les collectivités locales avec qui nous travaillons main dans la main. L'État a souhaité situer au niveau local ces commémorations et leur préparation. C'est dans nos territoires, où vous jouez un rôle essentiel, que prend forme et s'incarne notre mémoire.
C'est donc à cet échelon local que sont le plus palpable l'enthousiasme et la mobilisation des Français. Plusieurs éléments en témoignent - que j'ai déjà eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises comme par exemple le succès de la grande collecte qui, du 9 au 16 novembre, a attiré des milliers contributeurs à travers la France.
Il y a une véritable attente des Français que nous devons prendre en compte avec l'ambition d'associer l'ensemble de nos concitoyens en faisant de ces manifestations des commémorations populaires. J'insiste sur ce point.
En impliquant les fédérations sportives dans ces commémorations par exemple, nous touchons un public plus large. Cette histoire de France, elle appartient à tous les Français. Je me réjouis que la fédération française de rugby ait répondu à cet appel et que des bleuets soient tissés sur les maillots français pour la première fois lors du tournoi des six nations. Nous avons eu le plaisir de le constater samedi dernier, plaisir augmenté par la belle victoire que l'équipe des bleus nous a offerte face aux Anglais.
Plusieurs idées sont également à l'étude pour célébrer la mémoire du grand lieutenant pilote de la première guerre mondiale que fut Roland Garros en partenariat avec la fédération française de tennis mais aussi pour placer le tour de France 2014 sous le signe du Centenaire.
Pour accompagner la mobilisation et recueillir les initiatives de nos concitoyens, 103 comités départementaux du Centenaire ont été créés depuis juin 2012.
Ces initiatives, elles ont été nombreuses : 1 000 projets émanant de France et d'ailleurs ont été labellisés par la mission du Centenaire. Une deuxième phase d'examen se prépare en ce début d'année pour accorder un label aux nouveaux projets qui naissent en masse.
Parallèlement, le ministère a mis au point une procédure d'homologation pour les projets liés au 70e anniversaire. Près de 600 sont déjà en cours d'homologation dont 300 pour la région Basse-Normandie. Une deuxième session d'examen, là aussi, aura lieu au mois de mars.
Les porteurs de projets peuvent également obtenir un financement de la part de l'État qui est pleinement impliqué aux côtés de nos collectivités et des acteurs associatifs locaux, comme en témoigne le budget consacré à la politique mémorielle : 23 millions d'euros pour l'année 2014, soit 6 millions d'euros de plus qu'en 2013.
Cette recherche de cohésion nationale enfin doit se faire à l'image de celle qui s'opère à l'échelle bilatérale, européenne et internationale et dont la mémoire est le fer de lance. La dimension internationale est très forte, je l'évoquais en introduction.
La guerre de 1914-1918, ce ne sont pas moins de 65 millions d'hommes mobilisés à travers le monde, plus de 8 millions de morts et plus de 20 millions de blessés. La seconde guerre mondiale et plus précisément l'année de Libération a vu débarquer 14 pays étrangers en Normandie, 22 pays étrangers en Provence dont 20 venus d'Afrique.
Les représentants de ces pays seront parmi nous en 2014 pour assister aux grands rendez-vous décidés par le Président de la République :
- Le 6 juin prochain les plages de Sword Beach accueilleront les hautes autorités de 16 pays étrangers aux côtés du Président de la République ;
- Le 14 juillet 2014 verra 74 pays défiler aux couleurs du Centenaire en associant 4 jeunes par pays ainsi qu'un porte-drapeau et sa garde ;
- Le 15 août, plus de 20 pays seront représentés pour commémorer le débarquement de Provence ;
- Le 12 septembre enfin, c'est la commémoration de la bataille de la Marne qui verra la participation des Britanniques, des Allemands, des Russes, des Algériens et des Marocains.
Au-delà de ces grands rendez-vous, des manifestations rassembleront aussi des partenaires étrangers dans un esprit de rassemblement, de fraternité et de réconciliation pour célébrer le combat pour la paix :
- Le 3 août, l'entrée en guerre de la France et de l'Allemagne sera commémorée en présence du Président de la République Fédérale d'Allemagne ;
- Le 11 novembre, un hommage sera rendu à Notre-Dame-de-Lorette à tous les morts de la Grande Guerre, toutes nationalités, tous grades et toutes religions confondus,par l'inauguration d'un monument exceptionnel dédié aux 600 000 hommes tombés dans le Nord-Pas-de-Calais.
Tous ces publics, français et étrangers, sont une richesse pour nos différents territoires qui accueilleront des cérémonies et à qui il reviendra de loger et de restaurer ces visiteurs.
Les enjeux économiques sont donc essentiels. C'est pourquoi l'État s'est clairement engagé aux côté des collectivités pour le développement d'un tourisme de mémoire.
Dans tous les domaines, il doit montrer l'exemple et être aux côtés des collectivités locales, des départements et des régions.
Au mois de novembre, à l'occasion des assises du tourisme de la mémoire à Lille, la ministre chargée du Tourisme, Mme Sylvia Pinel, et moi-même, accompagnés des représentants de 3 régions et de 4 départements, avons signé un premier contrat de destination Grande Guerre qui vise à augmenter les flux touristiques et les retombées économiques sur les territoires concernés.
Elles représentent environ 45 millions d'euros par an en ne comptant que les billetteries. S'y ajoutent les retombées liées à l'hébergement et à la restauration.
Une enveloppe de 1,5 millions d'euros a également été spécifiquement dédiée au tourisme de mémoire en 2013 qui a permis le soutien de plusieurs projets.
Il y a à la clef des emplois, de l'activité et des échanges. Les enjeux sont conséquents et, de ce point de vue, le double cycle de commémorations nous offre une occasion unique de mettre en valeur notre patrimoine et de rendre nos territoires plus attractifs.
Je connais votre attachement à la vitalité et au rayonnement de nos collectivités et je sais que je peux compter sur vous et sur votre implication pour mener cette politique de développement du tourisme de mémoire à mes côtés.
Permettez-moi pour conclure ces propos introductifs de vous dire combien le Parlement a toutes a place dans ce temps de mémoire et de commémoration. Car vous êtes, aux côtés du Gouvernement, les représentants de la Nation, les représentants de tous les Français.
Ces cycles mémoriels sont une occasion privilégiée de mettre en valeur les institutions républicaines et notamment l'Assemblée nationale et le Sénat qui ont maintenu, durant les 4 années de la Grande Guerre, la vie politique et parlementaire à travers la réunion des comités secrets. Je sais que des choses ont déjà été entreprises par le Sénat et je m'en réjouis. Je pense notamment à l'initiative de mettre en ligne, à la disposition du grand public mais aussi des chercheurs, les procès-verbaux numérisés des travaux des commissions pendant la première guerre mondiale et jusqu'à la signature des traités.
Ces commémorations peuvent aussi être l'occasion d'un réel travail de diplomatie parlementaire et je sais que cette dimension est très importante pour les membres de la commission affaires étrangères et défense que vous êtes.
Il y a notamment un volet européen qui doit être très fort comme l'a rappelé le Président de la République dans son discours du 7 novembre.
Car commémorer ces deux guerres mondiales, c'est célébrer aussi le combat pour la paix et rendre hommage à l'Europe de la paix. Sur le plan bilatéral, les groupes d'amitié peuvent être mobilisés. C'est là une piste que je vous donne mais qui doit être développée.
Dans chaque cas, je me tiens bien entendu à votre disposition pour décliner concrètement les projets que le Sénat pourrait vouloir développer comme je l'ai indiqué auprès de vos collègues de l'Assemblée nationale.
Je souhaite enfin que tous les parlementaires puissent se sentir investis, ceux qui sont issus des territoires du front comme ceux qui viennent des territoires de l'arrière.
Nous pourrons travailler ensemble à la mise en valeur de tous les sénateurs qui ont été les victimes de ces guerres. Je pense à Alfred Mezières, sénateur de Meurthe-Moselle, fait prisonnier dans sa propre maison à Réhon par les soldats ennemis durant la Grande Guerre où il mourut en 1915. Il avait installé un dispensaire dans sa propriété pour soigner les blessés et accueillir les réfugiés.
Je pense à Charles Sébline, sénateur de l'Aisne,qui voulut vivre cette guerre et attendre l'ennemi auprès des Françaises et des Français qu'il représentait depuis 30 ans. Ce qui lui valut de mourir de froid et de fatigue dans la gare d'Aulnoy en 1917 alors que les soldats ennemis occupaient sa maison.
Les bustes de ces deux anciens sénateurs, dont le courage fut remarquable, sont érigés aujourd'hui dans la galerie menant à la Salle des séances.
Je pense aussi à M. Michel Tony-Révillon, sénateur de l'Ain, le seul à embarquer en 1940 sur le Massilia aux côtés de 26 députés afin de poursuivre la lutte contre le nazisme depuis l'Afrique du Nord.
Je pense enfin à Pierre Masse, soldat décoré pour son courage en 1917, sous-secrétaire d'État à la guerre puis sénateur de l'Hérault, déporté en septembre 1942 au camp d'Auschwitz dont il ne revient pas.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,vous êtes aujourd'hui les légataires de ces hommes qui ont risqué leur vie et se sont levés à la tribune parlementaire pour défendre notre République.
Il vous appartient donc, à mes côtés, de célébrer la victoire des valeurs républicaines.
Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 février 2014