Déclaration de M. Kader Arif, ministre des anciens combattants, en hommage à Missak Manouchian, un résistant d'origine arménienne, à Paris le 20 février 2014.

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Circonstance : 70e anniversaire de l'assassinat de Missak Manouchian, le 20 février 2014

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Elus,
Madame l'Adjointe au Maire,
Monsieur le Président de l'Association Nationale des Anciens combattants et Résistants Arméniens,
Monsieur l'Aumônier Israélite des Armées,
Messieurs les Anciens combattants,
Mesdames et Messieurs,
Il y a 70 ans jour pour jour, Missak Manouchian et 21 autres résistants vivent leur dernier instant dans leur cellule de la prison de Fresnes après plusieurs semaines de torture. Le lendemain, ils sont fusillés au Mont Valérien. La 23e arrêtée avec eux trois mois auparavant, seule figure féminine du groupe Manouchian, Olga Bancic, sera décapitée à Stuttgart le 10 mai 1944, le jour de ses 32 ans. Tous, âgés de 18 à 46 ans ont offert ce jour-là leur vie, et souvent leur jeunesse, à la France.
Parmi eux, deux hommes, Missak Manouchian et Célestino Alfonso, refusent d'avoir les yeux bandés. Ils veulent faire face à leurs bourreaux à qui ils ont opposé le silence pendant des semaines. Ils veulent faire face, avec courage, au silence assourdissant de l'injustice.
Je remercie l'Association Nationale des Anciens combattants et Résistants Arméniens et l'Aumônerie Israélite des Armées de m'avoir invité à commémorer ensemble cet événement et à rendre hommage à cette figure de la Résistance.
Missak Manouchian, c'est d'abord l'Arménien né à Adiyaman en 1906 touché une première fois par la barbarie humaine qui lui arrache ses parents en 1915.
C'est ensuite le jeune homme de 19 ans, initié aux Lettres arméniennes, qui rêve d'une autre terre, d'une autre patrie et qui choisit la France. Il débarque à Marseille puis s'installe à Paris où il écrit ses premiers poèmes, publie ses premières revues, traduit Baudelaire et Verlaine et suit des cours de Lettres, de philosophie et d'histoire à La Sorbonne. Sa plume deviendra Résistance.
Je salue aujourd'hui à travers lui, à travers son itinéraire qui le conduisit de l'Arménie à la France, de la littérature arménienne à la poésie française, l'attachement profond et sincère des Arméniens à la France. Un attachement dont la France est honorée.
Missak Manouchian, c'est aussi le soldat mobilisé dans l'armée française, dès 1939, pour lutter contre l'Occupant nazi à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Patriote venu d'ailleurs, il s'engage pour ce pays d'adoption.
C'est enfin le Résistant, celui qui se dit prêt à donner sa vie pour un pays qui ne l'a pas vu naître. Arménien, Manouchian mène alors le combat de la France, le combat de la Liberté et de la Justice.
En février 1943, Missak Manouchian rejoint le groupe parisien des Francs-Tireurs et Partisans et Main d'œuvre immigrée.
A cette époque, la France est riche de 2 millions d'étrangers parmi lesquels beaucoup rejoignirent les rangs de la France Libre et prirent le maquis. Aujourd'hui, la Nation française adresse à toutes ces femmes et tous ces hommes un simple mot : merci, merci à ceux qui n'étaient pas nés en France et qui ont été de si grands Français !
Au lendemain de l'exécution des membres du groupe de Manouchian, les murs de la France sont recouverts des visages de 10 d'entre eux. 15 000 exemplaires de l'Affiche rouge les accusaient d'être « l'armée du crime ».
Au-dessous du portrait de Missak Manouchian était inscrit : « Manouchian, Arménien, chef de la bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés ». Voilà comment il était présenté sur ce fond rouge sang.
L'histoire de l'Affiche rouge, c'est d'abord une histoire de solidarité. Une solidarité qui s'est construite sur une valeur : la justice. Sur une force : le courage. Sur un prix : le sang.
Solidarité entre des hommes et des femmes venus de l'Europe toute entière : Roumanie, Hongrie, Italie, Espagne. Solidarité aussi de tous ces peuples avec la France, terre d'exil et de refuge.
« Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant » comme l'a si bien écrit Louis Aragon en 1955.
Traités comme des criminels, accusés de terrorisme, tous sont la fierté et l'honneur de la France. Leur seul crime est d'avoir aimé la France, d'avoir défendu ses valeurs républicaines et d'avoir été prêts à en mourir. Leur seul crime, c'est d'avoir été des étrangers patriotes.
Dans sa lettre à son épouse Mélinée, Missak Manouchian écrivait à quelques heures de son exécution : «Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain ».
Cette douceur de Paix et de Liberté, nous la goûtons aujourd'hui.
Je le cite encore : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement ».
Il y a un devoir de mémoire, qui nous est souvent rappelé. Mais la mémoire est aussi un droit. C'est ce droit que nous rendons aujourd'hui à Missak Manouchian et à ses camarades en honorant leur mémoire. Le Président de la République leur rendra un hommage solennel demain et, à travers eux, à toute cette France riche, plurielle, multiconfessionnelle, celle que nous aimons tant.
C'est à eux tous que nous allons dire et rappeler la reconnaissance de la France à l'occasion des deux cycles mémoriels : le Centenaire de la Grande Guerre et le 70e anniversaire de la Libération du territoire.
Au parachutiste américain débarqué sur les plages de Normandie le 6 juin 1944 et enterré aujourd'hui à Colleville ; au tirailleur sénégalais mort sur le champ de bataille de la Somme en 1916 ; au Républicain espagnol ayant embrassé la cause de la Résistance française en 1940 ; mardi dernier déjà, c'est à tous les soldats musulmans morts pour la France, venus du continent africain et d'Outre-mer, que le Président de la République a rendu hommage à la Mosquée de Paris.
Toutes ces femmes et tous ces hommes, fraternellement confondus avec les millions de combattants venus des provinces de France, ont fait l'histoire de notre pays et appartiennent à notre mémoire nationale. Tous ont accepté de voir leur destin brisé sur l'autel de la Liberté et pour que survive et vive la France. C'est aussi cela que nous rappelle le parcours singulier de Missak Manouchian.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 février 2014