Point de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation en Ukraine, à Pékin le 23 février 2014.

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Texte intégral

La situation en Ukraine est évidemment radicalement nouvelle. Les événements marquants après les affrontements sanglants de ces derniers jours, ce sont d'abord l'accord conclu avec la médiation de l'Union européenne, dont la France, qui a permis d'éviter les bains de sang et a conduit à une majorité nouvelle, et c'est cela qu'il faut bien comprendre. À partir de là, le président Yanoukovitch est parti, Mme Timochenko a été libérée, et c'est un nouveau président de l'Assemblée - la Rada - qui a été désigné. Celui-ci cumule les fonctions de président de transition et de Premier ministre, mais il a demandé qu'avant mardi prochain un gouvernement soit constitué. Un certain nombre de ministres ont déjà été élus, et il va y avoir le choix d'un Premier ministre.
Dans ces circonstances, quelle doit être l'attitude de l'Europe et de la France ? Accompagner cette transition démocratique, souhaiter qu'elle soit pacifique et que l'intégrité et l'unité de l'Ukraine soient respectées. Je me suis entretenu avec mes homologues européens, j'ai eu un contact avec mon collègue russe et, bien évidemment, je me tiens en contact permanent avec le président de la République et c'est dans ce sens-là que nous allons continuer d'agir.
Il y a une nouvelle majorité en Ukraine. Il faut que l'unité et l'intégrité soient respectées et que la transition démocratique s'effectue. Le nouveau président du Parlement a annoncé des élections présidentielles pour le mois de mai. D'ici là, il faut qu'un gouvernement soit nommé, mardi probablement, et qu'ensuite chacun fasse un effort pour que cette transition soit bien assurée. La situation est calme dans le pays, même s'il y a ici ou là quelques règlements de compte, mais les Ukrainiens font preuve d'une très grande maturité et je pense que c'est autour de cela qu'il faut se concentrer.
Bien évidemment, il y a des problèmes considérables. Il y a des problèmes économiques et bien d'autres problèmes encore lorsqu'il s'agit de reconstituer un État mais un très fort espoir s'est levé dans ce pays, qui jusqu'à ces derniers jours était dans une situation tragique avec des dizaines de morts et qui enfin commence de nouveau à espérer.
Q - Mais Viktor Yanoukovitch semble encore s'accrocher au pouvoir, a priori à l'Est de l'Ukraine. Quelle est votre position ? N'avez-vous pas peur que le pays se divise en deux ?
R - C'est évidemment la question centrale de l'unité et de l'intégrité. On ne sait pas où est M. Yanoukovitch. Certains parlent de Kharkov. Il semble qu'il ait cherché à fuir dans un autre pays, et qu'il ait été empêché de le faire. D'autres anciens ministres ont voulu faire la même chose et puis il y a, on le sait, une partie du pays qui est davantage tournée vers la Russie.
Notre position, c'est d'appeler à l'unité et l'intégrité du pays. Il y a maintenant une nouvelle majorité au parlement, qui est importante, et le gouvernement qui devra être constitué devra être un gouvernement d'union nationale. D'ailleurs, dans l'accord qui a été conclu sous notre égide, jeudi et vendredi dernier, il y avait bien ce gouvernement d'unité.
Q - Est-ce que les ministres allemand, français et polonais vont être en contact avec Mme Timochenko ?
R - Certainement, nous sommes en contact avec les différents responsables de l'opposition et Mme Timochenko.
Q - Quels sont les leviers de l'Europe pour préserver justement cette unité et cette union nationale que vous appelez de vos voeux ?
R - Elle appartient d'abord aux Ukrainiens, mais l'Europe a joué un rôle utile dans cet accord qui a été conclu, et même très utile puisque c'est à partir de cet accord que les combats ont pu cesser et que la majorité a basculé, avec les conséquences que l'on sait. L'Europe a accompagné le mouvement. Je me suis entretenu hier avec mon collègue polonais. Je suis en contact avec Mme Ashton, M. Steinmeier - avec lequel je parlerai de nouveau dans quelques instants - et d'autres collègues.
Se poseront aussi et se posent déjà des questions économiques. L'Europe accompagnera le mouvement, mais il faut aussi que la communauté internationale le fasse. D'ailleurs la question économique a été abordée au G20 qui se réunissait hier. Plusieurs pays qui participaient au G20 ont dit qu'il fallait accompagner ce mouvement.
Q - La Russie est un obstacle au processus en Ukraine selon vous ?
R - Non, ce n'est pas en ces termes que je vois les choses. J'ai toujours considéré qu'il ne fallait pas dire : «c'est ou bien l'Union européenne ou bien la Russie». L'Ukraine a une situation géographique et historique qui est ce qu'elle est. Une grande partie de la population est davantage tournée vers la Russie, une autre partie davantage vers l'Union européenne. L'Ukraine, de toute manière, est en Europe.
Notre souhait, à nous Français et à nous Européens, c'est de faire en sorte que les actions des uns et des autres convergent, en respectant la volonté des Ukrainiens, c'est cela qui est déterminant.
Q - Comment respecter les intérêts de la Russie dans cette affaire ? Pour que cela marche, il faut que la Russie ait un intérêt dans ce dossier ?
R - La priorité, c'est de prendre en compte ce que souhaitent les Ukrainiens. Une nouvelle majorité s'est dégagée à la Rada. C'est une majorité importante puisque les votes qui se sont exprimés, à la fois le vote d'une nouvelle Constitution, qui est celle de 2004, et le vote pour la désignation d'un certain nombre de responsables, ont été obtenus par plus de 300 voix. C'est le cas pour le remplacement du procureur général, c'est le cas pour le nouveau ministre de la défense, et il y a incontestablement une majorité nouvelle. Après on va aller vers les élections présidentielles. Il faut les préparer, dans le calme.
Q - What is the chances that the opposition form a unity government by tuesday ?
R - The chances are very high. It's the demand which has been expressed by the new president of the Parliament, who is now the acting president, and he has asked the different parties, because now there is a new majority, that a new government could be appointed before Tuesday night, and probably tonight there will be the appointment of a new Prime minister.
The important thing is that the Ukrainians remain united, that the integrity of the country should be safeguarded, and that everything should be done in a peaceful manner, and afterwards they will go towards presidential elections that have been scheduled towards May, and I think it's a new step and there is no way back.
Q - So you don't see the split between the East and West happening at all?
R - I hope that it will not happen, and the effort of the Europeans must be in that direction. We have to comply with the wishes of the Ukrainian population
Q - Vous dites que vous voulez préserver la souveraineté de l'Ukraine dans ses frontières actuelles. Êtes-vous en contact avec des membres de l'ancien pouvoir pour essayer de préserver cette unité ?
R - Personnellement non. J'ai vu le président Yanoukovitch quand j'ai négocié avec lui ainsi que celui qui était le ministre des affaires étrangères, mais le président Yanoukovitch est parti, le ministre des affaires étrangères n'est plus en place ; c'est au sein de la Rada que doit se faire le contact entre d'un côté la nouvelle majorité et le Parti des régions. Le Parti des régions était le parti majoritaire, il a perdu beaucoup de ses membres mais il continue d'exister. Les ambassadeurs de nos trois pays - France, Allemagne, Pologne - ont immédiatement engagé une démarche auprès du nouveau président, qui les a reçus, et ils ont entamé des contacts avec les uns et les autres.
Q - What do you think of the future prospects for Ianoukovitch? Do you think he's likely to hold some kind of power base in the East of the country ?
R - The reality is that Mr Yanukovych has lost the instruments of power. The army has decided - it's a good thing - to take no position, same for the police, the prosecutor has been replaced, the media are not controlled anymore by the government, and his ministers are now away.
Q - Au niveau d'un soutien économique à l'Ukraine des Européens et d'autres pays, où en est-on? Y a-t-il des propositions concrètes sur la table ou bien est-ce encore en cours de négociation ?
R - La question générale a été abordée, même si c'était rapidement, à l'occasion du G20 sous présidence australienne. En Europe, il y a des propositions qui ont été faites et qui pourront probablement être amplifiées. L'ensemble des pays qui souhaitent que l'Ukraine nouvelle puisse sortir des difficultés auront certainement à coeur d'appuyer.
Il est très important que le FMI, parce qu'il y a eu suspension de la discussion faute de réformes, puisse reprendre son soutien. Je pense qu'à partir du moment où il y a une nouvelle étape, un nouveau pouvoir, une volonté de réformes et un appui démocratique, l'Ukraine, qui est objectivement dans une situation très difficile, devrait pouvoir bénéficier d'appuis.
Q - On peut être optimiste pour l'Ukraine ?
R - La semaine dernière, il y avait des dizaines de morts. Quand je me suis rendu en Ukraine, le matin de mon arrivée, il y avait eu un massacre sur la place Maïdan et la ville était en état de siège. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, il y a un nouveau pouvoir. C'est donc un espoir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2014