Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur l'intervention militaire en Centrafrique, à l'Assemblée nationale le 25 février 2014.

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Circonstance : Débat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine, à l'Assemblée nationale le 25 février 2014

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Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, quelques mots pour répondre, sur l'essentiel, aux différents intervenants.
Je voudrais commencer en saluant avec vous la mémoire du caporal Damien Dolet, qui a trouvé la mort ce dimanche en Centrafrique dans des circonstances accidentelles. Un hommage solennel lui sera rendu dans quelques jours. Je veux également saluer celle des caporaux Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio.
Je remercie les orateurs des différents groupes d'avoir rendu hommage à nos soldats. En tant que ministre de la défense, je vous remercie, Mesdames, Messieurs les Députés, du soutien que vous leur avez apporté. Je suis convaincu que l'appui de la représentation nationale est essentiel pour nos armées. Je sais que les soldats écoutent nos débats et je suis sûr que les interventions des différents orateurs et l'unanimité de notre assemblée derrière leur action les conforteront dans leur dynamique et leur professionnalisme.
Je voudrais revenir sur un certain nombre de questions que vous avez posées.
D'abord, je constate qu'aucun des intervenants n'a remis en cause la nécessité de l'intervention en Centrafrique. Le président Le Roux l'a dit, mais d'autres orateurs aussi : nous revenons de très loin et si la France n'était pas intervenue, il y aurait eu des massacres de masse, dont nous aurions eu indirectement la responsabilité.
Nul ne pouvait ne rien faire, ni les Africains, ni la France, ni les Nations unies. Je voudrais rappeler à cet égard, monsieur le président Jacob, si vous me le permettez, que nous détenons notre mandat des Nations unies. Vous avez vous-même reconnu au début de votre intervention que c'était indispensable. C'est la raison pour laquelle nous sommes intervenus le 5 décembre et pas avant, le mandat des Nations unies étant intervenu à ce moment-là.
Ce mandat a une durée de six mois, renouvelable. Nous sommes solidaires de cet agenda et nous maintiendrons cette solidarité d'agenda avec celui du Conseil de sécurité. Je tenais à vous le dire parce que c'est la réalité.
Contrairement à ce qu'a affirmé le président Chassaigne, il n'y a pas eu d'aggravation de la situation. Je me suis rendu trois fois en République centrafricaine depuis deux mois et demi ; j'ai pu constater les progrès réalisés en matière de sécurisation. Si nos forces n'étaient pas intervenues, il y aurait effectivement eu une aggravation et des massacres de masse. Aujourd'hui, un certain nombre de quartiers de Bangui sont sécurisés. On circule dans Bangui, les taxis, les écoles fonctionnent, ce qui n'était pas le cas auparavant. Aujourd'hui, j'en informe l'Assemblée nationale, l'université vient de rouvrir. Il y a donc eu des progrès sensibles grâce à l'intervention de nos forces en République centrafricaine, même si, dans la province, la sérénité et la sécurité ne sont pas encore revenues. Mais on ne peut pas dire qu'il y a eu une aggravation du fait de l'opération Sangaris.
Notre intervention a également donné un coup d'arrêt à la déliquescence de l'État et permis la mise en place d'une équipe de transition politique dont les uns et les autres ont bien voulu souligner le sérieux et la volonté.
Notre intervention a également permis aux ONG de retrouver une certaine capacité d'action, même si elle n'a pas encore atteint sa plénitude ; il n'empêche qu'au départ, les ONG étaient totalement incapables de venir en aide aux nombreuses populations en souffrance.
Il y a donc eu, en deux mois et demi, beaucoup d'avancées, sinon une nouvelle donne dans la situation en République centrafricaine. Et contrairement à ce qui a été dit, nous ne sommes pas seuls dans cette affaire : les forces africaines, dans les différentes interventions des uns et des autres, sont souvent passées par pertes et profits. On les ignore alors qu'elles comptent désormais 6.000 hommes. On avait dit, lors d'un précédent débat, qu'elles ne seraient jamais suffisamment nombreuses et que le chiffre annoncé par les Nations unies ne serait pas atteint. Or il est atteint, et ces forces sont organisées. La MISCA a eu plusieurs soldats tués, auxquels il faut rendre hommage. On compte à ce jour dix-neuf soldats de différentes nationalités morts pour la Centrafrique. Les forces africaines sont là, elles sont fières d'être là et elles accomplissent leurs missions. Certes, certaines ne sont pas aussi opérantes que les forces françaises, mais beaucoup sont robustes et de qualité. Elles remplissent leurs missions, il faut le dire dans cette enceinte, car je considère qu'on l'a un peu oublié. Quand j'entends dire que nous sommes seuls en Centrafrique alors qu'il y a sur le terrain 6.000 militaires africains, je ne suis pas certain que l'Union africaine apprécie ce genre de propos. C'est pourquoi je tenais à leur rendre hommage.
Des questions ayant été posées sur ce point, je voudrais donner quelques précisions sur la mission EUFOR décidée par l'Union européenne. Ce n'est que la quatrième intervention militaire européenne dans l'histoire depuis la décision de mettre en oeuvre une politique de sécurité et de défense commune ; celle-ci a été décidée rapidement et à l'unanimité. L'état-major de la mission EUFOR est en place depuis la semaine dernière : je l'ai visité vendredi à Athènes. La force européenne pourra se déployer dans le courant du mois de mars.
Plusieurs pays ont déjà annoncé leur contribution. Une conférence de génération de forces s'est tenue aujourd'hui, qui a déjà permis certaines avancées. Une nouvelle conférence aura lieu dans quelques jours. L'Union européenne est au rendez-vous, un peu tardivement, c'est vrai, mais la décision a été rapide et la mise en oeuvre le sera tout autant : elle sera assurée par un général français, le général Pontiès. Je suis convaincu que l'Union européenne sera en situation de nous aider à agir demain.
Quelles sont nos missions aujourd'hui ? La première, c'est la sécurité. Elle doit revêtir trois formes.
D'abord, une capacité de déploiement militaire suffisante hors de Bangui. C'est notre préoccupation. Le renforcement de la MISCA, désormais opérationnelle, plus l'arrivée de l'EUFOR doivent nous permettre d'y parvenir. On a pu constater que lorsque Sangaris et la MISCA se déployaient hors de Bangui, la sécurité revenait. Cela a été le cas, notamment à l'ouest. C'est la raison pour laquelle le président de la République a souhaité porter le nombre de militaires déployés de 1.600 à 2.000.
Je profite de cette occasion pour répondre au président Jacob sur les OPEX. La procédure est simple, elle est inscrite dans la loi de programmation militaire : lorsqu'une opération extérieure supplémentaire est décidée en cours d'année, son financement est intégralement pris en charge par le budget de l'État.
C'était le cas l'année dernière pour la mission au Mali ; ce sera également le cas cette année. Les choses à cet égard sont très claires, et inscrites dans la loi. Je suis convaincu que les parlementaires seront vigilants sur ce point.
En ce qui concerne le ministre de la défense, puisque chacun se préoccupe de la bonne mise en oeuvre de nos interventions, la préoccupation majeure, à mon sens - ceux qui sont allés sur place ont dû s'en rendre compte -, c'est le besoin urgent d'une sécurité de proximité.
C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision d'engager des forces de gendarmerie. En effet, l'opération militaire se transforme progressivement en opération de gendarmerie. Les forces françaises déployées comporteront donc des gendarmes, comme d'ailleurs la force européenne.
J'évoquerai en quelques mots la situation politique. M. Folliot s'interrogeait sur la date des élections présidentielles, fixées au mois de février prochain ; c'est pour nous une nécessité. Il faut tout mettre en oeuvre pour que ce processus aboutisse et pour éviter toute tentative de partition de la République centrafricaine, qui d'ailleurs ne serait acceptée par aucun État de la région.
Nous pensons comme vous, Messieurs Folliot et de Rugy, que l'exode vers l'Est de certaines populations musulmanes doit être provisoire. Il faut encourager l'indispensable réconciliation, comme le font les autorités religieuses et la présidente Mme Samba-Penza. Cette réconciliation passera par une élection présidentielle.
Je rappelle enfin à l'ensemble des intervenants, qui tous ont souligné cette nécessité, que nous sommes là-bas en relais d'une opération de maintien de la paix des Nations unies, dont il reste à mettre au point le dispositif. Un rapport du secrétaire général des Nations unies est prévu dans quelques jours ; dans un mois, la procédure s'engagera en vue d'une intervention réelle des Casques bleus avant la fin de l'année.
Nous sommes dans une situation de relais aux côtés de l'Union africaine et de l'EUFOR européenne, en attendant une indispensable opération des Nations unies qui permettra à ce pays de voir le retour de la sérénité, la fin des souffrances et l'avènement de la paix à laquelle il aspire depuis de nombreuses années et que nous essayons pour l'heure de rétablir grâce à nos propres forces, au professionnalisme, à la qualité et au sang-froid de nos soldats.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2014