Entretien de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, avec RMC le 4 mars 2014, sur la situation en Ukraine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - On va parler de la Crimée et de ce qui se passe en Ukraine - avec cette dernière information : Vladimir Poutine qui ordonne aux soldats Russes engagés dans des manoeuvres militaires de retourner dans leurs casernes. C'est le début d'un assouplissement, d'un léger assouplissement de la position de Poutine ?
R - En tout cas, il faut le voir comme cela, avec l'espoir que le message de fermeté unanime de l'Union européenne hier à l'égard de la Russie ait été entendu. Message unanime, associant également d'autres pays dans le monde, puisque le G7 a pris une position ferme hier, ce qui inclut le Canada, le Japon et les États-Unis. Il faut ramener la Russie à plus de modération - c'est le moins que l'on puisse dire - et tout faire pour que du côté russe, mais aussi du côté Union européenne, nous accompagnions les Ukrainiens sur le chemin d'un choix politique, d'un avenir choisi par les Ukrainiens eux-mêmes.
Q - Alors comment faire diplomatiquement pour accompagner les Ukrainiens et pour qu'on calme la situation ?
R - Déjà, il faut rappeler que ce qui se passe en Ukraine résulte d'un choix politique qui a été fait par M. Yanoukovitch - alors président de la République - et par son opposition. Je rappelle qu'il y a eu un accord sur plusieurs points, qui prévoyait des élections anticipées...
Q - Il y avait un accord le 21 février qui a été trouvé sous l'égide de trois ministres européens des affaires étrangères...
R - ...et en présence de l'envoyé de M. Poutine, je veux le rappeler aussi.
Q - Mais enfin cet accord il a tenu quelques heures...
R - Pourquoi ? Parce que M. Yanoukovitch, alors président de la République ukrainienne, s'est enfui ! Dans quel pays un président de la République, sûr de son bon droit, de son autorité, de sa légitimité, s'enfuit-il ?
Q - Mais il y a aussi les révolutionnaires de Maïdan qui ne voulaient pas de cet accord, certains, en tous les cas.... Pardon Thierry Repentin, vous le savez bien ?
R - Je peux vous dire que l'accord a eu lieu à 6 h 45 le vendredi matin, et que nous avons attendu la journée pour l'annoncer, parce qu'il a fallu faire des allers-retours avec le comité de Maïdan et la Rada, l'Assemblée nationale ukrainienne. Ensuite, il y a eu un accord pour signer ce document qui organise une sortie de crise par le haut.
Maintenant, nous devons tous faire pression pour que cet accord soit strictement respecté, c'est-à-dire que soient mis en oeuvre le changement de la Constitution, et des élections libres et transparentes le 25 mai prochain. Nous devons aussi dire au nouveau gouvernement - et cela été souligné hier par les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne - : «Assurez-vous que, dans le gouvernement d'unité nationale, toutes les composantes de l'Ukraine soient représentées» ...
Q - Et même le Sud-est de l'Ukraine qui est russophone et russophile ?
R - Oui ...et nous devons demander que soit assurée la protection des minorités ethniques en Ukraine. Une loi a été adoptée d'une façon inopportune, sur le fait que le russe ne soit plus une langue officielle...
Q - C'est ce qui a mis le feu aux poudres aussi ?
R - Ce sont des décisions dont se servent certains à l'extérieur pour affirmer qu'une partie des Russes sont menacés, et donc que cela légitime une intervention.
Q - Parlons de la Crimée, qui est un cas un peu particulier, la Crimée qui était déjà largement autonome. Est-ce que vous demandez à Vladimir Poutine ce matin de faire rentrer les soldats russes qui encerclent des casernes ukrainiennes, de les faire rentrer dans leurs bases de Sébastopol ?
R - C'était très clairement le deuxième point hier des conclusions adoptées à l'unanimité par l'Union européenne : le repli des troupes russes, même si ces militaires n'ont pas de drapeau sur leur uniforme...
Q - Sans enseigne, sans insigne et sans rien.
R - Et on comprend pourquoi ! Nous demandons qu'ils rejoignent leur base à Sébastopol, puisque - vous le savez - il y a un accord international sur la présence de la flotte russe jusqu'en 2042.
Q - Alors faut-il accorder encore un peu plus d'autonomie à la Crimée, Thierry Repentin ? Parce qu'historiquement on peut comprendre ! Peut-on comprendre historiquement les exigences russes sur la Crimée ?
R - Je pense qu'on peut comprendre l'attachement de la Russie à la Crimée, avec une population qui est majoritairement russophone, ce qui ne veut pas dire automatiquement pro-russe. Il y a aussi l'histoire. La Crimée est ukrainienne depuis 1954, puisque Khrouchtchev l'avait donnée à l'Ukraine, qui faisait alors partie de l'URSS. Ceci étant, c'est aux Ukrainiens de choisir. Un dialogue est aussi nécessaire entre les autorités de Kiev et le pouvoir en Crimée.
Q - Mais alors on organise un référendum en Crimée ?
R - Il faut que l'Ukraine organise d'abord, c'est ce qui a été demandé, des élections présidentielles le 25 mai. Il faut remettre en place une Assemblée nationale, une nouvelle Constitution et favoriser un dialogue politique. Chacun des Ukrainiens pourra effectivement décider, après une campagne électorale, un affrontement d'idées - c'est cela ce que nous souhaitons ...
Q - Mais, pourtant, Yanoukovitch avait été élu lors d'une élection ?
R - Oui. Il a été élu en 2010...
Q - ...démocratiquement.
R - Dans des conditions en tout cas que l'OSCE a considéré comme pouvant être acceptées.
Ceci étant, il y a eu un usage - et personne ne le conteste - du pouvoir à son profit, au profit d'une oligarchie. D'ailleurs, hier la mise en place de sanctions individuelles a été décidée, et M. Yanoukovitch et ses proches seront l'objet de sanctions, y compris financières.
Q - Est-ce qu'il ne faut pas faire attention à ne pas humilier la Russie, j'allais dire par là dans certains propos ou dans certaines attitudes ?
R - Oui, il faut faire attention aux va-t-en-guerre...
Q - A qui pensez-vous, là ? Bernard-Henri Levy ?
R - À celles et ceux qui, dans le confort d'un salon parisien, ont dit qu'il faut envoyer des troupes dans ce grand pays. Il faut être très soucieux de l'avenir de ce pays de 46 millions d'habitants aux portes de l?Union européenne. Qui veut un conflit armé ? Personne ! C'est pour cela qu'il faut à la fois le dialogue et la fermeté.
Q - Et avec qui le conflit armé ? Avec la Russie ?
R - Personne ne le veut. C'est pour cela qu'il faut un message de fermeté et, en même temps, maintenir le dialogue avec les autorités russes. Car il n'y aura aucune solution sur le devenir de l'Ukraine sans les Russes ou contre les Russes.
Et il faut faire comprendre à la Russie que c'est son intérêt d'avoir un grand pays de 46 millions d'habitants qui fasse le lien avec l'Union européenne et qui se développe économiquement ; la Russie qui, on le voit depuis hier d'ailleurs, sur la scène internationale financière souffre de cette intervention, avec une dévaluation du rouble et une chute des cours de la bourse.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 mars 2014