Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "France 2" le 14 février 2014, sur les chiffres de la croissance économique en France pour 2013, sur les mesures gouvernementales d'aide à l'investissement des entreprises.

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Média : France 2

Texte intégral

ROLAND SICARD
Les chiffres de la croissance viennent donc de tomber, + 0,3 % pour le troisième… pour le quatrième trimestre, + 0,3 % pour l'année 2013. C'est un peu mieux que prévu, ce n'est pas non plus mirobolant. Cette petite amélioration, c'est du à quoi ?
PIERRE MOSCOVICI
Alors, d'abord, rappelons ce que sont les chiffres. Quatrième trimestre de l'année, 0,3 %. Les chiffres des premier, deuxième et troisième trimestres ont été réévalués, et en réalité on constate que la France a toujours eu une croissance supérieure à 0 %, c'est-à-dire qu'elle n'a pas été en récession, 0 % au premier, 0,6 au deuxième, 0 au troisième, et tout ça, ça fait sur l'année, 0,3 %. Et ce 0,3 % il faut le comparer à deux choses. D'abord, aux prévisions qui étaient les nôtres, c'était de 0,1 %, donc c'est un peu mieux. Il faut aussi le comparer à l'Allemagne qui a fait 0,4 % en 2013. Et puis je vais en ajouter une troisième, il faut le comparer à l'ensemble de la zone euro, où on aura les chiffres dans la matinée, qui elle a connu probablement une croissance négative. Qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie que l'économie française est non seulement sortie de la récession, mais aujourd'hui a repris un rythme de croissance d'à peu près 1 % par an, si on extrapole sur l'année 2014, ce qui n'est pas suffisant, mais ce qui montre aussi la résilience, la force de notre économie, qui est une grande économie, et...
ROLAND SICARD
Donc, pour vous, ce chiffre, c'est de bon augure pour 2014.
PIERRE MOSCOVICI
Je veux être, à l'égard des Français, extrêmement honnête et rigoureux. 0,3 %, personne ne peut s'en satisfaire. Ça signifie probablement, on aura les chiffres dans la matinée, que l'emploi reprend une marche en avant, mais il y a toujours un décalage entre le chiffre de la croissance et le chiffre de l'emploi, et puis surtout, si on veut créer plus d'emploi, il faut une croissance plus forte que 1 % et je suis persuadé que la France a un potentiel de croissance supérieur à 1 %. Mais enfin, tout ça montre que l'image que certains véhiculent, de la France malade de l'Europe, n'est pas une image exacte, nous avons des ressorts puissants. Alors, lesquels ? Vous me demandiez ça, eh bien d'une part, la demande extérieure, le commerce extérieur, c'est vrai que notre environnement est meilleur, je reviens des Etats-Unis où j'étais avec le président de la République, les Etats-Unis ont toujours eu une croissance forte, stable, et je crois durable. La Chine, les pays émergeants, malgré tel ou tel aléa, ont quand même une croissance qui nous porte, et puis il y a les moteurs internes. Et de ce point de vue-là, il y a deux bonnes nouvelles, d'abord la consommation, elle a crû de 0,5 % au quatrième trimestre après 0,1 au troisième, ce qui prouve que les Français, eh bien, ont su bénéficier de mesures fiscales qui étaient ciblées en faveur des plus bas revenus, des revenus moyens…
ROLAND SICARD
Ils ont peut-être aussi puisé dans leur épargne.
PIERRE MOSCOVICI
Ça veut dire aussi qu'ils ont bénéficié de mesures comme l'épargne salariale, le déblocage de l'épargne salariale. Le président de la République l'avait voulu précisément pour muscler la consommation, et puis, et puis, le chiffre qui est peut-être le plus significatif, et c'est celui-là qu'il faudra suivre, c'est l'investissement, et l'investissement a crû de 0,6 % au quatrième trimestre, dont 0,9 % pour l'investissement des entreprises. Et ce chiffre, je tiens à le marquer pourquoi ? Parce que c'est la première fois depuis deux ans qu'il y a un chiffre dynamique de l'investissement, et vous savez que dans une économie, quand on investit, on prépare l'avenir, on a confiance dans l'avenir….
ROLAND SICARD
On vous sent quand même optimiste de matin.
PIERRE MOSCOVICI
Non, je ne suis pas optimiste, ni pessimiste…
ROLAND SICARD
De bonne humeur.
PIERRE MOSCOVICI
Non, je suis volontaire. Mais il y a une chose qui m'insupporte c'est ce que j'appelle le french-bashing, c'est-à-dire cette tendance que tout le monde a à être morose, nous ferions plus mal que les autres, nous serions incapables de réagir, nous serions un pays en voie de déclin, un pays foutu. La droite aime bien faire ça, l'extrême droite aime bien faire ça. Moi je dis : la France est forte, et nous avons une économie qui est capable d'aller de l'avant. Alors, voilà, parce que je ressens la volonté, mais je ne m'en satisfait pas, je dis aussi : faisons plus, faisons mieux, allons plus vite, allons plus fort, et c'est le sens même du pacte de responsabilité qui a été proposé par le président de la République. Le président de la République dit : « Oui, nous avons une grande économie », et il vient d'expliquer pendant trois jours aux Américains à quel point nous avons un potentiel important, et il a dit aussi aux Américains, comme aux investisseurs étrangers « Venez chez nous ». Mais il faut aller plus loin, si on veut avoir plus de créations d'emploi, et faire reculer le chômage, ce qui est l'objectif du gouvernement : l'emploi, l'emploi, l'emploi.
ROLAND SICARD
Parce que 0,3 % de croissance, ça ne fait pas reculer le chômage, on est d'accord.
PIERRE MOSCOVICI
Absolument, c'est pour ça que je ne suis pas du tout dans l'euphorie que vous suspectez. Je suis un ministre qui a confiance en l'économie de son pays, qui constate que nous sommes repartis vers la croissance. Parce que si vous extrapolez 0,3 % sur 2013, compte tenu du profil de l'année, ça veut dire que si nous faisions 0,2 % par trimestre en 2014, nous ferions, à la fin de l'année, 1 %. Donc nos prévisions pour 2014, qui sont de 0,9 à 1 %, elles sont réalistes, mais il faut faire plus, et pour faire plus, il faut libérer les énergies économiques du pays, il faut notamment que l'investissement soit durablement musclé, et le pari du pacte de responsabilité, c'est de dire aux entrepreneurs : vous ressentez des blocages, vous voulez un coût du travail qui soit moindre, vous souhaitez une fiscalité qui soit plus stable et plus lisible, vous avez envie d'un environnement réglementaire…
ROLAND SICARD
Mais ils ne veulent pas donner les contreparties et les réclamer.
PIERRE MOSCOVICI
Il faut qu'il y ait des engagements qui soient pris de l'autre côté. Vous savez, le secrétaire général de la CFDT, Laurent BERGER, avait dit : « pas de pacte sans contrepartie ». Un pacte, c'est un contrat, c'est un compromis économique et social. L'Etat, il est prêt à mettre sur la table, des mesures qui permettent aux entreprises d'investir, et qui disent aux entrepreneurs, ce qu'ils ont commencé à faire : « Ayez confiance dans la France, ayez confiance aussi dans l'économie mondiale ». Mais en même temps, de l'autre côté, il faut qu'il y ait des engagements, et je note qu'après quelques discussions diverses, Pierre GATTAZ, le président du MEDEF, a dit : « Oui, je suis prêt à le faire ». Hier, moi j'étais en train de parler d'un sujet très concret, les délais de paiements, parce que je souhaite qu'il y ai moins de retards dans les délais de paiements, j'ai créé une instante qui permet de mettre une sorte de pression sur les entreprises, à côté de la médiation du crédit interentreprises, mais j'ai été, moi, avec Jean-François ROUBAUD, et puis avec monsieur CROUZET…
ROLAND SICARD
Le patron des Petites et moyennes entreprises.
PIERRE MOSCOVICI
Patron des Petites et moyennes entreprises, patron des artisans, et tous deux ont dit : « Nous, nous prenons le pacte de responsabilité ». Et ce que je souhaite, c'est que tout le monde soit à bord, et être à bord, c'est quoi, c'est d'un côté lever des rigidités, c'est débloquer les facteurs de l'investissement et c'est de l'autre côté, effectivement, investir et embauche.
ROLAND SICARD
Pour investir, il faut de l'argent, les PME ont du mal à se financer. Est-ce que là-dessus vous allez prendre des mesures ?
PIERRE MOSCOVICI
Mais, depuis que je suis ministre des Finances, on a fait beaucoup, beaucoup pour l'investissement des PME. Je vais citer un certain nombre de choses. Il y a d'abord ce que l'on appelle le développement du financement participatif, c'est-à-dire, et ça c'est ce que le président de la République a lancé à San Francisco, ça va être du financement désintermédié sur Internet. Nous allons prendre des ordonnances sur le sujet. Il y a aussi une corporate venture, c'est-à-dire l'investissement en fonds propres de grandes entreprises, dans des PME. Il y a l'assurance-vie qui a été réformée, afin que l'on puisse développer l'actionnariat à long terme, encore une fois vers les PME. Et puis, j'irai tout à l'heure pour le premier anniversaire de la Banque publique d'investissement, une banque que nous avons créée, en très peu de temps, au début de l'année 2013, alors que nous étions là depuis mai 2012, qui est précisément la banque des petites entreprises, des moyennes entreprises, des entreprises de taille intermédiaire, qui est aussi banque des territoires, et ce que je constate déjà, c'est que c'est la banque des projets. Quand une entreprise a un projet, elle trouve la Banque publique d'investissement, aux côtés des banques commerciales, qui doivent peut-être faire plus parfois, et donc, il n'y a pas de problème de financement global, mais il faut que tout le monde se mette dans le même état d'esprit, et ce même état d'esprit, c'est une France conquérante, c'est une France qui investit, c'est une France qui embauche, et nous avons la possibilité de le faire.
ROLAND SICARD
Est-ce que le public ne peut pas participer, aussi au financement des entreprises ?
PIERRE MOSCOVICI
Si, ça c'est ce que l'on appelle le crowdfunding, c'est-à-dire ce financement des intermédiés sur Internet. Le président était à San Francisco, il a vu comment fonctionnait, notamment l'économie digitale américaine, et les Américains ont ça, et le président s'est engagé, François HOLLANDE, à ce qu'il y ait, en France, un financement aussi incitatif en matière de crowdfunding, ce qui veut dire par exemple que l'on pourra investir dans les entreprises, jusqu'à 1 million d'euros, sans avoir les contraintes de l'Autorité des marchés financiers, une ordonnance sera prise en la matière, Fleur PELLERIN y travaille, j'y travaille, et je pense que nos entreprises pourront trouver là, aussi, de belles opportunités pour se développer. Mais encore une fois, il faut de la confiance, il faut des marchés, et le fait que la consommation, l'investissement, se soient plutôt bien portés au quatrième trimestre, que la croissance française soit positive, tout ça, ça doit nous inciter, non pas à nous satisfaire, ou à nous auto-satisfaire, mais à aller de l'avant, à poursuivre et à améliorer encore la situation de notre économie.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2014