Conférence de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation en Ukraine, à Rome le 6 mars 2014.

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Circonstance : Conférence ministérielle sur le soutien international à la Libye, à Rome (Italie) le 6 mars 2014

Texte intégral


Q - Est-ce que M. Lavrov, est-ce que les Russes, sur l'Ukraine, ont bougé ?
R - Il se trouve que nous avions ici, aujourd'hui, un peu les mêmes participants qu'hier, parce qu'il y avait, outre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, à la fois nos partenaires américains et les Russes. Nous avons un peu parlé de l'Ukraine. En même temps, il y a d'autres décisions qui se prennent ailleurs, à Bruxelles, aujourd'hui, et puis les États-Unis ont fait connaître un certain nombre de positions. Les choses ont bougé. Revenons à hier soir, puisqu'il faut suivre la totalité du film. Hier soir, nous nous sommes mis d'accord avec les Russes pour essayer de mettre en place un groupe de contact qui comprendra à la fois les Russes, les Ukrainiens bien sûr, les Américains, nous-mêmes, d'autres pays et l'OSCE, et nous nous sommes mis d'accord pour essayer de faire cela. Comment ? En rédigeant des propositions, que M. Lavrov va montrer au président Poutine, et s'il y a accord sur ces propositions, le groupe de contact sera mis en place. Les Russes ne nous ont pas encore donné leur accord, mais nous avons rédigé une proposition, que nous avons d'ailleurs examinée ce matin avec John Kerry. Ça, c'est un élément nouveau. En sens différent, vous avez vu que ce matin, a été rendu publique par le Parlement de Crimée l'idée de soumettre à référendum la question suivante : ou bien une autonomie plus grande de la Crimée, ce qu'on peut admettre, ou bien un rattachement direct à la Russie, alors là on change complètement de système, puisque cela veut dire que l'intégrité territoriale de l'Ukraine ne serait pas respectée, alors que pour nous, l'intégrité territoriale du pays est fondamentale.
Q - On s'opposerait à un rattachement ?
R - J'en parlais avec mon collègue chinois récemment : si vous admettez le principe qu'une région, n'importe laquelle, dans un pays, en contradiction avec les règles constitutionnelles de ce pays, peut décider de se rattacher à un autre pays, surtout si cet autre pays l'a encouragée à le faire, cela veut dire qu'il n'y a plus de paix internationale et de frontières assurées, donc il faut être très vigilant là-dessus. Imaginez ce que cela pourrait vouloir dire en Europe. Telle région, en contradiction avec les règles constitutionnelles et ce que souhaite son gouvernement, déciderait de changer de pays ? Imaginez ce que cela pourrait vouloir dire en Afrique, au Proche et Moyen-Orient, imaginez ce que cela pourrait vouloir dire en Chine ou ailleurs, donc il faut faire très attention à cela. Et puis il y a les décisions qui sont en train d'être prises à Bruxelles, et d'autre part les États-Unis ont rendue publique une première liste de sanctions, donc ce sont des éléments différents. Mais revenons à l'essentiel : pour nous, l'essentiel, c'est, d'une part, de dire que l'intervention russe n'est pas acceptable et qu'il faut faire preuve de fermeté, parce qu'il y a un principe, l'intégrité territoriale, qu'il faut respecter, et de l'autre côté, obtenir une désescalade, et c'est le sens de ce groupe de contact dont nous souhaitons qu'il puisse être mis sur pied rapidement.
Q - A propos des sanctions, les États-Unis ont pris des sanctions, gel des avoirs, etc. Vous avez vu John Kerry, qu'est-ce que vous vous êtes dit ? Quelle est la position de la France ?
R - John Kerry m'a mis au courant de la décision américaine, qu'il avait d'ailleurs déjà laissée entendre hier. Et par ailleurs il y a en ce moment même, je pense que ce n'est pas terminé, une réunion des chefs d'État et de gouvernement à Bruxelles qui délibère précisément de la position qui va être adoptée. Je ne veux pas en préjuger, mais c'est en train d'être discuté, puisque vous m'interrogez, il est deux heures de l'après-midi.
Q - On ne va pas dans le sens d'une désescalade, si d'un côté la Crimée demande le rattachement à la Russie, et de l'autre les Occidentaux, déjà, adoptent des sanctions ?
R - Évidemment, en ce qui concerne l'Ukraine et la Crimée, il ne faut pas qu'il y ait des mesures qui soient prises qui violent l'intégrité territoriale, ça c'est clair. Donc ce qui est souhaité, c'est qu'il y ait une baisse de la pression. En ce qui nous concerne, notre attitude en tant qu'Européens, ce que nous avons décidé déjà lundi, lors de la réunion des ministres des affaires étrangères, c'est d'évoquer des sanctions, mais de les lier à l'escalade ou à la désescalade. Il est évident que par rapport aux actions qui ont été menées par les Russes et à ce qui se passe en Ukraine, on ne peut pas rester sans rien faire. Mais en même temps, il ne faut pas prendre des actions qui empêcheraient cette désescalade. Donc c'est de cela que les chefs d'État et de gouvernement sont en train de discuter en ce moment, et la réponse sera apportée dans quelques dizaines de minutes.
Q - Les Américains, ça va dans quel sens ?
R - Les Américains avaient dit qu'ils prendraient des sanctions ciblées, mais pas la totalité, par exemple, en ce qui concerne les relations économiques, les relations militaires, ou d'autres aspects encore, il n'a pas été décidé de prendre des sanctions. Là, ce sont des mesures qu'on appelle ciblées et qui visent quelques personnes. Et nous avons pris des sanctions qui sont maintenant effectives, qui concernent non pas les Russes mais les Ukrainiens, et en particulier ce que j'appellerais «l'équipe Yanoukovitch», et nous avons pris des sanctions qui sont effectives pour geler les avoirs, parce qu'il y a eu certainement des abus financiers. Nous l'avions annoncé, et nous l'avons fait. Mais cela concerne les Ukrainiens.
Q - Chaque jour, la crise monte ou descend. Aujourd'hui, c'est une journée d'escalade ou de désescalade ?
R - Hier, à Paris, c'était plutôt une journée de désescalade.
Q - Et aujourd'hui ?
R - Aujourd'hui, je dirais que cela dépendra de ce qui sera, dans quelques minutes, décidé à Bruxelles, et cela dépendra aussi de la réaction russe. Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mars 2014