Interview de M. Michel sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à RTL le 28 février 2014, sur le début des discussions entre le patronat, les syndicats et le gouvernement sur le pacte de responsabilité et la démocratie sociale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


PHILIPPE CORBE
Jean-Michel APHATIE, vous recevez le ministre du Travail.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le MEDEF et les syndicats se retrouvent à 11 heures ce matin au siège du MEDEF d'ailleurs pour discuter, c'est la première réunion du genre, du fameux pacte de responsabilité qu'a évoqué François HOLLANDE au début de l'année. Qu'attendez-vous de cette réunion Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas que le MEDEF…
JEAN-MICHEL APHATIE
MEDEF et…
MICHEL SAPIN
C'est l'ensemble des organisations patronales…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et les syndicats aussi.
MICHEL SAPIN
L'ensemble des organisations syndicales monsieur APHATIE, c'est-à-dire ce qu'on appelle les partenaires sociaux, c'est-à-dire le coeur aujourd'hui de la démocratie sociale. Et donc sur un sujet aussi fondamental…
JEAN-MICHEL APHATIE
Qu'est-ce que vous êtes…
MICHEL SAPIN
Que ce pacte de responsabilité, qui est là pour approfondir et pour accélérer, pour faire en sorte que l'année 2014 soit l'année de la bascule vers plus de croissance et vers plus d'emplois, il faut évidemment que ceux qui animent l'entreprise, ceux qui animent le tissu économique français – les partenaires sociaux, patronat et syndicats – puissent en parler. Ça n'est pas le seul aspect du pacte de responsabilité, ça n'est pas juste aujourd'hui qu'on commence à travailler sur le pacte de responsabilité. Il y a beaucoup d'autres aspects que nous sommes en train de creuser, de travailler, mais que les partenaires sociaux se disent entre eux…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais ils vont trouver un accord aujourd'hui, qu'est-ce qui va se passer ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas une histoire d'accord, il ne faut pas imaginer ça… il ne faut pas imaginer ça comme étant un moment où on va signer je ne sais pas quel contrat, on n'est pas dans une négociation comme celle par exemple qui a permis une réforme de la formation professionnelle qui a été adoptée hier par le Parlement, non. On est dans un moment de rencontre entre deux dynamiques, c'est ça que je souhaiterais, qu'il y ait deux dynamiques et puis une troisième, celle de l'action gouvernementale pour que ça bouge, pour que ça change, pour que ça s'accélère dans les entreprises et dans le tissu économique.
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce qu'on peut dire Michel SAPIN sans forcer le trait que c'est mal parti pour la dynamique, vous avez lu l'interview de Thierry LEPAON, secrétaire général de la CGT dans Le FIGARO…
MICHEL SAPIN
Oui mais qui… D'abord…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il est en colère !
MICHEL SAPIN
Vous ne forcez pas le trait, vous dites quelque chose qui ne peut pas encore être jugé…
JEAN-MICHEL APHATIE
Non mais il a…
MICHEL SAPIN
Non mais je vais vous parler de Thierry LEPAON, mais vous portiez un jugement sur le pacte en disant « il n'y a pas de dynamique », vous ne pouvez pas juger de la dynamique de quelque chose qui n'est pas encore en place.
JEAN-MICHEL APHATIE
Alors je vais vous citer Thierry…
MICHEL SAPIN
Nous verrons dans 3 mois…
JEAN-MICHEL APHATIE
« Le président de la République…
MICHEL SAPIN
Mais monsieur LEPAON…
JEAN-MICHEL APHATIE
N'a pas choisi son moment au hasard, il annonce ce pacte de responsabilité dans la précipitation, à un moment où la courbe du chômage continue d'augmenter. Quand on ne veut pas parler du bilan, on parle d'autre chose », c'est assez sec.
MICHEL SAPIN
Oui mais… c'est sec, Thierry LEPAON exprime son opinion…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah oui ! C'est sûr.
MICHEL SAPIN
Il est le dirigeant d'une grande organisation syndicale qui n'est…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce n'est pas bon signe quand même.
MICHEL SAPIN
Qui n'est – comme vous le savez – pas la seule organisation syndicale dans le paysage français. Donc je considère pour ce qu'il est, c'est-à-dire importante, la parole de la CGT, mais je ne la considère pas comme résumant la parole syndicale. Vous auriez pu prendre l'avis aussi… l'opinion d'autres organisations syndicales qui sont partie prenante de ce pacte de responsabilité…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce n'est pas une diversion, le pacte de responsabilité ?
MICHEL SAPIN
Mais je respecte l'opinion exprimée mais évidemment, je ne la partage pas, je crois qu'elle est erronée. Ce pacte de responsabilité ne tombe pas par hasard effectivement, il tombe au moment où l'année 2014 est l'année où enfin la croissance revient, enfin la croissance revient. Vous le savez, ça fait 5 ans, depuis 2008 que la France est sans croissance. Et quand la France est sans croissance, elle est avec beaucoup de chômage, avec plus d'un million de chômeurs. Tous les ans depuis 2008, zéro croissance, zéro croissance, zéro croissance, 2014 c'est l'année où ça redémarre. Et l'enjeu, c'est que ça ne redémarre pas petit mais que ça redémarre suffisamment pour pouvoir – sur le front fondamental, celui du chômage, celui où nous avons avancé mais nous n'avons pas fait la percée nécessaire – il faut pouvoir accélérer. C'est ça le pacte de responsabilité et c'est ça l'enjeu entre les partenaires sociaux.
JEAN-MICHEL APHATIE
On peut dire sur le chômage que vous avez échoué, vous aviez promis l'inversion de la courbe à la fin de l'année, on peut dire que vous avez échoué ?
MICHEL SAPIN
Mais tous les commentaires sont possibles…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce n'est pas un commentaire, c'est un constat !
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas qu'on ne peut pas dire, on peut constater qu'à la fin de l'année dernière, le chômage n'a pas diminué alors que je souhaitais que cela diminue ; et on ne peut pas dire pour autant…
JEAN-MICHEL APHATIE
L'inversion de la courbe.
MICHEL SAPIN
Oui, l'inversion de la courbe ça veut dire que le dernier mois ça diminue, le dernier mois ça n'a pas diminué, ça a augmenté légèrement mais ça a augmenté. Donc de ce point de vue-là objectivement, puisque ça a augmenté, c'est que ça n'a pas diminué…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est un échec…
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas très compliqué… mais vous pouvez dire que c'est un échec, mais la bataille contre le chômage ce n'est pas une bataille au mois le mois, ce n'est pas une bataille à la fin de l'année 2013… qui s'arrête à la fin de l''année 2013 et après, on se frotte les mains et on regarde passer les trains, non, c'est une bataille continue. Et c'est l'année 2014 qui est l'année de la bascule, avec de la croissance mais une croissance qui doit être supérieure à celle qui est prévue, et avec de l'emploi, de l'emploi qui doit être supérieur à celui qui est prévu.
JEAN-MICHEL APHATIE
« Le fait que la courbe n'ait pas été inversée, ça a affaibli Michel SAPIN, c'est lui qui avait proposé cette idée au président », avance un proche du chef de l'Etat, on lisait ça dans Le PARISIEN d'hier. C'est vous qui aviez proposé…
MICHEL SAPIN
Mais…
JEAN-MICHEL APHATIE
MICHEL SAPIN
Moi je respecte…
JEAN-MICHEL APHATIE
Dit que la courbe va s'inverser ?
MICHEL SAPIN
Toutes les expressions, encore moins quand elles sont anonymes. A partir de là…
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que c'est vous qui aviez proposé cette idée…
MICHEL SAPIN
On peut me mettre ça sur le dos, comme on voudra…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais est-ce que c'est vous…
MICHEL SAPIN
Je suis le ministre qui a la responsabilité de l'emploi et du travail…
JEAN-MICHEL APHATIE
Qui avez eu l'idée de proposer cela au président de la République ?
MICHEL SAPIN
Je ne suis pas le seul parce que chacun sait que l'emploi n'est pas le résultat uniquement de l'action d'un ministre. Donc moi, je n'ai aucun problème pour endosser toutes les responsabilités…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous faites partie des gens qui…
MICHEL SAPIN
Que l'on veut, ce qui m'importe ce n'est pas la responsabilité en tant que tel, les électeurs en jugeront le moment venu, le président de la République en jugera le moment venu. Ce qui m'intéresse c'est l'action, on continue. Nous avons fait reculer le chômage des jeunes en 2013, ce n'est pas de l'inversion, nous avons fait reculer. Ce que nous avons réussi pour les jeunes de moins de 25 ans en 2013, je veux qu'on le réussisse pour tous les Français en 2014. Faire reculer le chômage, c'est assez simple comme expression, c'est compréhensible.
JEAN-MICHEL APHATIE
Cette courbe qui ne s'inverse pas, est-ce qu'elle vous barre la route de Matignon Michel SAPIN
MICHEL SAPIN
Mais ce n'est pas mon problème…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce n'est pas votre problème ?
MICHEL SAPIN
C'est… absolument…
JEAN-MICHEL APHATIE
J'ai une autre question, l'entrée de Ségolène ROYAL…
MICHEL SAPIN
Mon seul problème c'est qu'il y ait moins de chômeurs.
JEAN-MICHEL APHATIE
L'entrée de Ségolène ROYAL dans le gouvernement serait-elle une bonne chose ?
MICHEL SAPIN
C'est tout à fait possible, c'est une personnalité forte, c'est une personnalité éminente, c'est une personnalité qui a compté et qui compte dans le paysage politique français. Pourquoi se priverait-on par principe d'une personnalité comme celle-ci ? Pour le reste, c'est un choix qui appartient au chef de l'Etat.
JEAN-MICHEL APHATIE
Alors elle en a envie visiblement parce qu'on lisait : ça fait des mois qu'elle a planté sa tente en bas de chez nous, on dit ça sur Vincent PEILLON.
MICHEL SAPIN
Mais c'est toujours ces paroles anonymes que je ne respecte d'autant moins…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais tout n'est pas faux.
MICHEL SAPIN
Qu'elle soit anonyme.
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, tout n'est pas faux, tout n'est pas faux. Alors pour lutter contre le chômage, Arnaud MONTEBOURG a interpellé la grande distribution hier en lui demandant d'acheter prioritairement français, ça a été beaucoup commenté. Je voudrais qu'on l'écoute juste et qu'on écoute bien les mots qu'il emploie.
ARNAUD MONTEBOURG, MINISTRE DU REDRESSEMENT PRODUCTIF
Je vais immédiatement demander aux grands épiciers des temps modernes, la grande distribution, d'avoir un certain nombre d'actes de préférence.
JEAN-MICHEL APHATIE
Préférence nationale, c'est ce que dit Arnaud MONTEBOURG, c'est le nouveau concept…
MICHEL SAPIN
National c'est vous qui l'ajoutez…
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui mais c'est ça, acheter français, préférence, préférence nationale.
MICHEL SAPIN
Mais comme vous le savez, les mots ont un sens…
JEAN-MICHEL APHATIE
Justement…
MICHEL SAPIN
Et quand on les juxtapose, ils peuvent avoir un autre sens…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il a raison d'employer le mot de préférence ?
MICHEL SAPIN
Donc ne faites pas vous un contresens…
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce qu'il a raison d'employer le mot de préférence ?
MICHEL SAPIN
En mettant préférence puis à côté nationale. Oui, il faut que les Français aient du patriotisme aussi dans l'économique…
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc la préférence nationale !
MICHEL SAPIN
Acheter un produit qui est fabriqué… arrêtez-vous parce que vous le savez bien…
JEAN-MICHEL APHATIE
Préférence c'est Arnaud MONTEBOURG qui l'a employé.
MICHEL SAPIN
S'il vous plaît, mais vous, vous mettez nationale après et vous savez bien que les deux ensemble, ça donne autre chose, donc on arrête sur ce point…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et le mot de préférence, il vous gêne ou pas, qu'emploie Arnaud MONTEBOURG ?
MICHEL SAPIN
Non, moi il ne me gêne absolument pas. Et quand je vais moi dans un supermarché et que j'achète plutôt un produit français, je n'ai pas le sentiment de faire ce que vous dites, d'appartenir à ceux qui utilisent ce terme-là.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donner un coup de pied…
MICHEL SAPIN
On est d'accord ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Aux fesses aux patrons, c'est…
MICHEL SAPIN
Mais il faut…
JEAN-MICHEL APHATIE
Parce que vous comptez sur les patrons pour créer des emplois ?
MICHEL SAPIN
Mais c'est ça manière de parler, elle est bonne, elle est compréhensible, elle met aussi du punch dans la vie politique et dans la vie économique. Oui, il faut que la grande distribution – lorsqu'elle a la possibilité de le faire – achète un produit français pour vendre un produit français, et que les consommateurs achètent un produit français. Au bout du produit français, il y a quoi ? De l'emploi et de l'emploi en France, c'est quand même mieux que de l'emploi ailleurs.
JEAN-MICHEL APHATIE
Michel SAPIN qui fait attention aux mots qu'il emploie, mais moi aussi je fais attention aux mots qu'emploient les hommes politiques, était l'invité de RTL ce matin.
PHILIPPE CORBE
Vous avez tous les deux raisons. Merci Jean-Michel…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah ! C'est bien.
PHILIPPE CORBE
Bon week-end.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mars 2014