Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "Europe 1" le 14 mars 2014, sur la vente de l'entreprise SFR.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenu Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bonjour. Aujourd'hui, les administrateurs de VIVENDI devraient trancher, on sait qu'ils étaient divisés. Est-ce qu'ils ont tranché, qu'est-ce qu'ils vont trancher ?
ARNAUD MONTEBOURG
J'ai cru comprendre que les dirigeants de VIVENDI ont décidé coûte que coûte de vendre SFR à NUMERICABLE, ce qui pose un certain nombre de problèmes et de questions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que c'est NUMERICABLE qui a été choisi !
ARNAUD MONTEBOURG
Je ne sais pas, c'est à eux de le dire. Ce que j'ai compris et ce que nous avons compris – le gouvernement – c'est qu'ils préfèrent le choix de NUMERICABLE, ce qui pour nous…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça s'est pris cette nuit ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ils sont en train de le faire. Ce que je comprends, c'est que cela pose un certain nombre de problèmes. D'abord parce que NUMERICABLE est une petite entreprise par rapport à ce qu'est SFR, c'est une entreprise de 5 milliards qui s'endette à hauteur de 10 milliards pour acheter plus gros que lui. Et quand vous savez, on a les yeux plus gros que le ventre, on risque de se mettre en risque. Et ce que nous craignons c'est le surendettement, c'est-à-dire ce qu'on appelle les LBO. Vous achetez à crédit, si le marché se retourne qu'est-ce qui se passe ? Ce sont les entreprises qui, ensuite, tombent et licencient leur personnel. Donc nous, nous sommes les défenseurs de l'emploi, de l'investissement et puis on a un deuxième problème dans ce dossier…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On pensait que l'Etat était pour la solution avec BOUYGUES et Xavier NIEL, que Vincent BOLLORE l'était, que beaucoup d'actionnaires et d'administrateurs l'étaient, vous voulez dire qu'un homme a réussi à renverser – Jean-René FOURTOU – et vous n'avez pas réussi à le convaincre ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Nous…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a eu des conversations toute la nuit.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous, nous sommes favorables à un retour à 3 opérateurs, c'est ce qu'a exprimé monsieur NIEL, c'est ce qu'a dit monsieur RICHARD, c'est ce que nous, nous avons dit parce que nous pensons que ça ne porte pas préjudice aux consommateurs et ça permet de stabiliser un secteur où nous avons à investir pour moderniser la France, comme on l'a fait avec le TGV, le téléphone, 30 milliards d'euros dans la fibre. La fibre, c'est ce qui va permettre aux Français d'avoir un giga chez eux partout, de lutter contre la fracture numérique. Donc nous avons besoin non pas de câbles, qui est un système d'avant, mais de fibre qui est le système du futur aux Etats-Unis, partout.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que Jean-René FOURTOU de VIVENDI a choisi le moins sûr, le plus faible et le plus risqué ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ce sont vos commentaires. Nous ce que nous pensons, c'est d'abord… il y a un problème fiscal, puisque NUMERICABLE a une holding au Luxembourg, son entreprise est cotée à la bourse d'Amsterdam, sa participation personnelle est à Guernesey dans un paradis fiscal de sa majesté la reine d'Angleterre ; et que par ailleurs lui-même est résident suisse. Donc il va falloir que monsieur DRAHI rapatrie l'ensemble de ses possessions, biens à Paris, en France, et donc nous avons des questions fiscales à lui poser. Troisième problème, il y a un problème de concurrence, car NUMERICABLE qu'est-ce que c'est ? C'est le monopole sur le câble en France, comme dans d'autres pays européens. Or la fibre, elle est concurrentielle, pas le câble, donc il va y avoir un problème de concurrence et nous allons donc devoir saisir les autorités pour demander un certain nombre de mises en concurrence du câble. Donc on voit bien que ce dossier est un dossier au long court et très difficile. Nous, nous avons exprimé des préférences parce que c'est dans l'intérêt des Français, de l'emploi, de l'investissement et de l'avenir de la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quel est le recours de l'Etat, vous dites « la décision est prise, le choix de Jean-René FOURTOU pour VIVENDI, de VIVENDI pour NUMERICABLE », il n'y a rien à faire, vous n'avez pas réussi à le convaincre, il n'y a rien à faire. Quel est le recours de l'Etat ce matin ?
ARNAUD MONTEBOURG
L'Etat n'est pas – comme vous le savez – dans une…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce sont des groupes privés, évidemment.
ARNAUD MONTEBOURG
Voilà, l'Etat n'est pas le propriétaire des uns et des autres, l'Etat a exprimé une préférence, il y a un certain nombre de problèmes qui ont été… que je viens d'exposer : surendettement, absence de concurrence dans le câble, problèmes fiscaux. Ces problèmes, on va les traiter maintenant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais NUMERICABLE vous avait alerté, Arnaud MONTEBOURG, par écrit sur le fait que BOUYGUES a 600 boutiques, SFR 700 boutiques qui vendent le même service, et donc que le choix de BOUYGUES aurait entraîné la suppression de 3.000 emplois. Vous ne l'avez pas cru alors ?
ARNAUD MONTEBOURG
D'abord il y a… monsieur BOUYGUES que nous connaissons a pris des engagements, et il a dit « il n'y aura pas de plan social ». Je rappelle que quand PEUGEOT et CITROEN, deux marques très différentes, ont fusionné, on a gardé les concessionnaires PEUGEOT et CITROEN, le blanc et le rouge, là c'est pareil, on gardera… c'était l'esprit et c'est l'engagement de monsieur BOUYGUES. On garde les boutiques, pourquoi ? Parce qu'en fait, il ajoute… il ne fusionne pas en une seule marque, il garde ses deux marques et conservait son réseau… le double réseau. Pourquoi ? Parce qu'il ne s'adresse pas aux mêmes clients, tout simplement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc c'est quelque chose qui commence ou qui repart, Axel De TARLE en disait quelques mots avec Thomas. Est-ce que vous dites que rien n'est réglé ou tout est réglé ; et si c'est réglé au niveau de NUMERICABLE il y aura des problèmes et des grandes difficultés ou des risques pour l'emploi ?
ARNAUD MONTEBOURG
Quand vous avez une entreprise qui pèse 5 milliards et qui achète une entreprise en s'endettant pour 10, vous avez un problème de surexposition et de surendettement, et d'ailleurs de surexposition des banques. Les banques nous ont habitués à faire n'importe quoi dans la crise financière…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce qu'elles risquent aussi…
ARNAUD MONTEBOURG
Donc là, on peut considérer qu'elles se mettent en risque et elles mettent en risque l'entreprise, parce que s'il y a un retournement de marché ou des événements qui n'ont pas été prévus, ce sont les gens qui vont payés. Et ça, le gouvernement n'est pas d'accord.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les gens, c'est-à-dire le consommateur…
ARNAUD MONTEBOURG
Les employés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les employés.
ARNAUD MONTEBOURG
Les employés comme toujours, c'est toujours eux qui paient la facture des batailles de milliardaires, parce que ça c'est une bataille de milliardaires.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous ne croyez pas Arnaud MONTEBOURG, même si ce n'est pas à vous de le commenter, que ça annonce une bataille encore plus dure chez VIVENDI, entre FOURTOU et Vincent BOLLORE ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Je laisse le soin à ceux qui font les commentaires de dire ce qu'ils pensent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Entre l'exécutif, les socialistes… on change de sujet, l'UMP, la bagarre continue sur le dos de la justice, chaque partie rejette sur l'adversaire son lot d'affaires. Et votre camp a même fait preuve d'étranges maladresses, de contradictions ; et même Christiane TAUBIRA a reconnu qu'elle avait fait quelques erreurs et commis des imprécisions.
ARNAUD MONTEBOURG
Mais écoutez ! Moi ce que je vois c'est qu'il y a « sept » affaires qui contiennent des soupçons, des mises en cause ou des citations de monsieur SARKOZY, avec 10 juges du pôle financier qui travaillent presque à plein temps sur monsieur SARKOZY. La plupart de ces affaires ont débuté quand monsieur SARKOZY était au pouvoir, et donc ces juges indépendants ont décidé de placer sur écoute un certain monsieur SARKOZY qui se fait passer au téléphone – on a appris ça en lisant le journal – pour un certain monsieur Paul BISMUTH…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui parce qu'il savait… ou il commençait à penser que son téléphone…
ARNAUD MONTEBOURG
Oui mais enfin bon !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Son vrai téléphone était écouté.
ARNAUD MONTEBOURG
D'accord mais enfin…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous l'avocat, vous comprenez qu'on écoute les téléphones des avocats vous ?
ARNAUD MONTEBOURG
C'est normal quand ils commettent des… ils sont soupçonnés de commettre des complicités de délits…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ils sont soupçonnés mais il n'y a pas de preuve.
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Ça, c'est aux juges d'en décider, ce n'est pas à nous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors un, le gouvernement a appris le 26, le 28 février et le 4 mars que depuis 6 mois justement, messieurs SARKOZY et HERZOG étaient écoutés. Maître MONTEBOURG, est-ce que vous êtes sûr que rien n'est remonté ou n'a été connu avant le 26 février ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Moi ça ne me gêne pas du tout qu'on ait les informations, pour une raison simple c'est que c'est la loi. La loi c'est que le procureur…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et c'est le mécanisme de la justice…
ARNAUD MONTEBOURG
Mais le procureur… vous pouvez avoir toutes les informations, ce qui est important dans la situation actuelle, c'est que le pouvoir exécutif s'interdit d'intervenir dans le cours des affaires de la justice. C'est complètement nouveau, c'est-à-dire qu'aujourd'hui les procureurs ne peuvent pas recevoir d'instructions. Donc ils donnent des informations, mais un gouvernement comme le nôtre a décidé de s'interdire d'en faire quoi que ce soit. Vous savez ce qu'avait dit monsieur PASQUA, qui était orfèvre en affaire, il avait dit : quand vous êtes embêté par une affaire, vous créez une nouvelle affaire dans l'affaire jusqu'à ce que les gens n'y comprennent plus rien. Moi ce que je sais, c'est que l'affaire Karachi, l'affaire Tapie, l'affaire des sondages de l'Elysée, l'affaire Bettencourt, l'affaire du financement présumé de la campagne de monsieur SARKOZY par des Libyens et monsieur KADHAFI, tout ça ce sont des affaires en cours avec des juges qui procèdent à des investigations et qui ont déjà mis en examen toute la…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Maître MONTEBOURG…
ARNAUD MONTEBOURG
SARKOZY.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Maître MONTEBOURG, la présomption d'innocence, qu'est-ce que vous en faites vous ?
ARNAUD MONTEBOURG
Elle s'applique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Apparemment non puisque vous l'avez déjà jugé ?
ARNAUD MONTEBOURG
Moi je n'ai pas jugé, je cite ce que font les juges. Et les juges dans notre pays sont indépendants, c'est un bien, c'est un progrès, voilà. Et quand j'entends un certain nombre de gens qui disent « c'est de l'espionnage politique », ce sont des juges indépendants qui ont décidé… dont la carrière est garantie constitutionnellement de mettre sur écoute un ancien président de la République et son avocat. Ce n'est pas une autorité politique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On a l'impression en vous écoutant que comme dit VALEURS ACTUELLES : SARKOZY, vous le voulez mort ou vif !
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Je crois que monsieur SARKOZY, il se débrouille très bien lui tout seul avec ses abus et ses excès présumés ou supposés, pour se mettre en difficulté au regard des juges.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un mot, vous présentiez il y a 6 mois à l'Elysée et à tout le pays les 34 plans de la France industrielle du future, dans une demi-heure à Matignon vous allez présenter les 5 premiers : la voiture…
ARNAUD MONTEBOURG
La voiture moins de 2 litres au 100, c'est l'aller-retour Paris/Marseille avec un seul plein, c'est-à-dire en fait l'industrie française est en train de se transformer. Dans les satellites, dans l'aviation, dans l'automobile, dans le bois, dans un certain nombre d'innovations…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'avion électrique.
ARNAUD MONTEBOURG
L'avion électrique sans une goûte de kérosène, nous aurons un prototype dans…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il décolle quand, il décolle quand cet avions ?
ARNAUD MONTEBOURG
Dans les semaines qui viennent, de même que nous aurons au Mondial à Paris de l'automobile la voiture à moins de 2 litres, qui va changer la vie des Français et retrouver l'esprit de la liberté avec lequel on achète son véhicule…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Arnaud MONTEBOURG…
ARNAUD MONTEBOURG
On avait perdu cette habitude.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous savez qui va suivre ces projets dans le futur, ces chantiers, pas vous, pas vous, vous allez changer de ministère !
ARNAUD MONTEBOURG
Ah non ! Moi j'adore ça, je suis passionné, je suis engagé…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous restez…
THOMAS SOTTO
Vous êtes passionné par le « made in France », au début de la semaine vous avez déploré Arnaud MONTEBOURG que le maillot de l'équipe de France de foot soit fabriqué en Thaïlande par NIKE et non pas 100 % « made in France ». Alors Cyrille De La MORINERIE du service des sports d'EUROPE 1 vous a pris au mot, il a trouvé une entreprise française qui s'appelle ULTRA PETITA qui a été capable de fabriquer un maillot 100 % « made in France », le voilà, je vous le présente…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ah ! Qu'il est beau.
THOMAS SOTTO
A votre nom.
ARNAUD MONTEBOURG
Félicitations, je suis très touché, merci beaucoup.
THOMAS SOTTO
Il est bien, fabriqué à Castres, il est superbe.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, magnifique.
THOMAS SOTTO
Sauf qu'il coûte 21 € à la fabrication contre 5 € pour le NIKE en Thaïlande.
ARNAUD MONTEBOURG
Et alors ?
THOMAS SOTTO
Comment on fait ?
ARNAUD MONTEBOURG
Tout simplement, vous savez ce qu'on fait… à combien il les vend NIKE à votre avis ?
THOMAS SOTTO
NIKE les vend plus cher.
ARNAUD MONTEBOURG
Il les vend combien ?
THOMAS SOTTO
Il les vend 85.
ARNAUD MONTEBOURG
Voilà, il prend sur ses profits et je demande à la Fédération Française de Football, monsieur LE GRAET, je lui demande à votre micro de rapatrier une partie de la production chez les entreprises française, qui font du très beau travail comme je suis en train de le montrer.
THOMAS SOTTO
Sauf que NIKE en échange verse une énorme redevance…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
42 millions…
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien ! Il diminue sa redevance…
THOMAS SOTTO
Pour aider le foot amateur.
ARNAUD MONTEBOURG
D'accord, mais il diminue sa redevance et il fait travailler les entreprises françaises. Chacun fait avec ses moyens et je crois que la Fédération française a les moyens, ce qu'il peut pour le « made in France ».
THOMAS SOTTO
Est-ce que ça veut dire que la Fédération Française de Foot doit casser son contrat qui les lie avec NIKE jusqu'en 2018, est-ce qu'à l'Euro 2016 l'équipe de France doit porter un maillot 100 % « made in France » ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Moi je vais vous dire, ils veulent l'adhésion des Français, 77 % des Français disent…
THOMAS SOTTO
77 % oui.
ARNAUD MONTEBOURG
77 % des Français disent… un sondage hier soir publié disent « il faut que le maillot soit made in France ». Je ne vais pas rentrer dans cette polémique minuscule, mais je pense qu'ils peuvent renégocier le contrat et demander à NIKE de faire travailler des sous-traitants en France, ils sont très bons, ils sont très bons, voilà.
THOMAS SOTTO
On vous donne votre maillot, on espère que vous le porterez.
ARNAUD MONTEBOURG
Merci, super, magnifique.
THOMAS SOTTO
Merci Arnaud MONTEBOURG d'être venu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En Conseil des ministres le maillot.
ARNAUD MONTEBOURG
Non, quand même pas, quand même pas monsieur.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mars 2014