Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-irlandaises, le processus de paix israélo-palestinien et sur la situation en Ukraine, à Paris le 13 mars 2014.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec son homologue irlandais, à Paris le 18 mars 2014

Texte intégral

- Irlande -
Mesdames et Messieurs, bonjour,
Je veux dire quelques mots pour souligner le plaisir que j'ai d'accueillir mon ami Eamon Gilmore, qui est à la fois vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur. C'est un plaisir et c'est un honneur.
Nous nous rencontrons souvent lors des conseils des affaires étrangères, nous avons des relations officielles et personnelles excellentes et c'est donc un plaisir particulier de t'accueillir ici. Ta présence a une importance particulière pour au moins deux raisons : d'abord, c'est bientôt le week-end de la Saint Patrick, au cours duquel nous aurons l'occasion de nous laisser emporter par l'amitié entre l'Irlande et la France. Je me suis laissé dire aussi que samedi après-midi, il y aura également une échéance très importante pendant laquelle nous allons, les uns et les autres, par personnes interposées, déployer toute notre énergie.
Nous avons, avec Eamon, abordé toute une série de sujets. Nous avons en premier lieu parlé de l'Ukraine. Juste avant de rencontrer Eamon Gilmore, nous avions une conférence téléphonique avec un certain nombre de collègues sur la situation en Ukraine, sur ce qui peut se passer demain et les jours prochains.
La France, vous le savez, a une position à la fois de grande fermeté sur ce qui se passe là-bas, en Crimée, avec la pression russe, qui est évidemment tout à fait contraire à la légalité internationale. Nous voulons aussi manifester cette fermeté avec nos amis européens, avec les Américains. En même temps, nous voulons montrer le chemin du dialogue parce que l'on ne peut sortir de cette situation, très difficile et très dangereuse, que par la voie du dialogue. En tout cas, le temps presse. Lundi, nous aurons une réunion du conseil des affaires étrangères. Mardi, il est possible que je me rende en Russie. Il y a toute une série de contacts et c'est dans cet esprit de fermeté et de dialogue que nous abordons cette grave question.
Parmi les dossiers internationaux, nous avons aussi évoqué la Syrie, qui est moins sous les feux de l'actualité, mais où la situation demeure extrêmement dramatique, notamment sur le plan humanitaire et où l'Irlande apporte une aide très importante à la population syrienne.
Nous avons également fait le point sur la situation en Centrafrique et sur la situation au Mali, où nos amis irlandais sont très présents et de façon extrêmement positive, ainsi que sur le Liban. En effet, au sein de la FINUL, il y a plus de 300 militaires irlandais.
Nous avons également parlé des politiques de l'Union européenne. L'Irlande et la France ont la même approche qui consiste à voir dans l'Europe un outil pour la croissance, pour le soutien à l'emploi, en particulier à l'emploi des jeunes.
J'ai dit à mon ami Eamon à quel point nous apprécions le fait que l'Irlande, peu à peu, soit en train de sortir de la difficulté économique lourde où elle se trouvait. Les décisions qui ont été prises ne sont bien sûr pas des décisions faciles, mais le gouvernement irlandais a fait preuve de beaucoup de courage. Nous souhaitons que les résultats soient à la mesure du courage dont il a fait preuve.
Par ailleurs, nous avons beaucoup de domaines sur lesquels nous travaillons ensemble. Nous avons abordé la question des énergies renouvelables, des secteurs de pointe. Je serai toujours extrêmement heureux de travailler avec Eamon Gilmore qui est ici chez lui.
- Processus de paix au Moyen-Orient -
Q - Les observateurs constatent que depuis l'élection de François Hollande comme président de la France, on a l'impression que la France comprend davantage la position du gouvernement israélien, qu'il y a un infléchissement dans ce sens. Vous-même, confirmez-vous cet infléchissement et, si oui, il est dû à quoi ?
R - Nous essayons de voir ce qui est de l'intérêt de la paix, de la sécurité là-bas, l'intérêt d'Israël, l'intérêt des Palestiniens.
De fait, nous avons de bonnes relations à la fois avec les autorités israéliennes et avec les autorités palestiniennes : François Hollande s'est rendu récemment à la fois en Palestine et en Israël où il a été très bien accueilli ; moi-même, j'y suis allé plusieurs fois. Nous avons reçu le Premier ministre Netanyahou. Il y a encore quelques jours, le président Abbas était à Paris où il a rencontré le président de la République. Donc nos relations sont bonnes.
Sur le fond, on connaît nos positions : il faut qu'il y ait une solution qui assure la paix, la sécurité aux deux États ; il faut que les frontières soient sûres et reconnues, avec Jérusalem comme capitale.
Nous sommes, comme Eamon, très préoccupés par le développement de la colonisation, par les tensions. Nous souhaitons que l'on saisisse l'opportunité qui existe aujourd'hui d'un véritable accord. La France se veut une puissance de paix et tout ce qu'elle peut faire au service de la paix, en particulier dans cette partie du monde, elle le fait.
(...)
- Ukraine -
Q - Sur l'Ukraine, vous avez évoqué la possibilité d'un rendez-vous à Moscou mardi. Quelles sont les conditions pour que vous alliez à Moscou avec le ministre de la défense ? Sur le contrat «Mistral», vous avez parlé de fermeté de la France, ne serait-ce pas un signe très fort de suspendre ce contrat plus tôt que plus tard ?
R - D'ici mardi, un certain nombre d'éléments peuvent et vont se produire. D'abord, juste avant de recevoir Eamon, nous étions au téléphone avec John Kerry, Ban Ki-moon et avec d'autres collègues pour faire le point sur la situation en Ukraine et sur les contacts qui vont exister entre aujourd'hui et dimanche. Le secrétaire d'État américain va rencontrer Sergueï Lavrov. Je m'entretiens moi-même régulièrement avec tous les protagonistes de cette affaire grave.
Et puis, il y a le référendum qui a été prévu dimanche en Crimée, qui est tout à fait contraire au droit international - il faut être clair - et où le choix n'est pas laissé aux uns et aux autres : c'est le choix entre «oui» et «oui». Quand on regarde la propagande qui est faite, on voit bien que c'est un scrutin dont les autorités internationales, comme nous-mêmes, ont déjà dit que le résultat était nul et non avenu. Nous souhaitons donc que le référendum ne se tienne pas mais, en même temps, nous savons bien que la roue avance.
Nous nous réunirons lundi - nous avons un Conseil des affaires étrangères -, nous verrons les décisions que nous prendrons : il y a un certain nombre de sanctions qui sont sur la table, avec toute une série d'éléments qui peuvent aussi bien toucher des personnes et leurs avoirs que les relations économiques internationales que nous avons avec les uns et les autres, que la perspective du G8, que les relations entre l'Union européenne et la Russie.
Et puis, pour ce qui est de mardi, conformément à la conversation qui a eu lieu entre le président français et le président russe, il est envisagé que je me rende, avec mon collègue de la défense, à Moscou, mais dès lors que c'est utile.
La position de la France, qui est d'ailleurs commune à beaucoup de pays, en particulier l'Irlande et la France, c'est à la fois d'être ferme - parce ce qu'on ne peut pas juger acceptable une action qui fait fi de la légalité internationale et qui finalement bouscule les frontières avec toute une série de conséquences possibles extrêmement lourdes - et, en même temps, nous voulons retrouver la voie du dialogue pour arriver à la désescalade. C'est très difficile, mais si la France peut y contribuer, elle le fera et ce serait le sens de notre déplacement de mardi.
Q - Pensez-vous que M. Poutine prend au sérieux les sanctions que vous êtes en train de discuter avec vos collègues ?
R - Nous souhaitons que la solution trouvée respecte à la fois le souhait des Ukrainiens et le droit international. Le souhait des Ukrainiens sera exprimé lorsque les Ukrainiens pourront librement voter. Il faudra donc qu'il y ait une élection présidentielle ; la date du 25 mai a été proposée. Lorsque mon collègue M. Lavrov dit qu'il n'y a pas besoin d'élection présidentielle puisque c'est M. Yanoukovitch qui est président, il faut quand même être sérieux, j'ai eu en face de moi en février dernier M. Yanoukovitch.
Je tiens d'ailleurs à préciser qu'au moment même où certains, je pense en particulier aux Russes, contestent la validité de la fonction de Premier ministre de M. Iatseniouk, dans la discussion que nous avons eu mon collègue allemand, mon collègue polonais, les représentants de l'opposition et, de l'autre côté, M. Yanoukovitch, il était acquis pour ce dernier que le Premier ministre serait M. Iatseniouk.
Donc, aujourd'hui, lorsque l'on vient nous dire que ce gouvernement, qui a été élu par la Rada, l'Assemblée ukrainienne, ne serait pas légitime...
Notre position, c'est de dire qu'il va falloir que les Ukrainiens s'expriment, de manière libre, avec bien sûr un contrôle international, et le plus tôt sera le mieux.
En même temps, il faut respecter la légalité internationale. Il existe un pays, l'Ukraine, qui est souverain, et qui, géographiquement, historiquement, est à la fois proche de l'Union européenne et proche de la Russie.
Il ne faut pas contester la réalité : la géographie et l'histoire, cela existe. Il est donc tout à fait normal que les russophones y aient leur pleine place, ceci n'est pas en question. Mais il faut faire droit à ce qui sera l'opinion et le vote de la totalité des électeurs ukrainiens, et trouver un chemin de paix et de développement pour l'Ukraine qui peut faire le choix de son avenir.
J'ai toujours considéré qu'il ne s'agissait d'un choix entre «ou bien, ou bien» mais qu'il y avait place à la fois pour les Russes, qui sont à proximité, qui ont une influence historique et, en même temps, pour l'Union européenne puisqu'il se trouve que l'Ukraine est en Europe.
Voilà le chemin de la raison et nous allons essayer, Eamon, moi-même et d'autres, d'avancer sur ce chemin et nous espérons que les Russes comprendront que, finalement, c'est aussi leur intérêt. L'intérêt de la Russie, c'est que l'Ukraine soit économiquement en bonne santé - malheureusement, aujourd'hui, elle est en très grande difficulté -, qu'elle soit un pays où la majorité et les minorités sont respectées, et qu'elle soit un pays qui puisse évoluer dans le concert international.
Donc, fermeté et, en même temps, volonté de dialogue.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2014