Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-brésiliennes et sur la situation en Ukraine, à Paris le 19 mars 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse conjointe avec son homologue brésilien, à Paris le 19 mars 2014

Texte intégral

- Brésil -
Mesdames et Messieurs,
Je suis extrêmement heureux de recevoir mon collègue et ami M. Figueiredo, dont chacun connaît l'extrême compétence, pour sa première visite en tant que ministre des relations extérieures du Brésil.
Cet entretien intervient trois mois après la visite d'État du président Hollande au Brésil qui a donné un nouvel élan à notre partenariat stratégique conclu en 2006. Cet élan, il faut le concrétiser, ce fut l'objet principal de nos échanges ce matin.
Nous avons tout d'abord décidé d'intensifier notre dialogue politique par des échanges réguliers à tous les niveaux et, notamment, de nous rencontrer au niveau des ministres des affaires étrangères au moins deux fois par an. Nos collaborateurs, au niveau des hauts fonctionnaires, le feront également.
Nous avons bien sûr abordé les grands dossiers d'actualité comme l'Ukraine, l'Iran également où nous savons qu'il faut une approche à la fois positive et vigilante. J'ai écouté avec intérêt les analyses de mon collègue et ami sur l'Amérique latine, y compris la situation au Venezuela que nous suivons avec attention. Les observations que m'a faites M. Figueiredo sont extrêmement utiles.
J'ai confirmé à mon collègue et ami que je me rendrai bientôt à Cuba, ce qui est un élément nouveau.
Sur l'Afrique, nous savons les efforts des Africains pour assumer pleinement leur sécurité et nous avons confirmé que nous souhaitions travailler ensemble sur les dossiers du dérèglement climatique. Mon collègue est en grand expert dans ce domaine et nous aurons besoin de son concours et de tout son savoir pour réussir la conférence de 2015.
Nous avons abordé également la gouvernance de l'Internet. Vous savez que c'est un sujet sur lequel nos amis brésiliens sont extrêmement sensibilisés comme nous-mêmes.
Sur le plan économique, nos échanges commerciaux ont doublé en dix ans et nos présidents ont fixé comme objectif un nouveau doublement dans la décennie qui vient. Nous devons y travailler, à la fois par la levée des obstacles aux échanges, l'engagement de nouvelles coopérations dans des secteurs d'avenir comme l'énergie, l'espace, les transports et les hautes technologies. La présence des entreprises françaises au Brésil est très importante puisqu'elles font travailler 500.000 personnes. Nous devons faire un effort réciproque pour développer les investissements brésiliens en France.
Nous avons fait le point sur la mobilité des jeunes et de la coopération éducative avec un bon premier bilan. En effet, il y a l'apprentissage du français au Brésil, les offres de masters et de stages, l'accord que l'on appelle - visa vacances travail -, l'extension de la durée des visas de 12 à 24 mois pour les VIE. Les choses avancent mais nous devons faire toujours mieux, en particulier sur le plan du tourisme. Il y a déjà de nombreux touristes brésiliens qui viennent en France et il y a beaucoup de touristes français, en particulier au moment de la coupe du monde de football, qui vont se rendre au Brésil. Nous devons faire encore davantage.
Nous avons franchi une nouvelle étape dans le renforcement des relations frontalières entre le Brésil et la Guyane française, avec la signature ce matin d'un accord bilatéral sur les transports, ouvrant la voie à la mise en service prochaine du pont sur l'Oyapok.
Les relations entre le Brésil et la France sont donc excellentes, les relations personnelles le sont aussi et nous sommes convenus de travailler étroitement ensemble. Mon ami Luiz sait qu'il est ici chez lui.
(...).


- Ukraine
Q - Le président Hollande a parlé hier d'une réponse forte et coordonnée contre la Russie au conseil européen. Quelles sont ces réponses fortes en termes de sanctions et il me semble que nous ayons accepté que la Crimée passe sous la direction russe ?
R - La question de l'Ukraine va être abordée à nouveau, dans les jours qui viennent, par les chefs d'États et de gouvernement européens qui se réunissent jeudi et vendredi. De plus, il y aura, au début de la semaine prochaine, une réunion des membres du G7 afin que ceux-ci puissent se concerter.
En ce qui concerne l'Europe et la France, vous savez quelle est notre position. À la fois fermeté, puisque nous ne pouvons accepter sans réagir qu'il y ait une violation du droit international, et en même temps, dialogue. Car il faut éviter l'escalade. Nous avons déjà pris un certain nombre de sanctions. La question va être réexaminée jeudi et vendredi prochains durant le Conseil européen.
Nous avons fait des propositions pour que le dialogue puisse s'instaurer d'abord entre les Russes et les Ukrainiens, et ensuite avec d'autres pays. Mais la ligne reste fermeté et volonté de dialogue pour empêcher l'escalade. Que souhaitons-nous ? Nous devons sanctionner les violations du droit international et de ce point de vue il est clair que le pseudo-référendum a été mené en contradiction avec la constitution ukrainienne et avec les règles internationales, et que l'annexion d'une partie du territoire ukrainien par la Russie est tout à fait contraire au droit. Les raisonnements qui infirment cette position ne tiennent pas.
Nous voulons à la fois sanctionner les manquements au droit et, en même temps, trouver des solutions pour empêcher l'escalade.
Q - Est-ce qu'il y a un changement de position par rapport à vos pays en relation avec la réunion des BRIC et le G8 ?
R - La décision a d'ores-et-déjà été prise de suspendre les travaux préparatifs du G8 qui devait avoir lieu à Sotchi. La question de savoir s'il y aura une annulation et si ce G8 sera remplacé par un G7 va être tranchée dans les prochains jours.
Nous avons bien sûr discuté de la question ukrainienne, c'est un point très important aujourd'hui. C'est une situation très complexe. J'ai souligné deux aspects auprès de mon collègue et ami.
Le premier point est un aspect juridique. Si on admet sans réagir qu'une partie d'un pays, en l'occurrence la Crimée, puisse organiser un pseudo-référendum, en contradiction avec la Constitution de ce pays et le droit international, et si on admet en plus - ce qui est un autre problème - qu'un pays, en l'occurrence la Russie, puisse annexer une partie d'un autre pays, vous voyez bien le problème international considérable que cela pose. Cela signifie, évidemment, que les frontières ne sont plus respectées et garanties.
L'autre aspect dont on a peu parlé jusqu'ici, mais qui nous préoccupe, c'est la question nucléaire. La France et le Brésil sont hostiles à la prolifération nucléaire ; c'est un point très important. Vous savez sans doute que jusque dans les années 90, l'Ukraine était une grande puissance nucléaire. C'était même le troisième pays par ordre d'importance à détenir des armes nucléaires. En 1994, il y a eu un accord, extrêmement positif. L'Ukraine a adhéré au Traité de non-prolifération et, parallèlement, dans le mémorandum de Budapest, l'intégrité de l'Ukraine a été garantie. L'Ukraine a renoncé à ses armes nucléaires et son intégrité a été garantie par trois pays signataires de ce mémorandum : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie. Concrètement, cela voulait dire qu'ils abandonnaient leurs armes nucléaires mais leur intégrité devait être garantie. Aujourd'hui, ils ont abandonné leurs armes nucléaires mais l'intégrité n'est pas garantie, comme le prouve le fait qu'une partie de leur territoire a été annexé, et par un des pays qui étaient garants de cette intégrité. Cela nous préoccupe beaucoup parce que nous faisons tous des efforts pour lutter contre la prolifération nucléaire ; le fait que de nouveaux États se dotent de l'arme nucléaire est un danger. Si le sentiment est donné qu'un État qui avait des armes nucléaires et qui accepte de les abandonner, non seulement ne voit pas son intégrité garantie mais est amputé d'une partie de son territoire, c'est évidemment une incitation pour les pays qui auraient des armes nucléaires à ne pas les abandonner et, surtout, une incitation pour les autres pays à se dire qu'il faut se doter de l'arme nucléaire pour que notre territoire soit protégé. C'est tout à fait contraire à ce que nous souhaitons au plan international. Cet aspect des choses n'est pas toujours perçu par les observateurs, mais il est très important dans ce conflit.
Q - Un soldat ukrainien a été tué hier. Le gouvernement ukrainien a autorisé l'usage de la force pour se protéger. Que pensez-vous et pouvez-vous faire concrètement afin de diminuer cette menace de confrontation ?
R - Nous appelons d'abord à la désescalade. Les européens et notamment la France ont proposé l'envoi d'observateurs de l'OSCE qui est un organisme qui regroupe des pays de l'Union européenne et d'autres pays comme la Russie. Ces observateurs, si leur présence est acceptée, seraient très utiles car ils ont un rôle pour favoriser la désescalade. De plus, nous avons fait des propositions pour qu'il y ait une négociation qui s'ouvre mais cela suppose que les deux parties, Russie et Ukraine, soient présentes. Le Secrétaire général des Nations unies s'est aussi proposé pour aider à résoudre ce conflit. Il faut aussi qu'il y ait des engagements de non utilisation des moyens militaires afin d'éviter l'escalade en Ukraine et dans les pays voisins.
La France soutiendra toute initiative permettant le dialogue et la désescalade. Autant nous avons jugé nécessaire de prendre des sanctions par rapport à la violation du droit international, autant nous sommes favorables au dialogue. Je suis en contact avec les Ukrainiens, les Russes et les autres interlocuteurs qui pourraient permettre d'arriver à une solution négociée.
Et sur ce point, nous sommes sur une position identique à celle développée par le Brésil, à savoir que la solution ne peut être que diplomatique, et ne peut pas être une solution de force.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2014