Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RTL le 19 octobre 2000, sur les négociations entre les partenaires sociaux et le gouvernement à propos de la nouvelle convention d'assurance chômage.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Pour le départ de M. Aubry, vous avez sorti le mouchoir. Pour l'arrivée d'E. Guigou, qu'est-ce que vous faites ?
- "Je lui dis bonne chance et bienvenue. Mme Guigou va avoir à affronter les organisations syndicales, les organisations patronales et les organisations catégorielles, les médecins, etc. C'est un dossier où elle pourra peut-être montrer qu'elle a de grands talents de diplomate et de négociatrice parce que ce ne sera pas facile. D'une certaine façon, et ce n'est pas une critique pour Mme M. Aubry, elle a quand même quelques dossiers qui sont des bombes qui vont péter maintenant."
"Qui vont péter maintenant", carrément ?
- "Oui, pas dans l'immédiat, mais comment voulez-vous que les problèmes de Sécurité sociale ne se posent pas à terme ? C'est clair, net et précis. J'explique les choses. Madame Aubry a pris les chaussons de Monsieur Juppé, elle est devenue la PDG de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie. Elle était à la fois la présidente, la directrice et la tutelle, c'était formidable. Elle est rentrée, elle a pris cela mais cela ne durera pas. D'abord parce que la consommation médicale va se développer, ensuite parce qu'il va y avoir la restriction des hôpitaux et qu'il va y avoir des réactions et que moi, je vais poser la question du paritarisme à la Sécurité sociale. Maintenant qu'on a un Premier ministre qui s'occupe de tout, il va falloir qu'il s'occupe de cela aussi."
Sur l'assurance-chômage, vous croyez que E. Guigou va résister à L. Jospin et lui dire "il ne faut pas signer, il ne faut pas agréer la convention." ?
- "Je ne crois pas au miracle. Madame Guigou va être obligée de prendre au moins les mêmes positions de départ que les positions d'arrivée de M. Aubry. Jusqu'à dimanche, M. Aubry avait une position qui était très objective et qui était celle de dire : on va être dans l'obligation de faire un décret. Je note qu'elle avait évité d'étatiser, de faire comme la CNAM, de faire un établissement public, mais elle allait prendre la position qu'avait pris en son temps M. Bérégovoy, c'est-à-dire faire un décret pour sauvegarder les intérêts des chômeurs parce que c'est cela quand même le fond. Et puis il y a eu un renversement dû vraisemblablement à l'environnement politique, à la présentation de M. Jospin. On a changé de pied dans la nuit, on a discuté, en catimini on a téléphoné, on a eu le représentant.."
Qui est "on" ?
- "C'est le Premier ministre. Vous ne saviez pas que c'était le nouveau représentant des organisations syndicales?"
Mais vous êtes jaloux.
- "Absolument. D'autant que lui, il a fait l'unité. Il a parlé au nom de Thibault, de Blondel et de ceux qui avaient signé. C'est lui qui parle, qui discute avec Seillière et on change tout. "On change tout", dit-il. Je suis prêt à démontrer que cela n'a pas changé grand-chose et je n'y comprends plus rien pour tout vous dire."
Vous l'avez vu hier, est-ce qu'il vous semble prêt à nous annoncer ce soir qu'il va agréer la convention ?
- "Il me semble qu'il est parti pour cela, oui. Il est persuadé que dans le domaine des sanctions, l'Etat retrouve ses prérogatives. Quand je lis, je ne comprends plus rien. Je ne suis plus seul, il n'y a plus un journaliste qui me dit comprendre quelque chose. Parce que c'est tellement tout et son contraire. Si c'est la position actuelle, c'est-à-dire le Code du travail, si c'est le contrôle de l'Inspecteur du travail, les services du travail qui définissent si vous êtes chômeur et si vous devez le rester, je suis d'accord. Mais si c'est pour que des administrateurs, des Assedic fassent pan-pan cucul aux chômeurs il n'en est pas question ! Ce ne seront pas les gars de FO qui feront cela. Et quand on parle d'équilibre financier, on nous raconte des histoires."
L. Jospin dit que c'est fait.
- "Hier après-midi, je lui ai fait la démonstration. A l'heure actuelle il y a, tous les ans, 180 000 chômeurs qui quittent le régime. A peu près 100 000 trouvent du travail, 80 000 arrivent à l'âge de la retraite - ils ne sont plus considérés comme chômeurs - ou partent au RMI, c'est quand même cela le truc. Pour l'équilibre financier, compte tenu des patrons et des baisses de cotisations, il faut que cela monte à 310 000. C'est-à-dire que tous les ans on va en virer 310 000. C'est une machine à refouler les chômeurs. C'est la noria, c'est cela le PARE."
Mais vous êtes sûr de vos chiffres ?
- "Je suis sûr de mes chiffres, ils sont incontestés, ils viennent d'ailleurs que de l'Unedic."
Quand vous avez dit cela à L. Jospin, il n'a pas dit "Mon Dieu, mais je n'ai pas vu cela" ?
- "Il s'est retourné vers ses conseillers, il a dit : "mais vous m'avez dit que c'était équilibré". Je continue à dire que cela ne l'est pas. C'est d'ailleurs très clair, cela ne peut pas l'être. Tout le monde peut le voir. Il y a un flou artistique. Tout le monde sait cela. On renvoie l'affaire à un an et on se dit : "on verra bien dans quel état on sera". Dans un an, on ira vers une tendance, : il y avait 41 % des chômeurs qui étaient pris en charge par l'Unedic, dans un an il y aura 38-36 %, on va descendre comme cela. Ce qui fait que le régime d'assurance-chômage, qui était là pour prendre en charge les chômeurs parce qu'ils avaient cotisé, va devenir une machine à refouler. Pourquoi voulez-vous que je sois complaisant avec cela?"
L. Jospin est quand même un homme expérimenté.
- "Oui."
Il sait lire.
- "Oui."
Il sait calculer.
- "Il est de gauche."
- "Oui."
Alors pourquoi il s'entendrait sur un texte qui est aussi négatif pour les chômeurs ?
- "Parce que j'ai l'impression que M. le Premier ministre veut simplement reprendre en main les affaires politiques à l'heure actuelle et montrer qu'il a mis un terme à un contentieux qui traînait depuis six ou sept mois."
Au mépris de ses convictions de gauche ?
- "C'est son problème ! Je ne suis pas son confesseur, il fait ce qu'il veut. "
Surtout qu'il est protestant, donc il ne se confesse pas beaucoup !
- " S'il ne fait pas l'acte de contrition ou de conscience, je n'en sais rien moi, je n'y connais rien."
Mais enfin vous vous êtes quitté en bons termes hier soir ?
- "Bien entendu, pourquoi voulez vous que j'ai sur le plan personnel des rapports qui se modifient?"
Non, mais quand on a un désaccord aussi fort.
- "S'il est Premier ministre, il a pris ses responsabilités c'est son problème. J'ai simplement fait remarquer que c'était une novation, qu'il était intervenu directement dans une négociation. D'habitude, le gouvernement essaie toujours de traîner une oreille, savoir, essayer d'influencer, faire savoir un peu les choses. Dans les contacts que j'avais avec M. Aubry, je disais : "il faut que tous les ans on mette debout une réunion dans laquelle on dirait, on définirait, qui prend en charge la part qui revient à l'Unedic et la part qui revient à l'Etat", c'est la clarification comme je le demandais pour la Sécu. Madame M. Aubry, s'il y avait eu un décret, elle était d'accord pour intégrer cela. Ils se sont privés de cela. La clarification s'est faite entre M. Jospin et M. Seillière à minuit et demi. Ce n'est pas clair, c'est plutôt le clair-obscur."
Mais c'est pour cela que vous faites la gueule ?
- "Mais je ne fais pas la gueule ! "
Parce que, finalement, il a téléphoné la nuit à E.-A. Seillière ?
- "Non, je trouve que c'est le clair-obscur. Ce n'est pas une négociation ouverte et ce n'est pas leur rôle ni à l'un ni à l'autre. Cela veut dire que, apparemment, M. Seillière, sauf erreur de ma part, est le plus beau représentant de l'opposition à l'heure actuelle."
Vous dites qu'il veut prendre les choses en main politiquement, mais il a sa majorité plurielle, il y a les communistes qui ne sont pas contents de tout cela, il y a une partie du parti socialiste.
- "Qu'est-ce que vous voulez me faire dire ? "
Je ne sais pas.
- "Vous êtes comme moi, vous êtes journaliste. Il vous arrive de lire des dépêches."
Je ne comprends pas pourquoi il signerait un accord qui lui paraît mauvais.
- "Je vais être complaisant avec vous. Oui, c'est vrai, je note que le Mouvement Des Citoyens, les Verts, le Parti socialiste et les communistes ont tous dit qu'il aurait mieux fallu faire un décret plutôt qu'un mauvais accord. C'est son problème. Il me semble que M. Seillière a fait un bel acte politique, il a foutu la panique à gauche, c'est bien joué. Mais M. Seillière lui fait de la politique, il dit qu'il n'en fait pas c'est le meilleur moyen d'en faire, tout le monde sait cela. C'est clair. D'une certaine façon le Premier ministre est tombé dans le piège. Alors à lui de s'en sortir maintenant."
Il est tombé dans le piège, il est benêt à ce point-là ?
- "Non, il n'est pas benêt ! Je pense qu'il espère s'en sortir par ses déclarations, reprendre le dessus. Je ne suis pas sûr que ce sera aussi facile que cela. En tout cas, nous verrons dans quelques mois, les conséquences que cela a pu avoir qu'il se substitue aux organisations syndicales. Sur le plan de la démocratie, c'est une erreur fondamentale. Je le lui dis, je le lui ai dit hier. Maintenant, on verra. Je suis tout à fait à l'aise parce que je pense que je défends les intérêts des chômeurs et comme tout un chacun peut l'être demain, il fallait faire cela avec beaucoup plus d'efficacité. Cela n'a pas été le cas. Ceci étant, on parle de cela, on ne parle même pas du patronat, on ne parle plus du patronat. Aujourd'hui il nous avait invités et nous avons refusé d'y aller. On n'en parle même plus, ce n'est même plus l'élément premier. C'est pourtant la négociation. La refondation sociale, je me souviens que M. Seillière disait : "C'est la négociation entre les syndicats et les patronats. Nous allons nous réapproprier le dialogue social". Pour régler son problème il est allé le négocier avec le Premier ministre. Cela veut dire que lui aussi s'est bien désavoué et il a ravalé son chapeau."
M. Blondel (FO)
France Inter - 8h00 Je l'ai eue comme interlocuteur. Ca a toujours ferraillé, d'ailleurs, c'est une femme qui a besoin de ferrailler. Il se trouve que je suis un syndicaliste et que le tempérament rebelle l'emporte aussi. Alors, j'ai une sympathie pour elle, c'est évident. Et contrairement à monsieur Seillière, moi, je prendrai mon mouchoir, en lui disant non pas "adieu" - on ne sait jamais, on la reverra peut être.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 19 octobre 2000)