Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le bilan de la loi de sécurisation de l'emploi, Paris le 18 mars 2014.

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Je vous remercie de votre invitation et je suis ravi de pouvoir m'exprimer devant vous sur un sujet aussi important que la loi de sécurisation de l'emploi, à ce moment là près d'un an après l'examen du projet de loi. Je souhaiterais que tout le monde fasse le bilan de cette loi.
La Semaine sociale Lamy l'a qualifié de « texte de l'année 2013 », dans le domaine du social, et je pense en effet que les changements induits par la loi marqueront la chronologie sociale de notre pays. Et au-delà de la chronologie sociale, j'ai le sentiment qu'elle contribuera à renforcer une nouvelle culture des relations sociales en France, culture qui vous est chère.
Au fondement de cette loi, il y a l'idée que nous avions des marges de progrès en matière de dialogue social. Avec le recul de 8 mois– encore insuffisant pour un bilan exhaustif, mais suffisant pour un premier bilan – je crois que nous avons commencé à trouver ces marges de progrès.
Pour le clin d'œil, vous m'aviez invité l'an dernier à m'exprimer dans ce même cadre. C'était le 2 avril, jour du début de l'examen du texte à l'Assemblée. Il y a donc une logique parfaite à ce que je sois là, parmi vous, un an après, pour le premier bilan de cette loi.
Je l'ai toujours dit, cette loi, plus que beaucoup d'autres, ne porte pas que des dispositions normatives ou législatives, elle porte aussi un esprit et un message, aux acteurs. Le message est simple : prenez le pouvoir de négocier, emparez-vous des nouvelles possibilités et des nouveaux droits individuels et collectifs, c'est ainsi que vous pèserez davantage dans la lutte pour l'emploi ou les conditions de travail.
Un esprit, certes, mais pour autant, c'est dans la pratique que tout se joue. Et, en la matière, nous n'avions pas de certitudes absolues. Les acteurs joueront-ils le jeu du dialogue social à la française ? Quelles postures prendront-ils ? Comment pourra-t-on négocier la sauvegarde de l'emploi ? Comment les différentes sensibilités pourront-elles s'exprimer dans la négociation ? Les bases suivront-elles leurs représentants ? Ce sont des questions particulièrement décisives. Nous avons désormais quelques pistes de réponse.
Je sais que le syndicalisme que vous pratiquez donne de l'importance à la négociation et que votre organisation souhaite prendre toute sa part dans la bataille pour l'emploi. Dès le début vous avez soutenu cette loi et je sais que vous avez aujourd'hui des témoignages importants à porter sur son application. Je crois en tous les cas que vous êtes confortés dans votre choix.
J'en viens au bilan de la loi de sécurisation de l'emploi (LSE).
1. Retour sur les objectifs
Cette loi poursuit trois objectifs politiques.
* Le premier, c'est l'emploi. Pas n'importe lequel, le bon emploi. celui qui passe par une amélioration des conditions sociales : sur le temps partiel, sur la complémentaire santé, sur la lutte contre la précarité. Celui qui ouvre à la constitution de droits nouveaux : l'entrée des salariés dans les Conseils d'Administration des grandes entreprises, les droits rechargeables à l'assurance chômage.
Je suis intimement persuadé que notre problème d'emploi est aussi un problème de travail. Précariser le travail n'aide pas à la création d'emplois, contrairement à ce que certains prétendent ou espèrent. C'est le contraire ! Nous aurions pu inventer, comme d'autres, des « mini-jobs » et ajouter de la précarité à la précarité, ce n'est pas le chemin choisi avec la LSE et ce ne le sera pas. La loi de sécurisation de l'emploi en donne gage à tous.
* Le deuxième sujet concerne la sauvegarde de l'emploi –il revient à faire face à la « préférence française pour le licenciement » lorsque les difficultés apparaissent.
La loi de sécurisation de l'emploi l'aborde sous l'angle de l'anticipation et de la recherche des alternatives aux licenciements. Ainsi, le droit social peut venir au secours de l'emploi.
En somme,
- pas de dérégulation par la suppression de droits,
- pas non plus de posture figée sur la défensive qui interdise aux acteurs de rechercher des solutions transitoires pour l'emploi,
- mais au contraire la construction de solutions négociées à l'intérieur d'un cadre strict et exigeant.
* Enfin, le dernier objectif politique concerne le très difficile sujet de la suppression de l'emploi, de l'accompagnement qui doit en découler, des nouvelles procédures de licenciements économiques. C'est peut-être sur ce point que nos premiers résultats sont les plus probants.
Oui, les acteurs sociaux sont mûrs, capables et responsables. Dans cette assemblée, vous le savez depuis longtemps mais je crois que nous contribuons, par cette loi, à en faire la démonstration.
2. Point de calendrier
Permettez-moi, pour progresser dans ce bilan de la loi, de vous dire un mot du calendrier, car la loi contenait beaucoup de dispositions dont la mise en œuvre se fait dans des calendriers différents.
Sont entrées en vigueur au 1er juillet dernier principalement les dispositions sur les PSE et les alternatives à chaud : accords de maintien de l'emploi ou encore le nouveau dispositif d'activité partielle.
Cette année verra la mise en œuvre des dispositifs qui permettront de mieux anticiper : création de la base de données unique, consultation sur les orientations stratégiques, entrée des salariés dans les conseils d'administration, GPEC totalement rénovée par rapport à l'utilisation qui en était faite auparavant
Les négociations sur le temps partiel sont en cours. Il ne faut pas se cacher ce sont des négociations qui demandent du temps : c'est pourquoi nous avons décidé, en lien avec les signataires de l'ANI, de proposer un délai supplémentaire de 6 mois jusqu'en juillet 2014. Et j'observe que les négociations avancent bien depuis janvier.
Il est déjà des premiers succès. Je veux m'arrêter sur le cas de la restauration rapide. Voilà un secteur qui n'a pas toujours bonne presse. Mais en matière de dialogue social, quelle est la réalité ? 6 mois de négociation pied à pied pour un accord signé par les 5 organisations de salariés. C'est la preuve que, branche par branche, le dialogue social peut porter ses fruits, au bénéfice de tous !
Également en cours de déploiement, la complémentaire santé qui fait l'objet d'une négociation de branches. Mais elles n'ont pas beaucoup avancé, car, sans remettre en cause aucune de ses décisions, les décisions successives du Conseil Constitutionnel ont rendu longtemps le paysage incertain. Les partenaires sociaux doivent aboutir pour le 1er juillet 2014, c'est un véritable défi !
Pour ce qui est de la création des droits rechargeables à l'assurance-chômage, elle figure dans la négociation en cours.
D'autres dispositions sont à venir
Je pense au compte personnel de formation, créé par la loi de sécurisation de l'emploi. Il restait un concept. L'ANI du 14 décembre et le travail quadripartite qui l'a accompagné ont conduit à la loi portant réforme de la formation professionnelle qui va le faire entrer dans la réalité au 1er janvier 2015. Je crois que c'est un instrument décisif, l'un ce de ceux qui incarne le mieux ce que « sécurisation » veut dire.
3. La question de l'emploi
J'en viens désormais à la question des effets sur l'emploi. C'est là que nous sommes tous attendus.
En amont des difficultés…
L'accord puis la loi partaient d'un constat partagé : l'économie française se donne trop peu d'instruments pour anticiper la crise et éviter ses conséquences les plus néfastes.
Un seul mot d'ordre devait nous guider : anticiper.
L'anticipation, c'est disposer de droits individuels qui permettent de faire face avant qu'il ne soit trop tard. Parmi d'autres fonctions, le compte personnel de formation, entièrement portable et transférable, porte cette possibilité nouvelle. C'est aussi le cas du droit à une mobilité professionnelle sécurisée.
L'anticipation, c'est aussi l'usage des droits collectifs nouveaux. Je pense à l'association plus étroite de salariés à la stratégie économique de l'entreprise et à la GPEC ; à leur présence dans certains CA ou aux obligations renforcées pour l'entreprise de partager en temps réel les informations avec les représentants des salariés.
L'anticipation c'est enfin des instruments pour traverser la crise en évitant le maximum de casse sociale. Avec les outils visant à favoriser la mobilité interne et externe des salariés de façon encadrée, la simplification et l'unification du dispositif d'activité partielle, et les accords majoritaires de maintien de l'emploi, les entreprises et les représentants du personnel disposeront désormais de ces leviers pertinents, et je le pense, efficaces.
Alors que disent les faits ?
Eh bien les faits confirment que nous avions des marges de progrès, et que la loi de sécurisation de l'emploi les a libérées. Nous connaissions les difficultés liées à la gestion des restructurations
- des délais de procédure légaux peu respectés créant incertitude pour l'entreprise comme les salariés,
- une judiciarisation de plus en plus forte où les combats de prétoires, que je respecte, entre avocats remplacent le dialogue social,
- une énergie mise davantage dans l'achèvement d'une procédure formelle plus que dans la recherche de solutions alternatives véritables et qualitatives,
La loi de sécurisation de l'emploi change profondément la donne :
- Elle renforce le dialogue social dans le cadre d'une procédure qui donne de la visibilité aux parties prenantes et qui permet de maîtriser les délais.
- La loi renforce aussi la qualité du PSE pour mieux accompagner les salariés dans leur retour à l'emploi, contrepartie de délais mieux maîtrisés et d'une plus grande sécurité juridique. A défaut d'un accord collectif majoritaire, c'est l'Etat qui contrôle cette qualité au travers d'une procédure d'homologation du PSE. Contrôler la qualité, cela veut dire : apprécier le PSE en fonction des moyens du groupe auquel appartient l'entreprise qui licencie, examiner les mesures d'accompagnement et les efforts de formation et d'adaptation qui ont été engagés.
La présence de l'État fonctionne donc comme une incitation renforcée à former et à accompagner ses salariés. Et, pour les entreprises en procédure collective dont on parle moins, je rappelle que nous avons ouvert la voie à une prise en charge par l'AGS de mesures actives de reclassement.
Alors, que nous disent les premières données chiffrées ? Je suis prudent car nous n'avons que quelques mois de recul, mais les chiffres sont significatifs.
Hors procédures collectives, plus des ¾ des entreprises négocient ; c'est un changement majeur.
Et changement encore plus considérable, dans plus de 2 cas sur 3, la négociation débouche sur un accord collectif majoritaire. Il y a aujourd'hui plus d'accords collectifs majoritaires que d'homologations ; qui aurait cru que, dans notre pays, on pouvait signer en quelques mois plus d'une centaine d'accords collectifs sur des plans de sauvegarde de l'emploi.
J'ajoute une autre conséquence positive : une judiciarisation, au mauvais sens du terme, en baisse. L'un des paris de la loi était de faire baisser le nombre de recours judiciaires parce que de bons accords pourraient être trouvés. Alors que près de 30% des PSE donnaient lieu à contentieux devant le Tribunal de grande instance, sur les procédures initiées, nous n'avons qu'une dizaine d'actions devant les tribunaux, soit à ce jour un peu plus de 5% de contestation. Preuve en est que le dialogue social est redoutablement efficace, et sans doute la voie la plus sûre et porteuse.
Je dis un dernier mot des Direccte. Leur ministre que je suis dresse un bilan positif de leur action !
On a entendu dire qu'elles n'auront jamais les moyens de prendre des décisions explicites et de le faire en temps utile. 99% des décisions d'homologation/validation des Direccte sont des décisions explicites et motivées, quand le délai est de 15/21 jours.
On a aussi entendu qu'elles avaliseraient presqu'automatiquement les décisions des entreprises. Le taux de refus d'homologation est d'environ 10%. Si le refus est une « arme de dissuasion » pour contraindre à suivre les observations des Direccte, ces dernières n'ont pas hésité à s'en servir lorsqu'elles estimaient que le PSE n'était pas conforme aux attentes de la loi. Oui, les Direccte sont au rendez-vous !
Voilà, mesdames et messieurs, le premier bilan que je n'hésiterai pas à qualifier de satisfaisant, car quand notre pays choisit des compromis dans lesquels chacun est protégé par le droit, mais surtout respecté dans l'ordre de ses valeurs et de ses convictions, alors notre pays progresse.
L'année 2014 sera particulièrement celle du déploiement du volet anticipation de la loi ; c'est peut être le plus décisif, même si c'est le moins connu, car il donne la possibilité de changer durablement et en profondeur notre modèle de dialogue social. C'est évidemment aux employeurs et aux représentants des salariés, sur le terrain, de s'y engager résolument. Je sais que vous le faites déjà et je ne peux que vous encourager à poursuivre, poursuivre encore, c'est la bonne voie.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 20 mars 2014