Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à I Télé le 21 mars 2014, sur la position des partenaires sociaux dans la cadre de l'accord sur l'assurance chömage.

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Média : Itélé

Texte intégral


CHRISTOPHE BARBIER
Michel SAPIN, bonjour, bienvenu.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
« Vous avez vu la violence sous sa plume », dites-vous à propos du texte de Nicolas SARKOZY. Quelle violence ? Ce n'est pas de la violence, c'est de la défense d'un homme qui en effet est attaqué depuis dix jours.
MICHEL SAPIN
Mais, s'il s'agissait, pour quelqu'un, y compris un justiciable, même un justiciable ancien président de la République, de se défendre, comme vous venez de le dire, je trouverais ça normal. S'il s'agissait seulement de se défendre en attaquant ses adversaires politiques, au fond, on serait dans le débat politique, mais ça n'est pas ce qu'il y a. La violence qu'il y a sous la plume, c'est la violence contre les institutions de la France, c'est la violence contre la police, qu'il a commandée lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, c'est la violence contre la justice, dont il était le garant de l'indépendance, lorsqu'il était président de la République. C'est là qu'est le grave, c'est là qu'est le gravissime de cette expression. C'est en quelque sorte une forme de coup d'Etat verbal, qu'il y a sous la plume de Nicolas SARKOZY, et ça c'est insupportable. Faire penser, faire croire, oser dire que la police française ou que la justice française, serait l'égale des polices les pires, les pires polices politiques que l'on a pu connaitre dans l'Europe de l'Est et dans l'Europe stalinienne, ça c'est absolument, comme le disait à juste titre, le président de la République d'aujourd'hui, insupportable.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, l'allusion à la STASI est d'évidence la maladresse à laquelle s'accroche la gauche depuis hier pour riposter à Nicolas SARKOZY, mais il y a autre chose dans le texte. Par exemple, est-il normal qu'il y ait eu 14 policiers, 4 perquisitions, dans une affaire qui s'est terminée par un non-lieu, les détails donnés sur la perquisition chez maitre HERZOG, ne vous choquent-ils pas ?
MICHEL SAPIN
On peut toujours donner des détails de toute nature, mais il faut s'en ramener au principe : qui décide une perquisition ? Qui décide une écoute ? A lire Nicolas SARKOZY, on pourrait laisser penser, c'est ce qu'il veut laisser penser, que ce serait décidé par ses adversaires politiques. C'est décidé par des juges, suivant des procédures légales, comme vous le savez vous-même. La procédure légale d'écoute, c'est une procédure légale, qui est l'application d'une loi de 2004, que monsieur Nicolas SARKOZY lui-même a souhaitée, et même pour ses amis, votée. Donc on est dans le cadre des lois. C'est pour ça que je dis que c'est une forme de coup d'Etat verbal, contre les institutions, contre les lois de la République, et c'est là que c'est grave. Est-ce que je peux vous dire aussi que dans ce texte, il y a quelque chose qui est peu commenté, qui est la référence à la décision du Conseil constitutionnel…
CHRISTOPHE BARBIER
Sur l'annulation de ses comptes de campagne.
MICHEL SAPIN
Sur ses comptes de campagne. Là on n'est pas dans une enquête en cours, là on n'est pas avec des juges qui chercheraient à savoir, on est devant une décision de la plus haute institution juridictionnelle française, qu'est le Conseil constitutionnel, et il est dans la mise en cause de cette décision. On voit bien qu'il va jusqu'au bout, au bout du plus grave qu'il puisse exister. Un président de la République, qui a été membre du Conseil constitutionnel, et qui met en cause les décisions du Conseil constitutionnel. Mais où on va ?
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a les lois et l'usage des lois par les juges et les policiers qui leur obéissent. Est-ce qu'il n'y a pas de harcèlement, quand vous regardez dans la presse ce qui se fait, vous dites : il n'y a pas de harcèlement sur SARKOZY, c'est un justiciable normal ?
MICHEL SAPIN
Mais les lois, elles sont faites pour être respectées par tous, par le justiciable comme par les juges. Et si un justiciable veut se défendre, comme il en a le droit, comme il en a le devoir, parce qu'il est d'abord et avant toute chose, aujourd'hui, quelqu'un qui cherche à se défendre, et il a raison, de ce point de vue là, il existe des recours, il existe des recours contre les décisions des juges, donc on ne vient pas vitupérer les juges, on peut mettre en cause, institutionnel, par l'utilisation des lois de la République, ces décisions, mais c'est d'une toute autre nature. Aujourd'hui, c'est du BERLUSCONI à quoi nous assistons, c'est-à-dire de la grande gueule, contre les institutions. C'est pas comme ça que l'on peut donner une belle image de la France.
CHRISTOPHE BARBIER
Comme il n'y a pas de mise en examen, seuls les juges, les policiers et éventuellement le pouvoir informé, disposaient de ces écoutes. N'est-il pas normal que SARKOZY s'interroge sur les fuites ? Pourquoi le gouvernement ne demande pas une enquête sur le viol du secret de l'instruction ?
MICHEL SAPIN
Ah, mais il y aura certainement une enquête, d'ailleurs il y a eu une…
CHRISTOPHE BARBIER
Thierry HERZOG l'a demandé au procureur, et le gouvernement pourrait l'ouvrir, le garde des Sceaux peut faire ouvrir.
MICHEL SAPIN
C'est au procureur de la République, éventuellement, de le faire, c'est comme ça que ça fonctionne, dans la République d'aujourd'hui, c'est-à-dire une République où la justice est indépendante. Mais qu'il y ait viol de l'instruction, de toute nature, d'ailleurs, oui, peut-être, mais ça c'est d'autres enquêtes, c'est la manière de se défendre, mais je le répète, nous assisterions aujourd'hui à un justiciable, ancien président de la République, se défendant, se défendant par rapport à des accusations ou autres, je respecterais son expression, mais ça n'est pas cela à quoi nous assistons. Un coup d'Etat verbal à la BERLUSCONI, ça n'est pas respectable.
CHRISTOPHE BARBIER
La justice est indépendante, le « Mur des cons », au syndicat de la magistrature, ce n'était pas une preuve d'esprit partisan, de partialité, de dépendance ?
MICHEL SAPIN
Mais quel est le rapport ? Le rapport c'est de jeter l'opprobre, sur une décision de justice, ça aussi c'est une manière absolument inconcevable, disons c'est une manière de malfrats.
CHRISTOPHE BARBIER
Ça ne vous a pas choqué le « Mur des cons » ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas une manière de président de la République, ancien président de la République, c'est une manière de malfrats que de faire l'amalgame. Le « Mur des cons » m'a choqué, mais est-ce que je vais parler du mur, comme vous dites, des cons, à propos d'une enquête ? Non, je respecte l'enquête, je respecte les juges. La mise en cause, nominale, comme vient de le faire là encore l'ancien président de la République, d'un juge, dans une tribune de cette nature, est aussi une atteinte gravissime aux institutions de la République.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a aussi de la politique dans ce texte « si j'avais une vie de citoyen normal, je ne serais pas tenté de revenir ». Comment interprétez-vous ce propos ?
MICHEL SAPIN
Mais enfin, c'est de la politique. Si Nicolas SARKOZY, citoyen normal, ancien président de la République, veut faire de la politique, c'est son droit, c'est sa liberté, mais qu'il ne confonde pas tout. Qu'il ne croit pas que l'on peut faire de la politique, au bon sens du terme, en mettant en cause les institutions de la République.
CHRISTOPHE BARBIER
Autre affaire, autre enquête. Yamina BENGUIGUI a vendu 1 € puis racheté 430 000 €, d'actions en Belgique, escamotées au passage dans sa déclaration de patrimoine. Ça ne vous choque pas, ça ne vous inquiète pas ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas à moi de porter un jugement, surtout pas sur les faits. Il y a aujourd'hui, là aussi, nous avons voulu qu'il en fut ainsi, il y a aujourd'hui une nouvelle institution qui est là, la commission sur la transparence, qui est là pour vérifier, vérifier précisément les déclarations des uns et des autres, des ministres, comme des parlementaires, cette commission fera son travail, établira la vérité, et c'est à la vérité des faits que je pourrai répondre.
CHRISTOPHE BARBIER
L'accord des partenaires sociaux sur l'assurance chômage était attendu hier, il n'a pas été signé. Le sera-t-il aujourd'hui ?
MICHEL SAPIN
Je l'espère et je leur demande de le faire. Ils sont libres. L'assurance chômage ce n'est pas le gouvernement, l'assurance chômage ce sont les partenaires sociaux, comme on dit, c'est-à-dire le patronat et les syndicats qui gèrent l'assurance chômage et qui donc décident des conditions d'attribution, des conditions de perception, des ressources de l'assurance chômage. Il faut qu'ils arrivent à un accord, c'est très important.
CHRISTOPHE BARBIER
S'ils ne le font pas, vous ferez une loi ?
MICHEL SAPIN
Mais la règle est connue. Si les partenaires sociaux n'aboutissent pas à un accord, je dirais que le bébé revient dans les mains du gouvernement, et évidemment, le gouvernement ne laissera pas les chômeurs sans indemnisation, évidemment nous prendrions dans ces cas là nos responsabilités. Mais je souhaite vraiment, parce que je suis le partisans forcené du dialogue social, qu'ils prennent leurs responsabilités, je suis prêt à les aider, je suis prêt les accompagner, mais il faut qu'ils prennent leurs responsabilités. C'est trop important, dans une période comme celle-ci, où il y a tant de chômeurs, qui sont inquiets, chaque mois, sur les conditions dans lesquelles ils vont être indemnisés.
CHRISTOPHE BARBIER
Prendre ses responsabilités, c'est diviser par deux, par exemple, le plafond de l'indemnisation après le 13ème mois ?
MICHEL SAPIN
Je ne vais pas rentrer dans les détails, il y a beaucoup de…
CHRISTOPHE BARBIER
C'est acceptable, pour vous, ça ?
MICHEL SAPIN
Il y a beaucoup de sujets qui sont là, mais c'est vrai qu'il y a un plafond élevé, c'est vrai que de toucher pendant plusieurs années, peut éventuellement être discuté, ça fait partie des sujets qui sont sur la table, pas d'aujourd'hui d'ailleurs, depuis de nombreuses années, ça n'est pas le seul, il y a le droit rechargeable, c'est compliqué le droit rechargeable, mais c'est simplement permettre à un chômeur, de reprendre un travail, sans pour autant perdre les droits à l'indemnisation. C'est une incitation à la reprise du travail. C'est fondamental. Vous savez, on dit souvent que l'on n'incite pas suffisamment les chômeurs à reprendre un travail, c'est là une disposition qui va leur permettre d'être incités à cela. Voilà quelque chose de positif, voilà quelque chose qui est issu aussi du dialogue social et qui doit être mis en oeuvre par les partenaires sociaux.
CHRISTOPHE BARBIER
Les intermittents du spectacle occupent l'Opéra Garnier. Est-ce que vous condamnez cette action ?
MICHEL SAPIN
Je condamne toute occupation, de quelque nature qu'elles soient, dès lors qu'elles sont faites dans des conditions contraires à la loi, et en même temps, les intermittents ils sont chez eux, si je puis dire, au Palais Garnier, ils sont dans un lieu qu'ils occupent, qu'ils animent, ils montrent par là, symboliquement, que sans eux, il n'y aurait pas, et vous le savez très bien, de culture, en France. Sans le dispositif des intermittents, il n'y aurait pas de mécanisme de financement de la culture en France.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais il est payé par tous les Français, 400 millions disent les uns, 1 milliard disent les autres.
MICHEL SAPIN
Non, ce n'est pas un milliard, chacun le sait, heureusement vous dites à 400 millions, la vérité maintenant établie c'est 300 millions, non pas de déficit mais de surcoût, parce que s'ils n'étaient pas indemnisés en termes d'intermittents, ils le seraient d'un autre titre, donc ça couterait, en tout état de cause, à l'assurance chômage. Vous savez…
CHRISTOPHE BARBIER
On ne touchera pas à ce surcoût ?
MICHEL SAPIN
… s'apercevoir aujourd'hui que les gens qui sont en grande fragilité, sont ceux qui touchent le plus d'indemnisations du chômage, c'est quand même une évidence.
CHRISTOPHE BARBIER
Arnaud MONTEBOURG a son idée sur le rachat de SFR, et vous ? BOUYGUES revient à l'assaut, NUMERICABLE pensait avoir signé, quel est votre choix ?
MICHEL SAPIN
Non, mais je ne vais pas exprimer l'idée. MONTEBOURG est sur ce point là parfaitement dans son rôle, il est le ministre du Redressement, il est le ministre de l'Industrie, donc il exprime une opinion, et éventuellement il peut y avoir un certain nombre d'institutions, dans l'orbite, si je puis dire, de l'Etat, comme la CAISSE DES DEPÔTS ET CONSIGNATIONS, qui se mettent prêtes, sur les rangs, pour accompagner une opération qui doit être une réussite…
CHRISTOPHE BARBIER
La messe n'est pas finie alors.
MICHEL SAPIN
… industrielle et qui doit être une réussite en termes d'emplois. Donc, vous savez, dans ce monde-là, la messe n'est dite que le jour où « ite missa est » est prononcée.
CHRISTOPHE BARBIER
Elections municipales dimanche, le brulot de Nicolas SARKOZY va sans doute remobiliser à droite, redonner du coeur aux électeurs UMP. C'est mauvais pour vous.
MICHEL SAPIN
Moi, je pense que ça va remobiliser les républicains, de toutes les rives, car je connais beaucoup de gens à droite, qui ne supportent pas que l'on mette en cause ainsi, les juges, la police et les institutions de la République.
CHRISTOPHE BARBIER
Le président de la République, le Premier ministre, ont bien dit que le FN était l'ennemi principal, Jean-Marc AYRAULT dit hier « il faudra tout faire pour empêcher des mairies FN », mais annoncer comme ça, avant l'heure, le Front républicain, c'est aussi pour faire monter le FN et le qualifier dans les triangulaires.
MICHEL SAPIN
C'est toute la différence entre la clarté et l'indécision telle qu'elle peut être exprimée aujourd'hui, à droite. Pour nous, il n'est pas question de faciliter, d'une manière ou d'une autre, l'arrivée du Front national à la Direction d'une mairie, quelque soit sa taille. Le Front républicain, c'est une affirmation de principe. Mieux vaut voter pour une droite, même cette droite qui parfois met en cause les institutions de la République, que laisser passer quelqu'un qui, au nom du Front national, massacrerait la ville qu'il dirigerait.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que vous reconnaissez néanmoins que, arithmétiquement, les triangulaires avec un Front national fort, c'est bon pour la gauche ? Vous allez sauver Strasbourg, prendre Avignon, peut-être grâce à ça.
MICHEL SAPIN
Mais, est-ce que c'est le système électoral qui invente le Front national ? La réponse est non. Le Front national est trop élevé. Oui. Comment combattre, en quelque sorte, non pas le Front national, mais convaincre que c'est un mauvais vote, que c'est un vote inutile ?
CHRISTOPHE BARBIER
Dont vous profitez.
MICHEL SAPIN
C'est un vote inutile, on le convainc en étant ferme, en étant clair, et non pas en étant dans le demi-langage, comme peut l'être monsieur COPE ou bien d'autres, qui pensent qu'ils pourraient ainsi récupérer les voies du Front national dans je ne sais trop quel deuxième tour, c'est une erreur, c'est la clarté qui permet le choix des électeurs.
CHRISTOPHE BARBIER
Compte tenu de l'ambiance politique, compte tenu de l'ambiance des affaires, compte tenu du pacte de responsabilité qui est sur l'établi, le remaniement après les municipales, c'est une évidence ?
MICHEL SAPIN
Ça n'est jamais une évidence, pour une raison simple, c'est que c'est une décision qui n'appartient qu'à un seul homme, et quand une décision n'appartient qu'à un seul homme, le président de la République, on n'est pas dans le domaine des évidences, on est dans le domaine de la réflexion, on est dans le domaine de la décision, on est dans le domaine de l'inscription dans la durée. Oui, le pacte de responsabilité est un élément fondamental, pour permettre cette année que le navire France avance plus vite et plus chargé en emploi, donc plus efficace contre le chômage. Il faut réussir ce pacte de responsabilité, ça fait partie des données du problème, ça fait partie des réflexions du président de la République.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que cet homme, le président de la République, en a parlé avec vous, du remaniement ?
MICHEL SAPIN
Non.
CHRISTOPHE BARBIER
Il a le droit de consulter.
MICHEL SAPIN
Non, il a parfaitement le droit de consulter, mais pourquoi en parlerait-il avec ses ministres d'aujourd'hui ?
CHRISTOPHE BARBIER
Michel SAPIN, merci, bonne journée.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 mars 2014