Déclaration de Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, sur la politique de développement et de solidarité internationale de la France, au Sénat le 15 avril 2014.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 15 avril 2014

Texte intégral

Je vous remercie Monsieur le Président de ces mots d'accueil tout à fait chaleureux et de votre invitation. C'est un plaisir et un honneur de pouvoir m'entretenir avec les membres de cette prestigieuse commission. Je voudrais également saluer M. Peyronnet et M. Cambon, tous deux rapporteurs du projet de loi d'orientation et de programmation de notre politique de développement et de solidarité internationale. Comme vous l'avez relevé, Monsieur le Président, cette audition intervient peu de temps après ma nomination. Mais il m'a paru essentiel de la maintenir. Pour plusieurs raisons.
Tout d'abord par respect du Parlement. J'ai été députée suffisamment longtemps pour savoir que les parlementaires n'ont pas à être les otages des remaniements ministériels. Je vous remercie d'ailleurs d'avoir bien voulu décaler d'une semaine cette audition et d'adapter le calendrier d'examen du projet de loi que je viens vous présenter.
Ensuite, parce que cette loi d'orientation et de programmation traduit un engagement fort du président de la République. Un engagement énoncé à plusieurs reprises. Nous avons tous en tête l'impatience qu'ont nos concitoyens à observer des résultats. Il est donc nécessaire de ne pas rallonger les délais. Ce projet de loi est un cadre politique. Il constitue un vrai progrès dans notre politique de développement et de solidarité internationale. En termes de transparence. En termes de cohérence. Et, je l'espère pour l'avenir, en termes d'efficacité.
Avant d'aller plus avant dans la présentation de ce projet de loi, je voudrais saluer le travail remarquable de mon prédécesseur au développement, Pascal Canfin, qui est, en lien étroit avec Laurent Fabius, l'instigateur de ce projet de loi. Bien entendu, ce dernier mérite d'être affiné, peut-être même allégé. Je m'en remets bien volontiers à la sagesse du Sénat pour l'améliorer. Mais je suis convaincue qu'il contient déjà les grands principes, les grandes orientations de ce que doit être notre politique de développement.
Enfin, je ne suis pas uniquement venue pour vous présenter ce projet de loi. C'est ma première audition devant une commission parlementaire et je pense qu'il est indispensable de vous présenter les grandes lignes de mon action. Évidemment, vous comprendrez que je me réserve un peu de temps avant de la détailler. Mais il me semble important de vous présenter d'ores et déjà quel est mon état d'esprit.
Ma ligne de conduite, c'est l'approfondissement dans la continuité. Un travail de refondation de notre politique de développement a été entrepris par mon prédécesseur et ses équipes. Et nombre d'entre vous me connaissent personnellement : je ne suis pas de ceux qui aiment renverser la table, uniquement pour imprimer ma marque. Et j'ai toujours dénoncé les méthodes qui privilégient la communication au détriment de l'action.
Le travail réalisé jusqu'ici a été de qualité. Il a été mené en coordination avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances, l'AFD. Il n'y a aucune raison de modifier sa trajectoire. D'autant que les orientations prises sont partagées. Et ce n'est pas un hasard. En effet, tout a été fait pour chercher un consensus avec les ONG, avec les parlementaires, avec les collectivités territoriales, avec les différentes administrations.
Ce qui a été accompli depuis près de deux ans est une première étape. Cette première étape, c'est l'élaboration d'un cadre d'action partagé, qui ne soit pas seulement l'apanage de l'exécutif, mais qui soit soumis à l'approbation et au contrôle du Parlement. Le projet de loi parachève ce temps, celui de la concertation, celui de la mise en cohérence, celui de la transparence.
Et puis il va y avoir un deuxième temps. Le temps de la mise en oeuvre de tous ces principes, de toutes ces orientations. Il faudra s'assurer que les bonnes intentions sont mises en pratique. Il faudra tout mettre en oeuvre pour que l'efficacité que nous appelons de nos voeux devienne une réalité plus tangible.
Cette efficacité, nous la devons à nos concitoyens. Auparavant, cette recherche d'efficacité était souhaitable. Au vu du contexte économique, elle est désormais un impératif. L'argent public est un bien précieux. Il doit donc être utilisé au mieux. Et c'est ce que j'ai toujours défendu depuis sept ans à la Commission des finances de l'Assemblée nationale.
Cette efficacité, nous la devons aussi aux pays partenaires et aux populations que nous aidons. Plus notre politique de développement sera efficace, plus nous améliorerons le quotidien des populations les plus pauvres. Leur nutrition. Leur santé. Leur éducation. Leurs droits fondamentaux.
L'Agence française de développement est aujourd'hui un outil essentiel et son action doit être exemplaire. Le contrat d'objectifs et de moyens pour les années 2014-2016 devrait vous être communiqué dans les toutes prochaines semaines. Je sais que vous l'attendez.
Cette même efficacité, nous la devons également à la stabilité internationale. En tant qu'auditrice de la 66è session nationale «politique de défense» de l'IHEDN, j'ai été particulièrement sensibilisée à ces questions depuis plusieurs mois. Et comme vous, j'en suis convaincue : le développement est une condition nécessaire à la prévention durable des conflits. On le voit très bien au Mali et en République centrafricaine par exemple, deux pays qui retiendront toute mon attention, comme celle de l'ensemble du gouvernement.
Enfin, cette efficacité, nous la devons à la France. Comme Laurent Fabius, je suis persuadée qu'il nous faut renforcer notre influence internationale. La politique de développement est un signe de générosité, qui fait la grandeur de notre pays. Elle contribue aussi à affermir notre voix dans le monde.
Ce deuxième temps sera également marqué par les négociations sur le climat. Dans ce domaine, la France a une responsabilité particulière, puisqu'elle accueillera en 2015 la 21è Conférence des Nations unies sur le changement climatique. Préserver le climat, éviter un réchauffement de la planète supérieur à 2°C, c'est agir en faveur du développement.
Car on le sait, le dérèglement climatique est l'une des plus grandes menaces qui pèsent sur le développement des pays les plus pauvres. Il nous faut les aider à opter pour un mode de développement plus soutenable et à s'adapter aux impacts du changement climatique. La Conférence de Rio+20 en 2012 a lancé le travail de préparation des Objectifs de développement durable qui devront être adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015.
Enfin, je poursuivrai le dialogue avec les ONG, qui jouent un rôle fondamental dans l'aide au développement. Et je tiens à remercier tous ceux et toutes celles qui oeuvrent chaque jour pour améliorer la vie quotidienne et pour préparer l'avenir de centaines de millions de personnes. Les instances de consultation sont désormais en place. Il faut les faire vivre. Je réunirai prochainement le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, qui au-delà des acteurs que j'ai déjà cités, rassemble les syndicats, les entreprises, les organismes de recherche. La démarche a été collective, elle doit le rester.
Dans le périmètre d'action de mon secrétariat d'État, il y a la Francophonie. C'est un honneur pour l'élue de Saint-Pierre-et-Miquelon que je suis. Un territoire à l'avant-poste d'un grand bassin francophone. Les territoires ultra-marins, comme celui d'où je suis originaire doivent devenir les têtes de pont de la France pour faire rayonner la francophonie dans le monde.
Car la Francophonie, ce n'est pas la France. La Francophonie, c'est le monde. C'est la langue de toutes ces personnes qui l'étudient, la parlent, ou souhaiteraient la parler et l'aiment tout simplement. Parce qu'elle est attachée à des valeurs. Parce qu'elle est attachée à une culture partagée.
Mon ambition, c'est de rendre la Francophonie encore plus dynamique et la langue française encore plus attractive. Je veux consolider et rationnaliser le travail engagé depuis près de deux ans par Yamina Benguigui, dont je tiens ici à saluer le travail et l'engagement, en particulier pour les droits des femmes francophones.
L'une de mes priorités sera la jeunesse francophone. Actuellement, 60 % de la population francophone a moins de 30 ans. Et ce n'est qu'un début. Les projections entrevoient 800 millions de locuteurs francophones en 2050, dont plus de 80 % en Afrique. C'est un formidable essor potentiel, très au-dessus de la croissance de la population mondiale.
Cet essor doit être accompagné par une politique linguistique ambitieuse afin d'assurer la transmission du français aux nouvelles générations. C'est pourquoi je veillerai notamment à la mise en oeuvre du Fonds de solidarité prioritaire «100.000 professeurs pour l'Afrique» lancé le 20 mars dernier par Laurent Fabius et Yamina Benguigui. Le renforcement de l'espace francophone dans le domaine scientifique mérite aussi d'être approfondi.
La Francophonie, c'est un privilège culturel mais c'est aussi un atout politique et économique. Dois-je rappeler que l'espace francophone représente 15 % de la richesse mondiale et 12 % du commerce international ? Nous devons absolument utiliser cet atout, pour le bien de tous ceux qui ont la langue française en partage.
Le sommet de l'Organisation internationale de la Francophonie à Dakar en novembre prochain sera un grand rendez-vous, au cours duquel sera notamment désigné le futur secrétaire général de l'organisation.
Le regroupement de la Francophonie et du développement au sein d'un même secrétariat d'État n'est pas un renoncement. Au contraire, le rapprochement de ces deux ministères s'inscrit dans une logique de complémentarité et d'efficacité. Prenons l'éducation par exemple. On le sait, l'apprentissage de la langue française perd du terrain. Améliorer l'accès à l'éducation et la qualification des enseignants, c'est développer l'enseignement du français. Je suis persuadée que la connaissance du français et de sa culture est une chance.
Par ailleurs, parmi les 16 pays pauvres identifiés comme prioritaires, la quasi-totalité est francophone. Des synergies existent donc entre notre politique de développement et la valorisation de la langue française.
Voici pour la présentation générale, qui n'est pas exhaustive.
Je voudrais à présent revenir un peu plus en détail sur le projet de loi. J'ai déjà été certainement trop longue et je vous propose de vous le présenter brièvement. Mais j'aurai plaisir à répondre ensuite à toutes vos questions.
Le texte que je vous soumets à la suite de Pascal Canfin est composé de deux parties : une partie composée de 10 articles, une autre d'un rapport annexé qui détaille les grandes orientations.
L'une des lignes directrices, c'est de rendre notre politique de développement plus transparente, aussi bien dans ses orientations que dans son contrôle et dans ses évolutions futures.
Vous le savez, ce projet de loi est l'un des résultats des Assises du développement et de la solidarité internationale, qui se sont tenues fin 2012 - début 2013. Ces Assises ont permis de renouer le dialogue entre l'État et la société civile. Les parties prenantes ont mis en lumière la nécessité de disposer d'un texte qui consacre les orientations de la politique de développement. Le voici.
Toujours dans un souci de transparence, il a été décidé de soumettre ces orientations au Parlement pour permettre leur amendement. Ce projet de loi est donc inédit. C'est la première fois que le Parlement est amené à se prononcer sur notre politique de développement, en dehors du seul cadre budgétaire.
Et le contrôle du Parlement ne s'arrêtera pas à cette seule loi. Vous serez régulièrement informé de cette politique aux moyens de rapports plus nombreux. Pour faciliter ce contrôle, aussi bien par le Parlement que par les acteurs du développement, il est proposé de systématiser les évaluations selon une grille d'indicateurs communs clairement définis dans le rapport annexé au projet de loi.
Bien entendu, ces orientations ne doivent pas être figées dans le marbre. Et c'est pourquoi, à la demande des députés, il est proposé que ce projet de loi soit révisé dans cinq ans.
L'autre objectif du projet de loi, c'est d'apporter une plus grande cohérence à notre politique de développement. Une plus grande cohérence se traduira inévitablement par une plus grande efficacité.
Cette cohérence passe notamment par la prise en compte des spécificités des pays. On le sait, il n'y a pas un «Sud» unique mais plusieurs «Sud». L'action de la France doit sans cesse s'adapter à un monde en mouvement, et notamment lorsqu'il s'agit de répartir et de concentrer notre aide géographiquement. La logique de partenariats différenciés est explicitement l'approche retenue.
Le projet de loi cherche également à donner plus de cohérence à l'action multilatérale et à l'inscrire au mieux avec l'aide bilatérale.
Autre élément d'efficacité, la coordination des différents acteurs. La multitude d'acteurs est une chance. Je ne fais pas partie de ceux qui, par purisme méthodologique, rêvent d'une unique action, mise en oeuvre par un unique organisme. Toutes les initiatives enrichissent notre aide au développement. Ce qu'il faut, en revanche, c'est mieux valoriser toutes les actions conduites, notamment en améliorant leur visibilité.
C'est ce qui est proposé aux collectivités, dont vous êtes les représentants. La notion d'action extérieure des collectivités territoriales est introduite. Elle est volontairement plus large que le terme de coopération décentralisée. Concrètement, cela permet de sécuriser leurs actions. C'est là l'un des principaux apports normatifs de ce texte. Et il donne plus de liberté aux collectivités.
Par ailleurs, la politique de développement économique doit être mieux coordonnée avec les autres politiques publiques. Comme dans le domaine fiscal et environnemental, dans la promotion des libertés individuelles et des droits de l'Homme, ou encore dans la politique outre-mer.
Enfin, bien que l'accent soit mis sur le qualitatif, il est aussi fait mention d'objectifs quantitatifs. À la demande des députés, l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB) dédié au développement est désormais inscrit dans le projet de loi. Il est aussi stipulé que la France reprendra une trajectoire ascendante vers les objectifs internationaux qu'elle s'est fixés dès lors qu'elle renouera avec la croissance.
Pour conclure, je voudrais vous dire, qu'au-delà de l'efficacité, qui est un impératif, ce projet de loi vise aussi à rendre l'aide au développement plus attractive. On se trouve aujourd'hui dans une situation paradoxale, où nos concitoyens émettent le souhait de mettre fin à la pauvreté, de favoriser l'accès à l'éducation et à la santé pour tous, de lutter contre le SIDA là où il fait le plus de ravages. Mais malgré l'intérêt porté pour la cause, les modalités de l'action publique lassent. Les raisons sont nombreuses et le manque de visibilité est l'une d'elle. Ainsi, 90 % des Français ont le sentiment d'être mal informés sur la politique d'aide au développement et 81 % souhaiteraient l'être davantage. Il est donc essentiel de valoriser notre action. Et peut-être plus encore en période de crise, là où le danger du repli sur soi est le plus grand. Avec vous, je veux redorer notre politique de solidarité internationale. Le projet de loi que je viens de vous présenter est l'une des pierres de cet édifice.
Merci de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 avril 2014