Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur l'égalité femmes-hommes et sur la lutte contre les harcèlements au sein de la Défense, à Paris le 15 avril 2014.

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Circonstance : Rremise du rapport d’enquête "Égalité femmes-hommes et prévention des risques de harcèlement", à Paris le 15 avril 2014

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je veux d'abord remercier Madame le contrôleur général DEBERNARDY et Monsieur l'inspecteur général des armées BOLELLI pour leur remarquable rapport. En l'espace d'un mois, vous avez accompli un travail considérable. Vous l'avez fait avec le concours des armées, qui ont contribué à votre enquête en toute transparence– j'aurai l'occasion d'y revenir.
Notre haut-fonctionnaire à l'égalité des droits l'a rappelé tout à l'heure, le ministère de la Défense, et singulièrement nos armées, sont forts de la mixité qu'ils revendiquent et pratiquent au quotidien.
Cette mixité est une conquête, et l'institution militaire a toutes les raisons d'en être fière. Elle s'est faite dans le temps long de l'histoire de nos armées.
Cela fait maintenant un siècle, en effet, que des femmes s'engagent pour la France en tant que militaires. Un siècle de réformes, au profit de la parité femmes-hommes et de l'égalité professionnelle. Aujourd'hui, nous mesurons tout le chemin parcouru depuis la loi Paul-Boncour qui autorisa formellement, en 1938, l'engagement des femmes sous les drapeaux en temps de guerre. En 1972, c'est une nouvelle étape qui est franchie, avec la loi portant statut général des militaires, qui supprime les distinctions statutaires entre les deux sexes, et inscrit le principe d'égalité militaire entre les femmes et les hommes de la Défense. La professionnalisation est par la suite un moment décisif pour la féminisation de nos armées, en permettant le renouvellement de la population militaire et de sa physionomie. Le décret du 16 février 1998, enfin, supprime les quotas de recrutement qui limitaient encore l'accès de certains postes aux militaires féminins.
A chaque étape de cette histoire, les armées ont su s'adapter pour garantir un égal épanouissement aux femmes et aux hommes qui ont fait le choix difficile et magnifique à la fois de servir leur pays par sa défense. Chaque armée, chaque service a ainsi intégré des femmes à son rythme, en tenant compte de son histoire, parfois de ses réalités opérationnelles, pour que le progrès que constitue la féminisation de l'institution militaire s'inscrive lui-même dans la longue durée.
Aujourd'hui, la féminisation de nos armées est une réalité vécue par des milliers de Françaises.
Accès aux écoles de sous-officiers de carrière puis d'officiers des armes, professionnalisation des armées, interventions en opérations extérieures : à chaque étape, les femmes font la preuve de leur valeur.
Pilotes, ingénieurs, médecins, convoyeurs de l'air, techniciens, chanceliers, juristes, qu'elles soient militaires ou civiles, à terre, en mer ou dans les airs, les femmes de la Défense servent presque dans tous les domaines, jusque sur les théâtres. Chaque jour, elles démontrent leurs compétences, leur volonté et l'adhésion qui est la leur aux valeurs de l'institution.
Le 6 mars dernier, à l'Hôtel de Brienne, j'ai eu l'occasion de distinguer sept femmes de la Défense, civiles et militaires, sept personnalités d'exception, dont le parcours force l'admiration. A l'image de ces dernières, les femmes de la Défense sont aujourd'hui près de 60 000 – près de 40 % du personnel civil et 15 % du personnel militaire.
En moins de vingt ans, l'armée française est ainsi devenue l'une des les plus féminisées au monde, là où nos voisins anglais et allemands ne comptent respectivement que 10 % et 9 % de femmes dans leurs rangs. Pour nous toutes et tous, c'est un grand motif de fierté.
La féminisation de nos armées reste une exigence qui appelle d'autres conquêtes. Au-delà des chiffres, qui ont déjà leur importance, chaque armée et chaque service s'est engagé à relever ce défi qui est l'un des plus importants qui soient.
L'égalité, c'est l'une des valeurs fondatrices de nos armées, qu'il s'agisse de la solde, de la carrière, de l'accès aux responsabilités. Parce qu'elle est l'une des figures de la Nation, notre Défense se doit d'être exemplaire, et notamment sur le plan de l'égalité professionnelle. Les armées et services ne cessent de s'en rapprocher.
Pour commencer par la Marine, celle-ci a déjà promu deux femmes amirales parmi ses responsables. Ce n'est pas seulement un symbole, puisque c'est à l'une d'entre elles qu'a en effet été confié, en 2012, le commandement supérieur des forces armées en Polynésie française. Alors que la féminisation de l'Ecole navale est récente (1992), la Marine compte aujourd'hui près de 14 % d'effectifs féminins. Parce que l'amplification de ce mouvement doit s'accompagner d'évolutions dans les pratiques, le chef d'Etat-major de la Marine a pris la décision à titre expérimental d'intégrer trois femmes officiers à un équipage de sous-marin nucléaire lanceur d'engins dès 2017 à l'issue d'une sélection des volontaires réalisée dès cette année et après une période de formation initiée en 2015. Ce n'était pas par discrimination que les femmes avaient été jusqu'à présent tenues à l'écart des équipages de sous-mariniers, mais parce que la sécurité et la santé des femmes militaires doivent être garanties dans toutes circonstances. En l'occurrence, cela nécessitait une volonté forte et des études approfondies, mais aussi des moyens, notamment des aménagements, dans lesquels la Marine a fait le choix de s'engager. Cette expérimentation, qui est hautement symbolique, permettra de poser les fondements de la féminisation pérenne des équipages de sous-marins français.
L'Armée de l'air, avec un taux de 22 % de femmes, est l'armée la plus féminisée. C'est là encore le fruit de l'Histoire. L'Ecole de l'air a été la première école d'officiers à s'ouvrir aux jeunes filles. Elle l'a fait dès 1976. A la dernière rentrée, en 2013, l'Ecole comptait ainsi 26 % d'élèves féminins. La féminisation de cette armée concerne tous les niveaux puisqu'elle représente 33 % des militaires techniciens de l'air (MTA) et près de 62 % des volontaires. Aujourd'hui, les femmes sont ici de plus en plus nombreuses à tenir des postes à responsabilités, au sein d'unités opérationnelles, avec des parcours qui s'apparentent à ceux de leurs homologues masculins. Six femmes colonels air ont ainsi commandé une base aérienne ou un détachement air. Les femmes pilotes ont acquis toute leur place dans les escadrons, en outre-mer, au sein des forces aériennes stratégiques comme à la tête de la patrouille de France. Des officiers féminins rejoignent d'ailleurs régulièrement les bancs de l'Ecole de guerre. En 2014, c'est le commandement d'une des quatre escadres de l'Armée de l'air, la première escadre SAMP, qui sera confié à un lieutenant-colonel féminin. A l'été 2015, c'est le commandement de l'escadron Lafayette qui pourrait être féminisé de la même manière.
L'Armée de terre, pour sa part, est forte des 11 600 femmes qu'elle compte dans ses rangs. Leur intégration est le fruit d'une longue évolution, notamment jalonnée par la création des volontaires féminins par le Général de Gaulle, l'ouverture des recrutements de sous-officiers en 1976, puis l'ouverture aux femmes de l'Ecole supérieure militaire de Saint-Cyr, en 1983, la même année que le Prytanée. Depuis 2013, le commandement d'un régiment des forces, le 40ème régiment de transmissions, est assuré par une femme colonel, qui a pris part à l'opération SERVAL au Mali. La mixité commençant sur les bancs de l'école, Saint-Cyr va renforcer, dès cette année et de manière significative, la place des femmes militaires dans son encadrement, en leur confiant notamment des postes de commandants d'unités, et de chef de section en première et deuxième année. En tout, ce sont une douzaine de cadres féminins qui vont occuper des postes d'enseignement et d'instruction, à haute visibilité pour les élèves officiers. En 2015, c'est un bataillon de Saint-Cyr qui sera pour la première fois confié à une femme.
La Direction générale de l'armement, qui compte dans ses rangs 11 des 19 officiers généraux féminins du ministère, a intégré la féminisation depuis longtemps. Elle confie ainsi régulièrement des responsabilités à des femmes, comme elle l'a fait en 2013, en donnant à une ingénieure le commandement d'un centre d'expertise de renommée mondiale dans le domaine de la lutte contre les menaces biologique et chimique. De la même manière, c'est une officier général très expérimentée, Caroline GERVAIS, qui s'est vu confier le pilotage du projet Louvois II.
Avec 59 % de femmes et 40 % de femmes parmi les officiers, le Service de santé des armées connaît depuis toujours une féminisation importante. A plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de rencontrer une femme hors du commun qui a servi dans ses rangs, le médecin général inspecteur Valérie ANDRE, première femme brevetée pilote d'hélicoptère militaire, première femme nommée officier général. Dans la lignée de ce symbole, la part des femmes du SSA projetées en OPEX est aujourd'hui très importante : elle atteint 42 %. Les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à venir renforcer le vivier des hauts potentiels du Service, se voient confier davantage de postes à responsabilité. C'est ainsi qu'un – et bientôt un deuxième – des neuf Hôpitaux d'instruction des armées sont dirigés par des femmes.
Le corps des commissaires compte lui 27 % de femmes, avec plus de 50 % de recrutements féminins l'an dernier ! La création des centres experts en 2014 permettra à la parité d'être ici complète, puisque trois de ces six centres seront dirigés par des femmes.
J'en viens pour finir aux personnels civils. Leur taux de féminisation est aujourd'hui de 38 %, avec 25 000 agents, et 25 % des cadres de niveau 1. Ce dernier chiffre est en constante progression. Le ministère fait un effort réel, spécifique, sur l'encadrement supérieur. Il s'efforce en effet de constituer un vivier de hauts potentiels féminins, pour répondre aux obligations de nominations paritaires fixées par la fonction publique.
Je ne mentionne pas ici la gendarmerie qui a fait l'objet d'un plan dédié et d'une annonce de Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, le 7 mars dernier.
Au même titre que les hommes qui occupent des postes à responsabilité au sein du ministère et des armées, toutes ces femmes, tout au long de leur carrière, se sont distinguées par l'excellence de leurs compétences et la valeur de leur engagement. Les fonctions auxquelles elles ont accédé, elles les doivent d'abord à leur mérite – leur volonté, leur détermination, pour beaucoup leur courage. Devant vous, je veux saluer toutes celles et tous ceux – je pense notamment au commandement – qui accompagnent et encouragent cette formidable dynamique.
Depuis près de deux ans, j'ai pris ma part de ce défi. Selon ma méthode, j'ai engagé le ministère dans une politique volontaire et pragmatique, pour continuer de faire avancer l'égalité professionnelle. C'est le sens du plan que j'ai annoncé dès le premier comité interministériel aux droits des femmes. Pour piloter cette feuille de route, j'ai nommé dès septembre 2012 un haut fonctionnaire à l'égalité des droits, Françoise GAUDIN. Auprès du Secrétaire général pour l'administration, elle mène un travail remarquable, en conduisant notamment, avec l'ensemble des armées, les travaux de l'Observatoire pour la parité que j'ai installé en décembre dernier.
En un an et demi, nous avons mis en œuvre un certain nombre d'avancées concrètes, mais nous devons aller plus loin. En relation avec les travaux interministériels menés sur ce sujet, j'avais souhaité qu'un état de la féminisation de la Défense puisse être dressé. A cette fin, le contrôleur général CHEVALLIER a réalisé une enquête sur l'égalité des femmes et des hommes de la Défense. Ses résultats m'ont été transmis il y a un mois. De son côté, le Haut Comité à l'évaluation et à la condition militaire (HCECM), que je salue également, a consacré son rapport 2013 aux femmes militaires.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les femmes qui accèdent aux responsabilités, y accèdent dans les mêmes conditions que les hommes, par la reconnaissance de leurs compétences. Un vivier existe ; il est en train de se développer au fur et à mesure de l'avancée des femmes qui sont issues des premières promotions des écoles d'officiers.
Pour cette raison, si nous comptions 19 femmes sur 531 officiers généraux à la fin de l'année 2013, c'est-à-dire 3,5 %, nous en compterons 5 % en 2017 et 7 % en 2019. C'est une évolution naturelle et légitime dont nous nous félicitons.
Je sais que certaines armées, certains services, se sont dotés d'outils statistiques pour suivre et piloter les carrières féminines. Sur ce point, je souhaite renforcer le mandat de l'Observatoire de la parité. Je veux lui confier la responsabilité de constituer un tableau de bord des carrières féminines, avec des indicateurs pour :
- mesurer, d'abord, l'accès des femmes aux étapes clés de la carrière : diplôme d'état-major, école de guerre, CHEM… ;
- suivre, ensuite, l'ancienneté moyenne pour l'accès aux grades d'officier supérieur ;
- évaluer, également, la parité à l'avancement ;
- enfin, identifier et analyser les étapes et motifs de sortie des femmes de l'institution et les reconversions qui leur sont offertes.
Je souhaite que ce tableau de bord soit prêt dans les meilleurs délais, pour que les premières analyses soient conduites et que des propositions me soient faites pour septembre 2014. Tout l'enjeu, c'est de lever les freins qui pèsent encore sur les carrières féminines. Avec une meilleure visibilité, nous ciblerons mieux les difficultés ; nous serons de la même manière plus efficaces dans nos actions correctives. Bien comprendre pour mieux agir : voilà le sens de l'action que j'entends poursuivre au profit de l'égalité professionnelle au sein du ministère et des armées.
Il en va de même pour cette autre question grave, celle du harcèlement, des discriminations et des violences faites aux femmes de la Défense.
La feuille de route que j'ai donnée au Haut-fonctionnaire à l'égalité des droits posait déjà cette question, en demandant d'engager des travaux pour identifier, caractériser et lutter contre ces agissements.
Le rapport du contrôleur général CHEVALLIER, sur la féminisation des armées, suggérait qu'une étude plus approfondie soit rapidement menée, et c'est précisément le mandat que j'ai confié au contrôleur général DEBERNARDY et à l'inspecteur général des armées BOLELLI.
Les agissements dont nous parlons ici, et quel que soit leur nombre, sont absolument intolérables, ici comme ailleurs, ici sans doute encore plus qu'ailleurs, tant les armées ont vocation à être exemplaires, tant l'honneur est la vertu cardinale du militaire, et la fraternité d'armes une exigence absolue.
Il serait faux de prétendre que ce rapport succède à une période de déni. Ce n'est pas une réalité que nous découvririons aujourd'hui. Nous savions que des cas existent ; ils sont totalement inacceptables. Ces cas sont rares, mais un seul cas est déjà un cas de trop. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, dans ce domaine, il n'y a qu'une politique qui vaille, celle de la tolérance zéro.
Je voudrais faire ici une série de remarques.
J'ai entendu évoquer une supposée omerta institutionnelle. Pour ma part, et c'est ce que confirme le rapport, je n'en vois pas la trace. Il y a néanmoins de réelles difficultés, dont le commandement est conscient. Il n'a d'ailleurs pas attendu que certains de ces agissements se retrouvent sur la place publique pour passer à l'action. Nombre des propositions du rapport ont été suggérées par lui.
Comme dans le reste de la société, les victimes de tels actes n'osent pas toujours les dénoncer. On estime qu'en France, dans les cas graves de viols et d'agressions sexuelles, un cas sur sept seulement fait l'objet d'une plainte. Ici aussi, la parole est difficile pour les victimes, et nous devons les encourager dans cette démarche. A cet égard, je note que la proximité et la vigilance du commandement sont souvent à l'origine des plaintes.
Les cas les plus graves, ceux que je viens de citer, sont les plus rares. Le retour d'expérience qui nous est fait montre qu'ils sont aussi les plus clairement identifiés, ceux qui sont le plus souvent signalés. Dans ces cas-là, l'information remonte. Le commandement les gère sur un plan humain : il fait le plus souvent preuve de sévérité et de responsabilité. Mais il se trouve parfois démuni sur un plan plus administratif, hésitant sur la conduite à tenir, car les procédures sont complexes. Elles sont pourtant fondamentales, quand on sait combien l'orthodoxie des enquêtes garantit ensuite la solidité juridique des sanctions. Agir en pareille situation est nécessaire, parfois vital, et cependant bien délicat. Faire la lumière sur les faits, enquêter rapidement, rechercher des preuves lorsque l'agresseur présumé nie ce qui s'est passé, s'assurer que l'on n'accuse pas à tort : certaines situations ne sont pas toujours incontestables ou flagrantes. Je ne veux pas que le commandement se sente seul devant ces situations. L'accompagner, en matière de droit, en matière de gestion humaine, depuis le signalement jusqu'à la sanction, c'est rendre service à la victime autant qu'à l'institution. Ici, je veux dire mon soutien à certains officiers qui se sont vu récemment reprocher – à tort – d'avoir mal géré une situation éminemment délicate. S'ils avaient été mieux accompagnés, nous aurions pu éviter la mise en cause infondée dont certains ont fait l'objet.
Les cas de harcèlement, quant à eux, sont plus difficiles à qualifier ; ils peuvent se rencontrer à tous les niveaux de la hiérarchie. La lutte contre ces situations insidieuses, dont l'évolution lente génère de profondes souffrances au travail, est plus complexe ; elle appelle un travail de fond et des enquêtes qui se font souvent « hors hiérarchie ». Là encore, je n'ai pas vu d'omerta, mais des difficultés réelles, dont nous devons nous saisir avec rigueur et détermination.
Sur la base de ce rapport, j'ai donc pris plusieurs décisions, qui sont autant de mesures concrètes pour mieux lutter contre ces agissements. Le mandat des rapporteurs portait sur trois axes : la prévention, la transparence et la sanction. Il faut en ajouter un quatrième, l'accompagnement, par lequel je voudrais commencer maintenant.
Notre devoir premier, c'est que le ministère accompagne les victimes, en commençant par les aider à sortir du silence. Cette responsabilité incombe à chacun d'entre nous. C'est en effet un devoir, pour un fonctionnaire comme pour un militaire, de dénoncer des faits graves dès qu'ils en ont connaissance. Mais pour inciter les victimes à parler, elles ont besoin de pouvoir se tourner vers une personne de confiance. Le référent mixité – lorsqu'il y en a un –, le président de catégorie, la hiérarchie, tous doivent être à l'écoute des signaux, des confidences. Cependant, lorsque la souffrance est trop lourde pour elles, les victimes ont besoin de parler à un tiers. La victime, qu'elle soit militaire ou fonctionnaire du ministère, a le droit comme toute victime de se tourner vers une association agréée par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF). Pour cette raison, les coordonnées de ces associations doivent être disponibles et affichées dans les bureaux, les unités et tous les lieux de vie. Mais je veux également offrir aux victimes un accompagnement supplémentaire. Nous avons, au sein du ministère, la ressource et la compétence médicale et psychologique pour les accompagner. C'est pourquoi j'ai décidé de confier au réseau interne de psychologues ECOUTE DEFENSE, qui sont disponibles 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7, le soin de recueillir les souffrances de ces victimes, hommes et femmes, et de les aider à sortir du silence.
J'ai également décidé de mettre en place une cellule spécialisée de vigilance et d'accompagnement, qui s'appellera THEMIS, du nom de la déesse grecque de la justice et de l'égalité. Cette cellule va être rattachée au Contrôle général des armées. Par ses statuts, le Contrôle est responsable de la sauvegarde des droits des personnes. Il dispose d'une expertise solide, en droit social, civil comme militaire, en ressources humaines, et d'une maîtrise des procédures contentieuses internes comme externes. La cellule THEMIS accueillera les signalements directs, par mail, par appel de la victime à ECOUTE DEFENSE, d'un collègue ou d'un témoin, et les prendra en charge. Dans un format d'équipe d'enquête, elle proposera au pouvoir disciplinaire des mesures conservatoires et, le cas échéant, des sanctions. La cellule THEMIS sera aussi compétente pour conseiller les militaires ou les agents qui leurs signaleront des faits dont ils ont été témoins, en conformité avec le devoir de signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.
Dans le cas d'un signalement EVENGRAVE, la cellule THEMIS sera également chargée de vérifier la mise en œuvre de mesures conservatoires de protection de la victime. Elle pourra conseiller le commandement sur les procédures disciplinaires et les sanctions adaptées. Le cas échéant, elle signalera l'EVENGRAVE à l'inspecteur d'armée, à l'inspecteur du personnel civil ou aux inspecteurs généraux des armées, pour conduire ou accompagner l'enquête qui déterminera dans le délai de quatre mois la sanction adaptée, indépendamment de l'éventuelle procédure judiciaire.
Enfin, la cellule pourra aussi se saisir des cas qu'elle viendrait à recenser sans en avoir eu connaissance par saisine directe ou EVENGRAVE.
Dans tous les cas de figure, elle sera chargée d'informer la victime et de s'assurer des conditions de la poursuite de son parcours professionnel.
Je souhaite que cette cellule soit mise en place sans délai. Je charge donc le contrôleur général DEBERNARDY d'installer cette structure, et de lui affecter les moyens humains et techniques pour qu'elle fonctionne le plus rapidement possible, en liaison étroite avec le collège des Inspecteurs généraux des armées. Sa visibilité et son accessibilité doivent être garanties : il y a aura une page web dédiée sur le site du ministère, ainsi que des outils sur l'intranet, pour permettre un accès direct aux informations nécessaires comme à la cellule elle-même.
Concernant maintenant la prévention du harcèlement, des discriminations et des violences faites aux femmes au sein de nos armées, j'engage un travail dans quatre directions :
J'ai demandé que le harcèlement soit désormais inscrit en toutes lettres dans le code de la défense, et proscrit. Il n'y figurait pas, cela manquait. Ce manque sera comblé dans la loi aujourd'hui même. En effet, le Gouvernement, à mon initiative et par la voix de ma collègue Najat VALLAUD-BELKACEM, s'apprête à proposer devant les sénateurs un amendement au projet de loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Cet amendement complète le code de la défense avec les mêmes dispositions en matière de lutte contre le harcèlement moral et sexuel que celles qui figurent au statut des fonctionnaires. Cela assure ainsi aux militaires les mêmes garanties que tous les autres agents de l'Etat. Mais je veux aller plus loin : demain, les faits de harcèlements ouvriront droit à la protection juridique pour la victime. Comme ce sera d'ailleurs le cas pour les fonctionnaires, ainsi que le prévoit le nouveau projet de loi sur la fonction publique bientôt présenté devant le Parlement. Dans le même esprit, l'interdit qui pèse sur les actes de harcèlement, de discriminations et de violences sera inscrit dans le Code du Soldat, qui sera à cette occasion généralisé à l'ensemble des armées et des services du ministère, sous la forme d'un Code de déontologie.
Dans le même temps, j'ai décidé de renforcer la formation et la sensibilisation sur ces questions qui sont cruciales pour notre collectivité. Des actions de formations ciblées pour le commandement, les présidents de catégories, les référents mixité et les acteurs sociaux leur permettront de mieux connaître les procédures, ainsi que les droits et obligations des personnels militaires et civils. Un guide de procédures sera d'ailleurs élaboré et diffusé à cette fin. L'objectif, c'est bien sûr ici de mieux identifier, accompagner, mais aussi traiter et sanctionner ces cas de harcèlement et de violences.
La prévention, c'est aussi préserver l'intimité du personnel féminin comme masculin dans les lieux de vie. C'est ainsi éviter de créer des situations de promiscuité qui favorisent les risques de dérapage. Dans cette perspective, je veux que des mesures concrètes soient prises pour organiser la mixité dans les locaux de vie. Je ne méconnais pas ici les difficultés qui se présentent, mais la mixité est une question majeure ; elle doit donc être prise en compte lors de la rénovation des infrastructures, avec en particulier la séparation des sanitaires mais aussi des chambrées.
La prévention, enfin, doit impérativement commencer dans nos Ecoles, dès la formation initiale. Il faut y prévoir une sensibilisation au respect de la mixité. Les chefs d'états-majors, dont relèvent ces écoles, sont conscients des difficultés qui peuvent s'y rencontrer. Ils en ont pris la mesure, en actant des décisions grande fermeté pour traiter ce problème réel de discrimination. Je consacrerai un moment spécifique à leur annonce, car la réalité de nos écoles est d'une autre nature et appelle des mesures particulières. Je me rendrai prochainement dans l'une de nos écoles militaires à cette fin.
J'en viens à la transparence, qui est également une nécessité. Il n'y a pas d'omerta, je l'ai dit, mais il n'y a pas non plus de visibilité suffisante.
Je souhaite donc que la remontée d'information soit clarifiée. Je donnerai bientôt des directives de procédures, pour le signalement de faits par le dispositif EVENGRAVE : description et qualification des faits ; prise en compte des dommages psychologiques dans les dommages subis ; mesures conservatoires pour protéger la victime ; état clair d'avancement de la procédure disciplinaire à la date du signalement. Tout cela doit être clairement pris en compte et, si c'est le cas, doit figurer dans les EVENGRAVE pour permettre un meilleur suivi.
Je demande ensuite que nous consacrions les moyens nécessaires à la production de statistiques, qui sont indispensables dans ce domaine. La cellule THEMIS, je l'ai dit, sera chargée de recenser l'ensemble des signalements ; elle assurera également une veille sur leurs suites disciplinaires et éventuellement judiciaires, ainsi que leurs suites professionnelles, auprès des différents services compétents du ministère (commandement, DRH, affaires pénales militaires, prévôté…). Elle transmettra l'ensemble de ces données au Haut-fonctionnaire à l'égalité des droits qui, en lien avec l'Observatoire de la parité, les complètera éventuellement et fournira annuellement des statistiques sur les faits de harcèlement et de violences commis au sein de la Défense. Ces statistiques figureront dans le bilan social du ministère et seront présentées à nos instances de concertation et de dialogue social.
Enfin, il nous appartient de sanctionner, lorsque de tels actes sont avérés. La règlementation prévoit ici un large éventail de sanctions ; il nous revient d'y recourir. Il n'y a plus de barème, car l'objectif était d'avoir des sanctions qui soient individualisées et non le résultat d'une automaticité qui est absurde, certes. Mais avec le développement des services interarmées, les différences entre les pratiques disciplinaires des armées et services deviennent difficilement compréhensibles. La visibilité au niveau ministériel, transversal, qui sera celle de la cellule THEMIS, permettra ici une harmonisation progressive des pratiques disciplinaires.
Je veux profiter de cette occasion pour clarifier dès à présent deux éléments de notre politique disciplinaire. D'abord, les sanctions disciplinaires sont la responsabilité de l'institution ; elles sont administratives et indépendantes ; elles ne sauraient donc être suspendues aux procédures judiciaires. Le ministère et les armées doivent prendre leurs responsabilités : ce qui n'est pas tolérable pour la société, en étant passible de sanctions pénales, l'est encore moins pour notre institution. Je rappelle ici que les sanctions disciplinaires doivent être prises et notifiées dans un délai maximum de quatre mois suivant le signalement des faits. Ensuite, seules des sanctions de groupe II ou III peuvent être appliquées pour les actes de violence et d'agression sexuelle. Je sais la complexité des situations que le commandement peut rencontrer – je l'ai dit tout à l'heure. Prendre de telles décisions, dans de pareilles circonstances, n'est jamais évident. C'est pourquoi la vocation de la cellule THEMIS, c'est aussi d'apporter un appui au commandement, pour qu'il ne se sente plus isolé, notamment sur la question des sanctions.
Les cas de harcèlement, de discrimination et de violences faites aux femmes de la Défense, quel que soit leur nombre, constituent un défi douloureux pour nous tous dans la formidable avancée de l'égalité professionnelle au sein du ministère que j'ai décrite tout à l'heure.
Nos armées, qui peuvent à juste titre s'enorgueillir d'être exemplaires dans de nombreux domaines, ont vocation à l'être aussi dans celui-ci. Le combat que nous menons ensemble continue, pour faire progresser la féminisation de notre institution, et je sais pouvoir compter sur la mobilisation de tous pour mettre en œuvre au plus vite les mesures que je viens d'indiquer.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 avril 2014