Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les relations et la coopération franco-gabonaises, la conférence mondiale de l'ONU sur le racisme à Durban, la situation dans la région des Grands Lacs, au Burundi et en Côte d'Ivoire, la dette du Gabon, la question de réparations du colonialisme, la lutte contre le racisme et l'esclavage, Libreville, Gabon, le 4 septembre 2001.

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Circonstance : Voyage de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à Libreville, Gabon, le 4 septembre 2001

Texte intégral

Il pouvait être opportun de faire étape à Libreville pour y rencontrer notamment le président Bongo. J'ai eu la chance, puisqu'il était à Franceville, de pouvoir ainsi découvrir cette autre ville gabonaise et j'ai pu donc, hier, avoir un long entretien avec le président puisqu'il a bien voulu me garder à déjeuner, nous avons même repris la discussion ensuite.
Que vous dire ? Vous savez l'étroitesse des liens qui unissent le Gabon et la France ; vous savez que notre coopération y est très soutenue, qu'elle s'est trouvée renforcée en quelque sorte, par le retour au Gabon de l'Agence française de développement, depuis bientôt un an. Le dialogue politique entre les responsables gabonais et les responsables français est également très serré, ce qui nous permet d'avoir souvent des vues convergentes sur les grandes questions internationales, et singulièrement sur tout ce qui concerne l'Afrique.
C'est ainsi que j'ai pu évoquer longuement avec le président la situation des Grands Lacs, ce qui a été pour moi d'ailleurs, l'occasion de dire au président combien nous apprécions le rôle qu'il joue dans la recherche de la paix dans ces pays, et je pense singulièrement au Burundi, où il s'est beaucoup investit, et il y a besoin de continuer cet investissement, car nous ne sommes pas tout à fait sortis des difficultés.
Nous avons évoqué, puisque j'arrivais de Durban, la situation de l'Afrique australe, et de quelques pays en particulier, je pense au Zimbabwe, qui, dans la période actuelle, appelle évidemment une attention particulière. Nous avons parlé aussi, bien sûr, de Francophonie, puisque la préparation du Sommet de Beyrouth est entrée dans une phase active. Bref, voyez que nous avons fait un large tour d'horizon, sans oublier, j'aurais pu y insister davantage évidemment, quelques dossiers qui intéressent plus particulièrement la coopération bilatérale, qu'il s'agisse de la question de la conversion de créances en investissements, question à laquelle le président est très attentif et son gouvernement avec lui, qu'il s'agisse de quelques dossiers peut-être plus spécifiques, je pense au problème des communications, un dossier que nous voulions examiner également ensemble.
Sur tous ces points, je le répète, j'ai pu mesurer qu'il y avait une très large convergence dans nos analyses, et j'ai eu l'occasion de dire au président Bongo que nous avions conscience des efforts entrepris notamment pour améliorer la situation des finances publiques, l'accord avec le FMI en était un témoignage, mais c'est aussi une obligation en continu.
Voilà, j'ai bien sûr aussi - j'aurais pu parler de ça - évoqué Durban puisque j'arrivais de cette conférence, qui, vous le savez, peine à progresser vers le résultat qu'on en attendait, c'est à dire une mobilisation universelle contre le racisme. Et les positions sur le Proche-Orient, ou la question des réparations, mais à moindre degré, ont provoqué un certain nombre de crispations. Les Etats-Unis et Israël ont fait le choix de partir dès hier. L'Union européenne, sous la conduite de son président, c'est à dire le vice-Premier ministre belge, Louis Michel, ministre des Affaires étrangères de Belgique, continue en ce moment même les discussions pour essayer d'arriver à un accord qui, il faut en convenir, semble, pour l'instant, encore un peu éloigné. Il est convenu que, demain matin, une dernière rencontre aurait lieu à 11 heures. Je vais d'ailleurs, dans quelques instants, me mettre en rapport avec Louis Michel, je vais l'appeler à Durban pour faire un dernier point avec lui, et moi, de Paris où je vais maintenant, je pourrai demain rentrer en quelque sorte dans le débat plus directement et apprécier l'attitude que la France doit prendre, mais nous souhaitons que l'Union européenne, dans cette affaire, ait une position cohérente, nous allons en tout cas y veiller. Si nous devions constater l'échec, ce serait avec beaucoup de regret, mais on ne pourra pas, en tout cas, reprocher à la France de n'avoir pas tout fait pour participer à un bon résultat de cette conférence.
Voilà ce que je voulais dire et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, ainsi que Monsieur l'Ambassadeur Selz. Je remercie évidemment le ministre Ping d'avoir bien voulu faire un dernier bout de chemin jusqu'à mon avion et d'être avec nous ce matin.
Q - Monsieur le Ministre, merci. La presse gabonaise est très heureuse de vous recevoir ce matin. Vous avez discuté avec le président Bongo au sujet de la crise des Grands Lacs. Quel rôle concrètement le président Bongo doit-il jouer et comment le faire, puisque officiellement, il n'est pas médiateur ?
R - Nous avons en effet évoqué cette question, vous comprendrez que je ne vous livre pas forcément les détails de ce que nous avons dit à ce propos, sauf à rappeler que le président Bongo ne souhaite pas s'imposer dans cette discussion, qu'il est disponible pour jouer un rôle que nous croyons positif dans tout cela, mais c'est évidemment aussi le choix des pays concernés, des Nations unies et de l'OUA, dont nous pensons qu'elle a un rôle important à jouer.
S'agissant du Burundi, où le président Bongo a joué un rôle encore un peu plus actif, en coordination, d'ailleurs, avec le président Nelson Mandela, je peux confirmer la même disponibilité du président Bongo, mais bien entendu, son rôle dépend de l'acceptation, en quelque sorte, des différents acteurs de ce conflit, mais la France en tout cas, j'y insiste, souhaite que le Président Bongo puisse continuer à s'investir dans ce dossier.
Q - Vous allez rencontrer le président du Forum ivoirien de réconciliation internationale. (Inaudible). Quelle lecture faites-vous de la situation en Côte d'Ivoire, et notamment pour le cas Alassane Dramane Ouattara ?
R - J'attends de l'entretien que j'aurai avec M. Diarra, demain matin, d'actualiser ma connaissance de la situation ivoirienne, et, en particulier, de la position qui est celle de deux acteurs importants dans le paysage ivoirien que sont l'ancien président Bedié et M. Ouattara, que M. Diarra doit rencontrer aujourd'hui. J'attends donc de notre entretien demain qu'il puisse me dire comment ces deux acteurs vont ou non rentrer, en quelque sorte, dans la partie. Vous savez que la France suit avec une attention très soutenue, presque douloureuse, l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire. J'observe, et j'en ai parlé avec plusieurs responsables africains, qu'aujourd'hui, le président Gbagbo est reconnu dans sa pleine autorité par l'ensemble de ses pairs, que chacun s'accorde à reconnaître qu'il faut lui donner du temps pour sortir la Côte d'Ivoire d'une situation économique qui demeure préoccupante, et qui doit préoccuper non seulement les Ivoiriens, mais aussi, l'ensemble des Africains, et la France, bien évidemment. J'ai eu l'occasion de m'entretenir à plusieurs reprises avec le président Gbagbo de cette question et je le répète, il m'intéresse beaucoup de savoir les intentions en particulier d'Alassane Ouattara par rapport à ce nécessaire dialogue entre ivoiriens. C'est une question, à mes yeux, tout à fait centrale.
Q - (inaudible)
R - Je dois tout de suite dire que c'est ce que nous faisons. Nous ne pouvons pas changer à nous seuls un certain nombre de règles, notamment en ce qui concerne la question des statistiques et l'appréciation des critères que la communauté internationale retient pour classer les pays dans les catégories que vous savez. Nous sommes très conscients que le rôle que joue le pétrole dans l'économie gabonaise est susceptible de fausser ces appréciations, certains critères. Mais c'est une donnée que la France à elle seule ne peut pas changer. Je pense aux critères que l'OCDE, en particulier, a mis en place. Il y a une autre question à laquelle l'ancien élu local que je suis est attentif, c'est celle de la disproportion entre la population et le territoire. Diviser les revenus par la seule population sans tenir compte de l'étendue du territoire fausse, en quelque sorte la réalité économique, la perception qu'on peut en avoir. C'est une des questions que nous avons engagées dans nos discussions avec le FMI et, plus généralement, les institutions financières internationales, encore faut-il arriver à les convaincre qu'un pays qui a un grand territoire a nécessairement des charges par habitant sensiblement plus élevées également. C'est une question dont j'ai eu l'occasion de discuter souvent avec le président Bongo, avec le ministre Ping, y compris lorsqu'il avait d'autres responsabilités, plus financières, et d'aménagement, mais je crois qu'il nous faut continuer à aller dans cette direction, car nous avons besoin d'avoir une appréciation plus précise.
Cela étant dit, la question de la dette du Gabon n'a pas pour autant été négligée. Au club de Paris, qui est l'organe où les créanciers se concertent, un effort important a été accompli pour aménager et réduire l'intérêt de la dette, qui produit, par an, environ 100 millions de francs au moins - ce n'est pas négligeable dans la charge de la dette gabonaise - et puis il y a cette question de la conversion en investissements d'un certain nombre de créances, mais encore faut-il que ce soient des investissements réalisés.
Q - Avez-vous évoqué les dossiers d'Africa numéro 1 et de la Sofirad ?
R - La question a été évoquée. J'ai fait de nouvelles propositions. Le ministre d'Etat compétent a été invité par le président Bongo à répondre très vite à ces nouvelles propositions que le ministre a bien voulu considérer comme étant une avancée très significative vers la voie d'une solution susceptible de réunir les deux parties. Donc je suis très optimiste quant à l'issue de cette "affaire", qui n'est pas un vrai contentieux. Mais je crois qu'on a tardé à trouver une solution, je crois qu'elle est en route.
Q - Et avez-vous évoqué Durban ?
R - Bien sur, et l'intervention que j'ai prononcée au nom de la France a mis en évidence que le colonialisme et l'esclavagisme s'étaient en quelques sorte additionnés. Je ne veux pas réduire le colonialisme seulement à ses excès, aux violences qu'il aurait produites, mais il est vrai qu'il a modifié les structures économiques, politiques, des pays concernés, aussi faut-il avoir la volonté de regarder en face notre propre passé. Cela étant dit, la question des réparations renvoie à une question à la fois de responsabilité (et il y a eu beaucoup d'acteurs, je pense à l'esclavagisme en particulier), à la question de l'identification des victimes ou de leurs descendants, qui n'est pas chose forcément très facile et on peut redouter que, pris comme certains l'ont voulu, ce concept de réparations pourrait faire la fortune des cabinets d'experts ou d'avocats, qui mettront une bonne dizaine d'années avant de répondre à toutes ces questions et qui auront, entre temps, fait beaucoup d'argent. Je ne crois pas que ce soit l'objectif que nous poursuivions les uns et les autres, et moi, la conclusion que je tire de tout cela, c'est que nous devons en effet accroître sensiblement l'effort de solidarité en direction des pays concernés. Il y a la question de l'APD, il y a la question de la dette, il y a la question du commerce, et un commerce international qui ne doit pas se satisfaire seulement d'un principe de liberté mais qui doit aussi être capable d'intégrer des mesures de discrimination positive. Car la liberté du commerce entre ceux qui produisent et ceux qui ne produisent pas, je ne suis pas sur que ça produise forcément toujours de l'équité. Et c'est une question qui me paraît se poser avec brutalité depuis Seattle. Il faut prendre la mesure de ce nouveau contexte dans lequel nous nous trouvons.
La mondialisation soulève un certain nombre de questions fortes, en particulier la question de la relation Nord-Sud, avec une force qu'on n'avait peut être pas connue ou qu'on avait peut-être sous estimée précédemment. C'est comme ça que le concept d'appui au développement doit être considéré comme procédant à la fois d'une idée bien comprise de la solidarité internationale mais aussi en se souvenant de notre histoire. Ca, ça me paraît tout à fait normal et on a évoqué le plan pour la paix, l'initiative pour la paix, j'ai eu l'occasion d'en parler avec le président Wade, puisque vous savez qu'il est à l'origine de ce plan Omega, qui est venu en quelque sorte compléter, enrichir, la réflexion que les présidents sud-africain, nigérian et algérien avaient eue de leur côté. Il est prévu d'ailleurs, je crois que nous aurons l'occasion d'en reparler à Dakar dans quelques temps. Moi, je pense que cette volonté exprimée par les Africains de définir une stratégie de développement eux-mêmes doit nous inciter à être encore davantage à leurs côtés, car cela peut donner plus de cohérence, en quelque sorte, à l'aide qui, jusqu'à présent, il faut bien le dire, n'a pas toujours eu l'efficacité qu'on attendait. Et je crois que cette stratégie que les Africains sont en train de définir eux-mêmes peut, de ce point de vue, donner, je le répète, plus de cohérence à l'aide que nous devons apporter.
Q - (inaudible)
R - Pardonnez-moi mais c'est important là, la remarque de M. l'Ambassadeur. Notre solidarité en direction de l'Afrique, en particulier, doit aussi s'exercer en ce qui concerne le maintien de la paix, parce qu'une bonne manière d'aider le développement, c'est d'aider la paix à se rétablir et de ce point de vue, vous savez que, dans le cadre des Nations unies en particulier, beaucoup d'efforts sont déployés qui vont dans cette direction, et là encore, l'ensemble des pays industrialisés doit se sentir comptable, en quelque sorte, de cette paix au sud. C'est un préalable important.
Q - Dans le même ordre d'idées, la question de réparations financières, qui semble aujourd'hui constituer la pierre d'achoppement, c'est vrai que l'aide publique au développement est l'aide traditionnelle de l'Union européenne et de la France en faveur de l'Afrique, mais ce que les Africains veulent aujourd'hui, c'est la réparation, la reconnaissance de ces crimes contre l'humanité mais surtout en termes d'excuses et de condamnation.
R - Ecoutez, moi je peux, me référant à Durban, puisque j'y étais, il y a encore 48 heures, rappeler que, s'agissant de l'esclavage, la France, pour l'instant, est le seul pays qui ait posé un acte politique fort. Nous sommes les seuls à avoir reconnu que la traite était un crime contre l'humanité. Pour l'instant, les autres n'ont pas encore fait cet effort et je souhaite qu'ils le fassent.
En ce qui concerne la question des excuses, puisque le problème a été posé, vous savez que l'on s'est interrogé : regrets, excuses. Nous étions prêts à retenir, pour notre part, la formule qui avait été proposée par la présidence belge de l'Union européenne, qui était que la conférence de Durban, au nom de tous ceux qui avaient perpétré ces atteintes à la dignité, présente ses excuses. Cette formule avait l'intérêt d'englober, j'allais dire, tous ceux qui ont une part dans ces responsabilités. Vous savez bien que, dans tout cela, si nous avons la nôtre, nous ne sommes pas seuls. Nous étions prêts, si vous voulez, à nous rallier à ces dispositions, nous le sommes toujours mais, il semble que les discussions d'hier ont montré que cette formule n'était pas de nature à satisfaire ceux qui négocient, notamment pour le compte des Africains, d'où les nouvelles discussions prévues aujourd'hui. On va bien voir. Je le répète, moi j'ai voulu montrer la volonté de la France d'aller le plus loin possible dans la relation avec les Africains pour des raisons faciles à comprendre. J'espère encore que ce dialogue pourra produire ses effets et j'espère en particulier que la question du Moyen-Orient ne va pas bloquer, en quelque sorte, les espoirs qu'on avait mis dans cette conférence de Durban. Il est vrai que, quand son principe a été décidé, il y a 5 ans, l'actualité du Proche-Orient n'était pas celle d'aujourd'hui. C'est le processus de paix qui s'enclenchait, vous vous en souvenez, donc on pouvait être optimiste ; malheureusement la situation est un peu plus compliquée aujourd'hui.
Q - (inaudible)
R - Bien il est clair que, dès à présent, l'absence des Etats-Unis et d'Israël, en tout état de cause, rétrécit la portée de cette conférence. Cette lutte contre le racisme avait du sens si c'était une mobilisation générale, sachant que la réalité du racisme, encore aujourd'hui, interpelle pratiquement chaque pays. Voilà ce que je peux en dire et nous regrettons ce départ, mais bon, l'Union européenne a sa propre analyse de ces dossiers, elle est souveraine en quelque sorte dans ses choix et j'ai en effet, en liaison avec la délégation française qui est là-bas, souhaité que nous puissions, jusqu'au bout, essayer quand même de renouer le dialogue pour avoir un résultat qui ne sera pas exactement ce que l'on en attendait mais qui aurait pu, quand même, être un plus dans la mobilisation nécessaire contre le racisme, la discrimination, y compris les nouvelles formes de discrimination, que ce soient celles qui sont liées aux nouvelles techniques de communication et le risque qu'Internet propage des théories qui sont totalement inadmissibles (discrimination raciale au moment de la peine de mort - et certains pays peuvent être plus montrés du doigt que d'autres -, discrimination auxquelles l'opinion est sensible aujourd'hui, du fait des orientations sexuelles, par exemple, sans parler de la discrimination dont les femmes et les enfants sont quelques fois victimes). Tout ceci correspond à des réalités d'aujourd'hui. Autrement dit, Durban c'était à la fois exorciser le passé, c'est important, mais c'est surtout pour parler du présent et de l'avenir, et c'est cela qui me fait regretter d'autant plus ce risque d'échec que l'on voit se profiler./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 septembre 2001)