Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, à "RTL" le 28 avril 2014, sur les enjeux liés au rachat de l'entreprise Alstom.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

LAURENT BAZIN
Jean-Michel APHATIE, vous recevez donc ce matin le ministre de l'Economie et du Redressement productif, Arnaud MONTEBOURG.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le conseil d'administration d'ALSTOM a décidé hier soir d'attendre un peu, 48 heures, jusqu'à mercredi matin, avant de trancher entre les offres de rachat de ses activités énergétiques, formulées d'une part par l'américain GENERAL ELECTRIC et d'autre part, par l'allemand SIEMENS. Comment allez-vous utiliser ces 48 heures, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien d'abord, à défendre les intérêts de la France, les intérêts industriels, les intérêts de ses employés...
JEAN-MICHEL APHATIE
Comment on les défend, dans ce dossier ?
ARNAUD MONTEBOURG
... et ses intérêts de souveraineté. D'abord, nous avons multiplié pendant ces derniers jours, et ces dernières heures, un certain nombre d'initiatives. La première, c'est de refuser le fait accompli. Il n'est pas acceptable...
JEAN-MICHEL APHATIE
Refuser que GENERAL ELECTRIC rachète...
ARNAUD MONTEBOURG
Refuser qu'ALSTOM, en trois jours, décide de vendre 75 % d'un fleuron national, dans le dos de ses salariés, dans le dos du gouvernement, dans le dos de la plupart de ses administrateurs, et de ses cadres dirigeants. Donc ça c'est la première des choses. Donc, nous avons fait plusieurs choses, nous avons dit que cette situation était inacceptable, j'ai invoqué d'ailleurs le contrôle des investissements étrangers, qui est une possibilité qui existe, comme aux Etats-Unis, sur les biens stratégiques nationaux, et nous avons organisé la possibilité pour la France et pour ALSTOM, de se donner le choix. Le choix, c'est que nous n'ayons pas qu'une solution, mais plusieurs, et que ces solutions acceptent de prendre en compte les intérêts nationaux industriels du pays. Et c'est exactement ce qui va se passer dans ces 48 heures, puisque, à la fois, GENERAL ELECTRIC, dont je rappelle que c'est une entreprise qui a 11 000 salariés sur le sol français, où SIEMENS, dont je rappelle que c'est une entreprise qui a 8 000 salariés sur le sol français, vont apporter des éléments sur les centres de décisions, où est-ce qu'on prendra la décisions s'agissant des turbines d'ALSTOM, des éoliennes ALSTOM, et aussi sur le nombre d'emplois que l'on va relocaliser, qu'on va créer ou qu'on va détruire, parce que ce sont des questions qui intéressent le gouvernement.
JEAN-MICHEL APHATIE
L'offre de GENERAL ELECTRIC n'était pas conforme aux intérêts nationaux, telle qu'elle a été formulée, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien écoutez, elle pose un problème, pour une raison simple, c'est que la... l'essentiel d'ALSTOM, 75 % de l'entreprise, 65 000 salariés dans le monde, vont être dirigés depuis le Connecticut, c'est une situation qui nous pose un certain nombre de questionnements, et donc, quand nous allons rencontrer le président, monsieur IMMELT, de GENERAL ELECTRIC, nous allons lui poser cette question, même si nous considérons que GENERAL ELECTRIC est un investisseur, qui se comporte très bien sur le territoire national.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous ne récusez pas, a priori, son offre.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous travaillons à l'amélioration des offres, de manière à ce que la France, qui, je le dis, a des entreprises extraordinaires et brillantes, qui d'ailleurs sont internationales, ne sont pas des proies. Les entreprises françaises ne sont pas des proies, en revanche nous sommes disponibles pour nouer des alliances qui nous permettent de nous armer dans la mondialisation.
JEAN-MICHEL APHATIE
Si elles sont faibles sur le plan financier, elles deviennent des proies, ça c'est la loi très dure, du monde des affaires.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, mais le gouvernement voit qu'il y a des intérêts actionnariaux, mais le gouvernement a des intérêts qui sont des intérêts de souveraineté économique. Et nous n'acceptons pas, notamment dans une entreprise qui fabrique, participe à la fabrication de la filière des chaudières nucléaire et des turbines qui sortent l'électricité des centrales nucléaires dans le monde entier, n'acceptons pas que nous soyons mis devant le fait accompli, donc nous avons besoin de discuter. Quelles sont les deux offres en présence ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous n'avez...
ARNAUD MONTEBOURG
Monsieur APHATIE, c'est un point important.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous n'avez pas de préférence par rapport à l'une des deux offres.
ARNAUD MONTEBOURG
Je vais vous dire, en fait, on a deux solutions, pour l'instant...
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, GENERAL ELECTRIC et SIEMENS.
ARNAUD MONTEBOURG
... peut-être qu'il y en aura d'autres, mais pour l'instant, soit on se fait racheter, pour reprendre une image qui serait familière aux Français, par BOEING, on se fait racheter par BOEING, mais la France va travailler, soit on décide de construire AIRBUS. Quelle est la différence ? SIEMENS propose de créer deux leaders mondiaux, un allemand dans l'énergie et un, français, dans le transport, car il propose, c'est une originalité de l'offre SIEMENS, de nous...
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça a votre préférence.
ARNAUD MONTEBOURG
... de nous donner, en contrepartie, tous les actifs SIEMENS dans les tramways, les trains, l'ensemble du ferroviaire et des transports, la signalisation. Donc...
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est la solution qui a votre préférence, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien c'est une solution qui est sur la table, nous allons en discuter.
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce qu'elle a votre préférence ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous n'en sommes pas là, je vais vous dire, pourquoi, nous vous donnerons la réponse quand nous aurons discuté avec les deux dirigeants. Nous recevrons, avec le président de la République, tout à l'heure, le PDG de GENERAL ELECTRIC et nous allons voir aujourd'hui, le président ou le directeur général de SIEMENS.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le président de la République voit le président...
ARNAUD MONTEBOURG
Egalement, également.
JEAN-MICHEL APHATIE
D'accord, très bien.
ARNAUD MONTEBOURG
Donc nous allons faire ce travail. Notre intérêt c'est que, un, nous gardions nos centres de décisions, deuxièmement nous nous renforcions, parce que si 75 % d'ALSTOM est racheté par nos amis américains, que restera-t-il des 25 % ? Ce sera trop petit, nous risquons donc d'avoir des dégâts ultérieurs, donc ALSTOM n'est pas une entreprise en difficultés mais c'est une entreprise qui a besoin de construire une stratégie mondiale, c'est un peu le problème que nous avons connu avec finalement, là, des difficultés qui n'existent pas chez ALSTOM, c'est PSA.
JEAN-MICHEL APHATIE
On peut dire ce matin que l'offre SIEMENS a votre préférence.
ARNAUD MONTEBOURG
On peut dire, aujourd'hui, que nous préférons sortir renforcés, car nous pouvons tirer parti de cette situation, en créant les conditions de l'émergence, d'un leader mondial, champion made in France, et c'est ce que nous cherchons à faire, à partir de cette, de ces propositions d'alliances.
JEAN-MICHEL APHATIE
Acceptez-vous le calendrier d'ALSTOM ? Tout doit être bouclé pour mercredi matin.
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez...
JEAN-MICHEL APHATIE
Et la reprise du cours des Bourses mercredi matin.
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez, nous allons en débattre avec les intéressés, car ce son des sujets qui sont lourds. Nous, nous sommes entrés en discussions avec l'ensemble des parties.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous n'acceptez pas forcément le calendrier d'ALSTOM.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous en reparlerons.
JEAN-MICHEL APHATIE
La nationalisation temporaire est conseillée par certains dans le débat, c'est une solution, éventuellement, mardi soir, si vous n'avez pas trouvé de solution, vous pourriez utiliser cette carte-là, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
C'est prématuré d'évoquer cette question, pour l'instant, je rappelle que la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS a 0,9 % dans le capital d'ALSTOM, et pourtant, malgré cette présence ultra-minoritaire, si j'ose dire, nous savons que ALSTOM vit de la commande publique, vit du soutien à l'exportation, donc l'Etat est très présent dans le soutien à cette entreprise, et il est normal que des entreprises qui veulent nouer des alliances, cherchent à nouer des alliances avec l'Etat, donc nous y sommes parfaitement disposés.
JEAN-MICHEL APHATIE
Si vous n'êtes pas satisfait, vous pourriez procéder à une nationalisation temporaire.
ARNAUD MONTEBOURG
Pour l'instant, je ne peux pas vous dire, si je ne suis pas satisfait, parce que nous allons...
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous n'écartez pas cette éventualité.
ARNAUD MONTEBOURG
...dans ce marathon des 48 heures, jour et nuit, nous allons défendre les intérêts de la France.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous n'écartez pas l'éventualité d'une nationalisation temporaire.
ARNAUD MONTEBOURG
C'est trop tôt pour vous répondre, monsieur APHATIE.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est trop tôt pour l'écarter. La part BOUYGUES, vous pourriez la racheter, 29,4 % du capital, valorisée à, à peu près, disons, 4 milliards, vous pourriez éventuellement, l'Etat pourrait éventuellement se porter acquéreur de cette part, là, du capital d'ALSTOM ?
ARNAUD MONTEBOURG
L'Etat est disponible pour bâtir des alliances avec l'ensemble des partenaires qui se présentent. En l'état, nous discutons avec les deux offrants, GENERAL ELECTRIC et SIEMENS. Ce sont deux offres qui peuvent nous permettre d'avoir des stratégies différentes, sur le plan industriel, qui peuvent nous rapporter, donc, c'est intéressant, et aussi nous faire perdre, rapporter et nous faire perdre. Donc c'est intéressant d'aller jusqu'au bout de ces deux solutions. Je voudrais vous dire que notre stratégie c'est de sortir renforcé de cette situation, et non pas de sortir affaibli.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bien sûr. Vous avez vu Martin BOUYGUES, hier, Martin BOUYGUES est vendeur de ses parts ALSTOM, que lui avez-vous dit ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je vois monsieur BOUYGUES comme monsieur KRON, très souvent.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous l'avez vu hier. Non non, hier, vous avez vu Martin BOUYGUES.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, hier, mais je les vois très souvent...
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous n'avez pas vu monsieur KRON hier.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous ne sommes pas surpris par le désir des uns et des autres d'agir tel qu'ils agissent, mais, vous savez, quand on voit et on travaille régulièrement à des grandes entreprises que nous soutenons, tous les jours, tel est le cas d'ALSTOM, et que lorsqu'une affaire est en train de se boucler, on oublie de téléphoner au ministre de l'Economie et du Redressement productif, alors que tous les jours on lui demande de l'aide, je trouve qu'il y a là un manquement à la déontologie nationale.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous étiez informé des discussions avec GENERAL ELECTRIC depuis au moins le mois de février, puisque Clara GAYMARD vous l'avait dit, dit-elle, aux Etats-Unis, lors du voyage de François HOLLANDE.
ARNAUD MONTEBOURG
Madame GAYMARD, puisque vous évoquez ça, qui est l'ambassadrice, représentante en Europe de GENERAL ELECTRIC, a dit une chose, très importante pour moi : « Nous ne ferons rien sans vous ».
JEAN-MICHEL APHATIE
D'accord. Très bien. Arnaud MONTEBOURG, donc, la solution, peut-être mardi soir, était l'invité de RTL, ce matin, bonne journée.
LAURENT BAZIN
48 heures chrono, on l'a bien compris, « marathon », dit Arnaud MONTEBOURG, qui refuse le fait accompli et qui semble favoriser l'idée d'un renforcement par SIEMENS, avec ALSTOM, c'est-à-dire un géant, ou deux géants européens.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2014