Interview de M. Manuel Valls, Premier ministre, à France Inter le 30 avril 2014, sur le vote par le Parlement du programme de stabilité, les prévisions de croissance et de déficit public et le dossier Alstom.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Le Premier ministre est donc l'invité de FRANCE INTER ce matin, bonjour Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour.
PATRICK COHEN
265 voix pour, 232 contre, vous avez eu une majorité à l'Assemblée pour votre plan d'économies, mais le chiffre qu'on retient ce matin c'est 41. Vous avez échoué à convaincre 41 députés socialistes, 1 sur 7. C'est un avertissement ?
MANUEL VALLS
J'ai réussi d'abord à convaincre une majorité. Patrick COHEN, il y a 1 mois j'ai été nommé Premier ministre par le président de la République pour incarner une nouvelle étape de son quinquennat, en 1 mois nous avons formé un gouvernement, resserré, j'ai obtenu un vote de confiance, nous avons lancé le pacte de confiance et de solidarité, c'est-à-dire ce pacte qui est là pour soutenir nos entreprises, notre économie, notre compétitivité, et hier nous avons fait adopter la feuille de route qui permet l'économie budgétaire de 50 milliards d'euros, ce que chacun s'accorde à dire, ce qui est tout à fait exceptionnel pour notre pays. En 1 mois…
PATRICK COHEN
Avec une majorité rétrécie.
MANUEL VALLS
En 1 mois nous avons lancé ces chantiers, et nous avons aussi lancé des réformes, nous l'évoquerons peut-être, celle qui concerne les collectivités territoriales et l'Etat, tant attendue par les Français depuis des années. Dans un contexte, je réponds à votre question, qui est celui d'une véritable tempête politique, liée aux résultats des élections municipales, où la gauche, et les socialistes notamment, ont subi une lourde défaite, et il est de mon devoir, de notre devoir, d'entendre ce que les Français nous ont dit il y a quelques semaines. Ils ont exprimé leur souffrance, le fait qu'ils attendaient des résultats concrets, en matière d'emploi, de pouvoir d'achat, de vie chère, de logement, de sécurité, et il est normal que dans une majorité, où le débat existe, et c'est mon devoir de les écouter, il y ait des expressions différentes. Mais, après ce vote, c'est la responsabilité qui doit l'emporter, et la seule responsabilité qui vaille, c'est de s'adresser aux Français et de tout faire pour redresser notre pays.
PATRICK COHEN
Cette fissure, ou cette fracture dans la majorité, ne risque pas de s'agrandir avec d'autres décisions, d'autres votes que vous aurez à soumettre aux parlementaires, Manuel VALLS, dans les mois à venir ?
MANUEL VALLS
Je ne le crois pas si nous maintenons cette capacité de dialogue, que j'ai ouvert depuis ma nomination. J'ai le sentiment que pendant 2 ans les parlementaires socialistes n'ont pas été suffisamment écoutés, entendus. Le vote d'hier, je le répète, est un acte fondateur pour la deuxième partie du quinquennat, et permet d'établir, maintenant, clairement, la feuille de route qui est la nôtre, mise en place du pacte de responsabilité pour les entreprises, économies à réaliser, grandes réformes à lancer, et autour, au fond, de cette feuille de route, il faut que chacun se rassemble. Et le vote d'hier, mais aussi les débats que nous avons eus, j'ai écrit à tous les parlementaires, pas seulement à ceux de la gauche, à tous les parlementaires, moi j'ai le sentiment profond que cette feuille de route, et que le vote d'hier, me donne de la force. Mais cela me donne aussi une grande responsabilité, être à l'écoute, bien sûr des parlementaires, être en permanence à l'écoute des Français, qui veulent en même temps que notre pays s'en sorte, et qui veulent voir surtout, au fond un cap, savoir où nous les menons, et je pense que ce que nous avons fait depuis quelques semaines, avec le président de la République, le permet.
PATRICK COHEN
Les débats, Manuel VALLS, sur le fond, trois types de critiques vous ont été adressées. Un, vos prévisions ne tiennent pas debout, elles sont irréalistes, c'est ce que disait François FILLON ici même hier. Deux, vous demandez des efforts, mais sans faire de vraies réformes, c'est ce que disait Jean-François COPE, vous gérez la pénurie sans changer de modèle. Trois, et là ce sont des critiques de gauche, en plus d'être injuste, parce que vous prenez dans la poche des ménages pour donner aux entreprises, vous faites une erreur économique parce que l'austérité ça ne marche nulle part, réduire la dépense publique ça coûte forcément des points de croissance. Alors je vais vous inviter à répondre, d'abord sur l'irréalisme de vos prévisions, le risque de dérapage sur les engagements européens de la France.
MANUEL VALLS
Toutes les prévisions, aujourd'hui, s'accordent sur un taux de croissance, pour l'année prochaine, autour de 1,6.
PATRICK COHEN
C'est très optimiste !
MANUEL VALLS
Non, sur cette prévision, 1,6, 1,7, tous les instituts, tous les organismes internationaux, sont d'accord.
PATRICK COHEN
Vous êtes fixé sur 1,7.
MANUEL VALLS
Et ensuite, et c'est l'essentiel du pacte, nous considérons que cette croissance n'est pas suffisante, c'est vrai pour la France, c'est vrai pour la croissance dans la zone euro. Donc, nous devons faire en sorte de fortifier et de développer cette croissance. Et c'est pour cela que nous consacrons 30 milliards, ça n'est jamais arrivé, en si peu de temps, en faveur des entreprises, car nous devons tout faire, encore une fois, pour la compétitivité de nos entreprises, car ce sont les entreprises qui créent la richesse, et donc l'emploi. Et je pense notamment aux petites entreprises, aux PME, aux PMI, aux ETI, mais aussi aux artisans, aux commerçants, aux indépendants, c'est eux qui créent de l'emploi. Et les mesures qui se mettront en oeuvre dès le 1er janvier 2015 favorisent d'abord ces PME et ces PMI parce que nous avons besoin de cet emploi, et nous mobiliserons, à partir du 1er juin, dans tous les arrondissements de ce pays, sur les territoires, les partenaires sociaux, les services de l'Etat, les élus, pour être au plus près de la création d'emplois.
PATRICK COHEN
Les engagements de la France, les engagements financiers de la France, budgétaires, seront tenus. Dominique SEUX tout à l'heure faisait remarquer que vous n'aviez pas dit explicitement que vous étiez toujours sur l'objectif d'atteindre 3 % de déficit budgétaire en 2015. Ça sera 3 % ?
MANUEL VALLS
Mais il ne s'agit pas uniquement – et il est vrai qu'il en va de la crédibilité de la France de respecter nos engagements – mais les choix que nous avons faits, et je l'ai dit encore hier à l'Assemblée nationale, comme au Sénat, ce sont des choix pour les Français eux-mêmes. Nous vivons depuis 40 ans au-dessus de nos moyens, nous ne pouvons pas accepter d'avoir un tel niveau de déficits publics ou de dette, c'est ma responsabilité, c'est celle du gouvernement, et bien sûr sous l'autorité du président de la République, que de diminuer les déficits publics qui nous entravent, et de faire diminuer la dette, parce qu'elle pèse sur les futures générations. Tous les pays…
PATRICK COHEN
Jusqu'à 3 % l'an prochain ?
MANUEL VALLS
C'est l'objectif bien sûr. Tous les pays – je viens de vous le dire, c'est l'objectif, et il faut l'atteindre…
PATRICK COHEN
Ça sera votre feuille de route ?
MANUEL VALLS
Encore une fois, pas uniquement pour respecter nos engagements européens, mais parce que, encore une fois, il en va des marges de manoeuvre. Nous prenons souvent, je l'ai entendu, le modèle de Matteo RENZI, le nouveau président du Conseil italien, mais lui il peut dégager des marges, notamment pour le pouvoir d'achat, parce que l'Italie, comme tous les autres pays européens, ont fait des efforts et ont fait des réformes. Et il faut donc les réformes. J'ai annoncé, dans mon discours de politique générale, comme hier à l'occasion de la présentation de ce plan de stabilité, les réformes, que personne n'a eu le courage de faire, je pense notamment à celle des collectivités territoriales, qui consiste à diminuer par deux le nombre de régions et, demain, à supprimer les conseils généraux.
PATRICK COHEN
Ce n'est pas tout de suite. Vous avez dit que vous pourriez accélérer le calendrier de cette réforme territoriale.
MANUEL VALLS
Mais je suis convaincu que, sur ce sujet-là, comme sur celui de la réforme de l'Etat, il faut accélérer les réformes, mais pour cela il faut en discuter au Parlement, obtenir des majorités, trouver des consensus, mais oui, si nous pouvons aller plus loin, nous en reparlerons, si nous pouvons aller plus loin, plus vite, plus fort, dans le domaine des réformes qui concernent les collectivités territoriales, comme l'organisation de l'Etat, nous aurons l'occasion d'en reparler, nous irons plus loin.
PATRICK COHEN
Ça veut dire que d'ici la fin du quinquennat il y ait déjà des processus de fusions qui puissent être engagés ou… ?
MANUEL VALLS
Mais c'est le cas déjà, puisque des régions sont en train de discuter pour ces processus de fusion. Je crois que ça serait important, à l'occasion des prochaines régionales, que les Français sachent exactement dans quel cadre électoral, dans quel cadre institutionnel, pour les régions, ils votent. De même, la transition énergétique, qui est une des grandes réformes à venir, sera l'un des grands débats de cette année 2014.
PATRICK COHEN
Troisième type de critiques, on le disait, celles de la gauche, vous allez casser la croissance, ça ne marchera pas.
MANUEL VALLS
Je crois que le plan que j'ai présenté hier, de 50 milliards, qui avait d'ailleurs été annoncé par le président de la République le 14 janvier, est bien calibré, et qu'il est juste, qu'il permet à la fois de soutenir les entreprises et donc de financer la baisse du coût du travail, puisque c'est le choix que nous avons fait, de faire les économies nécessaires, et en même temps ça n'a rien à voir avec de l'austérité, c'est du sérieux budgétaire. Ça n'a rien à voir avec de l'austérité, parce que quand on crée 60.000 emplois dans l'Education nationale, parce que la priorité c'est l'école, c'est la formation des enseignants, c'est la lutte contre les inégalités, que nous connaissons malheureusement aujourd'hui, c'est le soutien à ceux qui sont en plus grande difficulté, à ceux qui décrochent. Quand on continue à créer des emplois pour, la police, la gendarmerie, la justice, quand on conforte le service public de l'emploi, quand l'université, la recherche et l'innovation, parce que c'est là-dessus que se joue en grande partie notre compétitivité, ça veut dire qu'on privilégie l'économie, l'avenir, la jeunesse. Donc non, au contraire, je crois que les choix que nous faisons sont bien là pour soutenir la croissance.
PATRICK COHEN
Et venant aussi de vos propres rangs, l'idée que François HOLLANDE a trahi ses engagements de campagne, « mon ennemi c'est la finance », ce que disent vos députés frondeurs, Manuel VALLS, « on n'a pas été élus pour ça. »
MANUEL VALLS
Pourquoi le vote d'hier, Patrick COHEN, est important, parce que d'une certaine manière – et moi je veux saluer tous ceux qui ont voté hier, et notamment dans les rangs de la gauche, c'est pour ça que je crois que c'est un vote fondateur, parce que ce vote s'est fait dans la clarté – j'ai dit, cela a été remarqué, que j'assumais, j'assumais pleinement cette politique.
PATRICK COHEN
Dans la clarté mais pas dans la continuité.
MANUEL VALLS
Dans la clarté, dans la lisibilité. Il y a aussi de la continuité, parce que le pacte de responsabilité et de solidarité, comme les 50 milliards d'économies, ont été annoncés, je vous le disais il y a un instant, au début de l'année par le président de la République, mais j'assume ce réformisme…
PATRICK COHEN
J'assume.
MANUEL VALLS
J'assume cette social-démocratie ou, au fond, cette gauche, profondément moderne qui regarde la réalité en face et qui en même temps veut répondre à l'attente de justice sociale. Peut-être que depuis 2 ans nous n'avons pas assez assumé ce que nous avions engagé et ce que le président de la République avait engagé. C'est ça, ce changement, que je représente, cette nouvelle étape du quinquennat, c'est la clarté, c'est la lisibilité, c'est cette feuille de route, pour 3 ans – ceux qui ont voté en faveur de cette feuille de route maintenant s'engagent pour les 3 ans qui viennent, les 3 ans qui nous restent, pour continuer l'oeuvre de redressement du pays.
PATRICK COHEN
J'assume, j'assume, vous l'avez dit hier à l'Assemblée, et vous savez ce qu'on dit ce matin, la seule chose que vous avez reprise de la campagne de François HOLLANDE c'est l'anaphore.
MANUEL VALLS
Oui, mais l'ironie, la critique permanente, le sentiment qu'on trahit, c'est souvent le mal de la gauche française. Moi je suis obsédé, vous le savez, j'ai déjà…
PATRICK COHEN
C'est un sentiment partagé par un certain nombre d'électeurs de gauche, d'électeurs de François HOLLANDE.
MANUEL VALLS
Oui, j'ai bien compris que vous en êtes le porte-parole, et c'est normal Patrick COHEN…
PATRICK COHEN
Non, non, ils seront là tout à l'heure à l'antenne, sans doute, quelques-uns.
MANUEL VALLS
Patrick COHEN, je réponds, s'il vous plait, à votre question. Je suis obsédé, depuis que je suis rentré dans la vie politique, par – c'est pour ça aussi que je citais Pierre MENDES FRANCE – par l'idée de la responsabilité et de la durée pour ce qui concerne la gauche. Partout en Europe, là où la gauche a réformé, c'est qu'elle l'a fait dans la durée, et moi je souhaite que nous gouvernions dans la durée, dans la stabilité, mais aussi dans la clarté, parce que c'est ce que nous demandent nos compatriotes, et c'est la feuille de route que m'a donné le président de la République.
PATRICK COHEN
On y reviendra tout à l'heure. ALSTOM, Manuel VALLS, l'entreprise se donne 1 mois pour choisir entre SIEMENS et GENERAL ELECTRIC, mais toujours avec une préférence marquée pour l'américain, vote du conseil d'administration d'ALSTOM hier soir. Que cherche le gouvernement dans ce dossier, à gagner un peu de temps, à améliorer l'offre de GENERAL ELECTRIC, à trouver une alternative ?
MANUEL VALLS
L'accélération brutale de ces derniers jours n'était pas acceptable, et nous l'avons fait savoir, notamment par la voie du président de la République et d'Arnaud MONTEBOURG, le ministre de l'Economie, aux acteurs, qui n'ont pas pris de décision définitive mardi soir. Aucune discussion exclusive, et c'est ça qui me paraît essentiel avec G.E, cet opérateur américain, n'a été décidée, et ALSTOM se donne 1 mois pour analyser les différentes options et se concentrer sur ce sujet-là et se concerter avec nous. Nous avons été entendus, c'est ça qui me paraît essentiel. Nos priorités c'est l'emploi, ce sont les investissements dans notre pays, et c'est notre indépendance énergétique qu'il nous faut évidemment préserver. Nos demandes sont légitimes, et la discussion, maintenant, elle peut s'ouvrir.
PATRICK COHEN
Le gouvernement n'avait été alerté d'aucune façon, Manuel VALLS, ni par le groupe BOUYGUES, actionnaire numéro 1 d'ALSTOM, ni par le PDG de GENERAL ELECTRIC, il y a eu dissimulation, ou mensonge, puisque le mot a été prononcé par Arnaud MONTEBOURG hier dans l'hémicycle ?
MANUEL VALLS
Arnaud MONTEBOURG l'a dit très clairement, non, et c'est ça qui est tout à fait inacceptable.
PATRICK COHEN
Il y a eu mensonge ?
MANUEL VALLS
C'est ça qui est inacceptable. Moi je ne vais pas redire des mots. Tous les investisseurs étrangers, qu'ils soient américains, allemands, sont bienvenus, nous devons bâtir…
PATRICK COHEN
…pas le même vocabulaire qu'Arnaud MONTEBOURG.
MANUEL VALLS
Nous devons bâtir des grands groupes, à taille européenne, à taille mondiale, parce que l'emploi, l'investissement, les technologies, l'énergie qui est le grand sujet, pas seulement pour la France, mais pour l'Europe, et notamment par rapport à ce qui est en train de se passer entre l'Ukraine et la Russie, il nous faut acquérir totalement notre indépendance énergétique, et pour cela nous avons besoin de groupes particulièrement solides. Donc, l'emploi, l'investissement, l'indépendance et la souveraineté énergétique, sont nos priorités, mais cela doit se faire dans la transparence, dans le dialogue, et l'Etat prend toute sa part dans cette discussion.
PATRICK COHEN
L'Etat qui n'envisage pas une intervention directe, Manuel VALLS, soit par une prise de participation dans le capital d'ALSTOM, soit en bloquant l'opération. François FILLON, hier ici même, disait que c'était possible, grâce à un décret qu'il avait pris en 2005, quand il y a des intérêts stratégiques en cause lors d'une opération de rachat.
MANUEL VALLS
La seule question posée c'est la défense de l'emploi et des technologies, je vous l'ai dit, et c'est sur quoi le gouvernement est vigilant, et moi je n'ai pas l'intention, à ce stade, et ce matin, d'alimenter le feuilleton des rumeurs sur ce dossier, sur les méthodes qu'il faut utiliser, tout cela est trop bien sérieux. J'ajoute qu'ALSTOM est une entreprise cotée, ce qui impose de la retenue dans le langage et dans les mots qu'on utilise.
PATRICK COHEN
Manuel VALLS invité de FRANCE INTER ce matin, on vous retrouve donc dans quelques minutes avec les questions des auditeurs de FRANCE INTER.
PATRICK COHEN
Inter-Activ' avec le Premier ministre Manuel VALLS ce matin et des questions pour vous au standard de France Inter, des questions d'auditeurs et d'auditrices. Sylvie nous appelle du Jura. Bonjour Sylvie.
SYLVIE, AUDITRICE DU JURA
Bonjour. Vous m'entendez ?
PATRICK COHEN
Parfaitement. Le Premier ministre vous écoute.
SYLVIE
Bonjour messieurs, bonjour Monsieur le Premier ministre.
MONSIEUR LE PREMIER MINISTRE MANUEL VALLS
Bonjour Madame.
SYLVIE
Je suis de gauche depuis très longtemps. J'ai 65 ans et j'ai toujours été de gauche. J'ai deux questions pour vous. D'une part, ça me trouble, que signifie pour vous être de gauche ? C'est ma première question. Ma deuxième question est la suivante. La gauche actuelle défend une politique de l'offre. Je suis historienne agrégée ; la politique de l'offre a été mise en place au début des années 80 par madame THATCHER d'abord et par monsieur REAGAN ensuite avec les dégâts que l'on a vus, c'est-à-dire une montée incroyable de la pauvreté dans nos pays occidentaux riches. Vous, vous parlez de la croissance de la France. Moi, ce que je le vois autour de moi, c'est des gens de gauche qui se sentent trahis. Je vois la montée de la pauvreté et c'est absolument stupéfiant. Qu'est-ce qu'une politique de l'offre qui serait une politique de gauche ?
PATRICK COHEN
Merci Sylvie. Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Je veux rappeler à Madame le sens de ce que nous faisons. Je crois que c'est une politique de gauche. Notre stratégie collective, c'est la réussite de la France. La France a perdu depuis dix ans des dizaines de milliers d'emplois industriels. La France est sur le plan économique en train de décrocher. Depuis deux ans, tout le sens de l'action du président de la République, c'est de redresser ce pays, de lui redonner de la force. Notre stratégie collective, c'est la réussite de la France et des Français. La force de cette stratégie, c'est la cohérence. Il fallait l'assumer, c'est pour ça que le vote d'hier était particulièrement important. Soutenir, fortifier la croissance par une réduction des coûts des entreprises pour être compétitif et pour pouvoir créer de l'emploi, réduire les déficits parce que la dette et les déficits nous asphyxient. Je ne pense pas que c'est être de gauche que de faire peser sur les futures générations le poids de la dette. C'est soutenir le pouvoir d'achat par des mesures, notamment pour les salariés les baisses de prélèvements obligatoires par les impôts ont écrasé les Français au cours de ces dernières années, 30 milliards sous la droite et 30 milliards depuis deux ans. Je ne crois pas qu'être de gauche, c'est augmenter les impôts et asphyxier notamment les classes moyennes. C'est cette politique qui combine à la fois de l'offre pour les entreprises, de la demande parce qu'il faut soutenir le pouvoir d'achat, c'est cette politique, cette cohérence, cette feuille de route que je défends.
PATRICK COHEN
Un mot de Philippe LEFEBURE ?
PHILIPPE LEFEBURE
Est-ce que ces 50 milliards n'auraient pas pu aller à l'investissement ? Là, on aurait eu une contrepartie immédiate, ça aurait crée des emplois et ça aurait sans doute relancé la machine économique plutôt que des baisses de charges ?
PATRICK COHEN
Une baisse générale qui profite à tout le monde y compris, l'exemple est souvent cité, à la grande distribution ?
PHILIPPE LEFEBURE
L'investissement, c'est le manque peut-être de ce Plan.
MANUEL VALLS
Le choix que nous faisons de ces 30 milliards en faveur des entreprises, c'est pour l'investissement et pour l'emploi. C'est pour ça que nous serons avec les parlementaires et avec les partenaires sociaux extrêmement vigilants sur l'utilisation de ces soutiens. J'étais il y a quelques jours en visite dans une entreprise, une entreprise qui est très présente sur la filière du caoutchouc. Grâce au CICE, grâce à ce soutien financier, cette entreprise a pu acquérir deux machines-outils. C'est bien de l'investissement, c'est de la création d'emplois et c'est ça l'objectif que nous devons maintenir.
PATRICK COHEN
Pierre GATTAZ, le président du MEDEF, prône une modération salariale pendant deux ou trois ans, dit-il, pour faire réussir le Pacte de responsabilité. Qu'en pensez-vous, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
La modération salariale existe déjà depuis des années. Nous considérons que pour les bas salaires, pour les revenus les plus modestes, aujourd'hui il faut soutenir cette attente. C'est pour ça que nous faisons les choix concernant le pouvoir d'achat à la fois pour les salaires les plus modestes et par la baisse des prélèvements.
PATRICK COHEN
Au standard d'Inter, nous avons Daniel qui nous appelle de l'Isère. Bonjour Daniel.
DANIEL, AUDITEUR DE L'ISERE
Oui, bonjour Monsieur le Premier ministre.
MANUEL VALLS
Bonjour Monsieur.
DANIEL
Je viens de rendre ma carte du Parti socialiste. Je ne renouvelle pas mon adhésion parce que j'estime que la politique que vous menez n'est plus une politique de gauche. Est-ce que vous pensez qu'avec 1 270 euros on fait partie des nantis ?
PATRICK COHEN
C'est votre retraite ou votre salaire ?
DANIEL
Voilà, tout à fait.
PATRICK COHEN
Merci Daniel. Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Mais moi, je peux comprendre qu'il y ait du trouble à gauche parce que notre pays connaît depuis des années une crise économique et sociale profonde, un chômage de masse, de la pauvreté. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons lancé ce plan pauvreté et que nous l'avons préservé. Ç'a été un des résultats de la discussion avec les parlementaires. La prochaine étape de revalorisation exceptionnelle du RSA, 10 % en cinq ans, interviendra comme prévu le 1er septembre prochain. Parce qu'il y a la pauvreté, il y a la précarité, il y a la misère, il y a beaucoup de nos concitoyens qui n'arrivent pas à boucler leur fin de mois, à pouvoir partir en vacances, à pouvoir tout simplement avoir des loisirs comme d'autres dans notre pays. Nous devons être très attentifs à la situation que connaissent beaucoup de nos concitoyens. Mais la responsabilité d'un gouvernement de gauche, ça n'est pas de nier la réalité. C'est de la regarder précisément en face, c'est d'apporter des réponses pour ceux qui souffrent, pour les plus modestes, pour les classes moyennes en termes de pouvoir d'achat, de baisse des impôts, sur une politique de logement qui corresponde parce que le mal logement est aussi une réalité. C'est ça être de gauche : c'est de ne jamais nier la réalité, c'est de l'affronter pour essayer de changer cette réalité que vivent beaucoup de nos concitoyens.
PATRICK COHEN
Thomas LEGRAND ?
THOMAS LEGRAND
Etre de gauche, c'est aussi avoir les leviers pour changer les choses. Quand vous dites par exemple que la baisse des charges ne doit pas aller aux dividendes, qu'est-ce que vous avez comme moyens, comme manettes pour que ce ne soit pas le cas ?
MANUEL VALLS
Mais moi, je fais confiance aux partenaires sociaux. Vous savez, il faut être attentif au fond à la suspicion généralisée, et même parfois au sectarisme. Moi je veux faire confiance d'abord aux entrepreneurs de ce pays. Je le disais tout à l'heure, aux chefs d'entreprises et notamment aux entrepreneurs des PME, des PMI, des ETI, des start-up. Je fais confiance aux commerçants, aux artisans qui travaillent difficilement. Je fais confiance aux salariés, tous pensent que le travail est une valeur. Je fais confiance aux partenaires sociaux. C'est ce qui est prévu dans la feuille de route signée entre le patronat, les partenaires sociaux et les syndicats qui sont favorables à la mise en oeuvre de ce Pacte. Il leur appartient de vérifier très précisément où vont les fonds, ces moyens exceptionnels, ces 30 milliards que nous mettons en faveur des entreprises. Le Parlement doit aussi se saisir de cette question.
PATRICK COHEN
Question d'Alexandre qui nous appelle de Montauban.
ALEXANDRE, AUDITEUR DU TARN-ET-GARONNE)
Oui, bonjour à toute l'équipe et bonjour à Monsieur le Premier ministre. J'aurais aimé savoir s'il aurait le courage, avec les réformes qu'il propose, de supprimer les 35 heures.
PATRICK COHEN
Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Mais pourquoi se lancer dans des débats qui aujourd'hui ne sont pas attendus par les partenaires sociaux ?
PATRICK COHEN
Mais que vous avez-vous-même lancés dans un passé qui n'est pas si lointain. Il y a quelques années, vous proposiez une remise à plat des 35 heures.
MANUEL VALLS
Patrick COHEN, je suis Premier ministre et j'ai le souci de mes responsabilités et surtout des priorités. Aujourd'hui la priorité, c'est de ne pas créer un débat confus sur le temps de travail et de soutenir les entreprises, le pouvoir d'achat et de faire baisser les déficits. C'est ça ma priorité.
PATRICK COHEN
Sur les questions écologiques, en vu d'une éventuelle suppression de l'écotaxe, Ségolène ROYAL a évoqué la possibilité de mettre à contribution les sociétés d'autoroutes pour financer des infrastructures routières. Est-ce que c'est une solution qui est celle officiellement aujourd'hui du gouvernement ?
MANUEL VALLS
Là aussi j'en appelle à la prudence et au respect du rôle et du travail du Parlement. Il y a un travail qui est actuellement mené par Jean-Paul CHANTEGUET qui est le président de la Commission des affaires liées à l'environnement et qui doit remettre un certain nombre de propositions concernant ce débat autour de l'écotaxe. C'est sur la base de ce rapport que le gouvernement se déterminera.
THOMAS LEGRAND
C'est-à-dire que quand Ségolène ROYAL dit qu'elle est contre l'écotaxe, que c'est de l'écologie punitive pour elle, c'est pour l'instant purement personnel. Ce n'est pas un avis du gouvernement.
MANUEL VALLS
Si l'écotaxe a été suspendue, Thomas LEGRAND, c'est qu'il y avait un problème. C'est que beaucoup de nos concitoyens n'étaient pas uniquement en Bretagne et on considérait qu'il y avait un problème. Nous attendons les résultats du Parlement, de cette Commission pour pouvoir ensuite prendre les prochaines décisions.
THOMAS LEGRAND
Ségolène ROYAL n'a pas attendu pour donner son avis.
MANUEL VALLS
Mais non seulement elle a le droit de donner son avis mais il faut désormais, pour prendre des décisions, attendre ce rapport.
THOMAS LEGRAND
On voulait simplement vérifier si c'était l'avis du gouvernement ou pas. Ça ne l'est pas, d'accord.
MANUEL VALLS
Le plus important, c'est aussi le respect du travail qui est mené et plus particulièrement par le Parlement. J'y suis tout à fait attaché.
PATRICK COHEN
Question de Philippe au standard d'Inter, bonjour.
PHILIPPE, AUDITEUR
Oui ! Bonjour monsieur VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour monsieur.
PHILIPPE, AUDITEUR
Voilà ! Vous êtes allé récemment à Rome en tant que Premier ministre à la cérémonie de béatification des deux Papes, est-ce que vous avez prévu dans votre emploi du temps, dans un avenir proche, de vous rendre à la Mecque à la rencontre des Français musulmans ?
PATRICK COHEN
Merci Philippe. Manuel VALLS !
MANUEL VALLS
Comme maire, comme élu local dans ma ville d'Evry – qui me manque beaucoup - je me rendais à toutes les cérémonies par respect vis-à-vis de toutes les confessions parce que la laïcité c'est la possibilité de croire ou de ne pas croire, ce n'est pas la négation de la religion, c'est la séparation entre l'Etat et les confessions, mais dans une société qu'il faut apaiser, il faut respecter, il faut respecter ceux qui croient comme ceux qui ne croient pas, il faut qu'eux-mêmes respectent évidemment les valeurs de la République. Je ne peux pas me rendre à la Mecque pour des raisons évidentes, parce que ceux qui ne sont pas musulmans ne peuvent pas s'y rendre, en revanche comme Premier ministre, comme je le faisais comme ministre de l'Intérieur - c'est-à-dire en charge des relations avec les cultes – je…
PATRICK COHEN
Sauf que vous n'êtes plus ministre de l'Intérieur, Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
J'entretiens… mais, comme Premier ministre…
PATRICK COHEN
Le ministre des Cultes aurait très bien pu représenter la France à cette cérémonie ?
MANUEL VALLS
Oui ! Mais c'était important par rapport à deux grandes figures, Jean XXIII et Jean-Paul II - qui n'ont pas uniquement changé l'église catholique mais qui ont changé aussi me semble-t-il le monde – de marquer cette forme de respect. J'ai remis d'ailleurs la veille, c'est un beau cadeau que le président de la République m'a fait, j'ai élevé au grade de Grand-croix le cardinal ETCHEGARAY, 91 ans, mais toujours lumineux et généreux, qui a été l'une des grandes figures de l'épiscopat français - notamment pour le réformer en profondeur après Vatican II – c'est un grand Français. Là aussi attention au sectarisme ! Dialoguer avec les confessions, écouter l'avis des uns et des autres, rassembler sur les grands sujets de société, et si la France en arrêtait avec des formes de sectarisme, d'étiquette permanent ? J'écoutais ou j'entendais tout à l'heure cette question sur : suis-je de gauche ? C'est quoi être de gauche pour moi ? Mais la gauche elle est fidèle à elle-même et à ses valeurs quand elle s'adresse à tous les Français, quand son objectif c'est d'élever le débat politique, de rassembler nos concitoyens, de tout faire pour que la France sorte de ses difficultés. C'est ça être de gauche ! Ce n'est pas refuser le débat, ce n'est pas coller une étiquette sur quelqu'un. La gauche elle est forte quand elle est profondément ancrée dans la réalité de ce pays, quand elle est patriote et républicaine, pas quand elle refuse la réalité et le rassemblement.
PATRICK COHEN
Une question de Bernard GUETTA !
BERNARD GUETTA
Si la Russie - ce qui n'est pas certain mais est possible - envahissait demain l'Ukraine, est-ce que la France aurait aujourd'hui les moyens économiques de s'associer à de véritables sanctions économiques contre la Russie ?
MANUEL VALLS
La priorité de la France et de sa diplomatie c'est la désescalade, il ne fait pas de doute que la situation dans l'est de l'Ukraine à travers les évènements de ces derniers jours, de ces dernières semaines, se dégrade du fait de l'influence extérieure, donc de l'influence russe. En l'absence de mesures concrètes permettant de mettre en oeuvre la déclaration de Genève, nous avons décidé avec nos partenaires Européens et Américains, à Bruxelles, d'étendre la liste des personnes visées par les gels d'avoir et de restriction de visa. Notre objectif, je le répète, c'est la désescalade, c'est la tenue du scrutin présidentiel le 25 mai prochain, c'est la réforme constitutionnelle en Ukraine respectant les droits des minorités et ce sont les objectifs du président de la République et du chef de la diplomatie française Laurent FABIUS.
BERNARD GUETTA
Oui ! Mais vous n'avez pas du tout répondu à ma question.
MANUEL VALLS
Mais je n'ai pas répondu parce que sur ces questions-là, étape après étape, les objectifs c'est la désescalade et la tenue du scrutin du 25 mai et nous devons…
BERNARD GUETTA
Mais est-ce que nous aurions les moyens d'assumer…
MANUEL VALLS
Et nous devons respecter ce point.
BERNARD GUETTA
Une rupture économique avec la Russie et notamment l'interruption des livraisons, de l'arrêt de la livraison des deux navires, des deux bâtiments de guerre ?
MANUEL VALLS
Tant que le dialogue est possible, tant qu'une solution pacifique, tant que la désescalade sont possibles, il faut s'en tenir à ces points.
PATRICK COHEN
Un mot, Manuel VALLS, sur cette affaire qui a entaché les premiers jours de cette deuxième phase du quinquennat – comme vous l'avez appelée – Aquilino MORELLE c'est vous qui l'avez convaincu de quitter son poste de conseiller à l'Elysée ?
MANUEL VALLS
Non ! C'est le président de la République qui lui a demandé et c'est lui-même qui en a tiré les conséquences.
PATRICK COHEN
Vous pensiez, vous aussi, que c'était nécessaire ?
MANUEL VALLS
Oui ! Bien sûr et c'est le choix qui a été fait, c'est le seul qui s'imposait.
PATRICK COHEN
Dernière question de Thomas LEGRAND !
THOMAS LEGRAND
Oui ! Une petite précision sur l'accélération du calendrier de la réforme des collectivités locales. Vous avez dit – et ça parait logique – qu'il serait normal que les électeurs qui aillent aux élections régionales sachent à quoi va ressembler la carte des régions et qu'en est-il de la carte des départements, vous avez fixé comme cap 2021 - ça parait très, très loin - pourquoi ne pas aller plus vite aussi pour les départements ?
MANUEL VALLS
Eh bien parce qu'il faut pouvoir le faire ! Il y a des élections régionales et départementales l'année prochaine, déjà voir...
THOMAS LEGRAND
Est-ce qu'on peut envisager un report de ces élections, certains le demandent ?
MANUEL VALLS
Nous verrons bien ! En tout cas, si certains le demandent, nous pourrons examiner cette proposition…
THOMAS LEGRAND
Vous ne pouvez pas le demander vous-même, vous n'êtes pas en position de le demander vous-même ?
MANUEL VALLS
Non ! Mais il faut respecter un calendrier électoral, je l'ai dit à l'occasion de mon discours de politique générale…
THOMAS LEGRAND
Bien sûr ! Vous…
MANUEL VALLS
Et engager…
THOMAS LEGRAND
Vous pourriez proposer ?
MANUEL VALLS
Ce qui me parait plus important avant de respecter la date des élections, ce qui me parait le plus important c'est la réforme de ces collectivités territoriales tant annoncée et que personne n'a eu le courage de le faire, ce gouvernement, cette majorité j'en suis convaincu le feront.
PATRICK COHEN
Merci Manuel VALLS, Premier ministre, d'être venu ce matin au micro de France Inter au lendemain d'un vote important sans aucun doute à l'Assemblée nationale.
MANUEL VALLS
Décisif ! Absolument.
PATRICK COHEN
Décisif.Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mai 2014