Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, dans "Le Parisien" du 26 avril 2014, sur les relations franco-russes, la situation en Ukraine et sur la construction européenne.

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Média : Le Parisien

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Q - Comment qualifiez-vous aujourd'hui nos relations avec les Russes ?
R - Ce sont des partenaires à la fois importants et difficiles. Importants, car pour des raisons historique, géographique et politique, il faut entretenir des relations suivies avec ce vaste pays, membre permanent du Conseil de sécurité. Difficiles, car annexer comme ils l'ont fait une partie d'un État, la Crimée, est totalement contraire au droit international. D'où notre choix : fermeté et dialogue.
Q - Quelle serait la ligne rouge après l'épisode de la Crimée ?
R - Personne de sensé ne souhaite évidemment un conflit armé avec la Russie, mais nous devons être fermes : la Russie doit respecter la souveraineté de ses voisins, autant qu'elle tient à la sienne.
Q - Pensez-vous que Vladimir Poutine a l'intention d'aborder l'est de l'Ukraine ?
R - Je n'ai pas de certitude, mais il faut être très vigilant. Nous sommes inquiets. Quand se produit l'affrontement entre populations chauffées à blanc, des incidents peuvent dégénérer. D'où notre appel à la désescalade. Nous avons déjà pris des sanctions, nous pouvons en prendre d'autres.
Q - Comment jugez-vous le rôle de l'Union européenne (UE) sur la crise en Ukraine ?
R - Un rôle utile, mais partiel. Lorsque Kiev était au bord de la guerre civile en février, nous nous sommes rendus, avec mes homologues allemand et polonais, dans la capitale ukrainienne et nous sommes parvenus à éviter un bain de sang. Mais l'UE n'a pu empêcher l'annexion de la Crimée. Il faut en tirer les leçons, notamment en matière de politique énergétique. Sur les 28 pays de l'UE, six dépendent à 100 % du gaz russe et douze à plus de 50 %. Nous devons réduire cette dépendance, donc bâtir ensemble une stratégie énergétique européenne. Par exemple, si nous diversifions nos sources d'énergie, si nous groupons nos achats pour obtenir de meilleurs prix, ce sera positif pour les ménages et les entreprises. C'est cette politique qu'il faut mettre en avant.
Q - Il faut donc plus d'Europe ?
R - Mieux d'Europe et une Europe différente. Ce qu'on appelle la subsidiarité doit être respecté : l'UE ne doit plus légiférer sur des sujets microscopiques. La gestion de l'UE est si contestée que l'idée européenne elle-même est mise en cause. C'est un danger, car nous avons besoin de l'Europe. Compte tenu du poids croissant des autres États-continents, de la nécessité d'agir unis pour être forts, la gestion doit être simplifiée, rendue plus efficace, réorientée vers l'emploi, le social et l'environnemental ; mais la démolition de l'Europe, comme certains partis le proposent, affaiblirait les États membres, donc la France et les Français. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2014