Entretien de Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, dans le quotidien malien "L'Essor" du 15 mai 2014, sur la situation au Mali, les relations franco-africaines et sur la Francophonie.

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Circonstance : Réunion de suivi de la conférence de Bruxelles du 15 mai 2013 «Ensemble pour le renouveau du Mali», à Bamako (Mali) le 15 juin 2014

Média : L'Essor

Texte intégral

Q - La constitution de votre cabinet après votre nomination en tant que secrétaire d'État au développement et à la francophonie semble marquer un infléchissement en faveur de l'Afrique. Ce sentiment est-il fondé, influera-t-il sur la politique conduite ?
R - Depuis le début de ce mandat, l'Afrique est une priorité pour la France et pour le président de la République, comme l'a montré le sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en décembre dernier. Cette priorité se décline dans les deux volets de mon portefeuille : le développement, où les pays africains sont nos premiers partenaires. Et on ne peut parler de francophonie sans mentionner l'Afrique, continent dont on estime qu'il devrait concentrer, en 2050, 85 % des locuteurs de la langue française à l'échelon mondial. Je n'ai donc pas l'impression de marquer un infléchissement particulier en ayant à mes côtés plusieurs personnes connaissant bien les pays africains. Le choix du président François Hollande, du Premier ministre Manuel Valls et du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, de confier à une même secrétaire d'État le suivi des deux domaines - ce qui fut déjà le cas par le passé - est assez logique.
Q - Vous participerez à une réunion de suivi de la conférence de Bruxelles des donateurs du Mali. Un an après cette conférence, l'état d'exécution des engagements et la gestion des fonds mobilisés vous semblent-ils satisfaisants ?
R - Un an après la conférence de Bruxelles, la mobilisation internationale pour l'aide au Mali est un succès. Lors de chaque réunion de suivi de la conférence de Bruxelles, qui avait permis de mobiliser 3,3 milliards d'euros (Ndlr : 2 165 milliards de Fcfa) de promesses d'aide de la part de 55 bailleurs, le gouvernement malien effectue un recensement de ce que les uns et les autres ont effectivement engagé et décaissé. La France, pour sa part, s'est engagée à hauteur de 280 millions d'euros (Ndlr : 183,5 milliards de Fcfa) d'aide bilatérale, et le décaissement s'effectue à un rythme soutenu. Je suis consciente que les attentes du peuple malien sont très grandes, car le pays a besoin de retrouver une dynamique ascendante après cette période de crise. Mais les bailleurs sont dépendants de la capacité des maîtrises d'ouvrage nationales à mettre en oeuvre les projets, en particulier dans les passations de marchés publics, dont les délais sont longs.
Q - À ce propos, la transparence de la gestion de l'aide est devenue une priorité pour le gouvernement français. Un site web est même expérimenté dans ce sens au Mali. L'initiative a-t-elle déjà donné des résultats ?
R - La transparence dans l'utilisation des fonds dédiés au développement est effectivement une priorité. Nous y sommes très attentifs, pour deux raisons : parce que les contribuables français souhaitent être informés et parce qu'une aide détournée, si elle alimente la corruption, est contreproductive. Comme vous le mentionniez, la France a mis en place un site web (http://transparence.ambafrance-ml.org) qui permet un suivi en temps réel, par tout citoyen français ou malien, des projets de développement soutenus par la France au Mali. Cette expérience est un succès, confirmé par la fréquentation du site : plus de 15 000 visites. En s'appuyant sur l'expérience positive de ce site internet, l'idée d'une plateforme détaillant l'aide financée par l'ensemble des partenaires techniques et financiers présents au Mali est en cours de discussion avec le gouvernement malien. La France, de son côté, va dupliquer ce dispositif pour 15 autres pays bénéficiant de son aide.
Q - Le Mali sort d'une profonde crise. Que pensez-vous de la situation politique et des perspectives de redressement du pays ?
R - L'essentiel de la crise qu'a traversée le Mali est désormais derrière nous. La situation n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y a un an. Grâce à l'opération militaire conjointe des forces armée maliennes, des forces ouest-africaines et de la force Serval, le Mali a recouvré son intégrité territoriale et les terroristes ont été considérablement affaiblis. Aujourd'hui, la MINUSMA permet de poursuivre la stabilisation du Nord et nous assistons à un retour progressif des déplacés et des réfugiés. Sur le plan politique, avec l'élection du président Keïta et les élections législatives, le Mali a retrouvé l'ordre constitutionnel et la démocratie.
C'est à présent le temps du développement et de la reconstruction. La France se tient aux côtés du Mali pour accompagner cet effort qui concerne la relance du développement, mais aussi le renforcement des institutions. C'est aussi le temps de la réconciliation nationale. Le dialogue entre les autorités maliennes, les groupes armés non terroristes et toutes les communautés du Nord est nécessaire pour parvenir à une paix durable. Je salue à cet égard les récentes déclarations des plus hautes autorités maliennes, comme des autres parties prenantes, qui se sont dit prêts à avancer en ce sens.
Q - Quels seront les sujets que vous entendez privilégier durant vos rencontres bilatérales à Bamako ?
R - J'aborderai tous les sujets dont j'ai la charge au sein du gouvernement français et qui sont pertinents chez un partenaire comme le Mali : le développement, comme je viens de vous le dire, mais aussi la francophonie, qui est un trésor que nous partageons. Évidemment, j'aurai également l'occasion de m'entretenir sur les projets du gouvernement malien, car ce sont les réformes annoncées par le plan d'action du gouvernement et dans la déclaration de politique générale du Premier ministre qui fondent la stratégie de développement que la France appuie.
Q - La situation de Kidal constitue une source de grande frustration pour la quasi-totalité des Maliens et la France est mise en cause par une frange de l'opinion. Tous les officiels français de passage par Bamako renvoient, par contre, la responsabilité de l'enlisement aux Maliens. Est-ce votre point de vue et plus généralement, quel rôle la France pourrait-elle jouer pour faire avancer le processus de paix ?
R - À Kidal comme ailleurs, il faut que l'ordre institutionnel soit pleinement respecté, que les services de l'État reviennent et que les habitants puissent retrouver tous leurs interlocuteurs de l'administration, à commencer par les instituteurs. Aujourd'hui, ce processus est en cours, et la France appuie le retour des services sociaux de base, alors que les conditions de sécurité demeurent difficiles. Derrière ces questions se pose le problème plus global du devenir des régions du Nord, dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Mali, qui doit être traitée par le processus de dialogue inclusif auquel je faisais référence.
La France situe son action dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. La résolution 2100 du Conseil de sécurité (avril 2013), prévoit que les négociations se tiennent sous l'égide du représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour le Mali, en étroite collaboration avec la CEDEAO, l'UA et le représentant spécial de l'UE pour le Sahel. Ce cadre est important, et la France, à titre bilatéral, appuie toutes les initiatives qui le respectent et concourent à la recherche d'une paix durable.
Q - Au cours de votre séjour à Bamako vous vous rendrez au Campus numérique. Y a-t-il un rapport entre cette visite et votre vision du développement durable et de la francophonie ?
R - La francophonie n'est pas quelque chose de statique. C'est à la fois un héritage et une réalité très vivante et mouvante, qui va bien au-delà de la seule dimension linguistique. La francophonie, c'est une langue, des valeurs communes, c'est un «humanisme intégral», comme le disait Senghor. C'est aussi une volonté de coopérer d'égal à égal au sein d'un ensemble fédéré par l'Organisation internationale de la Francophonie. Le prochain sommet de l'OIF aura lieu en novembre à Dakar, et cet événement aura une dimension toute particulière puisqu'il inclura la désignation d'un nouveau secrétaire général. Mais plus largement, la francophonie est un lieu privilégié pour faire avancer des projets de formation en français - et le campus numérique malien y participe, pour parler du devenir de la planète face au changement climatique, qui est un péril commun, et pour favoriser le développement économique.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 2014