Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le Président de la commission des affaires économiques,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Rapporteurs pour avis,
Mesdames et Messieurs les députés,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter au nom du Gouvernement de Manuel Valls émane d'une ambition inédite. Il est l'élan fondateur, qui permettra de reconnaître enfin l'enjeu que constitue l'Economie Sociale et Solidaire dans notre économie, et de lui donner, ainsi qu'à tous les acteurs qui s'y engagent au quotidien, la place qu'ils méritent, ainsi que les moyens de développement et de changement d'échelle.
Platon expliquait que « la cité se forme parce que chacun d'entre nous se trouve dans la situation de ne pas se suffire à lui-même, mais au contraire de manquer de beaucoup de choses ». Cette conviction, les acteurs de l'Economie sociale, l'ont eue, bien avant la création des services marchands ou des services publics. Leur idée de départ est fondée sur un calcul démocratique simple : « une personne = une voix ».
Ces inspirateurs de l'économie sociale, ces chevaliers de la solidarité, ce sont nos aïeux. C'est Charles Gide, l'un des créateurs du mouvement coopératif, qui définit en 1885 la coopération comme étant « le résultat d'efforts coordonnés et inlassables vers un idéal qu'il faut montrer au peuple ». Ou encore Paul Bennetot, Président fondateur de la Matmut en 1962, qui laisse dans le mouvement mutualiste l'image d'un bâtisseur.
Nous les méconnaissons. Et pourtant, ce sont eux qui ont porté ces combats, chevillés au coeur, comme une pierre de Sisyphe, inlassablement poussée et exhortée jusqu'au sommet de la montagne.
C'est donc au sein d'une longue histoire que la tradition française de l'esprit collectif a été imaginée et bâtie. Cet esprit collectif, c'est l'esprit d'entreprendre. C'est l'esprit de l'audace, qui ose concevoir autrement l'économie. C'est l'esprit de l'imagination, qui invente de nouvelles manières de s'associer et de jouer un rôle pour et dans la société.
1850, première loi sur les sociétés de secours mutuels.
1901, loi sur les associations.
1945, code de la mutualité.
1947, loi sur les coopératives.
1978, loi sur les sociétés coopératives ouvrières de production.
1981, création pour la première fois d'une Délégation interministérielle à l'économie sociale, sous François Mitterrand.
1984, présence d'un Secrétariat d'Etat dédié, auprès du Premier Ministre, Laurent Fabius.
1987, loi sur les fondations.
Et 2014 ?
2014, une année historique pour un Gouvernement bâtisseur, qui consolide l'édifice de l'Economie Sociale et Solidaire. En lui donnant un cadre : ce projet de loi. En lui offrant un Ministère : Bercy.
Ce texte restera comme l'une des grandes lois économiques de ce quinquennat. C'est la première fois que l'Economie Sociale et Solidaire, appelons-la l'ESS, obtient une reconnaissance publique et institutionnelle et elle a logiquement trouvé sa place au sein du Ministère de l'Economie. C'est une réponse aux attentes des acteurs du secteur ; c'est aussi l'opportunité de créer en France une véritable politique publique en faveur de l'ESS.
Mutuelle, association, fondation, coopérative, société commerciale d'utilité sociale, chaque Français, que vous représentez, Mesdames et Messieurs les députés, en connaît au moins une et a pu mesurer tous les bienfaits sociaux qu'elle apporte.
Cette loi, ce n'est donc pas une loi qui divise ; c'est une loi qui transcende. Ce n'est pas une loi qui oppose ; c'est une loi qui rassemble. Un rassemblement qui a l'être humain pour ambition.
Au-delà des étiquettes, au-delà des partis, au-delà du particulier, - je voudrais à ce titre souligner la qualité du rapport qu'avait conduit en 2010 votre collègue Francis Vercamer -, au-delà de l'individuel, sachons nous réunir et aller vers ce qui a soif d'universel : la coopération, la solidarité.
Prouvons que nous faisons confiance à l'ESS, à l'entreprenariat social et à ses acteurs, et que nous voyons en elle, en eux, un trésor national.
Entre le secteur privé et le secteur public, l'ESS fait oeuvre de créativité pour bâtir un nouveau compromis social entre capital, travail humain et solidarité. C'est en réalité un changement de paradigme dans lequel l'ESS définit une autre manière de penser les échanges et crée le modèle économique durable de demain.
ESS : Sens du projet de loi
Quel est le sens de ce projet de loi ? D'opposer les entreprises ? Non, je considère comme absurde d'adopter une vision binaire des entreprises. Nous ne voulons pas opposer les modèles, nous voulons reconnaître un modèle : celui d'une économie humaine et humaniste.
En donnant la primauté aux êtres humains plutôt qu'au capital et au profit, en se détachant de l'emprise des actionnaires, en refusant le dogmatisme d'un système économique qui a montré ses limites, en ayant pour blason la solidarité collective, l'ESS n'est pas une économie de réparation. C'est un secteur conquérant et résilient, qui prouve tous les jours que l'économie est fondamentalement et originellement une science humaine.
ESS : l'emploi
Depuis le début du quinquennat, notre but, notre exigence, notre obsession, c'est l'emploi. L'ESS est précisément l'un des secteurs les plus prometteurs, en raison de son potentiel de création d'emplois non-délocalisables, - vous savez combien le Gouvernement est vigilant sur ce point -, de son ancrage dans les territoires et de sa capacité d'innovation. C'est un levier essentiel pour remporter la bataille pour l'emploi et soutenir le redressement économique de la France. C'est un combat qu'Arnaud Montebourg et Michel Sapin mènent avec pugnacité au sein des Ministères de l'Economie et des Finances.
2, 4 millions de salariés, soit un emploi privé sur huit, et 10% du PIB de la France : c'est cela l'Economie Sociale et Solidaire. Concrètement, elle comprend 70% des structures d'accueil des personnes âgées dépendantes, 9 structures sur 10 pour les handicapés, 1,5 fois les emplois de la construction, 4,5 fois ceux de l'agro-alimentaire.
Ce secteur connaît même de meilleures performances que d'autres puisqu'il est en phase avec les besoins de la société. Dans les difficiles années 2000, alors que l'emploi dans le secteur privé marchand classique n'augmentait, en 10 ans, que de 7%, l'emploi dans les entreprises de l'ESS augmentait de 23%, soit plus de 3 fois plus ! C'est une économie résistante, et qui résiste d'autant mieux qu'elle est libérée de l'emprise des capitaux et de l'impatience des impatients.
Pourquoi connaît-elle une si formidable croissance ? Tout simplement parce que l'Economie Sociale et Solidaire est une économie résolument tournée vers l'avenir et qu'elle est au coeur des enjeux des emplois de demain : ceux de l'intergénérationnel, ceux de la transition énergétique, tous ceux qui retissent le lien social au coeur du mouvement associatif. Avec 600 000 salariés de l'ESS à la retraite d'ici 2020, ce secteur recrute et va continuer de recruter : c'est un secteur créateur d'emplois.
Par nature, l'ESS est une économie ancrée dans les territoires, c'est une économie de la proximité, de la cohésion, qui répond à des besoins sociaux des territoires et qui y crée des emplois. Je rappelle que 75% des coopératives se situent en région et que les élus locaux s'y impliquent avec détermination et témérité.
Je pense aussi en particulier à l'emploi des jeunes dont le Président de la République a fait sa priorité. La jeunesse française, nos enfants, Mesdames et Messieurs les députés, auront dans ce secteur une formidable opportunité d'entreprendre, de découvrir une autre manière d'appréhender les échanges ou d'inventer de nouveaux métiers. Je pense par exemple aux associations sportives et culturelles dans nos territoires ruraux et nos quartiers populaires. 33% : c'est la moyenne nationale des jeunes de moins de 30 ans qui créent des entreprises. 55% : c'est le pourcentage des créateurs d'entreprise de moins de 30 ans, dans les quartiers populaires.
Vous savez, lorsque l'on est jeune, on a des idéaux qui nous remplissent d'optimisme, qui nous font rêver et qui nous donnent l'enthousiasme de changer le monde. L'ESS prouve à la jeunesse qu'il y a autre chose que le profit et le capital. Qu'au-delà du travail, il y a un sens, « un faire autrement », un esprit collectif, qui peut, à sa manière, changer le monde. C'est une économie qui bénéficie à tous.
ESS : Promesse de campagne, cheminement législatif
Cette prise de conscience, cette volonté d'agir pour ce secteur créateur d'emplois et d'innovations, François Hollande en a fait l'un des blasons de sa campagne présidentielle. En mars 2012, lors d'un discours devant le Conseil des Entreprises et Groupements d'Employeurs de l'Economie Sociale, le CEGES, il prend 10 engagements en faveur de l'ESS. Dès l'automne 2012, le Gouvernement, le ministre de l'ESS Benoît Hamon, entament donc un vaste chantier pour préparer une loi sur l'ESS. Aujourd'hui, ce projet de loi contient ces 10 engagements.
Tout au long des étapes législatives, mon collègue Benoît Hamon, à qui je veux rendre un hommage appuyé, a eu à coeur de travailler dans un esprit de co-construction avec l'ensemble des réseaux et des acteurs. Nous avons sollicité les fédérations professionnelles, les instances consultatives, - notamment le Conseil Supérieur de l'Economie Sociale et Solidaire -, et les institutions représentatives du secteur, - notamment le CEGES. Les organisations syndicales ont aussi apporté leurs contributions, quant à la vigueur des principes dans la réalité sociale des entreprises. Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental a fait l'objet d'une saisine du Gouvernement ; son avis fait notamment l'objet d'une reprise assez exhaustive concernant la modernisation du droit coopératif et la territorialisation des politiques de développement de l'économie sociale et solidaire.
Innovation sociale, utilité sociale, économie sociale et solidaire : ce ne sont pas des coquilles vides, de la rhétorique d'apparat, des concepts inventés pour alourdir les dictionnaires et les têtes. Ce sont des mots que nous avons définis tous ensemble, pour leur donner un contenu tangible et reconnaître la légitimité de la réalité qu'ils signifient.
C'est donc bien la méthode du Gouvernement : la réflexion commune, la concertation entre les parties prenantes pour mieux imaginer et créer l'environnement favorable pour le développement de l'ESS dans le monde de demain. L'avenir de l'ESS, qui concilie la performance économique et l'utilité sociale, c'est l'avenir d'une économie profondément, indéniablement, irrésistiblement réelle.
Au mois d'avril dernier, six commissions, qui avaient été saisies pour avis, ont adopté ce projet de loi. C'est inhabituel, c'est un record pour la législature :
- La commission des affaires économiques, avec son Président François Brottes que je remercie pour pour sa rigueur, et la qualité et la pertinence de la coordination de l'ensemble. C'est un président efficace et juste.
- La commission des affaires culturelles
- La commission des affaires étrangères
- La commission des affaires sociales
- La commission du développement durable
- La commission des finances
- La commission des lois
Je tiens à les remercier pour leurs analyses et pour les travaux de grande qualité qui y ont été menés.
Je tiens aussi à remercier le rapporteur Yves Blein qui a été un architecte précieux dans l'enrichissement de ce projet de loi en commission des affaires économiques ; particulièrement au coeur de son engagement de longue date pour la force et la place de la vie associative dans notre pays et dans le lien social. Les débats lors de la commission ont prouvé à quel point il était urgent de réfléchir aux enjeux de l'ESS et de proposer une loi qui accompagne de façon adéquate son essor pour lui insuffler une plus grande dynamique encore.
Je profite aussi de l'occasion qui m'est donnée de remercier ma collègue Axelle Lemaire qui a présenté en mon nom ce projet de loi en commission.
Le projet de loi que je vous propose aujourd'hui, c'est le projet d'une loi ouverte qui respecte la diversité intrinsèque du secteur. Ce sera aussi une loi d'affirmation, qui marque bien ses frontières.
Mesdames et Messieurs les députés, j'en arrive donc au contenu de ce texte historique, qui repose sur trois piliers : la reconnaissance, la structuration et le développement de l'ESS.
1) Ce projet de loi, c'est tout d'abord une définition. La définition de l'ESS et de son périmètre, qui permettra aux autres législations de s'y référer et d'inscrire dans la durée les politiques publiques en faveur de ces entreprises. Il s'agit, comme le dit l'article 1er, d'un mode d'entreprendre qui intègre dans les statuts de l'entreprise concernée les principes communs suivants :
- Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices.
- Une gouvernance démocratique ou participative définie par des statuts et incluant les parties prenantes.
- Une gestion mettant en oeuvre les modalités d'une lucrativité limitée ou encadrée.
Cette définition inclut non seulement les acteurs historiques de l'ESS, que sont les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations, mais aussi les sociétés commerciales qui auront fait le choix volontaire de s'appliquer à elles-mêmes les principes de l'ESS que je viens d'énoncer.
Cette définition légale reconnaît que l'Economie Sociale et Solidaire constitue une autre manière d'entreprendre. Notre objectif est d'accompagner l'essor de l'entreprenariat social en France tout en promouvant les valeurs de l'ESS. Il s'agit bien d'inspirer les valeurs de l'ESS à l'économie classique. Si ce projet est adopté, la loi française sera alors l'une des plus avancées et des plus actives d'Europe.
2) Ce projet de loi vise aussi à mieux structurer le secteur, afin d'organiser son développement. Au niveau national, je souhaite qu'elle refonde le Conseil Supérieur de l'ESS : cette structuration permettra un dialogue entre les acteurs et l'Etat. Au niveau local, les Chambres régionales de l'ESS joueront un rôle important pour répondre aux mutations et aux besoins des territoires. Il est nécessaire de renforcer l'ancrage territorial de l'ESS et de l'articuler aux politiques publiques locales.
La loi reconnaîtra les Pôles territoriaux de Coopération Economique comme Pôles de Compétitivité de l'Economie Sociale et Solidaire. Ces Pôles, - les PTCE -, institutionnalisent les synergies entre entreprises de l'ESS, entre entreprises classiques, collectivités territoriales, laboratoires de recherche, structures de formation, au sein d'une filière et d'un territoire. Ils permettront aussi de mutualiser les moyens, de favoriser l'innovation sociale et d'agir pour le développement durable des territoires et de l'environnement.
3) Enfin, ce projet de loi a pour ambition d'offrir à l'ESS un cadre à partir duquel davantage de financements vers les entreprises de l'ESS pourront être orientés. Car si nous nous contentons de reconnaître l'ESS, sans la doter d'outils financiers adaptés, ce n'est que la moitié du chemin que nous traverserons. Avec cette loi, je veux conforter les modèles existants et engager résolument un changement d'échelle.
500 millions d'euros ? Promesse tenue ! C'est la capacité d'engagement totale et Bpifrance sera pleinement mobilisée pour l'atteindre. Elle gérera un fonds de financement de l'innovation sociale, cofinancé par l'Etat et les régions à hauteur de 40 millions d'euros à compter de 2014. Ce fonds distribuera des avances remboursables jusqu'à concurrence de 500 000 euros. Un fonds de fonds soutiendra en fonds propres les entreprises de l'ESS, avec une capacité cible d'une centaine de millions d'euros. Il investira notamment dans un fonds d'investissement dédié aux coopératives.
50 millions d'euros ? Ce sera la capacité d'engagement totale du nouveau dispositif de garantie de prêts bancaires de Bpifrance, dédié aux entreprises de l'ESS.
Il faudra aussi davantage orienter l'épargne longue vers l'ESS. Les encours de l'épargne solidaire ont explosé en passant de 600 000 euros en 2006 à 2, 6 millions d'euros l'an dernier. Il faut à présent favoriser la création de nouveaux supports d'investissements pour aller encore plus loin.
Quel est l'autre axe de développement de l'ESS que ce projet de loi propose ? L'orientation des achats publics vers les acteurs de l'ESS, avec la généralisation des schémas de promotion des achats socialement responsables. Il faut que tous les acteurs publics se saisissent des clauses sociales pour faciliter l'accès aux marchés publics des entreprises de l'insertion par l'activité économique.
Vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, dans mes précédentes responsabilités locales et gouvernementales, j'ai beaucoup travaillé pour et avec les associations, qui sont l'employeur principal de l'ESS. Je sais combien ce texte est important à leurs yeux. Elles, qui ont vu croître la commande publique au détriment des subventions et des conventions pluri-annuelles. Car le problème majeur auquel elles font face aujourd'hui, c'est le manque de financements, qu'ils soient en prêts, en fonds propres, en garanties bancaires ou sous la forme de subvention.
C'est pourquoi, en tant que ministre de la vie associative, j'ai signé avec Jean-Marc Ayrault une nouvelle « Charte des engagements réciproques », en février dernier. Une Charte réunissant, pour la première fois, aux côtés de l'Etat et du mouvement associatif, toutes les associations d'élus de France. Cette charte, nous l'avons signée en Meurthe-et-Moselle, auprès du Président du Conseil Général Michel Dinet, - ardent défenseur dans son engagement public de l'humain, des solidarités, de la vie associative -, dont je salue la mémoire. Ce projet de loi conforte la Charte et donne enfin une définition législative de la subvention, assurant sa sécurisation. Il rend plus attractif le titre associatif et ouvre l'accès à la grande capacité. Ma collègue, Najat Vallaud-Belkacem, aujourd'hui en charge de la vie associative, viendra porter le titre 5 du projet de loi, qui lui est totalement consacré, grâce au travail réalisé par Yves Blein et la commission des affaires culturelles.
Et l'Europe dans tout cela ? L'Europe, elle est aussi un levier pour donner corps à l'architecture de notre Economie Sociale et Solidaire. Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre de l'initiative de la Commission Européenne pour promouvoir ce secteur comme acteur à part entière d'une « économie sociale de marché hautement compétitive ».
A cet égard, le projet de loi organise le fléchage de financements européens vers l'ESS en France : des fonds d'investissement solidaires de droit français bénéficiant du nouveau label européen de fonds d'entrepreneuriat social pourront ainsi collecter de l'épargne longue auprès d'investisseurs institutionnels. Ce sera là une excellente opportunité pour attirer en France de nouvelles ressources, en vue de développer le financement de l'ESS.
Le Gouvernement français continue par cette loi le travail qu'il a mené au niveau européen, notamment lors de la conférence de Strasbourg, en janvier dernier. Comme vous le savez, le commissaire européen Antonio Tajani y a annoncé la prochaine publication des résultats de l'étude d'impact sur le statut de la Mutuelle européenne. C'est une très bonne nouvelle car cela va pouvoir être, pour chacun, pour tous les Européens, une véritable opportunité de vivre concrètement l'économie sociale en Europe.
J'aimerais à présent aborder la belle idée de l'entrepreneuriat collectif que ce projet de loi promeut énergiquement. Le pouvoir d'agir, c'est le pouvoir d'être l'architecte de son destin. Lorsque nous pensons aux entreprises, nous avons trop souvent en tête l'entrepreneur individuel. Mais la création d'une activité grâce à une coopérative d'activité et d'emploi qui facilite la mise en commun de moyens avec d'autres entrepreneurs, la reprise d'une entreprise en SCOP par les salariés, ce sont des solutions qui sauvent l'emploi, qui créent des emplois, et qui sont issues de l'engagement collectif.
Chacun d'entre vous connaît une petite entreprise qui ferme, - une imprimerie ou une scierie -, et qui détruit dix, vingt, trente emplois. A l'échelle des statistiques macroéconomiques, c'est peu, mais à l'échelle d'un petit territoire, c'est souvent un séisme. La froideur des chiffres cache des tragédies humaines.
Le Gouvernement est déterminé à agir pour préserver ces entreprises qui comptent tant dans et pour la cohésion territoriale du pays. C'est pourquoi il souhaite, avec le droit préalable d'information des salariés, leur permettre de proposer le cas échéant une offre de reprise, et donc de leur donner le temps pour qu'ils puissent le faire, moyennant des contreparties évidentes en matière de confidentialité. Je sais, Mesdames et Messieurs les députés, que la non-divulgation est un point qui compte beaucoup pour nombre d'entre vous et je tiens à vous rassurer sur ce sujet.
Ce droit d'information préalable est d'autant plus important qu'avec le poids de la mondialisation, les salariés français ont le sentiment que la gouvernance économique est éloignée d'eux, que les décisions relèvent de moins en moins des Etats et de plus en plus de sphères abstraites et lointaines. Il faut créer plus de liens entre le salarié et son entreprise.
Avec le droit d'information préalable, le droit de propriété n'est pas remis en question : la liberté du cédant est intacte.
Le droit d'information préalable est l'un des trois piliers du « trident » que nous avons conçu pour soutenir le « choc coopératif », avec le nouveau statut de SCOP d'amorçage et le fonds SCOP mis en place par Bpifrance.
Ce projet de loi tout entier réhabilite l'entrepreneuriat collectif, et il n'y a donc pas de raisons valables de s'y opposer dans les circonstances que j'ai décrites. Notre ambition est de placer les salariés dans la situation d'être des repreneurs potentiels, forts de leur compétence et de leur connaissance de l'outil de production. Ni plus, ni moins.
Comme vous, je suis aussi une élue locale et j'ai vu avec plaisir l'entreprise de métallerie Setco à Malaunay devenir une coopérative reprise par ses salariés. Ce projet, accompagné par l'Union Régionale des SCOP, est histoire d'un dirigeant d'entreprise qui aide ses salariés à reprendre l'entreprise, en négociant avec la banque pour les prêts dont ils ont besoin. C'est cela, aussi, l'ESS.
Enfin, ce projet de loi aborde un nombre conséquent de sujets de modernisation et d'adaptation relatifs aux différents statuts des mutuelles, des associations, des fondations, des coopératives.
Mesdames et Messieurs les députés, accompagner l'essor de l'Economie Sociale et Solidaire, c'est non seulement une exigence ; mais c'est aussi notre devoir. C'est l'intérêt général, c'est aussi notre intérêt national.
Qui peut encore croire que concilier performance économique et utilité sociale est un paradoxe ? Comme l'écrivait Marcel Proust, « les paradoxes d'aujourd'hui sont les préjugés de demain ». Demain, performance économique et utilité sociale pourront être reconnues comme synonymes ! Cette synonymie, c'est aussi l'idée forte que ce projet de loi défend.
Mesdames et Messieurs les députés, la fatalité n'est qu'un vieux mythe à court d'imagination. C'est parce que j'ai cette conviction solidement ancrée, que, alors médecin à Rouen, j'ai voulu m'engager auprès de mes concitoyens, pour ma ville et aujourd'hui pour mon pays. C'est parce que nous voulons changer l'ordre apparemment implacable des choses que ce projet de loi vous est présenté.
C'est pourquoi je suis fière aujourd'hui de vous convier à ce rendez-vous historique de la reconnaissance de l'ESS par la loi, pour lui donner les moyens de changer d'échelle et d'atteindre son plein potentiel.
Je vous remercie.Source http://www.economie.gouv.fr, le 15 mai 2014
Monsieur le Président de la commission des affaires économiques,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Rapporteurs pour avis,
Mesdames et Messieurs les députés,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter au nom du Gouvernement de Manuel Valls émane d'une ambition inédite. Il est l'élan fondateur, qui permettra de reconnaître enfin l'enjeu que constitue l'Economie Sociale et Solidaire dans notre économie, et de lui donner, ainsi qu'à tous les acteurs qui s'y engagent au quotidien, la place qu'ils méritent, ainsi que les moyens de développement et de changement d'échelle.
Platon expliquait que « la cité se forme parce que chacun d'entre nous se trouve dans la situation de ne pas se suffire à lui-même, mais au contraire de manquer de beaucoup de choses ». Cette conviction, les acteurs de l'Economie sociale, l'ont eue, bien avant la création des services marchands ou des services publics. Leur idée de départ est fondée sur un calcul démocratique simple : « une personne = une voix ».
Ces inspirateurs de l'économie sociale, ces chevaliers de la solidarité, ce sont nos aïeux. C'est Charles Gide, l'un des créateurs du mouvement coopératif, qui définit en 1885 la coopération comme étant « le résultat d'efforts coordonnés et inlassables vers un idéal qu'il faut montrer au peuple ». Ou encore Paul Bennetot, Président fondateur de la Matmut en 1962, qui laisse dans le mouvement mutualiste l'image d'un bâtisseur.
Nous les méconnaissons. Et pourtant, ce sont eux qui ont porté ces combats, chevillés au coeur, comme une pierre de Sisyphe, inlassablement poussée et exhortée jusqu'au sommet de la montagne.
C'est donc au sein d'une longue histoire que la tradition française de l'esprit collectif a été imaginée et bâtie. Cet esprit collectif, c'est l'esprit d'entreprendre. C'est l'esprit de l'audace, qui ose concevoir autrement l'économie. C'est l'esprit de l'imagination, qui invente de nouvelles manières de s'associer et de jouer un rôle pour et dans la société.
1850, première loi sur les sociétés de secours mutuels.
1901, loi sur les associations.
1945, code de la mutualité.
1947, loi sur les coopératives.
1978, loi sur les sociétés coopératives ouvrières de production.
1981, création pour la première fois d'une Délégation interministérielle à l'économie sociale, sous François Mitterrand.
1984, présence d'un Secrétariat d'Etat dédié, auprès du Premier Ministre, Laurent Fabius.
1987, loi sur les fondations.
Et 2014 ?
2014, une année historique pour un Gouvernement bâtisseur, qui consolide l'édifice de l'Economie Sociale et Solidaire. En lui donnant un cadre : ce projet de loi. En lui offrant un Ministère : Bercy.
Ce texte restera comme l'une des grandes lois économiques de ce quinquennat. C'est la première fois que l'Economie Sociale et Solidaire, appelons-la l'ESS, obtient une reconnaissance publique et institutionnelle et elle a logiquement trouvé sa place au sein du Ministère de l'Economie. C'est une réponse aux attentes des acteurs du secteur ; c'est aussi l'opportunité de créer en France une véritable politique publique en faveur de l'ESS.
Mutuelle, association, fondation, coopérative, société commerciale d'utilité sociale, chaque Français, que vous représentez, Mesdames et Messieurs les députés, en connaît au moins une et a pu mesurer tous les bienfaits sociaux qu'elle apporte.
Cette loi, ce n'est donc pas une loi qui divise ; c'est une loi qui transcende. Ce n'est pas une loi qui oppose ; c'est une loi qui rassemble. Un rassemblement qui a l'être humain pour ambition.
Au-delà des étiquettes, au-delà des partis, au-delà du particulier, - je voudrais à ce titre souligner la qualité du rapport qu'avait conduit en 2010 votre collègue Francis Vercamer -, au-delà de l'individuel, sachons nous réunir et aller vers ce qui a soif d'universel : la coopération, la solidarité.
Prouvons que nous faisons confiance à l'ESS, à l'entreprenariat social et à ses acteurs, et que nous voyons en elle, en eux, un trésor national.
Entre le secteur privé et le secteur public, l'ESS fait oeuvre de créativité pour bâtir un nouveau compromis social entre capital, travail humain et solidarité. C'est en réalité un changement de paradigme dans lequel l'ESS définit une autre manière de penser les échanges et crée le modèle économique durable de demain.
ESS : Sens du projet de loi
Quel est le sens de ce projet de loi ? D'opposer les entreprises ? Non, je considère comme absurde d'adopter une vision binaire des entreprises. Nous ne voulons pas opposer les modèles, nous voulons reconnaître un modèle : celui d'une économie humaine et humaniste.
En donnant la primauté aux êtres humains plutôt qu'au capital et au profit, en se détachant de l'emprise des actionnaires, en refusant le dogmatisme d'un système économique qui a montré ses limites, en ayant pour blason la solidarité collective, l'ESS n'est pas une économie de réparation. C'est un secteur conquérant et résilient, qui prouve tous les jours que l'économie est fondamentalement et originellement une science humaine.
ESS : l'emploi
Depuis le début du quinquennat, notre but, notre exigence, notre obsession, c'est l'emploi. L'ESS est précisément l'un des secteurs les plus prometteurs, en raison de son potentiel de création d'emplois non-délocalisables, - vous savez combien le Gouvernement est vigilant sur ce point -, de son ancrage dans les territoires et de sa capacité d'innovation. C'est un levier essentiel pour remporter la bataille pour l'emploi et soutenir le redressement économique de la France. C'est un combat qu'Arnaud Montebourg et Michel Sapin mènent avec pugnacité au sein des Ministères de l'Economie et des Finances.
2, 4 millions de salariés, soit un emploi privé sur huit, et 10% du PIB de la France : c'est cela l'Economie Sociale et Solidaire. Concrètement, elle comprend 70% des structures d'accueil des personnes âgées dépendantes, 9 structures sur 10 pour les handicapés, 1,5 fois les emplois de la construction, 4,5 fois ceux de l'agro-alimentaire.
Ce secteur connaît même de meilleures performances que d'autres puisqu'il est en phase avec les besoins de la société. Dans les difficiles années 2000, alors que l'emploi dans le secteur privé marchand classique n'augmentait, en 10 ans, que de 7%, l'emploi dans les entreprises de l'ESS augmentait de 23%, soit plus de 3 fois plus ! C'est une économie résistante, et qui résiste d'autant mieux qu'elle est libérée de l'emprise des capitaux et de l'impatience des impatients.
Pourquoi connaît-elle une si formidable croissance ? Tout simplement parce que l'Economie Sociale et Solidaire est une économie résolument tournée vers l'avenir et qu'elle est au coeur des enjeux des emplois de demain : ceux de l'intergénérationnel, ceux de la transition énergétique, tous ceux qui retissent le lien social au coeur du mouvement associatif. Avec 600 000 salariés de l'ESS à la retraite d'ici 2020, ce secteur recrute et va continuer de recruter : c'est un secteur créateur d'emplois.
Par nature, l'ESS est une économie ancrée dans les territoires, c'est une économie de la proximité, de la cohésion, qui répond à des besoins sociaux des territoires et qui y crée des emplois. Je rappelle que 75% des coopératives se situent en région et que les élus locaux s'y impliquent avec détermination et témérité.
Je pense aussi en particulier à l'emploi des jeunes dont le Président de la République a fait sa priorité. La jeunesse française, nos enfants, Mesdames et Messieurs les députés, auront dans ce secteur une formidable opportunité d'entreprendre, de découvrir une autre manière d'appréhender les échanges ou d'inventer de nouveaux métiers. Je pense par exemple aux associations sportives et culturelles dans nos territoires ruraux et nos quartiers populaires. 33% : c'est la moyenne nationale des jeunes de moins de 30 ans qui créent des entreprises. 55% : c'est le pourcentage des créateurs d'entreprise de moins de 30 ans, dans les quartiers populaires.
Vous savez, lorsque l'on est jeune, on a des idéaux qui nous remplissent d'optimisme, qui nous font rêver et qui nous donnent l'enthousiasme de changer le monde. L'ESS prouve à la jeunesse qu'il y a autre chose que le profit et le capital. Qu'au-delà du travail, il y a un sens, « un faire autrement », un esprit collectif, qui peut, à sa manière, changer le monde. C'est une économie qui bénéficie à tous.
ESS : Promesse de campagne, cheminement législatif
Cette prise de conscience, cette volonté d'agir pour ce secteur créateur d'emplois et d'innovations, François Hollande en a fait l'un des blasons de sa campagne présidentielle. En mars 2012, lors d'un discours devant le Conseil des Entreprises et Groupements d'Employeurs de l'Economie Sociale, le CEGES, il prend 10 engagements en faveur de l'ESS. Dès l'automne 2012, le Gouvernement, le ministre de l'ESS Benoît Hamon, entament donc un vaste chantier pour préparer une loi sur l'ESS. Aujourd'hui, ce projet de loi contient ces 10 engagements.
Tout au long des étapes législatives, mon collègue Benoît Hamon, à qui je veux rendre un hommage appuyé, a eu à coeur de travailler dans un esprit de co-construction avec l'ensemble des réseaux et des acteurs. Nous avons sollicité les fédérations professionnelles, les instances consultatives, - notamment le Conseil Supérieur de l'Economie Sociale et Solidaire -, et les institutions représentatives du secteur, - notamment le CEGES. Les organisations syndicales ont aussi apporté leurs contributions, quant à la vigueur des principes dans la réalité sociale des entreprises. Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental a fait l'objet d'une saisine du Gouvernement ; son avis fait notamment l'objet d'une reprise assez exhaustive concernant la modernisation du droit coopératif et la territorialisation des politiques de développement de l'économie sociale et solidaire.
Innovation sociale, utilité sociale, économie sociale et solidaire : ce ne sont pas des coquilles vides, de la rhétorique d'apparat, des concepts inventés pour alourdir les dictionnaires et les têtes. Ce sont des mots que nous avons définis tous ensemble, pour leur donner un contenu tangible et reconnaître la légitimité de la réalité qu'ils signifient.
C'est donc bien la méthode du Gouvernement : la réflexion commune, la concertation entre les parties prenantes pour mieux imaginer et créer l'environnement favorable pour le développement de l'ESS dans le monde de demain. L'avenir de l'ESS, qui concilie la performance économique et l'utilité sociale, c'est l'avenir d'une économie profondément, indéniablement, irrésistiblement réelle.
Au mois d'avril dernier, six commissions, qui avaient été saisies pour avis, ont adopté ce projet de loi. C'est inhabituel, c'est un record pour la législature :
- La commission des affaires économiques, avec son Président François Brottes que je remercie pour pour sa rigueur, et la qualité et la pertinence de la coordination de l'ensemble. C'est un président efficace et juste.
- La commission des affaires culturelles
- La commission des affaires étrangères
- La commission des affaires sociales
- La commission du développement durable
- La commission des finances
- La commission des lois
Je tiens à les remercier pour leurs analyses et pour les travaux de grande qualité qui y ont été menés.
Je tiens aussi à remercier le rapporteur Yves Blein qui a été un architecte précieux dans l'enrichissement de ce projet de loi en commission des affaires économiques ; particulièrement au coeur de son engagement de longue date pour la force et la place de la vie associative dans notre pays et dans le lien social. Les débats lors de la commission ont prouvé à quel point il était urgent de réfléchir aux enjeux de l'ESS et de proposer une loi qui accompagne de façon adéquate son essor pour lui insuffler une plus grande dynamique encore.
Je profite aussi de l'occasion qui m'est donnée de remercier ma collègue Axelle Lemaire qui a présenté en mon nom ce projet de loi en commission.
Le projet de loi que je vous propose aujourd'hui, c'est le projet d'une loi ouverte qui respecte la diversité intrinsèque du secteur. Ce sera aussi une loi d'affirmation, qui marque bien ses frontières.
Mesdames et Messieurs les députés, j'en arrive donc au contenu de ce texte historique, qui repose sur trois piliers : la reconnaissance, la structuration et le développement de l'ESS.
1) Ce projet de loi, c'est tout d'abord une définition. La définition de l'ESS et de son périmètre, qui permettra aux autres législations de s'y référer et d'inscrire dans la durée les politiques publiques en faveur de ces entreprises. Il s'agit, comme le dit l'article 1er, d'un mode d'entreprendre qui intègre dans les statuts de l'entreprise concernée les principes communs suivants :
- Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices.
- Une gouvernance démocratique ou participative définie par des statuts et incluant les parties prenantes.
- Une gestion mettant en oeuvre les modalités d'une lucrativité limitée ou encadrée.
Cette définition inclut non seulement les acteurs historiques de l'ESS, que sont les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations, mais aussi les sociétés commerciales qui auront fait le choix volontaire de s'appliquer à elles-mêmes les principes de l'ESS que je viens d'énoncer.
Cette définition légale reconnaît que l'Economie Sociale et Solidaire constitue une autre manière d'entreprendre. Notre objectif est d'accompagner l'essor de l'entreprenariat social en France tout en promouvant les valeurs de l'ESS. Il s'agit bien d'inspirer les valeurs de l'ESS à l'économie classique. Si ce projet est adopté, la loi française sera alors l'une des plus avancées et des plus actives d'Europe.
2) Ce projet de loi vise aussi à mieux structurer le secteur, afin d'organiser son développement. Au niveau national, je souhaite qu'elle refonde le Conseil Supérieur de l'ESS : cette structuration permettra un dialogue entre les acteurs et l'Etat. Au niveau local, les Chambres régionales de l'ESS joueront un rôle important pour répondre aux mutations et aux besoins des territoires. Il est nécessaire de renforcer l'ancrage territorial de l'ESS et de l'articuler aux politiques publiques locales.
La loi reconnaîtra les Pôles territoriaux de Coopération Economique comme Pôles de Compétitivité de l'Economie Sociale et Solidaire. Ces Pôles, - les PTCE -, institutionnalisent les synergies entre entreprises de l'ESS, entre entreprises classiques, collectivités territoriales, laboratoires de recherche, structures de formation, au sein d'une filière et d'un territoire. Ils permettront aussi de mutualiser les moyens, de favoriser l'innovation sociale et d'agir pour le développement durable des territoires et de l'environnement.
3) Enfin, ce projet de loi a pour ambition d'offrir à l'ESS un cadre à partir duquel davantage de financements vers les entreprises de l'ESS pourront être orientés. Car si nous nous contentons de reconnaître l'ESS, sans la doter d'outils financiers adaptés, ce n'est que la moitié du chemin que nous traverserons. Avec cette loi, je veux conforter les modèles existants et engager résolument un changement d'échelle.
500 millions d'euros ? Promesse tenue ! C'est la capacité d'engagement totale et Bpifrance sera pleinement mobilisée pour l'atteindre. Elle gérera un fonds de financement de l'innovation sociale, cofinancé par l'Etat et les régions à hauteur de 40 millions d'euros à compter de 2014. Ce fonds distribuera des avances remboursables jusqu'à concurrence de 500 000 euros. Un fonds de fonds soutiendra en fonds propres les entreprises de l'ESS, avec une capacité cible d'une centaine de millions d'euros. Il investira notamment dans un fonds d'investissement dédié aux coopératives.
50 millions d'euros ? Ce sera la capacité d'engagement totale du nouveau dispositif de garantie de prêts bancaires de Bpifrance, dédié aux entreprises de l'ESS.
Il faudra aussi davantage orienter l'épargne longue vers l'ESS. Les encours de l'épargne solidaire ont explosé en passant de 600 000 euros en 2006 à 2, 6 millions d'euros l'an dernier. Il faut à présent favoriser la création de nouveaux supports d'investissements pour aller encore plus loin.
Quel est l'autre axe de développement de l'ESS que ce projet de loi propose ? L'orientation des achats publics vers les acteurs de l'ESS, avec la généralisation des schémas de promotion des achats socialement responsables. Il faut que tous les acteurs publics se saisissent des clauses sociales pour faciliter l'accès aux marchés publics des entreprises de l'insertion par l'activité économique.
Vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, dans mes précédentes responsabilités locales et gouvernementales, j'ai beaucoup travaillé pour et avec les associations, qui sont l'employeur principal de l'ESS. Je sais combien ce texte est important à leurs yeux. Elles, qui ont vu croître la commande publique au détriment des subventions et des conventions pluri-annuelles. Car le problème majeur auquel elles font face aujourd'hui, c'est le manque de financements, qu'ils soient en prêts, en fonds propres, en garanties bancaires ou sous la forme de subvention.
C'est pourquoi, en tant que ministre de la vie associative, j'ai signé avec Jean-Marc Ayrault une nouvelle « Charte des engagements réciproques », en février dernier. Une Charte réunissant, pour la première fois, aux côtés de l'Etat et du mouvement associatif, toutes les associations d'élus de France. Cette charte, nous l'avons signée en Meurthe-et-Moselle, auprès du Président du Conseil Général Michel Dinet, - ardent défenseur dans son engagement public de l'humain, des solidarités, de la vie associative -, dont je salue la mémoire. Ce projet de loi conforte la Charte et donne enfin une définition législative de la subvention, assurant sa sécurisation. Il rend plus attractif le titre associatif et ouvre l'accès à la grande capacité. Ma collègue, Najat Vallaud-Belkacem, aujourd'hui en charge de la vie associative, viendra porter le titre 5 du projet de loi, qui lui est totalement consacré, grâce au travail réalisé par Yves Blein et la commission des affaires culturelles.
Et l'Europe dans tout cela ? L'Europe, elle est aussi un levier pour donner corps à l'architecture de notre Economie Sociale et Solidaire. Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre de l'initiative de la Commission Européenne pour promouvoir ce secteur comme acteur à part entière d'une « économie sociale de marché hautement compétitive ».
A cet égard, le projet de loi organise le fléchage de financements européens vers l'ESS en France : des fonds d'investissement solidaires de droit français bénéficiant du nouveau label européen de fonds d'entrepreneuriat social pourront ainsi collecter de l'épargne longue auprès d'investisseurs institutionnels. Ce sera là une excellente opportunité pour attirer en France de nouvelles ressources, en vue de développer le financement de l'ESS.
Le Gouvernement français continue par cette loi le travail qu'il a mené au niveau européen, notamment lors de la conférence de Strasbourg, en janvier dernier. Comme vous le savez, le commissaire européen Antonio Tajani y a annoncé la prochaine publication des résultats de l'étude d'impact sur le statut de la Mutuelle européenne. C'est une très bonne nouvelle car cela va pouvoir être, pour chacun, pour tous les Européens, une véritable opportunité de vivre concrètement l'économie sociale en Europe.
J'aimerais à présent aborder la belle idée de l'entrepreneuriat collectif que ce projet de loi promeut énergiquement. Le pouvoir d'agir, c'est le pouvoir d'être l'architecte de son destin. Lorsque nous pensons aux entreprises, nous avons trop souvent en tête l'entrepreneur individuel. Mais la création d'une activité grâce à une coopérative d'activité et d'emploi qui facilite la mise en commun de moyens avec d'autres entrepreneurs, la reprise d'une entreprise en SCOP par les salariés, ce sont des solutions qui sauvent l'emploi, qui créent des emplois, et qui sont issues de l'engagement collectif.
Chacun d'entre vous connaît une petite entreprise qui ferme, - une imprimerie ou une scierie -, et qui détruit dix, vingt, trente emplois. A l'échelle des statistiques macroéconomiques, c'est peu, mais à l'échelle d'un petit territoire, c'est souvent un séisme. La froideur des chiffres cache des tragédies humaines.
Le Gouvernement est déterminé à agir pour préserver ces entreprises qui comptent tant dans et pour la cohésion territoriale du pays. C'est pourquoi il souhaite, avec le droit préalable d'information des salariés, leur permettre de proposer le cas échéant une offre de reprise, et donc de leur donner le temps pour qu'ils puissent le faire, moyennant des contreparties évidentes en matière de confidentialité. Je sais, Mesdames et Messieurs les députés, que la non-divulgation est un point qui compte beaucoup pour nombre d'entre vous et je tiens à vous rassurer sur ce sujet.
Ce droit d'information préalable est d'autant plus important qu'avec le poids de la mondialisation, les salariés français ont le sentiment que la gouvernance économique est éloignée d'eux, que les décisions relèvent de moins en moins des Etats et de plus en plus de sphères abstraites et lointaines. Il faut créer plus de liens entre le salarié et son entreprise.
Avec le droit d'information préalable, le droit de propriété n'est pas remis en question : la liberté du cédant est intacte.
Le droit d'information préalable est l'un des trois piliers du « trident » que nous avons conçu pour soutenir le « choc coopératif », avec le nouveau statut de SCOP d'amorçage et le fonds SCOP mis en place par Bpifrance.
Ce projet de loi tout entier réhabilite l'entrepreneuriat collectif, et il n'y a donc pas de raisons valables de s'y opposer dans les circonstances que j'ai décrites. Notre ambition est de placer les salariés dans la situation d'être des repreneurs potentiels, forts de leur compétence et de leur connaissance de l'outil de production. Ni plus, ni moins.
Comme vous, je suis aussi une élue locale et j'ai vu avec plaisir l'entreprise de métallerie Setco à Malaunay devenir une coopérative reprise par ses salariés. Ce projet, accompagné par l'Union Régionale des SCOP, est histoire d'un dirigeant d'entreprise qui aide ses salariés à reprendre l'entreprise, en négociant avec la banque pour les prêts dont ils ont besoin. C'est cela, aussi, l'ESS.
Enfin, ce projet de loi aborde un nombre conséquent de sujets de modernisation et d'adaptation relatifs aux différents statuts des mutuelles, des associations, des fondations, des coopératives.
Mesdames et Messieurs les députés, accompagner l'essor de l'Economie Sociale et Solidaire, c'est non seulement une exigence ; mais c'est aussi notre devoir. C'est l'intérêt général, c'est aussi notre intérêt national.
Qui peut encore croire que concilier performance économique et utilité sociale est un paradoxe ? Comme l'écrivait Marcel Proust, « les paradoxes d'aujourd'hui sont les préjugés de demain ». Demain, performance économique et utilité sociale pourront être reconnues comme synonymes ! Cette synonymie, c'est aussi l'idée forte que ce projet de loi défend.
Mesdames et Messieurs les députés, la fatalité n'est qu'un vieux mythe à court d'imagination. C'est parce que j'ai cette conviction solidement ancrée, que, alors médecin à Rouen, j'ai voulu m'engager auprès de mes concitoyens, pour ma ville et aujourd'hui pour mon pays. C'est parce que nous voulons changer l'ordre apparemment implacable des choses que ce projet de loi vous est présenté.
C'est pourquoi je suis fière aujourd'hui de vous convier à ce rendez-vous historique de la reconnaissance de l'ESS par la loi, pour lui donner les moyens de changer d'échelle et d'atteindre son plein potentiel.
Je vous remercie.Source http://www.economie.gouv.fr, le 15 mai 2014