Déclarations de M. Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, sur la justification du décret "Alstom", à l'Assemblée nationale le 20 mai 2014.

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Circonstance : Séance de questions d'actualité à l'Assemblée nationale, le 20 mai 2014

Texte intégral

Madame la Députée,
Cette décision prise par le Premier ministre, concernant les investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, met fin à une forme de laisser-faire. Nos entreprises, surtout quand elles réussissent, ne sont pas des proies. Néanmoins, pour affronter la mondialisation, elles ont besoin de nouer des alliances. Elles ne sont pas disposées, ni même disponibles, au dépeçage et au démantèlement qui pourraient intéresser certains actionnaires financiers.
C'est encore plus vrai quand une entreprise a entre ses mains des intérêts essentiels de notre pays. Que n'aurait-on entendu si nous avions dit au sujet d'Alstom, qui équipe nos 58 réacteurs nucléaires, fabrique les turbines des EPR que la France exporte partout dans le monde, que nous trouvions tout à fait normal de voir partir cette entreprise entre des mains étrangères qui nous en auraient retiré la maîtrise ?
Notre choix politique, Mesdames et Messieurs les Députés, c'est oui aux alliances, non au dépeçage ! Qu'est-ce qu'une alliance ? C'est, par exemple, ce que nous avons essayé - avec succès, me semble-t-il - de mettre en oeuvre avec PSA : nous avons conclu une alliance aux termes de laquelle la famille Peugeot, l'État et Dongfeng Motors détiendront chacun 14 % du capital. Pourquoi ? Pour capter la croissance des marchés chinois et asiatique.
C'est ce type d'alliance équilibrée que nous souhaitons pour Alstom, et que nous espérons bien conclure. Ce décret a pour objectif d'amener un certain nombre d'investisseurs à négocier dans les secteurs stratégiques où la nation doit préserver ses intérêts essentiels. Ce n'est pas un décret de blocage, mais un décret de négociation, un décret visant à la conclusion d'alliances, un décret anti-dépeçage ! Voilà, Madame, dans quel état d'esprit nous avons construit un outil de politique industrielle.
Monsieur le Député,
Vous savez, les nations ont encore le droit de vivre et d'exprimer leurs besoins, de défendre leurs intérêts. Et d'ailleurs, elles peuvent parfaitement le faire, en coopération avec les intérêts privés et les investisseurs étrangers, comme vous dites. La preuve : quelle est la première destination d'investissements étrangers au monde ? Les États-Unis d'Amérique. Que se passe-t-il aux États-Unis d'Amérique ? Un mécanisme - le CFIUS - organise le contrôle des investissements étrangers : il a procédé, en 2012, à 114 contrôles et à dix blocages ou vetos. Y a-t-il eu la moindre nuisance vis-à-vis des investisseurs étrangers aux États-Unis ? La réponse est non.
Savez-vous qu'en Europe et dans l'Union européenne, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et un certain nombre de pays qui viennent d'entrer dans l'Union européenne ont pris des décrets qui sont parfois plus durs que le nôtre ?
Il s'agit, finalement, de faire en sorte que les États, les intérêts essentiels des nations coopèrent avec les intérêts privés. Est-ce trop demander ? Je ne le crois pas.
Pouvons-nous le demander à titre de réciprocité à d'autres États très puissants, au regard de ce qu'ils font parfois à notre détriment ? Je le crois. La réciprocité, cela consiste à dire : les États-Unis le font, pourquoi ne le faisons-nous pas ?
Finalement, nous sommes à égalité d'armes, nous sommes capables de vivre dans le même monde.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mai 2014