Interview de mme Aurélie Filippetti, m Ministre de la culture et de la communication à France-Inter le 13 mai 2014, sur le budget de la culture et la lettre de cadrage pour 2015.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
La ministre de la Culture et de la Communication est l'invitée de FRANCE INTER ce matin. Bonjour Aurélie FILIPPETTI.
AURELIE FILIPPETTI
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous venez de recevoir de Matignon comme tous les autres ministres votre lettre de cadrage pour le budget 2015. Ce sera l'austérité aussi à la Culture ?
AURELIE FILIPPETTI
Non, ce n'est pas l'austérité, nous devons tous faire des économies, parce que la France doit faire des économies pour pouvoir préparer la suite, les générations futures…
PATRICK COHEN
Donc il y aura des économies aussi à la Culture.
AURELIE FILIPPETTI
Il y aura des économies, vous savez j'en ai fait depuis deux ans. J'ai assumé une politique, un changement de paradigme, j'ai arrêté une politique de grands travaux très dispendieuse et pas toujours très justifiée ou très utile. Et en revanche, j'ai préservé l'essentiel à savoir l'ensemble du réseau de la création sur tous les territoires, dans toutes les régions, dans les petites villes, dans les campagnes, dans les territoires urbains et ça, c'est l'essentiel, ça, ça a été préservé depuis deux années et ça le sera encore cette année.
PATRICK COHEN
Il y a eu 4 % de baisse de crédit en 2013, 2 % en 2014, ça va continuer ? 2015 ?
AURELIE FILIPPETTI
Ecoutez, l'ensemble des contraintes qui s'applique à tous les ministères pèse aussi sur la culture, mais encore une fois, j'ai veillé à ce que ça ne touche pas ce qui constitue le coeur vraiment de l'activité, de la vitalité culturelle de notre pays. Et pourquoi ? Parce que la culture c'est de la citoyenneté, c'est du lien social, c'est évidemment une formidable activité économique dans tous nos territoires et donc c'est aussi très important pour l'ensemble du pays.
PATRICK COHEN
Il n'empêche les milieux culturels s'inquiètent. Voyez ce que disait le directeur du Festival d'Avignon, Olivier PY, c'était samedi sur FRANCE INTER.
OLIVIER PY
Dans la situation de crise, elle a réduit des budgets aussi au ministère de la Culture. Moi, je pense que c'est toujours une mauvaise idée. Dans l'ensemble la politique d'austérité me semble une très mauvaise politique, et la politique d'austérité à la culture, c'est du meurtre tout simplement !
PATRICK COHEN
Une réponse à Olivier PY ?
AURELIE FILIPPETTI
Vous savez, si la réalité était celle-là, évidemment je m'en inquièterais. Mais les crédits, le gel de 7 % qu'évoquait Olivier PY dans cette émission, c'est ce qu'on appelle la réserve de précaution en début d'année et ensuite c'est reconstitué, c'est-à-dire qu'en fait, on le redonne aux associations culturelles, et c'est exactement ce qui va se passer maintenant, puisque je vais pouvoir redonner ces 7 % à l'ensemble des festivals, des activités culturelles pour l'année 2014. Donc…
PATRICK COHEN
Donc il va retrouver l'intégralité de son budget ?
AURELIE FILIPPETTI
Il va retrouver la manne et ça a été le cas pendant les deux années précédentes. Encore une fois, on a fait des économies, elles ont porté là où elles pouvaient en fait dégager des marges, et notamment sur certains travaux qui devaient être arrêtés, la maison d'Histoire de France par exemple. Mais j'ai préservé l'essentiel, ce qui fait par exemple qu'on peut améliorer la diffusion culturelle, faire de l'éducation artistique pour tous les enfants en France, c'est ça l'essentiel.
PATRICK COHEN
Les restrictions de crédits, elles se vivent aussi sur le terrain local dans ces collectivités qui financent plus de deux tiers de la culture en France ?
AURELIE FILIPPETTI
Non.
PATRICK COHEN
Non, ce n'est pas vrai ?
AURELIE FILIPPETTI
Non, non, les collectivités ne financent pas les deux tiers, c'est un chiffre erroné. On sait que l'Etat participe pour presque 13 milliards 500 millions d'euros au financement de la culture en France. Les collectivités locales c'est 7,6 milliards. Mais effectivement, on a un système, ça s'appelle la décentralisation…
PATRICK COHEN
C'est un pourcentage qui est souvent cité pourtant !
AURELIE FILIPPETTI
Oui, mais c'est…
PATRICK COHEN
Ce n'est pas vrai ! On va vérifier. Les réductions de crédits donc, qui se décident parfois par les nouvelles équipes désignées lors des dernières municipales, est-ce qu'il y a des décisions ou des méthodes qui vous inquiètent ou qui méritent une intervention de la ministre de la Culture ? Je pense au renvoi du directeur du théâtre de Roanne, à la suspension de la toute l'équipe culturelle en lien avec le l'opéra-théâtre de Saint-Etienne ?
AURELIE FILIPPETTI
Moi, je suis extrêmement attentive à ces questions et évidemment le ministère de la Culture est en contact avec le responsable du théâtre de Roanne, avec aussi Saint-Etienne, parce qu'il n'est pas normal que des artistes ou des programmateurs soient pris en otages de considérations politiques…
PATRICK COHEN
Pris en otages !
AURELIE FILIPPETTI
Mais en revanche, ce que je dois dire, c'est que le ministère de la Culture n'est évidemment pour rien dans la situation de ces deux établissements. Et qu'en revanche on est là pour rappeler pour rappeler les collectivités locales à leur devoir, c'est-à-dire le respect de l'indépendance totale de la liberté de création et de la liberté de programmation. Après…
PATRICK COHEN
Et là, ce n'est pas le cas ?
AURELIE FILIPPETTI
Quand il y a des questions budgétaires ou des questions financières évidemment, ces questions doivent être traitées. Mais en l'occurrence on est extrêmement et je serais toujours extrêmement vigilance sur la liberté de programmation et la liberté de création.
PATRICK COHEN
Et là, c'est cette liberté-là qui a été atteinte dans ces deux cas ?
AURELIE FILIPPETTI
En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est qu'on est, on suit avec attention cette question du théâtre de Roanne et de Saint-Etienne.
PATRICK COHEN
Alors à Paris maintenant, vous allez nous dire ce qui se passe au Musée Picasso, un établissement dont la réouverture est sans cesse retardée, une présidente contestée par ses propres agents, que vous allez recevoir je crois aujourd'hui. Qu'allez-vous faire ?
AURELIE FILIPPETTI
D'abord ce que je veux dire, c'est que le Musée Picasso est l'un de nos beaux et grands musées nationaux. Musée national, ça veut dire quoi ? Ca veut dire qu'il appartient à tous les Français, les collections nationales ça date, vous savez ça date même d'avant même la révolution française. L'idée de se dire, finalement la France, être citoyen français c'est aussi avoir dans son capital culturel partagé par tous, un certain nombre d'oeuvres, de chefs d'oeuvres de l'humanité, qui font partie de notre identité.
PATRICK COHEN
Là, c'est la plus belle collection de PICASSO…
AURELIE FILIPPETTI
Et qui doivent être évidemment conservés, préservés et aussi exposés pour le bien-être de tous. C'est ce que l'on fait avec le Musée Picasso, il y a des travaux qui durent depuis 5 ans, ces travaux, vous savez, il y a beaucoup de travaux ici à FRANCE INTER, ça fait 10 ans que vous êtes en travaux, vous le savez très bien…
PATRICK COHEN
Oui, mais on n'a pas fermé nous ! Alors que le Musée Picasso devait rouvrir en janvier, puis en juin et maintenant ?
AURELIE FILIPPETTI
Mais ça dure… et maintenant, il ouvrira en septembre. Ça veut dire qu'il y a trois mois de décalage sur 5 ans de travaux…
PATRICK COHEN
Septembre c'est une certitude ?
AURELIE FILIPPETTI
Septembre, c'est la date que j'ai fixée, oui pour pouvoir le rouvrir et encore une fois dans les meilleures conditions…
PATRICK COHEN
Avec ?
AURELIE FILIPPETTI
C'est-à-dire, les meilleures conditions évidemment il faut que les travaux soient terminés, il faut aussi qu'il y ait des conditions sociales qui soient réunies. Moi, je suis extrêmement attaché à ce musée et dans le contexte budgétaire difficile que vous évoquiez tout à l'heure, j'ai réussi à dégager 40 emplois, à créer 40 emplois de gardiennage, de surveillance, pour le Musée Picasso et pour sa réouverture. C'est vraiment un effort extrêmement notable dans ce contexte budgétaire très serré. Il y a aussi 19 millions d'euros qui ont été investis par l'Etat dans le musée. Donc c'est vraiment une priorité pour nous, simplement il faut que toute les conditions soient réunies, les conditions sociales, les conditions scientifiques, artistiques et c'est…
PATRICK COHEN
Et comme elles ne le sont pas de l'avis général et de l'avis de l'inspection qui a été mené il y a quelques semaines dans ce musée, qu'allez-vous faire ?
AURELIE FILIPPETTI
Donc le musée sera réouvert en septembre.
PATRICK COHEN
Avec une nouvelle équipe ?
AURELIE FILIPPETTI
On verra cela. Je ne crois pas que ce soit un sujet qui passionne les Français, mais en tout cas…
PATRICK COHEN
Non, mais si on peut y répondre…
AURELIE FILIPPETTI
En tout cas, les questions seront réglées et tout se fera, encore une fois pour…
PATRICK COHEN
On passe à la question suivante…
AURELIE FILIPPETTI
Le bien-être, pour le plaisir, pour l'enrichissement de tous nos concitoyens et puis aussi des touristes qui viennent en France pour notre patrimoine culturel.
PATRICK COHEN
Demain ouverture du Festival de Cannes, Aurélie FILIPPETTI et samedi sortie en vidéo à la demande du nouveau film d'Abel FERRARA, « Welcome to New York » inspiré du scandale DSK en vidéo et pas en salle. Est-ce qu'il faut revoir ce que l'on appelle la chronologie du cinéma avec ce délai de 4 mois entre la sortie en salle et le DVD ou la vidéo à la demande c'est l'un des problèmes posés par le producteur du film ?
AURELIE FILIPPETTI
Vous savez si le film sort sur Internet, c'est parce que c'est le choix du producteur et c'est donc, parce qu'il n'a pas été préfinancé par des chaînes de télé notamment françaises, ce qui fait qu'il peut faire ce choix-là. Bon maintenant, quand les films sont préfinancés par des chaînes de télévision, eh bien ça implique un certain nombre de contraintes après, parce qu'évidemment les chaînes de télévision veulent préserver leur fenêtre d'exploitation. Et puis on a aussi la salle de cinéma, parce que les films sont faits pour être vus en salles, avant tout, sur de grands écrans, dans une salle avec aussi un sentiment de partage collectif, d'une émotion et d'un plaisir.
PATRICK COHEN
Tous les films ?
AURELIE FILIPPETTI
En tout cas, moi, je pense que le cinéma…
PATRICK COHEN
Même les petites productions ?
AURELIE FILIPPETTI
Le cinéma c'est mieux en salle. C'est comme ce que disait Jean-Paul SARTRE à propos du jazz, c'est comme les bananes, c'est à consommer sur place.
PATRICK COHEN
Ça se consomme sur place.
AURELIE FILIPPETTI
Mais le cinéma c'est toujours mieux en salle, mais maintenant évidemment, il y a des modes multiples de consommation, on peut revoir des films aussi chez soi, sur Internet, mais la fenêtre d'exploitation de la salle de cinéma, c'est quand même celle qui doit rester prioritaire. Mais ça n'empêche pas des expérimentations, comme celle-là et puis évidemment le CNC travaille en ce moment même, c'est ce que je leur avais demandé, pour préserver la diversité du cinéma français qui fait sa richesse, on travaille pour pouvoir éventuellement adapter cette chronologie des médias en fonction de certains types de films, de la volonté des producteurs et de réalisateurs…
PATRICK COHEN
Ça peut évoluer ?
AURELIE FILIPPETTI
Donc les discussions, elles sont en cours et il y aura d'ailleurs au moment du Festival de Cannes, samedi, un premier retour sur ces expérimentations qui auront aussi lieu à l'échelle européenne.
PATRICK COHEN
Oui, il y aura une table ronde. Vous avez souligné vous-même ce film n'a pas été, n'a pas reçu de financement des chaines de télévision. Vincent MARAVAL, le producteur dénonce des pressions, des pressions de nature politique ?
AURELIE FILIPPETTI
Ecoutez, moi, enfin je ne sais pas, je n'en ai pas entendu parler, je ne crois pas. Je pense que voilà ! Son film, il existe en tout cas et donc… et voilà !
PATRICK COHEN
Il existe…
AURELIE FILIPPETTI
C'est très bien comme ça.
PATRICK COHEN
Et s'il est projeté en clôture du Festival de Cannes, comme la rumeur cannoise le dit, ce sera très bien ?
AURELIE FILIPPETTI
On verra, il y a toujours des surprises au Festival, et c'est ce qui fait son charme.
PATRICK COHEN
Et vous serez une spectatrice de cette surprise ?
AURELIE FILIPPETTI
Bah oui, évidemment !
PATRICK COHEN
Sans nulle doute, puisque c'est la soirée de remise de la Palme d'Or. Aurélie FILIPPETTI avec nous, jusqu'à 9 heures moins 5. D'autres questions pour vous dans quelques minutes, questions politiques, questions médias aussi et celles des auditeurs de FRANCE INTER qui nous appellent au 01.45.24.7000.
source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mai 2014