Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, à Europe 1 le 3 octobre 2001, sur les mesures anti-chômage et les prévisions de croissance pour l'année 2002.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Toutes les mauvaises choses s'abattent sur vous, en même temps et malgré vous. C'est un peu la guigne.
- "Non, c'est gouverner. C'est savoir faire face aux difficultés. On en a surmonté beaucoup, depuis quatre ans. On a gagné des batailles importantes et on va continuer à se mobiliser, justement au moment où la situation du chômage est moins favorable."
Vous n'êtes donc pas comme les ménages français : vous, vous avez le moral ?
- "Oui, j'ai le moral parce que je pense que plus la situation est difficile et plus justement il faut agir. Si on ne veut pas justement céder au terrorisme, la meilleure façon est de faire, c'est de ne pas se laisser abattre. Ce que cherchent les terroristes, c'est nous démoraliser justement. Je pense qu'on doit réagir par rapport à cela. C'est ce que nous faisons."
C'est de l'auto-persuasion ?
- "Non, ce n'est pas de l'auto-persuasion : c'est une action menée par le Gouvernement qui prend des mesures, comme celles dont nous allons peut-être parler."
Les mesures que vous avez annoncées, hier, sont des mesures antichômage. Mais la crise dont l'ampleur est en train de se profiler, n'exige-t-elle pas davantage ? Je lis la presse, où on dit que c'est "insuffisant", "inadéquat" - je n'ose pas dire "mesurettes" parce que c'est un peu banal, même si cela a été écrit. C'est bien, mais c'est insuffisant !
- "Il faut d'abord voir ce que sont ces mesures que j'ai annoncées, hier, au nom du Gouvernement. C'est vrai que nous sommes dans une situation moins favorable pour l'emploi,, en raison du ralentissement économique. Il faut, dans cette situation, justement voir qu'elle est exactement la situation. Je crois qu'il n'y a pas de raison de dramatiser. C'est vrai que nous avons depuis quatre mois une hausse du chômage. Mais ces 63.000 chômeurs de plus doivent être comparés avec le million en moins depuis quatre ans et les 1,5 millions emplois créés. En même temps, il faut agir, car nous devons aider les plus vulnérables, c'est-à-dire ceux qui sont victimes des plans sociaux - actuellement, avec Moulinex, on voit les menaces qui continuent à peser - et d'autre part, ceux qui ont le plus de mal à revenir à un emploi, parce qu'ils ont besoin de périodes soit de formation, soit d'adaptation."
Ce sont les mesures annoncées hier ?
- "Ce sont les mesures de contrat emploi-solidarité qui s'adressent à ces personnes : jeunes sans qualification, chômeurs de longue durée, personnes les plus vulnérables, travailleurs précaires. Et ce sont les mesures de formation qui sont très importantes. Pourquoi est-ce que c'est important ? Nous avons un paradoxe : c'est qu'au moment même où nous voyons le chômage remonter, nous savons qu'il y a des difficultés de recrutement dans beaucoup de secteurs - le bâtiment, l'hôtellerie, la restauration et les services. Par conséquent, il nous faut agir et c'est ce que nous faisons pour faire en sorte que ces entreprises, qui ont besoin de main d'oeuvre, trouvent des salariés qui puissent justement être adaptés à ce qu'elles souhaitent ."
A Europe 1, on a analysé longuement toutes ces mesures, depuis que vous les avez annoncées hier. Est-ce que c'est du soutien social à l'emploi, presque une politique du bouche-à-bouche ?
- "C'est un traitement social du chômage. C'est de l'aide à ceux qui sont les plus vulnérables, mais dans une optique de réinsertion, pas pour les parquer dans ces dispositifs intermédiaires, puisque ce que nous mettons en oeuvre, derrière ça, c'est aussi un accompagnement personnalisé. Par exemple, l'année prochaine, non seulement nous augmentons le programme emploi-jeune de 9.000 emplois-jeunes de plus, et en même temps, nous consolidons le programme qui aurait dû s'arrêter, à la fin de cette année - dont 22 milliards de francs consacré l'année prochaine aux emplois-jeunes, mais en plus, pour les jeunes sans qualification - les plus en difficulté -, nous doublons le programme qui leur permet de bénéficier d'un accompagnement personnalisé pendant 18 mois à 2 ans. Au lieu de 60.000 jeunes qui bénéficieront de ce programme, ce seront 120.000 jeunes. On sait que plus de la moitié de ces jeunes trouvent un emploi durable. Ce sont des dispositifs transitoires, c'est vrai, mais qui sont destinés à ramener les personnes vers l'emploi."
Est-ce que cela fait une politique sociale cohérente ?
- "Je le pense, oui."
Qui s'adapte au fur et à mesure. D'abord est-ce que c'est aussi de l'anticipation ? Aujourd'hui, on voit que la croissance qui était prévue a régulièrement évoluée à la baisse. Cela était 2,5 %, puis 2,3 %, maintenant, on craint 1,6 ou 1,3 %, avec du chômage en plus. Vous ne voulez pas que ce soit des décisions au coup par coup. Est-ce qu'il y a une anticipation ? Est-ce qu'on peut dire la vérité aux Français et leur dire que c'est vrai que cela va baisser ?
- "Ce que nous faisons avec ces mesures sur l'emploi, dont je viens de vous parler, à la fois pour cette fin d'année et pour l'année prochaine, c'est justement pour anticiper. C'est réagir et anticiper. Maintenant, sur le ralentissement, il est là, c'est vrai. Je vous rappelle que le Gouvernement a déjà modifié ses prévisions de croissance et que nous tablons donc sur environ 2,3 % pour cette année et 2,5 % l'année prochaine. Nous sommes dans une situation d'incertitude. L'incertitude est accrue par la tragédie évidente du 11 septembre. Mais, en même temps, je dois souligner que nous avons des éléments en Europe qui sont beaucoup plus favorables qu'aux Etats-Unis. Nous avons une inflation qui est extrêmement basse. Nous avons des taux d'intérêts qui sont à un niveau très bas - historiques -, nous avons d'autre part les prix du pétrole. On disait juste après les événements du 11 septembre que cela allait monter..."
On les a tous, y compris les Américains.
- "Et ensuite - et c'est surtout un système assez particulier à la France -, nous avons une consommation qui est très soutenue et qui reste très soutenue. Les dernières enquêtes montrent que les ménages n'ont pas l'intention - et c'est tout à leur honneur - de modifier leur façon de vivre comme avant, de ne pas se laisser intimider justement par les derniers événements, de ne pas se laisser saper le moral. C'est un élément évidemment très important, mais qui est soutenu par la politique du Gouvernement - la prime à l'emploi, le soutien du pouvoir d'achat des salariés les plus modestes notamment. C'est une politique que nous menons depuis le début, depuis quatre ans. Elle a favorisé la croissance et naturellement, nous allons continuer dans cette voie."
Donc, vous êtes en train de réussir ?
- "Je dis que nous avons obtenu des résultats. C'est plus difficile et nous devons en effet continuer ce qui a fait ses preuves et intensifier ce que nous faisons, là où cela est nécessaire. : sur l'emploi et sur le soutien de l'activité."
C'est vrai que le coup atroce de Ben Laden à New York a affaibli toutes les économies de l'Occident. En ce moment, le Président Bush est en train de préparer, avec le Congrès, un plan d'aide massif exceptionnel, qui va tourner autour de 200 à 250 milliards de dollars. Tous leurs excédents budgétaires vont y passer. Ils acceptent même le déficit. Pourquoi les Européens restent-ils ou est-ce qu'il vont rester figés dans le pacte de stabilité de Maastricht et les 3 % qu'il prévoit ? Est-ce qu'il peut y avoir la possibilité de faire que le déficit ne soit pas tabou, quand il s'agit d'être en guerre ? A la guerre comme à la guerre !
- "Vous avez vu qu'il y a des discussion entre les ministres de l'Economie et des Finances européens, avec l'idée qu'en effet, il est important - même si l'on choisit par certaines dépenses de soutenir l'activité : c'est ce que nous faisons, avec 1 milliard de francs pour l'emploi, ce qui n'est pas rien en cette fin d 'année - de maîtriser l'évolution des dépenses. Maintenant, en ce qui concerne le déficit, il y a des discussions qui montrent que lorsqu'on est en période de ralentissement d'activité et que les recettes diminuent - sur lesquelles on ne peut pas grand chose, parce que c'est vraiment dépendant de la période -, il y a peut-être matière à être un petit peu souple. Ce sont des discussions qui sont en cours."
Est-ce que ces mesures prévoient aussi un plan de soutien à la croissance ? Un plan de soutien aux entreprises ? Un plan économique, un plan de stimulation de l'économie française ?
- "J'ai annoncé, hier, des mesures sur l'emploi, car il était très important de réagir très vite. J'ai réuni les préfets de régions, il y a quinze jours, et tous les directeurs départementaux et régionaux pour leur dire : "Attention, utilisons à plein nos dispositifs." C'est vrai que la question est posée de savoir s'il ne doit pas y avoir d'autre mesures. Cette question est à l'étude."
Cela veut dire qu'on va déboucher sur quelque chose ?
- "Nous ne négligeons rien et nous nous posons toutes les questions qu'il faut nous poser, en particulier celles que vous venez de dire. Mais les décisions ne sont pas prêtes."
A Avignon, la page est tournée. Vous vous présentez en Seine-Saint-Denis pour devenir député. C'est un peu une opération commando. Vous connaissez la Seine-Saint-Denis ?
- "D'abord, on ne peut pas dire que je me présente. Je suis candidate à la candidature. Ce sont les militants qui vont décider. V. Neiertz, qui ne se représente pas, qui est une femme pour qui j'ai beaucoup d'estime et d'amitié m'a dit : "Je ne me représente pas et j'aimerai bien que ce soit toi qui soit là." Je trouve que ce n'est pas indifférent pour moi de penser à prendre la suite de quelqu'un comme V. Neiertz, quand on sait tout ce qu'elle a fait pour la vie quotidienne. D'autres élus m'ont proposée. Je trouve cela intéressant, parce que je pense que c'est un endroit où on peut travailler et où il y a un formidable potentiel. On ne voit souvent ces villes de la banlieue parisienne que de façon négative. Si je peux contribuer, en travaillant avec tous ceux qui sont là-bas et qui font des choses formidables, à changer un peu ce regard sur nos villes de banlieues, j'en serai très heureuse."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 4 octobre 2001)