Texte intégral
ROLAND SICARD
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
ROLAND SICARD
Avant de parler de politique étrangère, on va revenir sur la réforme territoriale, il n'y aura plus que 14 régions, l'opposition dit qu'il s'agit d'une manoeuvre politicienne, est-ce que la concertation était suffisante ?
LAURENT FABIUS
Je pense que c'est une bonne réforme, ça fait des années et des années qu'on parle d'un millefeuille territorial et qu'on dit que les régions françaises ne sont pas assez grandes. On en a parlé très souvent. Par exemple en Allemagne, où vous avez 80 millions d'habitants, vous avez 16 régions, donc là le gouvernement a décidé de proposer une réforme, je pense qu'elle va dans le bon sens, simplement ce n'est pas simplement un découpage, par exemple dans le cas qui moi m'est le plus cher, la Normandie, il n'y a pas beaucoup de scoop, il y avait la Haute Normandie, la Basse Normandie, désormais il y aura la Normandie. Mais au-delà de ces découpages, il y a aussi des modifications de compétences, ça c'est très important. Par exemple, je vous donne un exemple concret, aujourd'hui les régions s'occupent des lycées et les départements des collèges, ça n'a pas grand sens, donc maintenant les régions vont s'occuper de l'ensemble, vont s'occuper d'économies, vont s'occuper du transport, je pense que ce sera plus cohérent et qu'à terme ça pourra apporter des économies. Donc ça donnera lieu à des discussions, c'est normal, mais je pense que ça va dans le sens de l'histoire.
ROLAND SICARD
Le plan est définitif ou ça peut être aménagé ?
LAURENT FABIUS
C'est soumis bien sûr à la discussion parlementaire, mais le gouvernement, le président, le Premier ministre ont délibéré et puis ce sera soumis au Parlement.
ROLAND SICARD
A l'étranger, il y a d'abord l'abdication du roi d'Espagne, est-ce qu'à 75 ans, il a eu raison de démissionner ?
LAURENT FABIUS
Hier j'étais dans le bureau de François HOLLANDE lorsqu'il a eu au téléphone le roi d'Espagne, et le président français lui a dit, ce que je crois que chacun pense, le roi d'Espagne a eu un rôle extrêmement important au moment de l'installation de la démocratie en Espagne, vous vous rappelez le passage de Franco etc Et je pense que tout le monde lui est reconnaissant de cela, voilà. Après maintenant il va y avoir un nouveau roi que d'ailleurs j'ai rencontré et qui est très sympathique. Il faut souhaiter beaucoup de succès à l'Espagne.
ROLAND SICARD
L'autre gros dossier, c'est l'élection présidentielle en Syrie, est-ce qu'on peut parler d'élection ou de simulacre d'élection ?
LAURENT FABIUS
C'est une farce tragique, les Syriens et encore les Syriens uniquement dans les zones déterminées, enfin gouvernées par le régime, ont le choix entre Bachar et Bachar, c'est-à-dire que
ROLAND SICARD
Il y a trois candidats.
LAURENT FABIUS
Oui, c'est n'importe quoi, la réalité c'est qu'on connait déjà les résultats avant que ce soit commencé, que c'est un pays en guerre et surtout que ce monsieur, monsieur Bachar el ASSAD est qualifié de criminel contre l'humanité par le secrétaire général des Nations Unies, donc un tel personnage ne peut pas être l'avenir de son peuple, donc c'est un drame épouvantable ce qui se passe en Syrie, mais ce personnage est méprisable.
ROLAND SICARD
L'objectif
LAURENT FABIUS
Et j'ajoute parce que là ça nous concerne directement qu'il y a une espèce d'accord objectif, ce qu'on ne voit pas toujours entre d'un côté monsieur Bachar el ASSAD et de l'autre les groupes terroristes.
ROLAND SICARD
Les islamistes.
LAURENT FABIUS
Oui, les groupes terroristes, en particulier
ROLAND SICARD
Ceux qui recrutent les djihadistes français par exemple.
LAURENT FABIUS
Qu'est-ce qui se passe ? C'est qu'en fait certaines personnes vont mener, comme ils disent, le Djihad contre Bachar, mais Bachar s'appuie objectivement sur eux pour dire, vous voyez je suis légitime puisque je les combats. Et dans la réalité, ce n'est pas ça qui se passe, le régime ne combat pas tellement les groupes terroristes, le régime combat l'opposition modérée, alors que c'est elle qu'il faut soutenir, et groupes terroristes et Bachar el ASSAD se renforcent mutuellement dans une certaine forme de terrorisme.
ROLAND SICARD
L'objectif des occidentaux, c'est de chasser Bachar el ASSAD du pouvoir ?
LAURENT FABIUS
L'objectif des Occidentaux et tout simplement de ceux qui veulent une démocratie syrienne, c'est d'aboutir et c'est très difficile à un accord politique. Vous avez au soutien de Bachar à la fois la Russie, l'Iran, le Hezbollah qui fournissent les armes, et donc c'est une espèce de combat qui est devenu international, et nous, nous souhaitons qu'il y ait une solution politique extraordinairement difficile à trouver puisqu'on a vu que dans la conférence de Genève on n'arrivait pas à un résultat. Mais il n'y a pas d'autre solution que politique et en même temps
ROLAND SICARD
Il faut discutez avec Bachar el ASSAD ?
LAURENT FABIUS
Non, avec Bachar non, mais avec des éléments du régime oui. Et il faut éviter comme c'est le cas actuellement que le drame syrien déborde sur les autres pays. Pensez qu'au Liban, les Libanais sont vraiment nos amis, nos frères, il y a 25 % de la population qui sont des réfugiés.
ROLAND SICARD
Un million de personnes.
LAURENT FABIUS
Oui, imaginez ce que ça voudrait dire en France, 25 % de la population venant d'un pays étranger. Donc il faut absolument faire en sorte qu'on aille vers une solution politique, que l'opposition modérée soit soutenue et qu'on ait des pratiques conformes au droit humanitaire, ce que refuse absolument monsieur Bachar.
ROLAND SICARD
Sujet tout à fait différent, les Etats-Unis pourraient condamner BNP Paribas à 10 milliards d'amende parce que BNP Paribas aurait mené des transactions financières en dollars avec des pays comme le Soudan ou Cuba. Est-ce que la France va défendre BNP Paribas ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr, bien sûr, ça pose un très très gros problème, pourquoi ? S'il y a eu une faute, une infraction, il est normal qu'il y ait une sanction, mais la sanction doit être proportionnée et raisonnable, ces chiffres là ne sont pas raisonnables. D'autre part nous sommes en train de discuter, l'Europe, avec les Etats-Unis pour un partenariat transatlantique. Ce partenariat commercial ne peut être établi que sur une base de réciprocité, or là vous auriez l'exemple d'une décision injuste et unilatérale, donc c'est un très sérieux et même grave problème et qui en plus compte tenu du chiffre
ROLAND SICARD
Ca remet en cause l'accord de libre échange ?
LAURENT FABIUS
On ne peut pas penser que la réciprocité doit être la règle et elle doit être la règle, si dans le même temps, il y a une décision de ce type. Donc c'est très sérieux et en plus quand on regarde le rôle de Paribas qui est la première banque européenne, ces chiffres qu'on a cité, qui sont absolument déraisonnables pourraient avoir un rôle d'entrainement négatif considérable et si, je ne veux pas rentrer dans les termes techniques, mais si Paribas voyait ses capitaux amputés, ça veut dire moins de prêts aux entreprises, notamment aux entreprises françaises. Donc vous voyez, c'est une question extrêmement sérieuse qui doit être traitée dans un esprit par les Américains, dans un esprit de partenariat et non pas d'unilatéralisme.
ROLAND SICARD
A la fin de la semaine, jeudi, il y aura le G7, Vladimir POUTINE n'y sera pas, est-ce que c'est une exclusion définitive ?
LAURENT FABIUS
Pas nécessairement mais, il était normal que les pays du G7 marquent fortement le coup, si je puis dire, par rapport à l'annexion de la Crimée, c'est ce que nous avons fait. Et je pense que nous avons eu raison de le faire. Maintenant ça ne veut pas dire qu'il n'y a aucune relation avec monsieur POUTINE, d'ailleurs monsieur POUTINE est invité aux cérémonies du Débarquement, ce qui est normal historiquement.
ROLAND SICARD
Il sera reçu par François HOLLANDE.
LAURENT FABIUS
François HOLLANDE verra le président POUTINE, le président OBAMA et d'autres présidents, le président POROCHENKO qui est le nouveau président de l'Ukraine. Moi-même je me rendrais, j'assisterai à ces entretiens et je me rendrais samedi à l'installation du président ukrainien.
ROLAND SICARD
Mais est-ce qu'on peut s'arranger avec Vladimir POUTINE, est-ce qu'il y a une solution, une sortie de crise ?
LAURENT FABIUS
La géographie est la géographie, il y a l'Union européenne, il y a l'Ukraine et à côté il y a la Russie, donc nous n'allons pas changer cela. D'autre part en France il y a une tradition depuis des décennies d'une certaine forme d'accords avec la Russie, donc nous aurons, nous avons des relations avec la Russie sur le plan historique et sur le long terme. Mais en même temps lorsqu'un pays en annexe un autre, c'est quelque chose qui internationalement ne peut pas être accepté.
ROLAND SICARD
Merci Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 juin 2014