Interview de M. Kader Arif, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, avec RFI le 6 juin 2014, sur le 70ème anniversaire du Débarquement de Normandie.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


FRÉDÉRIC RIVIERE
Bonjour, Kader ARIF.
KADER ARIF
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
Nous sommes le 6 juin et il y a 70 ans, très exactement, jour pour jour, commençait le débarquement des alliées sur les plages de Normandie. D'importantes cérémonies sont organisées aujourd'hui, en présence de très nombreuses personnalités, 19 chefs d'Etat et de gouvernement parmi lesquels, entre autre, les présidents Barack OBAMA, Vladimir POUTINE ou la Reine d'Angleterre. Qu'est-ce que représente pour vous, cet anniversaire ?
KADER ARIF
Un acte de reconnaissance à l'égard de ces pays, qui ont envoyé leur jeunesse pour venir mourir sur le sol de France, sur la terre de Normandie. Pour faire que la libération puisse s'opérer pour lutter contre la barbarie nazie. Et pour construire en même temps, d'une deuxième partie du 20ème siècle, un espace de paix, de tolérance, en tout cas un monde où ma génération n'a pas connu la guerre. C'est un moment aussi, le président aura l'occasion de le faire ce matin, une reconnaissance pour la première fois, à l'égard aussi des victimes civiles, 20 000 Normands tombés sous les bombardements, dont pratiquement 3000 personnes dès le 6 juin 1944, avec un monument qui sera dévoilé et une prise de parole du président de la République, un certain nombre bien sûr de cérémonies binationales qui ont commencé hier, 5 juin, qui continueront aussi tout au long de la semaine, qui va suivre ce vendredi 6 juin. Et puis une cérémonie multilatérale dans quelques heures à Ouistreham et pour la première fois…
FREDERIC RIVIERE
Qu'est-ce qui va se passer précisément ? Ca va être le grand temps fort des cérémonies, cet après-midi à Ouistreham, qu'est-ce qui va se passer précisément ?
KADER ARIF
9000 personnes attendues, 3000 vétérans ou anciens combattants et leurs accompagnateurs, 1 milliard de téléspectateurs, la France qui sera regardée sur l'ensemble des 5 continents et une cérémonie entre 15 heures et 16 heures, avec un spectacle qui va être une espèce de récit de ce qui a été l'avant conflit mondial, le conflit lui-même, et puis l'après conflit et un discours du président de la République.
FREDERIC RIVIERE
Est-ce que vous croyez que les jeunes aujourd'hui, en France et peut-être au-delà d'ailleurs en Europe, ont conscience de l'importance historique de ces évènements, de ce qui se jouait à l'époque ?
KADER ARIF
Moi, je le crois, je le crois. Alors je ne suis pas un homme qui fonctionne seulement sur les enquêtes d'opinions, mais il y en a une que nous avons réalisé, il y a déjà quelques mois, au début de ce cycle mémoriel, qui montrait que l'ensemble de nos concitoyens, quel que soit leur âge, avait une formidable appétence à l'égard de cette mémoire-là. 2500 projets sont nés sur les territoires, qui sont les nôtres pour le premier conflit mondial. Plus de 800 projets labellisés pour le second conflit mondial, c'est pour nous, une chance. Je crois qu'il y a une vraie demande, et quand je parle avec l'ensemble des acteurs, j'allais dire médiatique en particulier, le retour, quand il y a des téléfilms, des programmes, quel que soit leur nature autour de cette mémoire, ils sont très largement écoutés. Mais en même temps, je pense qu'au-delà de ça, il faut veiller à ce que cette transmission puisse s'opérer. C'est important qu'on ne puisse ne pas oublier dans la reconnaissance que j'évoquais…
FREDERIC RIVIERE
Justement avec la réduction du nombre de vétérans de l'époque, forcément, ils prennent de l'âge, vous craignez qu'éventuellement la mémoire ne finisse par disparaître avec eux ?
KADER ARIF
Il faut toujours profiter de la mémoire de chair et que c'est vrai que l'horloge biologique faisant son temps, dans 10 ans, malheureusement, je crains, je ne le souhaite pas, mais je crains qu'il n'y ait pratiquement plus de survivant. Donc profitons encore de cette mémoire de chair, profitons encore de leur présence aujourd'hui, pour pouvoir évoquer avec eux, se nourrir d'eux. Mais au-delà de ça, je crois et je le ressens en tout cas, sur le premier conflit mondial, alors qu'il n'y a plus de survivants, comme ça concernait l'ensemble des familles, cette mémoire est toujours vivace. Mais il faut savoir l'entretenir, à travers l'Education nationale et à travers un certain nombre de projets qui sont portés tant sur le plan local qu'à l'échelle nationale, que nous portons.
FREDERIC RIVIERE
Vous parliez, il y a quelques instants de la reconnaissance de la France. Au-delà peut-être finalement, même du caractère historique, ou de la connaissance historique que les gens peuvent avoir de ces évènements, cette reconnaissance à l'égard des Etats-Unis, pour le débarquement, pour leur engagement, elle est assez ancrée en France ?
KADER ARIF
A l'égard des Etats-Unis, elle est ancrée de manière très forte et ce lien franco-américain est un lien très, très présent dans les esprits de nos concitoyens. Mais la cérémonie qui aura lieu dans quelques heures à Ouistreham sera sur une plage où ont débarqué des Britanniques d'une part, c'est là aussi une reconnaissance à nos amis britanniques. Une reconnaissance au commando KIEFFER, les 177 français qui ont débarqué le 6 juin, parfois oublié dans notre mémoire. Mais au-delà de ça, l'ensemble des pays, je veux dire qui sont invités, je pense, parce que je ne veux pas qu'il y ait d'oubli, aux Canadiens débarqués à Juno Beach en particulier, mais aussi aux Polonais qui ont été eux, parfois oubliés mais en fait, l'ensemble des pays qui seront présents et qui sont déjà présents aujourd'hui en Normandie.
FREDERIC RIVIERE
Alors les commémorations ne se limiteront pas à la journée d'aujourd'hui, d'autres cérémonies auront lieu au cours des semaines à venir, qui rendront notamment hommage aux combattants colonies françaises de l'époque, ce sera le cas en particulier le 15 août, c'est important pour vous, cet hommage-là ?
KADER ARIF
Moi, je pense que c'est important. C'est important parce que ce qui fait la grandeur de la France, ce qui fait son histoire, c'est que des hommes quelle qu'ait été leur couleur de peau, quelle qu'ait été leur confession, quelle ait été leur histoire singulière, l'origine sociale, ont donné leur vie. Ils ont donné leur vie pour notre pays, ils ont donné leur vie au-delà de notre pays, pour la liberté. Et le 15 août, grande cérémonie, 22 chefs d'Etat invités, la plupart du continent africain, avec là aussi des anciens combattants de ces pays nord-africains ou Afrique Subsaharienne, des Légions d'Honneur qui leur seront remises, une parade navale autour du porte-avions Charles de Gaulle. Oui il est important que cette armée d'Afrique soit aussi, je veux dire fasse partie de ce roman national quand il y a des vents mauvais qui soufflent au-dessus de nos têtes aujourd'hui et qui considéreraient que parce qu'on est différent dans sa couleur, on n'appartient pas à l'histoire de la France.
FREDERIC RIVIERE
Alors Vladimir POUTINE est présent, en France et en Normandie, pour les cérémonies. Est-ce que ce n'est pas lui offrir une occasion de se présenter au monde, vous le disiez, 1 milliard de téléspectateurs attendus, dans un contexte finalement assez favorable, assez consensuel ?
KADER ARIF
Fallait-il ne pas inviter la Russie ? Quand on voit ce qu'ont été les dizaines de millions de morts russes, pendant le deuxième conflit mondial ? A l'évidence non ! On connait la réponse. Et le président POUTINE a été invité, parce qu'il est le président de ce grand pays, de ce pays qui a tant donné, qui a donné pendant le premier conflit mondial, comme il a donné pendant le deuxième conflit mondial. Et en même temps ce cycle mémoriel, dans ces invitations et cérémonies internationales doit être… pour la France aussi, de faciliter le dialogue, de permettre, même quand il y a des tensions, je veux dire de faire que les hommes et les femmes, les chefs d'Etat, les chefs des gouvernements puissent se rencontrer hors d'un contexte parfois formel, peut-être dans une dimension un peu informelle, mais qui fait cohésion et unité.
FREDERIC RIVIERE
Vous pensez que les rencontres que Vladimir POUTINE va avoir officielles, en rencontrant François HOLLANDE, il rencontrera David CAMERON, Angela MERKEL, mais d'autres informels, pourraient contribuer à dénouer ou à faire retomber la tension en Ukraine.
KADER ARIF
On peut le souhaiter. Moi, je ne sais pas, je ne lis pas dans une boule de cristal, et je ne prends pas de pari là-dessus. Mais je crois que toute rencontre qui aura lieu de manière formelle ou informelle, c'est la volonté de notre pays, c'est de permettre de détendre un petit peu les tensions qui existent à l'échelle du globe. Ce sera un beau moment de débat, de dialogue, et en même temps, je crois de capacité à savoir se dépasser.
FREDERIC RIVIERE
Une question pour terminer un peu plus prosaïque. Toutes ces cérémonies, évidemment ont un coût. Je crois savoir que le gouvernement n'a pas souhaité le révéler pour l'instant. Mais vous, vous estimez que ce coût sera très largement compensé par les retombées économiques, parce qu'on attend des millions de personnes en Normandie. Vous avez évoqué des chiffres très importants, des milliards d'euros, 4 milliards je crois. Est-ce que vous n'êtes pas un peu optimiste ?
KADER ARIF
Non, moi, je suis pour un pays qui croit en lui-même, la France, le nôtre. Non, je ne suis pas optimiste, il y a 8 millions de gens, c'est une augmentation, c'est 3 millions de plus que les 5 millions attendus ou qui sont toujours présents pour ces cérémonies, j'allais dire année après année, même quand ce n'est pas dans le cadre décennal. Le chiffre que j'ai pris était un chiffre qui était tiré d'une étude d'Atout France qui s'occupe de notre tourisme de novembre 2012, donc je ne l'ai pas inventé, je vois les polémiques qui peuvent naître, il y a des retombées. En même temps notre pays doit accueillir l'ensemble de ces pays dans les meilleures conditions et le coût n'est pas un coût qui est aujourd'hui un coût qui me parait trop important.
FREDERIC RIVIERE
Merci, Kader ARIF. Bonne journée !
KADER ARIF
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 juin 2014