Texte intégral
PATRICK COHEN
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous revenez d'Algérie. Vous visitez ce matin le site du Bourget, qui accueillera cette prochaine conférence sur le climat si importante à la fin 2015, beaucoup de dossiers diplomatiques à votre agenda, on reviendra aussi sur la situation en Syrie. Avant cela, quelques mots de politique avec cette fronde d'une centaine de députés socialistes qui proposent un contre-budget, ils ont écrit au président de la République, au Premier ministre pour dire qu'ils veulent diviser par deux les baisses d'impôts et des charges pour les entreprises, pour redistribuer plutôt aux ménages, c'est un affront ? Un début de rébellion ?
LAURENT FABIUS
Oh, un affront, je ne pense pas qu'il faut prendre les choses ainsi, mais je crois surtout qu'il faut aller vers une cohérence, il faut écouter, bien sûr, ce que les députés ont à dire, c'est le jeu normal de la démocratie. Mais il faut qu'il y ait une cohérence de la majorité. La situation a été difficile, il faut mettre l'accent sur l'investissement, sur la formation, sur la recherche, sur la compétitivité, je pense que tout le monde doit le comprendre. Mais je fais confiance au Premier ministre pour trouver les synthèses nécessaires.
PATRICK COHEN
Les synthèses, donc écouter ces députés, mais pas forcément se rallier à leur position ?
LAURENT FABIUS
C'est un bon résumé.
PATRICK COHEN
La conférence climat en décembre 2015, Paris sera le centre du monde, dit Nicolas HULOT, qui trouve que vous faites le job, Laurent FABIUS, mais qui voudrait que Matignon ou le ministère de l'Ecologie manifeste le même engouement, et est-ce que le pas de deux sur le vote de la loi de transition énergétique n'est pas en train de donner raison à Nicolas HULOT ? Est-ce que la France ne devrait pas donner l'exemple avant d'accueillir cette grande conférence
LAURENT FABIUS
Alors, il y a deux questions, la conférence mondiale sur le climat effectivement, ça va être probablement le principal événement diplomatique de l'année prochaine, et nous avons, sans faire de catastrophisme, 500 jours pour éviter un chaos climatique, c'est de ça qu'il s'agit. Et il se trouve que la conférence a lieu en France, qu'elle sera présidée par la France, et il s'agira de prendre des mesures au niveau mondial, donc chaque pays, pour arriver à rester sous la limite des deux degrés d'élévation de températures.
PATRICK COHEN
C'est aussi ce qu'on a dit sur les précédentes conférences qui s'étaient soldées
LAURENT FABIUS
Des échecs
PATRICK COHEN
Des échecs.
LAURENT FABIUS
C'est tout à fait vrai. C'est pourquoi cette tâche est extrêmement difficile, mais extraordinairement importante, puisque les derniers rapports des scientifiques, ils disent que si on n'agit pas, ce ne sera pas deux degrés d'augmentation du climat, mais cinq degrés, six degrés, avec non pas un réchauffement climatique, mais un dérèglement climatique, qui aurait des conséquences absolument épouvantables. Donc nous allons travailler à ça. Nous commençons à travailler à ça. Alors, en même temps, il faut que la France soit exemplaire, c'est ce que vous venez de dire, et la France a une très bonne position, c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles elle a été choisie pour présider la conférence, mais il y a ce projet de loi sur la transition énergétique, alors, que cette loi vienne un mois plus tôt ou trois mois plus tard, ce n'est absolument décisif
PATRICK COHEN
Il vaudrait mieux qu'elle soit approuvée tout de même avant la conférence climat
LAURENT FABIUS
Ah, mais sûrement, sûrement, sûrement, ça, il n'y a absolument aucune ambigüité là-dessus. Simplement, il y a des questions très difficiles à trancher, en gros, une politique énergétique, c'est quoi ? Il faut, d'une part, que la sécurité de notre approvisionnement énergétique soit assurée, il faut deuxièmement que notre programme énergétique soit conforme aux exigences environnementales, et il faut troisièmement que ça permette la compétitivité, et que les prix ne soient pas trop élevés. Et pour ça, il y a des arbitrages à rendre que le gouvernement va rendre, mais il est clair que nous allons aller vers ce qu'on appelle la transition énergétique, c'est-à-dire développer la croissance verte pour permettre d'aller plus loin en matière d'emplois. Mais ça demande des arbitrages difficiles. Donc on peut prendre le temps à condition, bien sûr, que, à la fin, ce soit cette piste qui soit décidée.
PATRICK COHEN
La France exemplaire ou pas, mais la France, ça n'est que quelque pour cent d'émissions de CO2 sur la planète.
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
PATRICK COHEN
Deux acteurs clefs, les Etats-Unis et la Chine. Avez-vous
LAURENT FABIUS
Exact.
PATRICK COHEN
C'est eux pour l'essentiel, eux qui ont fait capoter les précédentes conférences climat, est-ce que vous avez bon espoir de les convaincre ?
LAURENT FABIUS
Oui, les choses ont évolué de leur point de vue, aux Etats-Unis, qui est le premier émetteur avec la Chine, le président OBAMA est très engagé dans cette direction, et je ne sais pas si vous avez vu récemment, il vient de prendre un texte qui interdit toute une série de centrales au charbon, or, c'est le charbon, c'est le CO2 qui est essentiellement polluant. En Chine, où je me rends souvent, les autorités ont parfaitement conscience de la gravité du problème. La dernière fois où je suis allée à Pékin, donc plutôt l'avant dernière fois, le jour même où en France, on déclarait la circulation alternée, parce qu'il y avait 10% de trop de pollution, en Chine, à Pékin, c'était 18 fois la norme autorisée, on ne pouvait pas sortir dans les rues. Donc le président chinois et ceux qui l'entourent sont décidés à agir, et ce double mouvement, à la fois des Etats-Unis et des Chinois, c'est un mouvement nouveau. Mais ça ne suffit pas. Vous avez l'Inde, où je vais me rendre dans quelques semaines, qui évidemment est problématique, vous avez des gouvernements qui ne sont pas très allants, on parle du gouvernement australien, du gouvernement canadien, il y a la position de la Pologne, donc il va falloir convaincre toutes ces personnes, tous ces pays plutôt ; et c'est absolument vital, car sinon, nous allons je le répète à la catastrophe. Prenons des exemples, l'extrémisation des phénomènes, c'est-à-dire le fait que les canicules soient beaucoup plus chaudes qu'avant, que les tempêtes soient beaucoup bon, ça vient du dérèglement lié à l'effet de serre. Le fait que si la température augmente, il y a toute une série de pays qui vont être recouverts par les eaux, le fait que ça va avoir des incidences agricoles, le fait que ça modifie même notre système sanitaire, voyez l'enjeu, il est énorme.
PATRICK COHEN
Vous vous y employez, Laurent FABIUS, y compris avec cette initiative qui a fait un peu parler, mais dont on se demande si ce n'était pas un gadget, la réunion des présentateurs météo au quai d'Orsay ?
LAURENT FABIUS
Non, effectivement, il y a eu des commentaires, mais moi, je maintiens
PATRICK COHEN
Mais Joël COLLADO aussi
LAURENT FABIUS
Je maintiens ce que j'ai voulu faire, si on veut sensibiliser les Français pour qu'ils comprennent bien les enjeux et que chacun d'entre nous agisse, bon, la parole des responsables politiques peut-être efficace, mais qui peut mieux le faire que ceux qui sont au contact tous les jours, en parlant du climat, le climat, la météo, ce n'est pas exactement la même chose, mais évidemment, il y a des liens étroits. Et donc j'ai invité tous les présentateurs et présentatrices, je leur ai présenté ce que nous allons faire, je leur ai dit : vous êtes absolument libre, indépendant, mais j »ai trouvé un écho chez eu, et je crois qu'ils vont vouloir sensibiliser les auditeurs ou des téléspectateurs.
PATRICK COHEN
Une amnistie générale en Syrie, décrétée par Bachar EL ASSAD et qui s'appliquerait pour la première fois aux rebelles taxés de terroristes, ça a été annoncé hier, vous y croyez, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, lorsqu'une décision vient de Bachar EL ASSAD, il dira, pour ne pas dire n'arrive jamais qu'elle soit favorable, là, on va voir, s'il s'agit d'une amnistie, de libérer un certain nombre de prisonniers, ce serait une excellente chose, mais nous avons appris à être prudents avec ce monsieur qui je le rappelle est considéré comme un criminel contre l'humanité par le secrétaire général des Nations Unies.
PATRICK COHEN
Hillary CLINTON que vous avez côtoyée quelques mois, elle a été secrétaire d'Etat jusqu'en janvier 2013, révèle dans ses mémoires qu'elle voulait, dès le début de la rébellion, armer les rebelles anti-ASSAD, mais que le président OBAMA s'y est opposé. Ça vous surprend ?
LAURENT FABIUS
Non, ça ne me surprend pas, parce que j'ai travaillé avec Hillary CLINTON, qui est une femme tout à fait remarquable, qui, à la fois, avait ses propres idées, mais qui était très loyale envers le président OBAMA, c'est normal. Et dans nos conversations, je voyais bien qu'elle sentait, comme nous d'ailleurs, c'était en juin 2012, c'est-à-dire aux premières conférences de Genève, que là, il y avait une fenêtre, à condition que, on soutienne l'opposition modérée, et puis, pour différentes raisons, ça n'a pas été fait. Là, elle le dit publiquement alors qu'elle ne l'avait jamais dit, mais je crois que son analyse, qui rejoignait la nôtre, était juste.
PATRICK COHEN
La face du confit aurait pu être changée ?
LAURENT FABIUS
C'est très difficile de refaire l'histoire, mais il faut rappeler que, au moment où nous nous situons, c'est-à-dire en juin 2012, il n'y a pas d'Iraniens en Syrie, il n'y a pas de Hezbollah, et il n'y a pas de groupes terroristes. Et la conversation que nous avions à Genève 1, dans les couloirs, n'était pas de savoir si monsieur EL ASSAD allait partir ou pas, je me rappelle très bien, c'était : où va-t-il aller ? Et comme malgré les souhaits de la France, d'autres, il n'y a pas eu de décision prise, eh bien, huit mois plus tard, la situation avait totalement changé, malheureusement, tragiquement.
PATRICK COHEN
Et aujourd'hui, Bachar EL ASSAD semble solidement accroché à son pouvoir.
LAURENT FABIUS
En tout cas, accroché.
PATRICK COHEN
Les Etats-Unis parlent depuis quelques jours par la voix d'une conseillère de Barack OBAMA, c'était vendredi, d'une aide létale aux rebelles syriens, c'est-à-dire des armes, ce qui serait un changement de stratégie considérable. Les Etats-Unis, à votre connaissance, fournissent maintenant des armes directement aux rebelles syriens ?
LAURENT FABIUS
Alors, il y a aux Etats-Unis une différence entre ce qu'on appelle over et cover, c'est-à-dire, over, c'est quand des choses sont faites et autorisées, et cover, c'est quand elles sont faites sans être autorisées, explicitement, mais en informant quand même une commission secrète. La doctrine officielle des Etats-Unis est que, il peut y avoir soutien, mais pour le moment, non létal. On verra si cette doctrine évolue.
PATRICK COHEN
Et la France ?
LAURENT FABIUS
Non, la France est conforme à ses obligations de l'Union européenne, c'est-à-dire que nous fournissons une aide, mais pas d'aide létale.
PATRICK COHEN
Du moins pas directement.
LAURENT FABIUS
Non, je viens de m'exprimer.
PATRICK COHEN
Oui, enfin, on sait que d'autres pays du Golfe, avec lesquels la France entretient des contacts
LAURENT FABIUS
Ça, c'est autre chose, c'est autre chose.
PATRICK COHEN
Fournissent des armes
LAURENT FABIUS
La France est responsable pour elle-même.
PATRICK COHEN
Des armes qui arrivent d'une façon ou d'une autre dans ce pays et qui risquent de se retrouver entre les mains de jeunes Français en quête de djihad, comment dénoncer les jeunes djihadistes après avoir voulu entrer en guerre contre le même adversaire Bachar EL ASSAD, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Non, alors, je reviens un instant quand même sur ce que vous avez dit, les armes qui peuvent être fournies par tel ou tel pays, il est évident que, il faut prendre des dispositions techniques, et elles existent, pour que, elles ne puissent pas tomber dans des mains où elles seraient détournées. En ce qui concerne les djihadistes, vous avez, au cours de vos émissions récentes, expliqué toute l'ampleur du phénomène, et nous sommes en train de réfléchir au gouvernement sur une pénalisation accrue, bon, Bernard CAZENEUVE, le ministre de l'Intérieur, a expliqué ce que nous faisions, et je crois que c'est très, très bien venu, mais nous pouvons probablement aller un grand cran plus loin, c'est-à-dire que pour le moment, on ne peut incriminer pénalement que ceux qui agissent dans le cadre d'un groupe, et d'autre part, s'il y a eu commission déjà d'un crime. Or, nous constatons qu'il y a de plus en plus des gens qui agissent individuellement, et d'autre part, il serait mieux de pouvoir les bloquer pénalement alors qu'ils ne sont pas encore partis pour la Syrie. Ça demande une modification de texte, et nous sommes en train de travailler là-dessus, et j'y suis favorable.
PATRICK COHEN
Une sorte de délit d'intention avant même qu'ils partent
LAURENT FABIUS
Non, si vous voulez, si on a établi que quelqu'un veut partir en Syrie pour commettre des forfaits, s'il le prépare, que ce soit individuellement ou collectivement, je pense que, évidemment, pour des raisons que chacun comprend, il faut mieux le bloquer avant, et puis, il y a un autre aspect qui est très compliqué, et là encore, il y a des discussions, c'est vis-à-vis d'Internet et des fournisseurs d'accès, parce que beaucoup ont accès à toute une série d'informations à travers Internet, alors, il ne faut pas brider la liberté d'Internet, mais en même temps, lorsque ça permet de commettre des forfaits, vous voyez bien qu'il y a un travail à faire, et nous sommes avec d'autres pays, bien sûr, les Allemands, les Belges et d'autres, en train de travailler là-dessus.
PATRICK COHEN
Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères. On vous retrouve dans quelques minutes, avec les questions des auditeurs d'INTER
source : Service d'information du Gouvernement, le 11 juin 2014
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous revenez d'Algérie. Vous visitez ce matin le site du Bourget, qui accueillera cette prochaine conférence sur le climat si importante à la fin 2015, beaucoup de dossiers diplomatiques à votre agenda, on reviendra aussi sur la situation en Syrie. Avant cela, quelques mots de politique avec cette fronde d'une centaine de députés socialistes qui proposent un contre-budget, ils ont écrit au président de la République, au Premier ministre pour dire qu'ils veulent diviser par deux les baisses d'impôts et des charges pour les entreprises, pour redistribuer plutôt aux ménages, c'est un affront ? Un début de rébellion ?
LAURENT FABIUS
Oh, un affront, je ne pense pas qu'il faut prendre les choses ainsi, mais je crois surtout qu'il faut aller vers une cohérence, il faut écouter, bien sûr, ce que les députés ont à dire, c'est le jeu normal de la démocratie. Mais il faut qu'il y ait une cohérence de la majorité. La situation a été difficile, il faut mettre l'accent sur l'investissement, sur la formation, sur la recherche, sur la compétitivité, je pense que tout le monde doit le comprendre. Mais je fais confiance au Premier ministre pour trouver les synthèses nécessaires.
PATRICK COHEN
Les synthèses, donc écouter ces députés, mais pas forcément se rallier à leur position ?
LAURENT FABIUS
C'est un bon résumé.
PATRICK COHEN
La conférence climat en décembre 2015, Paris sera le centre du monde, dit Nicolas HULOT, qui trouve que vous faites le job, Laurent FABIUS, mais qui voudrait que Matignon ou le ministère de l'Ecologie manifeste le même engouement, et est-ce que le pas de deux sur le vote de la loi de transition énergétique n'est pas en train de donner raison à Nicolas HULOT ? Est-ce que la France ne devrait pas donner l'exemple avant d'accueillir cette grande conférence
LAURENT FABIUS
Alors, il y a deux questions, la conférence mondiale sur le climat effectivement, ça va être probablement le principal événement diplomatique de l'année prochaine, et nous avons, sans faire de catastrophisme, 500 jours pour éviter un chaos climatique, c'est de ça qu'il s'agit. Et il se trouve que la conférence a lieu en France, qu'elle sera présidée par la France, et il s'agira de prendre des mesures au niveau mondial, donc chaque pays, pour arriver à rester sous la limite des deux degrés d'élévation de températures.
PATRICK COHEN
C'est aussi ce qu'on a dit sur les précédentes conférences qui s'étaient soldées
LAURENT FABIUS
Des échecs
PATRICK COHEN
Des échecs.
LAURENT FABIUS
C'est tout à fait vrai. C'est pourquoi cette tâche est extrêmement difficile, mais extraordinairement importante, puisque les derniers rapports des scientifiques, ils disent que si on n'agit pas, ce ne sera pas deux degrés d'augmentation du climat, mais cinq degrés, six degrés, avec non pas un réchauffement climatique, mais un dérèglement climatique, qui aurait des conséquences absolument épouvantables. Donc nous allons travailler à ça. Nous commençons à travailler à ça. Alors, en même temps, il faut que la France soit exemplaire, c'est ce que vous venez de dire, et la France a une très bonne position, c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles elle a été choisie pour présider la conférence, mais il y a ce projet de loi sur la transition énergétique, alors, que cette loi vienne un mois plus tôt ou trois mois plus tard, ce n'est absolument décisif
PATRICK COHEN
Il vaudrait mieux qu'elle soit approuvée tout de même avant la conférence climat
LAURENT FABIUS
Ah, mais sûrement, sûrement, sûrement, ça, il n'y a absolument aucune ambigüité là-dessus. Simplement, il y a des questions très difficiles à trancher, en gros, une politique énergétique, c'est quoi ? Il faut, d'une part, que la sécurité de notre approvisionnement énergétique soit assurée, il faut deuxièmement que notre programme énergétique soit conforme aux exigences environnementales, et il faut troisièmement que ça permette la compétitivité, et que les prix ne soient pas trop élevés. Et pour ça, il y a des arbitrages à rendre que le gouvernement va rendre, mais il est clair que nous allons aller vers ce qu'on appelle la transition énergétique, c'est-à-dire développer la croissance verte pour permettre d'aller plus loin en matière d'emplois. Mais ça demande des arbitrages difficiles. Donc on peut prendre le temps à condition, bien sûr, que, à la fin, ce soit cette piste qui soit décidée.
PATRICK COHEN
La France exemplaire ou pas, mais la France, ça n'est que quelque pour cent d'émissions de CO2 sur la planète.
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
PATRICK COHEN
Deux acteurs clefs, les Etats-Unis et la Chine. Avez-vous
LAURENT FABIUS
Exact.
PATRICK COHEN
C'est eux pour l'essentiel, eux qui ont fait capoter les précédentes conférences climat, est-ce que vous avez bon espoir de les convaincre ?
LAURENT FABIUS
Oui, les choses ont évolué de leur point de vue, aux Etats-Unis, qui est le premier émetteur avec la Chine, le président OBAMA est très engagé dans cette direction, et je ne sais pas si vous avez vu récemment, il vient de prendre un texte qui interdit toute une série de centrales au charbon, or, c'est le charbon, c'est le CO2 qui est essentiellement polluant. En Chine, où je me rends souvent, les autorités ont parfaitement conscience de la gravité du problème. La dernière fois où je suis allée à Pékin, donc plutôt l'avant dernière fois, le jour même où en France, on déclarait la circulation alternée, parce qu'il y avait 10% de trop de pollution, en Chine, à Pékin, c'était 18 fois la norme autorisée, on ne pouvait pas sortir dans les rues. Donc le président chinois et ceux qui l'entourent sont décidés à agir, et ce double mouvement, à la fois des Etats-Unis et des Chinois, c'est un mouvement nouveau. Mais ça ne suffit pas. Vous avez l'Inde, où je vais me rendre dans quelques semaines, qui évidemment est problématique, vous avez des gouvernements qui ne sont pas très allants, on parle du gouvernement australien, du gouvernement canadien, il y a la position de la Pologne, donc il va falloir convaincre toutes ces personnes, tous ces pays plutôt ; et c'est absolument vital, car sinon, nous allons je le répète à la catastrophe. Prenons des exemples, l'extrémisation des phénomènes, c'est-à-dire le fait que les canicules soient beaucoup plus chaudes qu'avant, que les tempêtes soient beaucoup bon, ça vient du dérèglement lié à l'effet de serre. Le fait que si la température augmente, il y a toute une série de pays qui vont être recouverts par les eaux, le fait que ça va avoir des incidences agricoles, le fait que ça modifie même notre système sanitaire, voyez l'enjeu, il est énorme.
PATRICK COHEN
Vous vous y employez, Laurent FABIUS, y compris avec cette initiative qui a fait un peu parler, mais dont on se demande si ce n'était pas un gadget, la réunion des présentateurs météo au quai d'Orsay ?
LAURENT FABIUS
Non, effectivement, il y a eu des commentaires, mais moi, je maintiens
PATRICK COHEN
Mais Joël COLLADO aussi
LAURENT FABIUS
Je maintiens ce que j'ai voulu faire, si on veut sensibiliser les Français pour qu'ils comprennent bien les enjeux et que chacun d'entre nous agisse, bon, la parole des responsables politiques peut-être efficace, mais qui peut mieux le faire que ceux qui sont au contact tous les jours, en parlant du climat, le climat, la météo, ce n'est pas exactement la même chose, mais évidemment, il y a des liens étroits. Et donc j'ai invité tous les présentateurs et présentatrices, je leur ai présenté ce que nous allons faire, je leur ai dit : vous êtes absolument libre, indépendant, mais j »ai trouvé un écho chez eu, et je crois qu'ils vont vouloir sensibiliser les auditeurs ou des téléspectateurs.
PATRICK COHEN
Une amnistie générale en Syrie, décrétée par Bachar EL ASSAD et qui s'appliquerait pour la première fois aux rebelles taxés de terroristes, ça a été annoncé hier, vous y croyez, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, lorsqu'une décision vient de Bachar EL ASSAD, il dira, pour ne pas dire n'arrive jamais qu'elle soit favorable, là, on va voir, s'il s'agit d'une amnistie, de libérer un certain nombre de prisonniers, ce serait une excellente chose, mais nous avons appris à être prudents avec ce monsieur qui je le rappelle est considéré comme un criminel contre l'humanité par le secrétaire général des Nations Unies.
PATRICK COHEN
Hillary CLINTON que vous avez côtoyée quelques mois, elle a été secrétaire d'Etat jusqu'en janvier 2013, révèle dans ses mémoires qu'elle voulait, dès le début de la rébellion, armer les rebelles anti-ASSAD, mais que le président OBAMA s'y est opposé. Ça vous surprend ?
LAURENT FABIUS
Non, ça ne me surprend pas, parce que j'ai travaillé avec Hillary CLINTON, qui est une femme tout à fait remarquable, qui, à la fois, avait ses propres idées, mais qui était très loyale envers le président OBAMA, c'est normal. Et dans nos conversations, je voyais bien qu'elle sentait, comme nous d'ailleurs, c'était en juin 2012, c'est-à-dire aux premières conférences de Genève, que là, il y avait une fenêtre, à condition que, on soutienne l'opposition modérée, et puis, pour différentes raisons, ça n'a pas été fait. Là, elle le dit publiquement alors qu'elle ne l'avait jamais dit, mais je crois que son analyse, qui rejoignait la nôtre, était juste.
PATRICK COHEN
La face du confit aurait pu être changée ?
LAURENT FABIUS
C'est très difficile de refaire l'histoire, mais il faut rappeler que, au moment où nous nous situons, c'est-à-dire en juin 2012, il n'y a pas d'Iraniens en Syrie, il n'y a pas de Hezbollah, et il n'y a pas de groupes terroristes. Et la conversation que nous avions à Genève 1, dans les couloirs, n'était pas de savoir si monsieur EL ASSAD allait partir ou pas, je me rappelle très bien, c'était : où va-t-il aller ? Et comme malgré les souhaits de la France, d'autres, il n'y a pas eu de décision prise, eh bien, huit mois plus tard, la situation avait totalement changé, malheureusement, tragiquement.
PATRICK COHEN
Et aujourd'hui, Bachar EL ASSAD semble solidement accroché à son pouvoir.
LAURENT FABIUS
En tout cas, accroché.
PATRICK COHEN
Les Etats-Unis parlent depuis quelques jours par la voix d'une conseillère de Barack OBAMA, c'était vendredi, d'une aide létale aux rebelles syriens, c'est-à-dire des armes, ce qui serait un changement de stratégie considérable. Les Etats-Unis, à votre connaissance, fournissent maintenant des armes directement aux rebelles syriens ?
LAURENT FABIUS
Alors, il y a aux Etats-Unis une différence entre ce qu'on appelle over et cover, c'est-à-dire, over, c'est quand des choses sont faites et autorisées, et cover, c'est quand elles sont faites sans être autorisées, explicitement, mais en informant quand même une commission secrète. La doctrine officielle des Etats-Unis est que, il peut y avoir soutien, mais pour le moment, non létal. On verra si cette doctrine évolue.
PATRICK COHEN
Et la France ?
LAURENT FABIUS
Non, la France est conforme à ses obligations de l'Union européenne, c'est-à-dire que nous fournissons une aide, mais pas d'aide létale.
PATRICK COHEN
Du moins pas directement.
LAURENT FABIUS
Non, je viens de m'exprimer.
PATRICK COHEN
Oui, enfin, on sait que d'autres pays du Golfe, avec lesquels la France entretient des contacts
LAURENT FABIUS
Ça, c'est autre chose, c'est autre chose.
PATRICK COHEN
Fournissent des armes
LAURENT FABIUS
La France est responsable pour elle-même.
PATRICK COHEN
Des armes qui arrivent d'une façon ou d'une autre dans ce pays et qui risquent de se retrouver entre les mains de jeunes Français en quête de djihad, comment dénoncer les jeunes djihadistes après avoir voulu entrer en guerre contre le même adversaire Bachar EL ASSAD, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Non, alors, je reviens un instant quand même sur ce que vous avez dit, les armes qui peuvent être fournies par tel ou tel pays, il est évident que, il faut prendre des dispositions techniques, et elles existent, pour que, elles ne puissent pas tomber dans des mains où elles seraient détournées. En ce qui concerne les djihadistes, vous avez, au cours de vos émissions récentes, expliqué toute l'ampleur du phénomène, et nous sommes en train de réfléchir au gouvernement sur une pénalisation accrue, bon, Bernard CAZENEUVE, le ministre de l'Intérieur, a expliqué ce que nous faisions, et je crois que c'est très, très bien venu, mais nous pouvons probablement aller un grand cran plus loin, c'est-à-dire que pour le moment, on ne peut incriminer pénalement que ceux qui agissent dans le cadre d'un groupe, et d'autre part, s'il y a eu commission déjà d'un crime. Or, nous constatons qu'il y a de plus en plus des gens qui agissent individuellement, et d'autre part, il serait mieux de pouvoir les bloquer pénalement alors qu'ils ne sont pas encore partis pour la Syrie. Ça demande une modification de texte, et nous sommes en train de travailler là-dessus, et j'y suis favorable.
PATRICK COHEN
Une sorte de délit d'intention avant même qu'ils partent
LAURENT FABIUS
Non, si vous voulez, si on a établi que quelqu'un veut partir en Syrie pour commettre des forfaits, s'il le prépare, que ce soit individuellement ou collectivement, je pense que, évidemment, pour des raisons que chacun comprend, il faut mieux le bloquer avant, et puis, il y a un autre aspect qui est très compliqué, et là encore, il y a des discussions, c'est vis-à-vis d'Internet et des fournisseurs d'accès, parce que beaucoup ont accès à toute une série d'informations à travers Internet, alors, il ne faut pas brider la liberté d'Internet, mais en même temps, lorsque ça permet de commettre des forfaits, vous voyez bien qu'il y a un travail à faire, et nous sommes avec d'autres pays, bien sûr, les Allemands, les Belges et d'autres, en train de travailler là-dessus.
PATRICK COHEN
Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères. On vous retrouve dans quelques minutes, avec les questions des auditeurs d'INTER
source : Service d'information du Gouvernement, le 11 juin 2014