Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur le plan gouvernemental pluriannuel contre la pauvreté et l'exclusion sociale, Paris le 15 mai 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque de l'Observatoire national de la Pauvreté et de l'Exclusion sociale (ONPES) à Paris le 15 mai 2014

Texte intégral


Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord vous dire que je suis extrêmement honorée de faire l'ouverture de ce colloque aujourd'hui car je sais que vous êtes tous des spécialistes de l'observation sociale venus de la France entière. Il me revient donc la tâche d'introduire cette journée qui, je l'espère, sera riche.
Il me revient aussi depuis que j'ai été nommée, il y a un mois, la responsabilité du plan gouvernemental pluriannuel contre la pauvreté. Bien entendu, cette responsabilité est partagée. Elle est d'abord partagée au sein du gouvernement puisque, vous le savez, il s'agit d'un plan interministériel et transversal, mais elle est aussi partagée par tous, puisque ce plan pauvreté se décline sur l'ensemble des territoires qu'ils soient urbains, ruraux et même de montagne.
C'est donc l'ensemble des services de l'État qui sont mobilisés, l'ensemble des collectivités territoriales, l'ensemble des établissements publics, des organismes de sécurité sociale, ainsi que les associations qui, évidemment, jouent un rôle extrêmement important dans la mise en œuvre de ce plan.
À quoi sert l'observation de la pauvreté et de l'exclusion sociale ?
En premier lieu, elle sert à faire prendre conscience à l'ensemble de la population française et à ceux et celles aussi qui sont susceptibles de décider des politiques publiques.
À vrai dire, dans la vie civile, je suis médecin spécialisé dans les maladies infectieuses et donc épidémiologiste. J'ai donc largement conscience qu'avoir les chiffres est extrêmement important pour pouvoir envisager de prendre en charge un phénomène.
Sans chiffre, sans indicateur, on n'a pas conscience de la réalité et on ne peut pas orienter les actions.
L'observation, bien entendu, ce sont des chiffres, puisqu'on peut évaluer les revenus des personnes. Je suis particulièrement satisfaite que la revalorisation du RSA telle qu'elle avait été prévue dans le plan pauvreté ait été préservée dans le plan d'économie de 50 milliards, avec une revalorisation effective de plus 2% qui se fera au mois de septembre. Je suis satisfaite aussi qu'aient été maintenues les revalorisations prévues, notamment du complément familial, au mois d'avril.
Il y a les chiffres à observer, mais aussi les représentations que l'on peut se faire de la pauvreté : ce sont des phénomènes plus difficiles à mettre en lumière. Il y a les représentations que l'on se fait, nous qui ne sommes pas des exclus et puis il y a celles des personnes exclues elles-mêmes, la représentation qu'elles se font de leur situation, cette image dégradée d'elles-mêmes. Cette perte de confiance est probablement une des choses les plus importantes parce que c'est à nous à travers nos politiques publiques, à leur redonner cette confiance .
Certes, le niveau de vie est important mais la question de la confiance est également primordiale, dans une société où, vous le savez, l'argent compte pour beaucoup.
Et c'est aussi le rôle de l'observation sociale que de contribuer à faire sortir de l'invisibilité toutes les personnes exclues de cette société où l'on valorise avant tout les signes extérieurs de richesse.
Il est important, ensuite, que ces données puissent servir. Servir l'ensemble des décideurs politiques, au niveau national ou local, cela concerne l'ensemble des élus. Les élus locaux décident pour une grande part des politiques de lutte contre la pauvreté. J'insiste là-dessus parce que ces données et ces chiffres doivent, à mon sens, être simples et lisibles par tous parce que tout le monde n'est pas professionnel de l'observation comme vous l'êtes. Vous savez qu'en matière d'accessibilité (le handicap étant mon autre attribution), je promeus le langage simple et compréhensible par tous pour les personnes en situation de handicap psychique. Moi, je défends l'idée que ceci est valable pour tout le monde, que plus les phrases sont simples, plus les données sont compréhensibles par tous, plus on peut en tirer profit collectivement.
Des données inquiétantes sur la pauvreté et l'exclusion, il y en a régulièrement, mais depuis cette période de crise que nous vivons depuis 2008, les chiffres s'aggravent. Je voudrais vous citer deux rapports, qui pointent deux situations qui me préoccupent particulièrement. La première, c'est l'étude du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, qui montre des inégalités particulièrement flagrantes entre les femmes et les hommes sur deux types de territoires, les zones urbaines sensibles et les zones rurales. On sait, avec l'augmentation du nombre de familles monoparentales, combien les femmes peuvent être bien souvent les premières exclues. Et puis, un deuxième rapport prospectif, celui du Sénateur Vaugrenard sur la pauvreté qui met en avant la pauvreté des enfants. Les deux études, évidemment, sont étroitement liées. Car ce qui est le plus intolérable dans la pauvreté des enfants, c'est qu'elle se transmet des parents aux enfants. Les enfants qui sont pauvres sont ceux qui ont des parents pauvres. Enfants qui vont le moins bien réussir à l'école (les données de l'Education nationale sont à cet égard éloquentes), qui donc auront le moins de chance d'insertion dans la vie professionnelle. C'est ce qui doit nous préoccuper le plus : la promotion républicaine vers laquelle nous tendons tous et qui, ces dernières années, est en panne.
Cette observation doit nous faire prendre conscience qu'il y a nécessité à agir. Je suis là pour agir . Il faut pour cela se fixer des objectifs chiffrés, comme l'Europe nous a donné l'exemple en fixant des objectifs de réduction de la pauvreté. Alors oui, c'était ambitieux, et c'était avant la crise. Mais ce faisant, l'Europe nous a fait avancer sur la (les) définition (s) de la pauvreté. Comment arriver à comparer la pauvreté et les inégalités entres les pays européens ? Les critères ont ils la même pertinence d'un pays à l'autre ? Vous connaissez ça mieux que moi puisque pour la définir en France on fait appel à différents critères, qui vont caractériser les différents territoires. Il va être question durant cette journée, d'aborder largement la question des territoires : quels sont les territoires d'action ? Quels sont les territoires d'observation ?
Parce qu'il y a l'observatoire national, l'ONPES, dont je salue le Président, mais il y a aussi des structures d'observation territoriales et, je me félicite de l'initiative d'organiser cette journée pour favoriser la coopération entre toutes ces structures, pour, d'une part faire descendre les données produites au niveau national et de l'autre faire remonter les données issues de l'analyse locale.
Pour moi il est essentiel d'avoir une observation plus fine, au plus près des territoires parce que, au sein d'une même ville, il peut y avoir certains quartiers très spécifiques, véritables ghettos, où le degré de pauvreté et d'exclusion sociale est plus important : les conseils municipaux ont besoin d'avoir accès à ces données, comme les Départements dans le cadre de leur plan départemental d'insertion notamment. La encore, j'insiste : pour que les élus de chaque collectivité puissent s'en saisir pour concevoir et piloter leurs politiques publiques, il faut que ces données d'observation soient comprises. Les avoir à disposition est en général assez simple, mais ensuite il faut les comprendre : un élu est d'abord un citoyen, pas un statisticien. Il est important qu'il puisse comprendre ce qu'on lui fournit, que l'analyse l'interpelle et que ça lui donne finalement à la fois les moyens mais aussi l'envie d'agir. C'est donc aussi un travail de communication que vous avez à faire auprès de l'ensemble des décideurs.
Et puis ces chiffres, je crois qu'il est important aussi qu'ils puissent être récents , car si l'on veut être efficaces, il faut être davantage réactif, en particulier au niveau des politiques locales. Je sais qu'il n'est pas facile d'avoir des chiffres consolidés récents, que ce n'est pas possible ni souhaitable pour tous les indicateurs, mais est-ce qu'il ne faudrait pas avoir un indicateur simple qui puisse être extrêmement réactif ? Avoir un suivi continu des indicateurs de la pauvreté permettrait d'augmenter la réactivité et de diminuer le temps entre l'observation et l'action publique.
Les chiffres sur la pauvreté, c'est effectivement une partie de votre travail. Je crois qu'il est important aussi que vous puissiez nous donner des pistes d'analyse pour identifier ce qui produit des ruptures dans les trajectoires des personnes . On le sait, quand on construit des politiques publiques, on a besoin de savoir ce qui, à un moment donné, va faire basculer des situations. Avoir accès à ce type d'analyse causale permet ainsi de mener des politiques de prévention . C'est pourquoi je suis très attachée à tout ce que l'on peut avoir comme données sur les enfants parce repérer les enfants en situation de pauvreté permet d'éviter qu'ils en souffrent, en renforçant leur accès aux soins et, par exemple, à une alimentation correcte. Il n'est pas tolérable que dans un pays comme la France, il y ait certaines pathologies chez les enfants qui soient plus fréquentes en fonction de la classe sociale des parents, simplement à cause d'une mauvaise alimentation par exemple, avec des répercussions sur la santé mais aussi sur la vie professionnelle, affective, familiale.
C'est pour cela que la prévention est extrêmement importante. Les enfants pauvres ne doivent pas garder des séquelles de la pauvreté. C'est l'une des tâches à laquelle je compte m'atteler, de façon très tenace.
Vous le voyez, la mission est immense, mais elle est passionnante.
Et pour l'accomplir j'ai besoin de vous, de votre travail, de votre motivation, j'ai besoin de vos idées, j'ai besoin de toute l'innovation dont vous êtes capables, j'ai besoin de votre expertise parce que c'est grâce à tout ce que vous saurez produire ensemble que nous pourrons finalement faire émerger de nouvelles politiques publiques de lutte contre la pauvreté.
Je vous souhaite donc une excellente journée, de travail et d'échanges et je vous dis à très bientôt.
Merci de vos efforts et de votre travail.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 5 juin 2014