Texte intégral
Messieurs les préfets,
Madame et monsieur les représentants des maires de Bordeaux et Paris,
Monsieur l'administrateur du Panthéon,
Monsieur le président de l'association nationale des Amis de Jean Moulin,
Madame la directrice du musée Jean Moulin,
Messieurs Bernard de Gaulle, Daniel Cordier et Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui nous faites l'honneur de votre présence,
Chers élèves aujourd'hui présents,
Mesdames et messieurs,
Le Panthéon de celles et ceux qui ont marqué l'Histoire de notre pays nous accueille aujourd'hui pour rendre hommage à l'un deux, Jean Moulin. Celui dont l'engagement, le sacrifice et l'abnégation ont été sans réserve. Pour dire aussi, à travers lui, jusqu'où peut s'exprimer le courage des hommes.
Le courage dont vous avez fait preuve, messieurs Bernard de Gaulle, Daniel Cordier et Jean-Louis Crémieux-Brilhac en vous engageant dans la Résistance à 17, 20 et 23 ans.
Ce courage, c'est celui qu'il fallut à Jean Moulin pour s'opposer aux exigences de l'ennemi qui, le 17 juin 1940, lui ordonna de signer un document accusant à tort des tirailleurs sénégalais du massacre de femmes et d'enfants.
Celui qu'il lui fallut pour se saisir, sans trembler, d'un morceau de verre au fond de sa cellule. Se trancher la gorge, en un instant, pour ne pas parler, pour ne pas trahir, pour ne plus souffrir. Le 17 juin, la gorge de Jean Moulin est tranchée mais c'est la France qui saigne.
Ce courage, c'est celui qu'il lui fallut pour rassembler en une force unique le 27 mai 1943, dans une France occupée, dans une France dévastée, dans une France martyrisée, des sensibilités différentes, des hommes de tout âge, de toutes conditions sociales, de tous horizons politiques prêts à devenir la Résistance française.
Ce courage, c'est le silence qu'il opposa à ses bourreaux de la prison de Montluc et de l'École de santé des armées où il subit les interrogatoires à partir du 21 juin 1943.
Sous les coups et les humiliations, Jean Moulin ne trahit aucune de ses promesses. Celles qu'il s'était fait de rester fidèle à ses valeurs, celles faites à ses camarades, celles faites à la France. Une France dont le destin était suspendu à ces lèvres qui ne se sont jamais ouvertes. Le silence de Jean Moulin, jusqu'au sacrifice suprême, c'est la survie de la France, c'est le terreau sur lequel refleurit la Liberté.
Je n'ai pas besoin de revenir ici en détails sur l'itinéraire et le parcours exceptionnel de cet homme. Le récit de sa vie, vous le connaissez. Et les mots manquent parfois pour traduire ce que fut son engagement.
Il est celui d'un citoyen exemplaire viscéralement attaché à la République et à la France comme il en a fait la démonstration dans toutes les étapes de sa vie : en 1918 alors qu'il est mobilisé sur le front des Vosges sous l'uniforme qui avait manqué à l'Armée des ombres plus de 20 ans après. L'armistice est signé avant qu'il ne participe aux combats ; Dans les années 1920 en tant que plus jeune sous-préfet de France, à Albertville ; Dans les années 1930 en participant à l'aide clandestine du gouvernement du Front populaire aux républicains espagnols ; Ensuite en tant que plus jeune préfet de France en venant en aide aux habitants de Chartres qui, sans eau, sans électricité, assistent le 14 juin 1940 à l'arrivée des soldats ennemis.
Dans son combat républicain, Jean Moulin remporte l'une de ses plus belles batailles le 17 juin 1940. A la veille du célèbre appel du général de Gaulle, il inaugure la Résistance et annonce ce jour où la France est prête à changer de visage.
Journée que la mémoire nationale a immortalisée comme l'un des plus grands actes de Résistance, l'un des plus beaux gestes patriotiques, l'une des plus belles preuves d'amour adressées à la France.
Dès lors, honneur et Résistance entrent en résonance. L'honneur des femmes et des hommes qui ont suivi l'exemple de Jean Moulin, sera de résister. Leur résistance sera l'honneur de la France. Elle sera la garantie de la liberté.
Cette liberté arrachée à l'ennemi nazi n'a pas de prix. C'est ce que les résistants ont chanté à l'unisson au lendemain du 27 mai 1943 : « Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute ». Aujourd'hui, c'est nous tous, toutes générations confondues, qui écoutons le chant des partisans, le chant des Résistants, le chant de la Libération.
Chanté dans cette crypte du Panthéon, il regorge aujourd'hui d'une force symbolique et émotionnelle toute particulière alors qu'il avait été remis à l'honneur, ici même, par André Malraux il y a 50 ans.
Le 19 décembre 1964, Jean Moulin quitte le cimetière du Père Lachaise pour entrer, en héros, au Panthéon sur l'air du chant des partisans. Une cérémonie qui fit entrer les Françaises et les Français au cur de la maison des grands Hommes et de la mémoire de la Résistance. Le Panthéon, c'est l'hommage immortel rendu à celles et ceux qui ont fait les gloires de la République, l'hommage qui survit aux Hommes.
Jean Moulin n'entre pas seul au Panthéon. Il y entre avec toute l'Armée des ombres, avec ces femmes et ces hommes sans uniforme, parfois sans armes, mais avec un courage et un esprit de sacrifice qui ont fait d'eux des exemples universels. Il y entre avec ses camarades, résistants et maquisards, qui n'ont pas survécu à la guerre : celles et ceux tombés sous les balles ennemies, celles et ceux qui ont disparu dans la nuit des combats et de l'Occupation, celles et ceux que les camps de l'horreur ont emportés.
Car la Résistance s'est aussi retrouvée sur ce chemin macabre de la déportation. Je pense notamment à Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, toutes deux marquées à la fois par le combat héroïque de la Résistance et la violence de l'univers concentrationnaire.
Le Président de la République a annoncé le 21 février dernier qu'elles rejoindraient Jean Moulin, le 27 mai 2015, aux côtés de Jean Zay et de Pierre Brossolette, ici au Panthéon.
Tous les 4 ont incarné le combat pour la justice et la liberté. Ils ont incarné cette France debout que la haine des cerveaux nazis avait voulu mettre à terre. Ils ont incarné cette immense foi en la France. Une France pour laquelle ils étaient prêts à donner leur vie. Ils resteront à jamais le combat de demain.
C'est tout l'enseignement de Germaine Tillion dont je tenais à rappeler les propos en guise de conclusion : « Au terme de mon parcours, je me rends compte combien l'homme est fragile et malléable. Rien n'est jamais acquis. Notre devoir de vigilance doit être absolu. Le mal peut revenir à tout moment, il couve partout et nous devons agir au moment où il est encore temps d'empêcher le pire ».
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 juin 2014