Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la présence de la France dans le monde à travers son réseau de coopération et d'action culturelle extérieure et le rôle et les moyens de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) et de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), Paris le 23 juillet 2001.

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Circonstance : Réunion annuelle des agents du réseau de coopération et d'action culturelle au Palais des Congrès à Paris du 23 au 25 juillet 2001

Texte intégral

Monsieur le Directeur général, merci de votre invitation,
Merci à Catherine Tasca d'avoir eu la gentillesse de rester m'écouter, après avoir parlé. Je salue aussi M. Salamé que j'ai plaisir à voir parmi nous.
J'interviens à l'issue d'une longue journée de travail et d'interventions dont on m'a fait le récit et qui, je crois, ont été très intéressantes. Je vais essayer de ne pas trop répéter ce qui a pu être dit par les uns et les autres, sans être sûr tout à fait d'y parvenir.
Je suis très heureux de ce rendez-vous annuel car c'est l'occasion de dire beaucoup de choses. C'est l'occasion pour moi aussi de faire passer un certain nombre de messages. Je suis sûr que vous travaillez tous dans ce réseau avec plaisir et passion, en tout cas c'est l'impression que j'ai en circulant, malgré des moyens évidemment insuffisants. Mais je suis sûr en même temps que vous vous posez des questions, des questions qui viennent du terrain, de votre expérience, des problèmes que vous rencontrez, des débats que ces sujets provoquent.
Le simple fait qu'il y ait débat montre la vitalité de ce qui passe autour de ces questions de présence de la France dans le monde, de rayonnement, de culture. Il y a eu ces derniers temps un certain nombre d'interventions, de rapports parlementaires ou autres, qui ont alimenté ces discussions. J'ai envie, ce soir, avec vous, de prendre de front quelques-unes des questions posées. J'en ai noté quelques-unes soit exprimées, soit en arrière-plan. Certaines de ces questions sont obsessionnelles, reviennent tout le temps, ont la vie dure ; d'autres sont parfois plus nouvelles. Je les pose carrément.
- La France n'est-elle plus politiquement, et culturellement, qu'une puissance moyenne ? On voit resurgir ce serpent de mer de temps en temps.
- Sa culture est-elle en déclin ?
- Faut-il, par lucidité, le reconnaître ?
- Sa vocation à l'universalisme a-t-elle encore un sens ? Est-elle encore opérationnelle ? Ou est-ce quelque chose de dépassé ou de trompeur ?
- La culture est-elle le parent pauvre de la diplomatie ?
- Le réseau est-il surdimensionné ?
- Ses réductions, voire son abandon, sont-ils une nécessité logique, inévitable, voire un objectif programmé ?
- Est-il bien juste qu'il soit placé dans le giron des Affaires étrangères ? Un autre rattachement à une autre structure ne serait-il pas préférable ? Ne vaut-il pas mieux séparer plus clairement, diplomatie, culture, solidarité ?
Et puis, d'autre part, faut-il se plaindre de tout cela ? Cette dernière question, on peut l'appliquer à tout. Tous les ministres peuvent l'utiliser à peu près sur tous les sujets.
Je crois que ces questions se posent, je ne les invente pas, je les entends. Il me semble que par notre action, Charles Josselin et moi, à l'intérieur de ce gouvernement, nous y répondons le mieux possible. Mais enfin, puisqu'on les voit affleurer, traitons-les. Je vais vous donner quelques réponses, quelques commentaires sur ces points qui correspondent aux orientations du Premier ministre, que vous avez entendu ce matin, à mon action, à celle de Charles Josselin, et de beaucoup d'autres responsables d'ici qui font de leur mieux.
La France puissance moyenne ?
J'aimerais bien extirper cette idée, vraiment. Je me souviens que le président Giscard d'Estaing avait dit que la France est une puissance moyenne, à mon avis avec de bonnes intentions, pour essayer de lutter contre une sorte de prétention française. Mais nous ne sommes plus dans cette situation. C'était parce qu'il y avait une sorte d'excès de narcissisme, de nombrilisme, camouflé sous l'universalisme. Il y avait un travail à faire de clarification dans les esprits. Mais, il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse. Je rappelle cette idée toute simple que j'ai développée dans ce petit livre que j'ai fait l'an dernier : il y a 189 pays dans le monde, il y a évidemment une hyper-puissance qui a des moyens que les autres n'ont pas sur tous les plans, mais une fois que l'on a parlé d'hyper-puissance, qu'y a-t-il après ? Et si l'on regarde ces 189 pays, nous ne sommes pas une puissance moyenne, le pays n° 92 ou 93. C'est absurde ! On est plus ou moins près des Etats-Unis, selon le critère que l'on prend, cela dépend si on prend la culture, l'économie ou autre chose. Mais nous faisons partie d'un petit groupe de pays qui vient immédiatement après.
Donc, autant il a été nécessaire et salubre pendant longtemps de lutter contre un excès de prétention et d'arrogance française qui faisait ricaner un certain nombre de nos partenaires, ce qui ne les prédisposaient pas à travailler avec nous, autant il faut reconnaître que nous restons aujourd'hui un vrai grand pays, un pays d'influence mondiale. C'est vrai en matière de politique ou diplomatique, c'est encore plus vrai en matière culturelle.
Est-ce que la France est une puissance culturelle moyenne ? Mais alors, où sont les autres ? A qui se comparer ? Là aussi je connais la puissance extraordinaire du bulldozer américain, de l'industrie culturelle américaine, le talent aussi qui existe aux Etats-Unis. Un talent phénoménal qui a attiré des gens du monde entier, le cinéma américain. On sait tout cela. Mais après on nous compare à qui d'autre ? Quel est l'autre pays qui disposerait d'un rayonnement tel, que vous pourriez le mesurer tous là où vous êtes, dans tous ces pays où il y a plutôt une réelle attente par rapport à nous, y compris derrière les critiques, les déceptions, les scènes de ménage, par rapport " à la France, qui se désengage ", etc... Tout cela est une forme d'intérêt, de curiosité, d'attente.
Décidément, cette notion de puissance moyenne est faussement lucide, elle est inopérante. Elle est nuisible même parce qu'elle sème la confusion dans les esprits, elle ne nous aide pas à trouver le point d'équilibre, " l'assiette ", en langage d'équitation, que nous devons trouver entre l'excès de prétention de naguère et l'excès de sous-estimation d'aujourd'hui. C'est faux en matière diplomatique, c'est encore plus faux en matière culturelle.
Le déclin.
Je reconnais que c'est un sujet plus compliqué. Cela dépend quand et à qui l'on nous compare ! Si on compare à Louis XIV peut-être. Mais si on parle de l'époque contemporaine, c'est contestable. D'abord, il faudrait distinguer est patrimoine, création et diffusion.
En ce qui concerne le patrimoine, vous constatez que le patrimoine culturel français, classique, qui s'étend sur quelques siècles, continue à vivre dans le cur et la tête de centaines de millions de gens pour qui il a une signification. Soit en français directement, soit par des traductions. Il y a toujours une demande par rapport à cela. Nous avons parfois à arbitrer entre cela et la demande de créateurs contemporains, mais il n'y a aucun déclin de l'attente. Il faut bien distinguer l'offre et la demande. Je ne vois pas de déclin de la demande. Après, il faudrait distinguer la situation, ce n'est pas mon métier direct et vous en savez autant que moi, elle n'est pas la même selon que l'on parle de la langue, du cinéma, des arts plastiques, du livre, de l'audiovisuel, des arts de la scène, de je-ne-sais-quoi d'autre. Les situations sont différentes. Mais, je ne mesure pas en tout cas ce déclin ou alors, encore une fois, ce sont des processus anciens, comme à propos de l'art contemporain. On sait très bien que depuis la Seconde guerre mondiale, la situation n'est pas la même qu'avant. Ce n'est pas la peine de réinventer le vélo, tous les ans, pour le savoir. C'est un phénomène très ancien. On sait que Picasso est mort, bien sûr. Il y a plusieurs grands artistes qui avaient vécu ou travaillé en France et qui sont morts dans les années 70 ou 80. On sait tout cela. Est-ce que cela doit alimenter une analyse d'ensemble, sur une sorte de déclin, et réagir aussitôt comme si on était en cause ? Je ne crois pas.
Depuis que la menace d'un nivellement abusif apparaît, on a retrouvé, même sans s'en rendre compte, une vocation et des cartes formidables. Je le constate à peu près dans tous les domaines. Après, il faut mettre les bons tuyaux là où il faut, rassembler les financements. Mais vous êtes là pour cela. Moi, je ne m'inscris donc pas dans cette idée de déclin.
L'universalisme.
Là je reconnais que quelques interrogations décapantes ne font pas de mal. Parce que le discours universaliste a souvent été le corollaire d'une sorte de pose, un peu prétentieuse, comme si les idées que nous émettons devaient provoquer un effet stupéfiant sur le reste du monde qui n'attendrait que cela. Cela n'est pas vrai ou alors quand c'est vrai, si on a des idées ou des créations qui sont tellement époustouflantes, le monde entier le reconnaît. C'est vrai pour le vin français, par exemple. Mais dans des domaines où cela n'est pas évidemment vrai, ce n'est pas en le proclamant que cela sera plus vrai. Il ne faut pas être complexé, mais il ne faut pas non plus être prétentieux.
L'universalisme, l'origine de l'idée est généreuse. C'était une façon pour certains courants de pensées français au XVIIIème, d'aller vers l'universel, de se détacher des particularismes, de dépasser l'étroitesse des pensées nationalistes, religieuses ou ethniques. Cela est très important et cela reste le cur de notre pensée, même si la mise en oeuvre en est problématique. Cela ne doit pas justifier les pratiques liées au panachage, d'émiettement, d'éparpillement. Cela ne doit pas nous dispenser de nous concentrer sur des objectifs.
Je dirais, l'universalisme oui, si cela ne nous empêche pas de faire des choix. Or c'est vrai qu'il faut faire des choix, c'est vrai qu'il faut hiérarchiser mieux. Ne jamais faire de choix c'est la solution de commodité. C'est le non choix de l'administration. Moi, j'étais à la DG à une époque - cela n'a plus rien à voir aujourd'hui - où le choix théorique de la programmation sectorielle ou géographique prenait quasiment toute l'année. Il n'était en fait jamais fait. Parce qu'on élaborait des concepts qui ne s'emboîtaient pas. Parce qu'il y avait des ministres, déjà à l'époque, qui circulaient et prenaient des engagements farfelus. Il fallait tout refaire. Finalement on n'y arrivait jamais. Mais il y avait aussi d'extraordinaires couardises bureaucratiques et collectives qui faisaient que l'on ne choisissait pas vraiment. Or ne pas choisir, c'est faire tout mal.
L'idée que la culture serait le parent pauvre.
Alors là franchement, je voudrais bien que l'on me cite un seul autre pays dans le monde, un seul, qui fasse plus que la France pour sa culture sous toutes les formes. Je parle des pouvoirs publics, de l'argent public. Si l'on additionne le budget du ministère de la Culture, que Catherine Tasca en se battant vaillamment a réussi à faire monter, celui de la DGCID (ce n'est pas que la culture stricto sensu ; il y a la coopération, mais il y a beaucoup de culture), les crédits que le ministère de l'Education consacre à l'enseignement artistique, ceux que le secrétariat d'Etat aux DOM-TOM consacre à la culture, ceux des collectivités territoriales, les crédits de la télévision publique dont une part peut servir à cela, dans certains cas. Résultat : cela n'a aucun équivalent dans le monde. Donc ne disons pas que la culture est le parent pauvre. Cela traduit au contraire une volonté qui se poursuit, à travers les époques, de la part de la France d'avoir un vrai engagement dans ce domaine. J'ajoute que la politique culturelle, ce n'est pas que l'addition des crédits, même si c'est évidemment important, ce sont aussi les mesures. Ce n'est pas à vous que je vais rappeler l'importance des quotas, du prix unique du livre et d'autres.
J'en viens aux moyens et donc au réseau. Le réseau, c'est vous. On se vante d'avoir le plus grand réseau. Mais là aussi il y a des interrogations. Essayons d'être précis.
D'abord, dans les années récentes, Charles Josselin, moi et tous les directeurs concernés et vous tous, nous avons procédé, avec conviction, je crois, à une formidable amélioration des outils et des méthodes de la coopération. Il faut l'avoir à l'esprit.
D'abord, on a renforcé systématiquement tout ce qui est interministériel, avec des vrais choix, en concentrant par exemple l'aide bilatérale sur les pays de la ZSP, en recourant davantage à l'aide multilatérale sur les pays hors ZSP ; en maintenant l'APD à un niveau substantiel et en contractualisant les relations avec les pays de la ZSP par des accords de partenariat. Au total, un bouleversement d'habitudes et de méthodes.
La coordination interministérielle a été portée à un point qui n'avait jamais été atteint avant, avec nos collègues de l'Education nationale, de la Culture, de la Santé aussi - je crois que Bernard Kouchner d'ailleurs s'est exprimé aujourd'hui. Nous avons vraiment avancé dans la mise en oeuvre de cette formule que j'emploie parfois en disant que le ministère des Affaires étrangères au sens large du terme doit être la tour de contrôle de l'ensemble des actions internationales de la France, pas pour régenter, mais pour animer, orchestrer des choses qui prennent parfois leur naissance ailleurs, pour qu'elles se fassent dans une cohérence d'ensemble.
Vous savez tout ce que l'on a fait avec le ministère de l'Education nationale, de la Culture. Je ne vais pas l'énumérer à nouveau. Je voudrais que l'on mesure bien le progrès que cela représente, cette mutation des méthodes. Ce n'est pas vrai qu'avec les ministères. C'est vrai avec toute une série d'organismes relais. C'est vrai avec les réseaux professionnels, comme UNIFRANCE, TVFI, le bureau export de la musique en France, d'autres encore.
Donc, au total, un vrai changement de méthodes. Là, je parle plutôt de l'administration centrale, mais vous en connaissez les répercussions à vos niveaux et nous avons d'autres projets. Par exemple, Bruno Delaye travaille en ce moment à des dispositions qui permettront à ce ministère de valoriser de façon plus efficace l'expertise française et la capacité française à mieux répondre à tous les appels d'offres internationaux, une autre énorme bataille d'influence.
J'en viens aux moyens. Parce qu'évidemment même si les idées ne manquent pas, ni l'énergie, ni la motivation, il faut des moyens et je ne vais pas me contenter du commentaire que je vous ai fait tout à l'heure : à savoir qu'aucun autre pays au monde ne fait autant pour sa culture.
Ces dernières années, on s'est vraiment battu. On s'est battu pacifiquement, avec de bons arguments, pour casser cette idée vraiment absurde qui était répandue dans certains ministères clés sur le ministère des Affaires étrangères en général, sur le réseau diplomatique, le réseau culturel. Vous savez qu'il y a des gens qui rêvent de fermer tout cela. On s'est donc beaucoup battu pour répondre aux arguments, les uns après les autres, pour en démontrer la fausseté et pour réhabiliter l'idée que dans le monde globalisé où nous sommes il y a une concurrence impitoyable et que nous avons à mener et à gagner une grande politique d'influence, y compris par la solidarité, car tout cela n'est pas à opposer.
L'objectif était d'enrayer la diminution des crédits du ministère, d'enrayer l'érosion des effectifs qui avait été très cruelle pendant une dizaine d'années. Nous avons obtenu des résultats. Cela fait maintenant deux années, deux budgets, où l'on peut dire pour le ministère que l'on a réussi à enrayer ce déclin. Mais ce n'était pas suffisant par rapport à la DGCID. Cette année, on s'est à nouveau battu par rapport à la discussion budgétaire, puis nous avons travaillé entre nous pour que la DGCID en particulier qui porte nos projets innovants dans beaucoup de ces domaines ne soit pas amputée par ces projets. Et, pour la première fois, depuis des années, grâce aux arbitrages du Premier ministre, nous allons pouvoir dégager en faveur de la DGCID des crédits qui permettront de mettre en oeuvre, sur le terrain, les priorités de notre politique.
Je pense notamment à la solidarité, Charles Josselin et moi-même avons décidé qu'un effort particulier serait fait cette année pour le Fonds de solidarité prioritaire. Je pense à la modernisation de TV5 et la rénovation de ses programmes diffusés en Amérique, ce qui suppose des moyens nouveaux. Cela n'épuise pas ce que devrait être une politique audiovisuelle extérieure de la France, il faudrait d'autres choses, mais je parle de ce qui dépend d'abord de nous, de ce que l'on peut faire directement et puis un pas après l'autre.
Les crédits consacrés aux centres culturels devraient pouvoir être augmentés ; il en sera de même pour le programme de bourses "Majors" pour les anciens élèves de l'AEFE et pour le soutien aux initiatives des collectivités locales et des ONG. Les ONG, vous savez les analyses que je fais souvent, comme quoi il ne faut pas être trop naïf devant toutes les ONG, de façon indifférenciée. Mais vous avez, dans le monde des ONG, beaucoup de gens qui sont convaincus, qui ont les mêmes passions que nous, qui connaissent le terrain. Et quand tout cela est fait en combinaison avec les collectivités locales, cela donne une garantie et une fiabilité en plus.
Au total, les crédits mis à la disposition de la DGCID en 2002 seront donc accrus par rapport à 2001. Je ne peux pas aller au-delà dans la précision. Je n'ai rien à cacher, mais il y a une règle par rapport à l'élaboration du budget par le gouvernement et tout cela ne se dit pas en détail au mois de juillet.
Du côté de l'AEFE, nous financerons la revalorisation de la condition des enseignants dans le cadre de la réforme engagée cette année ainsi qu'un supplément pour les bourses, la construction d'un lycée à Alger et l'amélioration du parc existant.
Eh bien, nous dégageons ce supplément non seulement parce que dans la négociation avons réussi globalement, Charles Josselin et moi, à préserver nos crédits, mais aussi parce que nous avons procédé, et que j'ai procédé, à des arbitrages internes. Concrètement, l'ensemble des autres politiques et des autres chapitres sont mis à contribution. C'est-à-dire que l'on réduit leur croissance ou même on rogne un peu pour que les programmes valorisants, modernes, qui sont le fer de lance de cette politique d'influence, puissent se développer. C'est un choix logique, cohérent, par rapport à ce que nous voulions, par rapport au rôle qui est le vôtre sur le terrain. Mais je pense que c'est plus d'innovation, plus de créativité, plus d'imagination pour servir notre pays.
Soyons encore plus précis ! Je vous rappelle que la DGCID bénéficie de près de la moitié des moyens de ce ministère et que ces crédits permettent de faire vivre, en contribuant largement, un réseau de 151 centres culturels, 219 alliances françaises ou fédérations d'alliance française, 270 établissements relevant de l'Agence pour l'Enseignement français à l'étranger, 160 000 élèves, et 26 instituts de recherche. Je pourrais ajouter à cette liste tous nos opérateurs dans les domaines particuliers de notre action.
Mais évidemment au-delà des ressources financières sur lesquelles je voudrais vous apporter des nouvelles encourageantes, la principale ressource c'est vous tous. C'est le degré de conviction que vous avez. Cela dépend si vous êtes à l'aise ou pas dans ce réseau, par rapport à ce que l'on fait, si vous partagez les objectifs et si vous êtes convaincus de donner le maximum de vous-même.
Quelques commentaires encore. D'abord, je voudrais enrichir l'assistance technique que nous offrons à l'étranger. La réforme, d'ores et déjà engagée, découle de l'harmonisation des statuts des agents après la fusion, et nous donne l'occasion tout en gardant une part d'assistance résidentielle, qui constitue la spécificité de l'assistance française, de mettre en place une assistance technique modernisée, plus flexible.
Charles Josselin en a certainement déjà parlé. Avec dès 2002, la possibilité de mobiliser une expertise de haute technicité sur des périodes courtes ou moyennes, le ministère aura un outil de qualité performant et flexible.
Deuxièmement, nous devrions pouvoir maintenir les effectifs du réseau à l'étranger, hors l'assistance technique, dont je viens de parler. Nous voulons casser cette spirale de l'attrition, du toujours moins, donc nous voulons sortir collectivement, nous et vous, sortir de l'idée que tout cela serait une peau de chagrin. Cela reste peut-être l'objectif d'autres administrations, mais ce n'est pas notre politique ; notre engagement, c'est le contraire et nous sommes précisément en train de reconstruire l'inverse et donc je témoigne ici de l'engagement qui est celui de Charles Josselin et le mien. Cela ne nous dispensera pas, soyons honnêtes, d'ajuster la répartition. Il peut y avoir à un moment ou à un autre à fermer à tel endroit, à ouvrir à tel autre, à diminuer, à augmenter. Cela est normal, il faut suivre l'évolution du monde qui n'est pas statique.
Mais je peux vous le dire ce soir : sortez-vous de l'idée que c'est un réseau qui va se réduire petit à petit et qu'il faut simplement manuvrer à l'intérieur pour faire partie des derniers rescapés. Il faut avoir confiance dans ce réseau. Pour moi c'est un réseau d'avenir, un outil irremplaçable.
Sur l'adaptation - pour que ce réseau corresponde mieux à l'offre et à la demande dont je parlais au début - une réflexion a été lancée à laquelle vous êtes associés sur les mesures nécessaires pour moderniser les centres, adapter leur mission à leur environnement et revoir le cas échéant leur localisation. Mais je vous le redis, nous ne baisserons pas ses effectifs, car sans vous, la politique de l'influence, ce n'est que du discours. Il faut forcément que ce soit relayé, mis en oeuvre, appliqué.
Autre remarque à ce sujet, le ministère a revu la procédure de recrutement de ses agents ainsi que la définition des profils de postes. Dans l'ensemble, il nous faut diversifier le recrutement du réseau. On a commencé d'ailleurs, mais il faut poursuivre. Nous ouvrir, par exemple, à des journalistes, à des galeristes, comme à des diplomates. Il y a beaucoup de milieux, de professions dans lesquels il y a des capacités, des disponibilités. Nous devons essayer d'attirer des gens qui ont des compétences que nous n'avions pas recherchées jusqu'à présent, comme des administrateurs de la Culture, des ingénieurs, des animateurs socioculturels. Là il faut aller résolument de l'avant. Evidemment la coexistence des cultures différentes peut susciter des frictions, bousculer des habitudes, mais si l'on raisonne globalement en termes interministériels de réseaux au total, d'influence française, c'est tout bénéfice.
L'efficacité, nous la recherchons aussi par une meilleure formation et là je reviens à un plan plus général que le réseau culturel. Vous savez que je viens de créer un institut diplomatique pour le ministère, élément phare d'une politique de formation qui existe déjà mais qui comportait encore des lacunes et que je veux systématique, systématique tout au long de la carrière, à tous les niveaux, de A jusqu'à Z.
Il faut que cela devienne presque un handicap ou une gêne personnelle de ne pas avoir bénéficié d'une formation. Il faut sortir de la vieille culture administrative (pas spécifique du Quai d'Orsay) selon laquelle dès que l'on monte un tout petit peu dans la hiérarchie, on est dispensé de toute formation et protégé de toute évaluation.
Nous avons entrepris de corriger cela.
Enfin, la modernisation du réseau, comme celle du ministère, passe évidemment par le développement d'une forme de communication. Mais la communication, c'est tout un art aussi ou un métier. Passer brusquement du silence à la communication cela ne veut pas dire que tout le monde dit tout ce qui lui passe par la tête, mais qu'il faut avoir une communication bien conduite, pensée. Cela se développe, cela se travaille. Nous avons des progrès à faire mais il faut le faire et il faut bien intégrer que dans la communication il y a l'émetteur, le récepteur, le message, le support. Il faut maîtriser tout cela si l'on veut communiquer sans se tirer des balles dans le pied.
Parfois on évoque d'autres structures, d'autres rattachements. Moi, je ne suis pas favorable à un changement dans ce domaine parce que, parlant cette fois-ci de la politique extérieure de la France dans son ensemble, je crois profondément au dynamisme, à la synergie, à l'interaction entre la dimension diplomatique, la dimension de solidarité et la dimension d'influence. Et je pourrais ajouter la diplomatie culturelle, économique. Je crois que c'est dans cette capacité que nous avons sur le plan conceptuel d'abord, sur le plan de l'organisation, sur le plan des réseaux ensuite d'associer ces différents éléments de la politique de présence et d'influence que nous trouvons une de nos forces. Et je suis convaincu que si l'on séparait les éléments : système diplomatique, de coopération et de solidarité, d'influence notamment culturelle, on se trouverait avec plutôt moins pour chacun : moins d'influence, beaucoup de querelles de territoire en plus, des problèmes de coordination à n'en plus finir (non pas que tout ait disparu). Je pense que cela serait globalement moins bon.
Certes les idées sont libres. Mais je pense que nous disposons là d'une sorte de trésor en matière d'influence et qu'il ne faut pas le briser.
Je terminerai par un mot sur l'état d'esprit. Je le disais au début, je le reprends : passion. A chaque fois que je circule, et Charles Josselin a le même sentiment, nous constatons que vous êtes des gens passionnés. Oh, peut-être pas tous les jours, il peut y avoir de brefs moments de déprime ; il arrive qu'un ministre passe à un moment où les responsables sont accablés par une nouvelle récente ou je ne sais pas quoi....une panne d'électricité, cela peut arriver.
Mais quand même dans l'ensemble, si vous faites ce métier qui n'est pas n'importe quel métier, si vous allez à l'étranger, pour faire cela, c'est que vous croyez à tout cela. Ce n'est pas une étape bureaucratique comme une autre.
Cette passion que nous rencontrons, que nous constatons, je peux vous confirmer qu'elle existe au niveau des ministres, et j'englobe Catherine Tasca et d'autres ministres encore, qu'elle existe dans l'administration. Evidemment, nous nous débattons tous avec les problèmes de l'administration et de la bureaucratie. Il n'y a pas que dans tel ou tel centre qui se croit isolé que l'on peste contre le manque de moyens, de coordination, etc... Cela nous arrive aussi au niveau des ministres, c'est comme cela. Bien sûr, il faudra également réformer l'Etat globalement. En attendant, nous sommes, vous êtes, dans un domaine qui n'est pas banal, où cette passion est très forte. Je pense bien sûr que nous devons faire preuve de lucidité et sur chacun des sujets délicats dont je parlais tout à l'heure : déclin, universalisme, ces sujets difficiles, j'essaie de trouver le bon point d'équilibre. Il faut être lucide, je n'ai jamais prêché autre chose parce que pour moi sans lucidité, sans réalisme, il n'y a pas de volonté, pas d'ambition possibles, parce que si l'on travaille sur les songes, on se casse la figure et plus on est ambitieux, plus on doit être réaliste. Je le pense aussi sur ces questions culturelles.
Mais la lucidité doit être mobilisatrice, elle est faite pour être énergisante, elle n'est pas faite pour être désespérante. Donc soyons tous fiers de ce que nous faisons ensemble, fiers, ardents à l'ouvrage. Continuons dans cet esprit.
Bon travail pour la suite !
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2001)