Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à Paris le 18 juin 2014.

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Circonstance : Forum for New Diplomacy, à Paris le 18 juin 2014

Texte intégral

- Politique étrangère -
Altesse,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis de l'Académie,
Je vous remercie de votre invitation. Depuis bientôt un siècle, l'Académie diplomatique internationale et le ministère des affaires étrangères et du développement international entretiennent des liens étroits. C'est à l'initiative de l'un de mes illustres prédécesseurs, Aristide Briand, qu'elle a été créée. Je me rappelle d'ailleurs d'un des mots les plus profonds d'Aristide Briand : «la politique, c'est dire des choses à des gens». C'est ensuite, comme vous l'avez rappelé, avec le soutien constant des ministres successifs, qu'elle est devenue un centre de réflexion et de dialogue diplomatiques reconnu. La qualité de ses programmes et le prestige de ses intervenants, continuent de lui valoir le soutien mérité et actif des ambassadeurs accrédités à Paris. Notre pays, comme le monde, a besoin d'instances de très haut niveau pour les éclairer sur les évolutions de notre société internationale et favoriser la cohérence de l'action.
Depuis quelques années, l'Académie diplomatique internationale a pris, sous votre impulsion, Altesse, un élan nouveau. La France vous est reconnaissante de l'éclat que vous avez redonné à cette institution qui agit dans la sphère internationale au service de la paix, de la sécurité et de la prospérité.
Je tiens d'ailleurs à vous le dire : le gouvernement français est attaché à préserver pour l'avenir l'existence de l'Académie et la présence de son siège à Paris. C'est dans cet esprit que le ministère a signé en 2012 la convention de coopération avec l'Académie qui structure aujourd'hui nos échanges. Je ne verrais que des avantages à ce que cette convention, qui a été extrêmement utile dans les deux dernières années, puisse être encore enrichie.
Vous m'interrogez sur les défis qui se posent à la diplomatie française.
Nous devons faire face à des crises sécuritaires, politiques, humanitaires, économiques, environnementales. J'y reviendrai. Il me semble d'abord qu'il faut, en essayant de prendre un peu de recul, discerner les évolutions principales qui sont à l'œuvre. La première, regrettable, est que des principes fondamentaux de l'ordre international se trouvent aujourd'hui remis en cause. Le respect de l'intégrité territoriale, principe cardinal, non seulement de la diplomatie mais de la société internationale, a été violé par la Russie avec l'annexion de la Crimée. La règle fondamentale du refus des armes chimiques a été bafouée par la Syrie. Quant à la non-prolifération nucléaire, qui est aussi un principe essentiel de notre vie internationale, elle est remise en cause par la Corée du Nord et risque de l'être par l'Iran. S'ajoutent l'instabilité et le terrorisme dans de nombreux pays - en Afrique sub-saharienne, en Libye, en Irak. S'ajoutent des tensions régionales, parfois très sérieuses - entre la Chine et plusieurs de ses voisins notamment -, et des conflits ancrés, notamment au Moyen-Orient. Je pense au conflit israélo-palestinien ou à un sujet majeur, l'antagonisme entre sunnites et chiites. Cela me fait dire que notre monde n'est pas seulement plus complexe, plus interdépendant, il est aussi plus risqué. C'est un monde où des piliers traditionnels se trouvent contestés.
C'est pour une part la conséquence d'une évolution du pouvoir et parfois même d'un certain vide provoqué par la fragmentation de la puissance et par un certain retrait de puissances traditionnelles. Ce vide rend également plus difficile d'apporter des réponses efficaces face à ces crises.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la politique internationale a connu schématiquement trois périodes. D'abord le monde a été essentiellement bipolaire. Deux puissances dominaient la scène : d'un côté les États-Unis d'Amérique et de l'autre, l'URSS. Les crises qui se présentaient, nombreuses, se résolvaient en général lorsque ces deux grandes puissances, explicitement ou implicitement, se mettaient d'accord.
Ensuite, pendant un laps de temps assez court, après la chute du mur de Berlin, après l'effondrement de l'URSS, il n'y a plus eu qu'une puissance dominante, une superpuissance, les États-Unis d'Amérique. Ils avaient tous les atouts - la puissance économique, la puissance culturelle, la puissance technologique, la puissance militaire. On a pu parler à cette époque d'un monde non pas bipolaire mais unipolaire.
Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. La montée en puissance des pays émergents et émergés, les contestations de la puissance étatique - réseaux transnationaux, internet et, dans un tout autre ordre d'idée, l'apparition de groupes terroristes... - provoquent une fragmentation de la puissance. Nous vivons dans un monde que je qualifie de «zéro-polaire» ; aucune puissance ou aucun groupe de puissances n'est capable à lui seul d'assurer la stabilité du monde et la solution des crises.
Nous souhaitons aller vers un monde multipolaire organisé, une organisation des Nations unies qui fonctionne efficacement, le respect d'un certain nombre de principes, mais nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui, il n'existe pas une puissance, ou un assemblage de puissances qui sont en mesure de se coordonner efficacement, à chaque crise, pour résoudre les plus grandes d'entre elles. Cela explique que le Conseil de sécurité des Nations unies soit souvent, dans les affaires majeures, paralysé. Cela explique que nous n'arrivions pas à apporter de réponses rapides et satisfaisantes aux défis que j'évoquais et à quelques autres.
Ce contexte, que nous souhaitons modifier mais qui existe, explique aussi la place spécifique de la France. La France n'est pas le pays le plus grand du monde mais il possède des capacités globales. Nous disposons d'une influence beaucoup plus importante que celle qui se déduirait de notre seule taille. Plusieurs facteurs y contribuent. Nous sommes un des cinq membres permanents du conseil de sécurité. Nous possédons la puissance nucléaire et surtout une capacité de projection militaire. Notre puissance économique reste la 5èmeau monde. Nous bénéficions d'un rayonnement culturel, du troisième réseau diplomatique, de traditions, de principes, d'une Histoire, de grandes figures. Et si nous défendons nos intérêts, nous le faisons toujours en essayant de promouvoir des principes, une visée universelle qui est reconnue et mise à notre actif.
Pour autant, l'influence diplomatique ne peut pas être durablement déconnectée de la puissance économique. Nos difficultés économiques actuelles peuvent la menacer à terme. C'est une des raisons pour lesquelles nous devons impérativement redresser la situation : c'est nécessaire pour assurer notre prospérité, c'est nécessaire aussi, pour le dire simplement, pour que la France reste la France, c'est-à-dire cette puissance qui pour toutes les raisons que j'ai dites est plus grande qu'elle-même.
Ce rapide panorama permet de déduire les quatre priorités que le président de la République et moi-même avons fixées à notre action internationale. La première, c'est la paix et la sécurité, j'y reviendrai. La seconde, c'est la planète, au sens de son organisation et de sa survie, car ce sont les principaux défis du moyen et du long terme. La troisième priorité, c'est l'Europe, car nous avons besoin d'une Europe plus active et plus forte, réorientée, pour faire face à ces défis. La quatrième priorité, c'est le rayonnement et le redressement de la France.
La sécurité et la paix, cela ne veut pas dire ne jamais intervenir et parfois même le contraire. Nous considérons - cela nous distingue sans doute d'autres - que l'action pour la paix doit s'appuyer, si nécessaire, sur des capacités d'intervention. Nous sommes d'ailleurs en cela fidèles à l'esprit d'Aristide Briand qui écrivait : «Il ne suffit pas d'avoir horreur de la guerre. Il faut savoir organiser contre elle les éléments de défense indispensables».
À chaque fois que la France est saisie d'une question, nous essayons de voir quel est le choix qui pourrait contribuer à la sécurité et à la paix. C'est par exemple le sens de nos interventions récentes en Afrique.
(...)
De la même façon, même si les conflits sont très différents, en Syrie, notre attitude a suivi le même objectif de paix. Et si nous avions été écoutés au début de la crise qui, gardons-le à l'esprit, a commencé par la répression de manifestations pacifiques, nous n'en serions probablement pas là. Aujourd'hui, la situation est atroce. Plus de 160 000 morts en trois ans, des millions de déplacés et de réfugiés, un pays ravagé, des pays voisins fragilisés par l'afflux de réfugiés et la prolifération du groupes terroristes, avec l'appui objectif du régime qui utilise la présence du terrorisme comme élément de légitimation ; le même calcul étant opéré du côté des terroristes.
L'existence des filières djihadistes étrangères, notamment françaises, montre que nous sommes directement concernés par cette crise. Si en 2012, la France, qui tenait une position de fermeté, avait été écoutée, on aurait sans doute pu trouver une solution. À l'époque, les Iraniens n'étaient pas aussi impliqués et il n'y avait pas de groupes terroristes là-bas. En 2013 aussi, après l'utilisation des armes chimiques avérées, la France était prête à réagir, vous savez ce qu'il en est advenu...
Aujourd'hui, c'est beaucoup plus complexe : si on ne réagit pas puissamment, le conflit, qui est devenu international, est malheureusement parti pour durer. Alors que sur le terrain, le rapport de force est bloqué, seule une solution politique - c'est notre conviction - pourra y mettre fin. Mais elle ne se dessine pas pour le moment.
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D'autres crises peuvent à tout moment arriver : au sud de l'Europe, en Asie avec les tensions Chine-Japon, mais ce qui nous mobilise aujourd'hui - le propre de l'activité internationale, c'est qu'une crise ne remplace pas mais s'ajoute à une autre - ce sont les évènements tout à fait tragiques d'Irak et qui ont une portée considérable.
Je parlais du Mali, pays qui n'a pas de ressources aussi importantes et qui n'est pas situé dans la même zone géographique que l'Irak, mais là-bas déjà, pour la première fois, il y avait un groupe terroriste à 200 km de la capitale : le risque avait été écarté dans les conditions que l'on sait.
(...)
Le premier objectif, c'est donc la sécurité et la paix et, à chaque fois qu'une crise survient, c'est la question que le président de la République et moi-même nous nous posons : qu'est-ce qui peut contribuer à la paix et la sécurité ?
(...)
Le quatrième objectif est le redressement et le rayonnement du pays. Dès que je suis arrivé à la tête du Quai d'Orsay, il y a maintenant deux ans, non seulement parce que c'est ma formation et que c'est mon tropisme et parce que j'essaie de mesurer quelle est la situation internationale, j'ai demandé à cette belle Maison de se tourner encore plus que par le passé vers ce que j'appelle la Diplomatie économique.
Je constate que la France a une influence importante mais si sa puissance économique devait durablement décliner... L'un de mes collègues à un moment, parodiant Lacan, me demanderait, «Monsieur, le Ministre d'où parlez-vous ?». Cette question, je ne veux pas qu'on me la pose. Nous prenons donc les devants en faisant le maximum pour renforcer notre puissance économique.
Donc, la Diplomatie économique, tout simplement parce que, bien sûr les entreprises ne peuvent pas être remplacées par les administrations mais les administrations peuvent et doivent aider les entreprises. Le Quai d'Orsay qui est le deuxième et le troisième réseau diplomatique du monde, a une capacité à aider notre rayonnement économique. Les ambassadeurs n'ont pas attendu Laurent Fabius pour le faire, mais j'ai explicité cette mission qu'ils accueillent d'ailleurs, tout comme les entreprises, avec beaucoup d'enthousiasme.
Je crois même que la diplomatie est en train de changer et qu'elle devient et deviendra de plus en plus globale. À partir de ma propre expérience, je crois qu'il n'existe pas de diplomatie pure et parfaite séparée de l'action économique, de l'action culturelle, de l'action scientifique, de tel ou tel domaine. Une diplomatie doit être globale parce que les problèmes sont de plus en plus «inter pénétrés» et parce que presque tous ont désormais une dimension internationale. Et c'est la raison pour laquelle, j'ai souhaité que le Quai d'Orsay, s'occupe désormais aussi du commerce extérieur et du tourisme.
Dans une semaine, je vais aller voir le nouveau Premier ministre indien, son ministre des finances, qui est même temps ministre de la défense, je vais donc parler des grandes approches de la France et de l'Inde, mais très vite, je vais parler de nos relations commerciales, des investissements croisés, de ce que nous pouvons faire ensemble sur le plan éducatif, culturel et scientifique. Et si mes ambassadeurs devaient se contenter de ne parler que de la diplomatie à la Metternich, il serait vite assez court et cette évolution, que nous suivons en France, je pense et je crois que beaucoup de pays vont l'adopter dans les années et les décennies qui viennent parce que tout simplement, la diplomatie devient de plus en plus globale et parce que les secteurs s'interpénètrent.
Cela m'amène aussi à faire évoluer la Maison qui est la mienne dans la répartition des forces : nous avons des capacités à créer des emplois infiniment. J'ai dû donc, de façon très concertée, réorganiser les secteurs géographiques d'affectation. Nos affectations sont surtout dominées par une vision centrée sur l'Europe mais si l'on songe que tel ou tel poste d'un petit pays d'Europe comptait autant de diplomates que notre représentation en Chine, on comprend qu'il y a un certain nombre de réorientations à opérer et elles sont en train de l'être sans sacrifier, bien sûr, les grandes priorités qui sont les nôtres. Nous devons être présents en Afrique.
Nous sommes des grands partisans de la francophonie. Encore faut-il comprendre ce dont il s'agit. Je me trouvais l'autre jour au Gabon, pays francophone, et l'un des responsables du Gabon me disait : «Nous sommes tout à fait ravis d'être francophones mais nous remarquons, compte tenu des rapports des populations, qu'il y a plus de francophones au Nigeria, pays anglophone qu'au Gabon parce que dans un cas, on chiffre par millions la population et dans l'autre cas, par dizaine et bientôt par centaines de millions».
Nous sommes et serons de plus en plus présents en Afrique. Pas seulement, l'Afrique francophone, au sens traditionnel mais l'Afrique anglophone, l'Afrique lusophone, l'Afrique arabophone. La France a vocation à être un peu le «hub» pour aller vers les pays africains qui sont vraiment nos amis.
Nous sommes de plus en plus présents avec l'Amérique du Sud, continent malheureusement un peu délaissé par le passé par la France, alors que c'est un continent devenu parfaitement démocratique et qui a des taux de croissance importants, et qui est spontanément francophile.
Nous sommes présents bien sûr en Asie dans sa diversité.
Bref, nous sommes présents presque partout, en faisant attention de distinguer l'universalité, qui est indispensable, de l'exhaustivité qui n'est pas indispensable et de l'uniformité qui n'est même pas souhaitable. Ces concepts : universalité, exhaustivité, uniformité, sont probablement, intéressants à approfondir.
Ayant dit tout cela, je veux dire bien sûr que la multiplicité des crises, les évolutions du monde, doivent rendre extrêmement modestes celles et ceux qui ont la tâche de les analyser, voire parfois de les influencer. Ou de les conduire.
Quand je regarde mon pays, la France, qui a bien sûr des lacunes, des carences, je me dis malgré tout que ce pays, dès lors que les réformes nécessaires sont menées à bien, a des atouts absolument magnifiques pour réussir et que sur le plan international, grâce à ces diplomates auxquels je veux rendre hommage, il reste une véritable puissance d'influence.
(...).
- Dérèglements climatiques -
Le deuxième objectif, c'est la planète, son organisation et sa protection. Son organisation, c'est bien évidemment l'organisation générale, la gouvernance, ce qui pose des problèmes que vous agitez par votre réflexion. Quid de l'ONU, du G8, du G20, des principes, de la Cour pénale internationale ? La France a, de ce point de vue, fait un certain nombre de propositions, notamment dans le fonctionnement de l'ONU. Elles peuvent paraître idéalistes mais l'idéalisme d'une année, c'est peut-être le réalisme des cinq ou dix ans qui viennent. En tout cas, on comprend bien que si l'on veut cette organisation multilatérale dont je parlais tout à l'heure, il faut qu'il y ait une certaine organisation des continents. Il faut que l'ONU soit plus représentative et que ses méthodes de fonctionnement soient changées. Il faut, pour éviter que la France intervienne en permanence en Afrique, créer une force interafricaine pour lutter contre les crises. Vous connaissez ces lignes, elles ne changent d'ailleurs pas vraiment avec les gouvernements successifs qui sont aux affaires en France. Il y a un corpus français sur l'organisation internationale qui mérite d'être défendu.
Mais je parle de la planète en un autre sens, et là, les choses sont plus nouvelles. Vous savez bien sûr, et ce sera la grande question dont on parlera l'année prochaine, que la France va accueillir à la fin 2015 ce que les spécialistes appellent la COP 21, c'est-à-dire, la 21ème Conférence des Parties, que l'on appellera plus familièrement «Paris Climat 2015». Il s'agit de réunir ici les 195 pays qui sont parties à cette Convention Climat et qui doivent aboutir à un accord contraignant et différencié qui permette d'éviter non pas le réchauffement climatique, le mot est impropre, mais le dérèglement climatique : «Climate disruption», puisque c'est de cela qu'il s'agit.
Qui menace notre planète ?
Scientifiquement, les choses sont maintenant avérées. Il fut un temps, y compris, en France, où certains, contestaient ce phénomène, ou l'origine humaine du phénomène. Maintenant la contestation n'a plus aucune base. Toute une série de scientifiques, dont le GIEC, ont montré à la fois la réalité du phénomène et ses conséquences, pas à 50 ou à 100 ans, comme on dit parfois, mais dès les années qui viennent, avec l'«extrêmisation» des phénomènes climatiques, avec la montée des océans, avec les conséquences redoutables sur les populations, sur la situation agricole, sur l'acidification des mers.
C'est un dérèglement qui, au-delà du fait que la terre deviendrait invivable, va avoir des conséquences si on laisse faire les choses internationales absolument épouvantables. Donc, l'enjeu, de la part des États, des collectivités locales et des entreprises, est d'arriver à des engagements suffisants pour maintenir la hausse des températures en dessous de 2 degrés par rapport au niveau pré-industriel. Cela nécessite, puisque le phénomène est essentiellement alimenté par les gaz à effet de serre et donc essentiellement le CO2 - le méthane et quelques autres gaz - de changer toute une série d'éléments du système de production et la France doit montrer l'exemple. L'Europe doit montrer l'exemple mais il faut aussi savoir entraîner. Toute la difficulté, les situations des différents pays étant évidemment différentes, est de montrer, bien sûr, que cela représente une contrainte mais que cela peut aussi représenter une base à une nouvelle croissance porteuse d'emplois, que l'on appelle la croissance verte.
Un certain nombre de pays pauvres demandent aux pays riches de leur donner la technologie et les financements. C'est évidemment la grande question qui va être discutée à la fin de cette année et l'année prochaine et c'est le ministère des Affaires étrangères qui devra présider cette Conférence épouvantablement difficile. Lorsque nous avons été choisis à Varsovie - nous étions les seuls candidats - ceux qui sont venus me féliciter avaient toujours un mot très court et qui comportait deux parties : «Monsieur le Ministre, félicitations et condoléances !»
Il s'agira de faire en sorte que la première partie soit plus exacte que la seconde mais c'est un travail absolument majeur. Nous avons des éléments d'espoir. Le fait que la Chine ait tout à fait pris conscience de ce problème. Et d'ailleurs pour ceux d'entre vous qui vont très souvent en Chine, on ne peut pas s'en rendre compte à tel point la situation est détériorée. Je me rappelle que j'étais en en Chine au moment où on a décidé la circulation alternée à Paris. Elle a été décidée parce que le niveau de pollution admissible était dépassé de 10 % mais moi je me trouvais à Pékin et ce même jour, c'était non pas plus 10 % mais multiplié par 18.
Il y a donc un cadre porteur d'espoir. De même, les États-Unis d'Amérique, plus précisément, le président Obama est très attaché à ce que l'on trouve des solutions dans ce domaine. D'ailleurs, il y quelques jours, il prenait une directive ou faisait prendre une directive pour limiter les émissions de gaz carbonique et des centrales à charbon. Mais il n'y a pas que deux grands pays sur terre, il y a toute une série d'autres pays qui se trouvent objectivement dans une situation très difficile ou qui pour une raison idéologique ne sont pas très favorables à un accord.
Pour nous, la Planète, c'est le deuxième objectif de notre Diplomatie.
(...)
Q - Monsieur le Ministre, j'ai été satisfait que vous ayez cité l'Afrique à plusieurs reprises dans votre exposé, ami et partenaire. Pourtant dans les grandes conférences internationales, quand on parle de l'Afrique émergente et de développement, de proximité avec l'Europe et la France, on n'aborde jamais la question environnementale qui est au cœur du développement de l'Afrique. Quelle sera la place de l'Afrique dans la conférence sur le Climat que vous préparez ? Comment expliquer ce paradoxe que ce continent qui est le moins industrialisé subit le plus les conséquences du réchauffement climatique, de la déforestation et des conséquences du réchauffement climatique ?
R - Il y a eu un sommet à l'Élysée au mois de décembre de l'année dernière où nous avons traité plusieurs sujets. Nous sommes convenus, avec nos partenaires africains - 52 pays étaient représentés - que pour aborder la conférence de Paris 2015, la France en tant que pays et si possible l'Europe aborderait cette question unis avec nos amis africains. Je pense que c'est dans cet esprit-là qu'il faut travailler. La description que vous faites là est parfaitement exacte. Maintenant il faut trouver des solutions. C'est un sujet aussi sur lequel l'Académie doit réfléchir parce que cette question du dérèglement climatique a des conséquences non seulement que l'on peut imaginer sur les océans, les températures, mais aussi sur les mouvements humains, sur les guerres pour ce qui concerne les ressources qui sont absolument déterminantes.
Merci.
- Irak -
(...)
Mais cette fois-ci en Irak, il s'agit d'un groupe terroriste d'une cruauté sans limite qui s'approche de plus en plus de la capitale. Il s'agit pour ce groupe de prendre le contrôle d'un État, au demeurant riche et pétrolier, avec pour ambition de créer un «califat» en bouleversant non seulement bien sûr l'unité irakienne mais l'ensemble de la région : la Syrie, la Turquie, la Jordanie, le Liban et quelques autres... Avec des répercussions kurdes probablement.
La dangerosité est donc considérable. Là-aussi, ce qui dictera le comportement de la France, c'est la recherche de la paix et de la sécurité, en particulier le fait que nos amis irakiens, dans des circonstances très difficiles, soient capables de recréer - ce qui n'a pas été le cas dans un passé récent - une certaine unité nationale. À partir de cela, la communauté internationale doit pouvoir intervenir, mais en faisant attention, puisque nous connaissons l'origine de tout cela - lointaine et proche -, à ce que ce ne soit pas un élément qui brise encore davantage l'unité.
(...)
Q - Est-ce qu'il y a une relation entre cette réponse et le rôle iranien dans la crise en Irak ?
R - Un des assistants du président Rohani a déclaré que les Iraniens pouvaient considérer agir avec les Américains si l'accord sur le nucléaire était fait. Il a donc introduit un lien, d'abord dans le temps ; si on fait quelque chose en Irak, on ne va pas attendre très longtemps parce que l'EIIL est extrêmement menaçant. Je ne suis pas sûr qu'il faille explicitement lier ces deux éléments, mais je ne veux pas faire de la négociation publique.
(...)
Q - L'Irak a demandé ce soir l'intervention des États-Unis, des frappes aériennes pour stopper l'avancée des djihadistes. Vous évoquiez tout à l'heure la situation politique en Irak, le manque d'unité nationale, pensez-vous que les conditions sont réunies pour une telle intervention si elle devait avoir lieu ? Et Est-ce que la France qui, comme l'an passé au moment des frappes sur la Syrie qui n'ont pas eu lieu, serait prête à s'associer à des frappes avec les États-Unis ?
R - Les situations sont très différentes. Nous nous concertons avec nos partenaires. J'ai eu mon collègue irakien au téléphone et beaucoup d'autres partenaires. Des réunions de la Ligue arabe et de l'OSCE se sont tenues. Nous observons l'évolution de la situation.
Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, nous considérons que l'intervention, la présence, la progression de l'EIIL était un très grave danger. Si ce groupe terroriste mettait la main sur l'Irak, il y aurait des conséquences catastrophiques pour l'Irak, pour la région, pour l'Europe et pour le monde.
Par ailleurs, nous condamnons les prises d'otage et les exactions.
Enfin, nous pensons que la solution passe par la formation d'un gouvernement d'union nationale. Les causes de la crise actuelle sont diverses, mais l'affrontement entre les uns et les autres ces derniers temps a facilité la percée très condamnable de ce groupe terroriste. Des concertations sont prévues dans les heures et les jours qui viennent et c'est à ce moment-là que j'apporterai une réponse.
(...)
- Iran -
Q - Vous avez que peu parlé de l'Iran. Quel rôle voyez-vous à ce pays dans cette crise ?
R L'affaire irakienne est sérieuse et dangereuse, mais je parlerai plutôt de la discussion que nous avons en ce moment avec les Iraniens sur la question du nucléaire. Comme vous le savez, nous avons eu un premier round de discussions, il y a quelques mois. Le contact a été un peu difficile à nouer mais un accord provisoire s'est fait jour. Il s'agit maintenant de savoir, avant le 20 juillet mais le délai peut être prolongé, si nous pouvons obtenir un accord définitif. Nous le souhaitons mais la question est assez simple. Dans la discussion et le protocole auxquels nous sommes parvenus, j'ai fait rajouter une phrase, c'était une petite coquetterie diplomatique que je m'étais permis. J'ai demandé d'ajouter cette phrase dans l'introduction - c'est d'autant plus facile de l'ajouter que c'est une phrase du président Rohani et il était difficile aux Iraniens de la contester : «Under no circumstances Iran will never seek nor possess any nuclear weapons». Ce que nous demandons, c'est que l'on tire les conséquences techniques de cette affirmation du président Rohani. Cela veut dire que pour le nucléaire civil, il n'y a pas de souci, mais la bombe atomique non. Pourquoi ? Parce qu'autant la bombe atomique a pu jouer un rôle de dissuasion lorsque c'était l'Amérique ou la Russie, autant si la bombe atomique est introduite en Iran, nous savons que d'autres pays s'en doteront à leur tour, à supposer même que des groupes terroristes ne puissent pas le faire également. Dans cette région en particulier, la multiplication des bombes seraient une catastrophe absolue. Nous disons donc et pas seulement la France, le nucléaire civil, c'est parfait mais la bombe c'est non.
Des discussions techniques très complexes ont lieu, certains points avancent, d'autres pas encore. Les discussions portant principalement, on le sait, sur deux ou trois aspects. Le premier qui techniquement est en voie de solution, c'est ce que l'on appelle le réacteur plutonigène d'Arak. Il y a en effet un réacteur Arak qui a comme caractéristique de fonctionner à l'eau lourde et qui peut donc déboucher sur la fabrication d'une bombe nucléaire. Toute la difficulté - mais elle demande maintenant une décision politique -, c'est de faire en sorte que ce réacteur conçu pour permettre de dégager des éléments qui permettent la bombe soit modifié de façon que cela devienne impossible.
Il y a la question du contrôle par l'AIEA et la transparence. Nous disons que si les Iraniens veulent faire du civil et pas de nucléaire, alors ouvrez vos bases aujourd'hui et pour la suite et ce sera facile à contrôler.
En revanche, il y a un point qui est plus compliqué mais j'espère que nous parviendrons à le résoudre, c'est la question dite des centrifugeuses. Actuellement les Iraniens en ont 19.000 qui sont soit de vieille génération soit de nouvelle génération ; c'est un chiffre important. Si l'on souhaite ne produire que du nucléaire civil, on n'a pas besoin d'en avoir autant. La plupart des pays qui utilisent le nucléaire civil prennent leurs éléments combustibles ailleurs.
La question est de savoir si ce chiffre est admissible, s'il faut un chiffre plus petit ou si l'on peut admettre un chiffre plus important. Beaucoup de techniciens, spécialistes de ces questions disent que s'il y a des milliers de centrifugeuses, à quoi peuvent-elles servir d'autres que pour éventuellement préparer une arme nucléaire.
La véritable question est de savoir si les Iraniens voudront et pourront - parce que le pouvoir iranien est assez ouvert - aller dans le sens que nous préconisons. Nous espérons que ce sera le cas, nous y travaillons, mais au moment où je m'exprime, je ne suis pas capable de vous dire quelle sera la réponse finale des Iraniens.
(...)
Q - Il y a 36 ans, l'Amérique et la France, Jimmy Carter et Valéry Giscard d'Estaing, commettaient l'erreur de jouer la carte Khomeïni contre le Shah d'Iran. On voit le prix que nous en payons aujourd'hui 36 ans après. Est-ce que 36 ans après, l'Amérique de M. Obama n'est pas naïve de penser que l'on peut dealer avec le régime iranien, concernant le nucléaire car je pense qu'ils auront la bombe nucléaire, et concernant le côté peut-être stabilisateur que pourrait avoir l'Iran et sur la Syrie, et sur l'Irak ?
R - C'est une question très complexe et je ne peux avoir la prétention d'y répondre en deux minutes, mais elle va au fond des sujets. En même temps il y a plusieurs points d'entrée pour répondre à votre question : l'Iran, les États-Unis.
L'Iran est un grand pays, un grand peuple. Nous préférons avoir des relations apaisées avec ce pays plutôt que d'autres relations. Simplement il y a des règles, des principes qu'il faut que les uns et les autres respectent. Le nucléaire est un de ces éléments.
Je ne suis pas sûr de ce que souhaitent les Iraniens. D'ailleurs, qui pourrait dire avec certitude ce que pense le guide suprême iranien ? Ceux qui connaissent l'Iran ne peuvent pas le dire; les autres peut-être.
Mais au-delà même de cette question, il y a la question des relations chiites-sunnites. Va-t-il y avoir une guerre inexpiable et éternelle, ou bien va-t-on trouver des chemins de réconciliation ? Ce sont des sujets dont la France, amie des uns et des autres, parle librement, avec nos amis saoudiens, nos amis qataris, nos amis égyptiens et beaucoup d'autres.
Notre point focal est toujours la recherche de la paix et de la sécurité. Il n'y a pas de pays qui soit mauvais en soi mais, en même temps, quand on est responsable d'une nation, on ne peut pas exposer sa propre nation à une situation d'insécurité.
Nous essayons de trouver une solution de bonne foi. Si elle peut être trouvée, tant mieux, sinon le risque ne peut pas être couru.
Les États-Unis sont une très grande puissance et, en même temps, dans une situation très difficile. Nous en parlions avec Barak Obama et John Kerry. On a souvent reproché aux États-Unis d'intervenir, notamment en Irak. Mais quand on n'intervient pas, on nous le reproche aussi. Au vu des résultats pas très positifs en Afghanistan et en Irak, la population américaine est réticente à envoyer de nouveau des troupes en Irak. Il n'en est d'ailleurs pas question. Mais inversement, quand il n'y a aucune prise de position des États-Unis qui sont la première puissance mondiale, ce vide fait que nous arrivons à la situation zéro polaire que je décrivais tout à l'heure.
Il n'y a pas de diplomatie sans défense. En même temps, il n'y a pas de défense sans accepter que soit risquée la vie des militaires.
C'est la conception française et britannique, même si en Syrie elle n'a pas été menée jusqu'au bout.
Mais de moins en moins de pays partagent cette conception. Certains considèrent que la diplomatie est une affaire pure et parfaite, mais que nous ne pouvons pas engager des moyens derrière. Si on doit engager des moyens de défense, il ne faut pas qu'il y ait de vies humaines sacrifiées.
Mais le monde réel ne fonctionne pas comme cela. La France est un pays qui a certainement beaucoup de lacunes, beaucoup d'insuffisances, mais quand nous décidons d'y aller, nous y allons. Et cela, fait la différence.
- Ukraine -
(...)
En Ukraine, nous avons suivi une ligne de conduite qui était « dialogue et fermeté ». Nous avons considéré que l'annexion de la Crimée par un puissant voisin n'était, du point de vue du droit international, quelles que soient les évolutions historiques, pas acceptables. Il fallait donc réagir mais, d'un autre côté, aucune personne raisonnable ne propose d'aller faire la guerre contre la Russie. C'est donc entre ces deux bornes, ne rien faire ou avoir une attitude homicide, que la diplomatie s'est déployée : dialogue et fermeté.
La France a été active. Je crois que cela a été noté, notamment à travers les épisodes de Normandie. Je pense qu'à travers la mise en dialogue du président russe et du président ukrainien, la mise en dialogue du président russe et du président américain, la France a joué son rôle de pont pour la paix. Nous n'avons pas dans ce domaine, pas plus que dans d'autres, d'agenda caché.
Où en est-on de la désescalade ? Quid du cessez-le-feu ? Quelle peut-être la perspective pour l'accord d'association ? Qu'est-ce que cela signifie en matière d'accord sur le gaz ? En tout cas, il nous paraît évident que l'Ukraine doit, à la fois compte tenu de la géographie et de l'Histoire, entretenir des relations aussi bonnes que possibles avec la Russie et avec l'Union européenne. L'Ukraine est en Europe, même si elle n'est pas dans l'Union européenne. Nous ne croyons pas que l'avenir de l'Ukraine puisse se construire contre la Russie ou contre l'Union européenne.
(...)
Q - Un grand merci Monsieur le Ministre, Vous nous avez vraiment donné de nombreuses propositions et stimulations pour les discussions des diplomates et pour nous ce soir. Je commencerai par la violation des frontières avec l'annexion de la Crimée par M. Poutine. Avez-vous été réellement surpris par cette décision et que pensez-vous de l'avenir des relations avec la Russie ?
R - La diplomatie essaie de prévoir différents scénarios. Il y a d'ailleurs une cellule au Quai d'Orsay qui s'occupe d'analyse stratégique, qui essaie de prévoir une pluralité de scénarios. Nous savions bien sûr qu'il y avait des tensions fortes. À partir de là, il peut y avoir des scénarios différents. Lorsque l'annexion de la Crimée s'est produite, nous avons, au nom des principes que je rappelais, dénoncé cette annexion. Nous l'avons d'ailleurs fait avec la plupart de nos partenaires internationaux.
En même temps, comme je l'ai déjà dit, nous n'allons pas déclarer la guerre à la Russie qui justifie tout cela par une série de données historiques. En l'occurrence, c'est d'un principe dont il s'agit. Les frontières peuvent être artificielles dans leur tracé, mais la stabilité internationale est quand même fondée sur les frontières. C'est d'ailleurs ce que j'ai expliqué à nos collègues chinois qui souvent sont sur la même position que les Russes aux Nations unies. Si on admet qu'une région peut être annexée par un pays voisin et l'on s'appelle la Chine, cela présente quelques inconvénients. Ce n'est pas seulement vrai pour la chine, mais pour n'importe quel pays d'Afrique ou la plupart des pays d'Asie.
Si les frontières sont des chiffons de papier, il n'y a plus de stabilité possible. D'ailleurs, c'est ce que nous avons indiqué à nos partenaires russes en leur disant de faire attention, y compris d'ailleurs avec les connexions avec l'affaire du nucléaire et de la dissuasion. Vous vous rappelez peut-être que l'Ukraine possédait des armes nucléaires, elle était même le troisième pays par la puissance de ses armes nucléaires jusqu'en 1994 où un traité a été passé. L'Ukraine a rendu ses armes nucléaires, elle était du même coup garantie dans son intégrité territoriale par trois pays qui étaient les États-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la Russie. Non seulement l'un de ces pays n'a pas garanti l'intégrité territoriale, mais il a annexé une partie du territoire. C'est extrêmement dangereux parce que si vous faites la liste des pays qui ont pu, à un moment, vouloir accéder à l'arme nucléaire ou même qui l'ont eue et qui l'ont rendue, qui y-a-t-il ? Il y a l'Ukraine, la Libye et l'Irak. On ne peut pas dire que ce qui est arrivé à ces pays lorsqu'ils ont renoncé à l'arme nucléaire soit extrêmement positif pour leur intégrité. Dès lors, en poursuivant le raisonnement, est-ce que certains pays ne vont pas se dire et nous dire : « si je veux garantir mon intégrité territoriale, il faut que j'aie l'arme nucléaire et que je la conserve ».
Nous avons indiqué aux Russes qui sont contre la prolifération nucléaire que ce qu'ils étaient en train de faire était une incitation indirecte mais assez puissante à ce que les pays se dotent de l'arme nucléaire.
L'autre partie de votre question concerne le type de relations. Historiquement, la France a toujours eu des relations très suivies avec les Russes, quels que soient d'ailleurs les régimes et cela remonte à très longtemps. Les relations ont eu des hauts et des bas mais traditionnellement il y a une amitié et une coopération entre les Russes et les Français. Nous ne partageons pas toutes les idées de ce régime, mais nous considérons que l'intérêt de la France et de la stabilité du monde, c'est de continuer à avoir des relations stables, ce qui ne veut pas dire épouser tous les choix du pays et du régime en cause.
Nous considérons donc que dans ces crises, il y a un rôle de facilitateurs de paix à jouer. Nous avons nos amitiés, nos partenariats, nos alliances, elles sont parfaitement connues mais la France - certains à l'extérieur parfois l'oublient - est une nation indépendante, ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas fidèles à ces amitiés ou à ces alliances. Cette indépendance peut nous conduire parfois à dire leurs faits aux autorités russes et nous conduit aussi, dans d'autres circonstances ou dans les mêmes à dire à d'autres autorités de ne pas oublier la géographie, la stabilité et la paix.
Ainsi, nous pouvons entretenir le dialogue et ce n'est pas totalement un hasard si c'est en France que s'est noué ce dialogue dont nous espérons qu'il se poursuivra entre la Russie et l'Ukraine. On avait recommandé au président Hollande de ne pas inviter M. Poutine, on lui avait même recommandé, une fois qu'il était invité en tant que président d'un pays qui a contribué et qui a donné des millions de morts pour la liberté pendant la guerre, de décommander mais nous avons tenu bon. Il y a une ironie de l'histoire qui est que les mêmes qui nous avaient recommandé de le décommander nous ont applaudi lorsque le contact a eu lieu. Il aurait été difficile de faire se rencontrer M. Porochenko et M. Poutine si ce dernier était resté en Russie et si M. Porochenko n'avait pas été invité en France.
La France a ses alliances, ses partenariats et ses amitiés, mais elle est une puissance indépendante. Elle essaie autant que faire se peut de travailler pour la paix.
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- Mali -
Dans le cas du Mali - j'ai vécu cela directement - le 10 janvier de l'année dernière, le président de la République, François Hollande, a reçu un coup de téléphone du président de transition, M. Traoré. La conversation fut brève et saisissante : «je vous demande d'intervenir. Les terroristes sont à 200 km de Bamako et je n'ai pas les moyens de les arrêter. Seule, militairement, la France est en situation de le faire sinon demain je serai mort». La décision qui a été prise par le président comportait évidemment beaucoup de risques. Mais nous ne pouvions pas accepter que, pour la première fois, des groupes de terroristes puissent prendre le contrôle d'un État.
Nous étions les seuls à pouvoir intervenir vite. L'Organisation des Nations unies et l'Union africaine, que nous avions auparavant sensibilisées, en étaient d'accord. L'ordre a donc été donné. Les choses se sont finalement bien déroulées. Même si tout n'est pas réglé, le pays a été débarrassé de l'essentiel de ces groupes qui ont été neutralisés. Une élection a eu lieu. Des fonds pour le développement ont été rassemblés. Même s'il reste des problèmes importants à régler, mais cela relève des Maliens eux-mêmes, notamment l'accord qui doit être trouvé entre le Sud et le Nord, nous pouvons dire qu'aujourd'hui la situation du point de vue de la sécurité et de la paix, ne ressemble en aucun cas à ce qu'elle était lorsque nous avons dû intervenir.
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- République centrafricaine -
En République Centrafricaine, pour comprendre l'enjeu de ce conflit, il faut regarder sa localisation. Comme son nom l'indique, la Centrafrique est au centre de l'Afrique. Elle est entourée de pays dont la stabilité n'est pas inscrite dans le marbre : le Soudan, le Soudan du Sud, le Tchad, le Congo, le Cameroun... Si la République centrafricaine devait s'effondrer complètement, ce serait un terrible appel d'air pour toutes sortes de problèmes dans les pays limitrophes. De plus - ce n'était pas dans la tradition de ce pays - le conflit s'est accompagné d'un clivage confessionnel entre musulmans et chrétiens. Tous les éléments étaient réunis pour un massacre absolument épouvantable. Dès lors la France, mandatée là-aussi par les Nations unies et l'Union africaine, ne pouvait rester sans réagir. Nous avons obtenu l'autorisation des Nations unies pour intervenir le 5 décembre 2013, journée au cours de laquelle il y a eu près de 1.000 morts. Nous sommes intervenus le 6. Sans cette intervention, il aurait pu y avoir 50.000 ou 100.000 morts. Il y avait en tout cas un risque de génocide.
Bien sûr, beaucoup de Français se demandent quel est notre intérêt dans ce pays si lointain. Mais lorsqu'un ami se noie, que l'on peut intervenir et qu'on s'appelle la France, on ne détourne pas le regard. Il faut intervenir. Il faut essayer, bien entendu, de ne pas intervenir seuls. Les Africains et l'Europe ont notamment commencé à déployer une force. Les Nations unies prendront le relais en septembre.
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- Union européenne -
Le troisième, c'est l'Europe, avec toutes les contradictions de la situation. D'un côté, en Europe, les élections récentes viennent de le montrer, la plupart des concitoyens européens ne sont pas du tout satisfaits de l'Europe. Mais de l'autre, nous avons plus d'une dizaine de pays qui frappent à la porte.
Et il y a d'autres contradictions : d'un côté, la construction européenne est une réponse absolument évidente, mais de l'autre, nos populations sont de plus en plus réservées par rapport à la gestion européenne. Et dès lors s'opère une confusion, qui explique sans doute les résultats assez lamentables qui ont été observés dans différents pays dont la France, il y a confusion entre l'idée européenne qui elle, est excellente et la gestion européenne qui elle, est beaucoup moins excellente. Et la gestion européenne critiquée remet en cause l'idée européenne elle-même.
Et c'est à toutes ces questions qu'il va falloir, avec nos voisins et amis et partenaires, essayer de répondre dans les semaines qui viennent puisqu'une nouvelle Commission va être installée avec un nouveau programme. La France est en train de préparer, c'est une affaire de jours, les propositions que nous allons discuter avec nos collègues pour réorienter l'Europe et si possible, les femmes et les hommes qui vont pouvoir diriger tout cela. Nos priorités tournent autour de la croissance pour l'emploi, du respect du sérieux budgétaire et que l'on puisse muscler la croissance européenne. Et il faut tirer les conséquences de ce qui se passe en Ukraine et en Russie sur le plan énergétique, la politique énergétique européenne ayant été un échec. Il y avait trois objectifs : sécurité d'approvisionnement, respect de l'environnement et prix bas. Sur tous ces points, malheureusement, c'est plus un recul qu'une avancée.
Il va falloir, dans la période qui vient, tirer les leçons pour développer une politique énergétique, s'occuper sérieusement de la sécurité et en même temps des libertés et enfin, avancer sur le plan social et éducatif. , Il faut avoir à l'esprit que la sensibilité des populations est telle que si on voulait aujourd'hui changer les institutions, ce qui sera probablement nécessaire, cela impliquerait un changement des traités et une consultation des populations dans la quasi-totalité des pays, et la réponse serait négative.
Donc, il faut être pragmatique, viser ces évolutions mais commencer par essayer de redresser la situation pour que les populations croient de nouveau en l'Europe. Et puis, il y a une exigence de simplification à porter qui est absolument indispensable.
Bref, en matière européenne, nous avons une troisième priorité.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2014