Interview de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, à France Inter le 23 juin 2014, sur l'instauration d'un péage de transit pour poids lourds en remplacement de l'écotaxe, la prise de participation de l’État dans le capital d'Alstom à hauteur de 20% et l'évolution des tarifs de l'électricité.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Ségolène ROYAL.
SEGOLENE ROYAL
Bonjour.
PATRICK COHEN
L'écotaxe est morte et enterrée ?
SEGOLENE ROYAL
Oui, on peut dire cela.
PATRICK COHEN
Avec une nouvelle version, un péage de transit sur 4 000 km de routes, au lieu de 15 000.
SEGOLENE ROYAL
C'est ça.
PATRICK COHEN
Alors, c'est toujours l'écotaxe, mais en version riquiqui ?
SEGOLENE ROYAL
Non, c'est une solution à la fois équilibrée et de bon sens, puisque sont ciblées les routes, les grands axes de transit, sur lesquels circulent plus de 2 500 camions par jour, je ne sais pas si vous vous imaginez ce que ça veut dire, 2 500 camions par jour, de camions essentiellement, donc du transit international, qui aujourd'hui ne payaient rien, c'est-à-dire que c'est le contribuable français qui payait l'entretien des routes utilisées par ces camions, et aujourd'hui ces camions vont être mis à contribution, c'est-à-dire qu'ils vont désormais ne plus avoir intérêt à quitter les autoroutes payantes, pour venir sur des routes qui étaient gratuites et qui étaient défoncées par le poids de ces camions de plus de 3 tonnes et demi. Je connais bien la Nationale 10, les camions sont quasiment à touche-touche, et ils évitent, ils prenaient la Nationale 10 parce qu'une autoroute parallèle qui elle est payante, donc ça remet, voilà, de la cohérence, de la logique, et ça applique le principe « utilisateur payeur ».
PATRICK COHEN
Cette taxe, ces péages, vont rapporter combien dans les caisses de l'Etat ?
SEGOLENE ROYAL
Ce n'est pas dans les caisses de l'Etat, hein, c'est dans un fonds spécial qui sert justement à faire les travaux sur les routes...
PATRICK COHEN
Pour les infrastructures routières, oui.
SEGOLENE ROYAL
Pour les infrastructures routières, pour les équipements de transports propres dans les villes, pour le fret ferroviaire, c'est pour encourager aussi le transport de marchandises par trains...
PATRICK COHEN
D'où l'inquiétude de ceux qui devaient bénéficier de cet argent pour cette infrastructure. Donc ça va rapporter combien ?
SEGOLENE ROYAL
500 millions d'euros.
PATRICK COHEN
500 millions d'euros, donc la moitié, au lieu d'un milliard, prévu par l'écotaxe.
SEGOLENE ROYAL
Eh bien écoutez, faisons déjà 500 millions d'euros de travaux, ça donnera du travail aux entreprises des travaux publics, engageons-les rapidement pour améliorer nos équipements et nos grandes infrastructures.
PATRICK COHEN
Mais c'est un produit divisé par deux par rapport à la mesure initiale.
SEGOLENE ROYAL
Alors, quand j'entends justement ceux qui disent que ce n'est pas assez et d'autres, ceux qui disent que c'est trop, ça prouve sans doute que la solution retenue est une solution d'équilibre, alors, avançons.
PATRICK COHEN
Oui, elle peut aussi mécontenter tout le monde, comme on l'a entendu depuis...
SEGOLENE ROYAL
Je ne crois pas.
PATRICK COHEN
...depuis hier soir. Avez-vous renoncé, Ségolène ROYAL, à l'idée de taxer les sociétés d'autoroutes ?
SEGOLENE ROYAL
J'ai toujours dit qu'il y aurait une négociation avec les sociétés d'autoroutes, il ne s'agissait pas de mettre des taxes supplémentaires, parce que je ne veux pas non plus que les tarifs autoroutiers augmentent, ce n'est pas le choix qui a été fait, mais...
PATRICK COHEN
De taxer leurs bénéfices.
SEGOLENE ROYAL
Mais les autoroutes seront amenées à participer, dans un cadre contractuel, avec leurs bénéfices, aux grandes infrastructures de notre pays, ce qui est logique aussi.
PATRICK COHEN
Bon, il y aura une forme de prélèvement sur les bénéfices des sociétés d'autoroutes.
SEGOLENE ROYAL
Non, il y a un dialogue fructueux, vous avez observé quelle est ma méthode pour tous les sujets dont j'ai la charge, c'est de procéder de façon contractuelle, en mettant les choses sur la table, en remettant les choses à plat, en expliquant pourquoi il doit y avoir des flux financiers plus équilibrés, pour faire en sorte que notre pays s'équipe, et c'est ce que j'ai l'intention de faire avec les autoroutes, et c'est en bonne voie.
PATRICK COHEN
Vous voulez vous mettre d'accord avec les sociétés d'autoroutes, mais elles, n'ont pas forcément envie de se faire plumer davantage.
SEGOLENE ROYAL
Ce n'est pas comme ça que ça se présente, parce qu'il y a en jeu un allongement de la durée des concessions des sociétés d'autoroute, qui va leur permettre d'investir 3,5 milliards d'euros. 3,5 milliards d'euros qui vont s'investir sur des grandes infrastructures françaises, je pense que ça vaut la peine.
PATRICK COHEN
Alors, que dites-vous aux Bonnets rouges bretons, on a évoqué les critiques des écologistes qui trouvent que vous avez réduit, par trop, la mesure écotaxe, que dites-vous aux Bonnets rouges qui continuent de réclamer la gratuité des routes, de toutes les routes en Bretagne, y compris l'axe Saint-Lô – Nantes, en passant par Rennes ?
SEGOLENE ROYAL
Eh bien je leur dis que le principe des voies de circulation de plus... qui reçoivent plus de 2 500 camions, est appliqué, ce qui permet d'épargner complètement la Bretagne. Et comme je le disais tout à l'heure, quand je vois certains qui disent que c'est trop et d'autres pas assez, c'est que je suppose que la décision prise est la bonne.
PATRICK COHEN
La Bretagne n'est pas complètement épargnée.
SEGOLENE ROYAL
Si, la Bretagne est complètement épargnée, j'ai la carte sous les yeux.
PATRICK COHEN
Saint-Lô – Nantes, par Rennes, c'est bien en Bretagne.
SEGOLENE ROYAL
Mais ça c'est la prolongation de l'Autoroute 84 par la Nationale 137, est-ce que vous trouvez logique...
PATRICK COHEN
Non...
SEGOLENE ROYAL
... qu'on sorte de l'autoroute payante et qu'on rentre sur une route nationale non payante, non. C'est un...
PATRICK COHEN
Mais c'est bien un axe qui traverse la Bretagne.
SEGOLENE ROYAL
Non, ça ne traverse pas la Bretagne, c'est l'axe Nord-Sud, c'est l'axe de transit Nord-Sud, je montre, voilà...
PATRICK COHEN
Oui.
SEGOLENE ROYAL
C'est l'axe de transit Nord-Sud, qui part de Saint-Lô...
PATRICK COHEN
Oui, mais Rennes, c'est bien en Bretagne.
SEGOLENE ROYAL
Mais c'est l'axe Nord-Sud, c'est pas... ce que ne voulaient pas, notamment les producteurs agricoles, c'est les axes Est-Ouest, parce que ça c'était des axes intérieurs, de transport de production agricole, et c'est vrai que c'était, voilà, inapproprié de taxer des petits circuits et de taxer essentiellement la production agricole. Donc ça permet à la fois de ne pas exclure la Bretagne d'une règle nationale, qui n'aurait pas été non plus acceptable, et en même temps ça permet à partir d'un critère objectif, je le répète, plus de 2 500 camions par jour, de traiter tout le monde de la même façon.
PATRICK COHEN
Pourquoi avoir décidé de faire rentrer l'Etat au capital d'Ecomouv', la société chargée de collecter la taxe ?
SEGOLENE ROYAL
Pour contrôler le dispositif. Parce qu'il y avait quand même un contrat assez exorbitant, qui avait été conclu par le gouvernement FILLON, qui fait que cette entreprise, non seulement voyait son capital rémunéré à hauteur de 17 %, mais en plus avait un droit de prélever 25 % du produit de la taxe, on ne peut pas laisser prélever 25 % de ce que paient les citoyens, et y compris les camions. Donc, ce n'est pas possible, il faut que cet argent revienne...
PATRICK COHEN
Donc il ne fallait pas laisser cette tâche à une société purement privée.
SEGOLENE ROYAL
Il faut que cet argent revienne aux Français, qu'il y ait un contrôle sur la juste rémunération du travail fait, et dans cette mesure, dès lors que l'Etat va entrer au capital, nous pourrons renégocier des contrats exorbitants qui ont été conclus avec un peu de... un manque de bon sens et de raison.
PATRICK COHEN
A quelle hauteur de capital ? Ça va couter combien ?
SEGOLENE ROYAL
On verra. Non, c'est la CAISSE DES DEPÔTS qui va participer à ce capital.
PATRICK COHEN
C'est la CAISSE DES DEPÔTS et là aussi les négociations sont en cours avec Ecomouv'.
SEGOLENE ROYAL
Exactement.
PATRICK COHEN
Et donc on aura le résultat. ALSTOM, on reparlera de l'écotaxe, évidemment, dans la deuxième partie de cet entretien, il y a beaucoup de questions d'auditeurs qui nous arrivent au standard, 01 45 24 7 000. ALSTOM, Ségolène ROYAL, vous avez été de toutes les réunions, ce week-end, autour du président de la République, là aussi à quoi sert cette prise de participation de l'Etat de 20 % dans le capital d'ALSTOM ?
SEGOLENE ROYAL
Oui, j'étais là parce que c'est le domaine des transports...
PATRICK COHEN
Et de l'énergie.
SEGOLENE ROYAL
... et de l'énergie, qui est concerné. L'Etat entre au capital parce qu'il veut garder la main et un droit de regard sur justement des secteurs industriels stratégiques, et la solution qui a été trouvée, à la fois une alliance avec un grand industriel, GENERAL ELECTRIC, et en même temps participation de l'Etat, est une très bonne solution.
PATRICK COHEN
Mais on ne peut pas dire que ça ne coutera rien aux contribuables, comme le dit le gouvernement depuis deux jours, ces 2 milliards d'euros auraient pu servir à d'autres choses, au désendettement de l'Etat ou au financement du pacte de responsabilité.
SEGOLENE ROYAL
Ce ne sont pas les contribuables qui vont payer cette participation. Cette participation va être dégagée à partir de la vente d'un certain nombre d'autres participations, dans d'autres entreprises, dans lesquelles cette participation de l'Etat n'est pas forcément indispensable.
PATRICK COHEN
Cet argent aurait pu servir à autre chose.
SEGOLENE ROYAL
Donc c'est un redéploiement des participations de l'Etat dans les entreprises.
PATRICK COHEN
Mais GENERAL ELECTRIC, au final, a obtenu ce qu'il voulait, le rachat pour l'essentiel de la branche énergie d'ALSTOM, Ségolène ROYAL.
SEGOLENE ROYAL
C'est un partenariat, ça ne vous a pas échappé, et donc ce rapport de forces a permis de faire évoluer considérablement l'offre de GENERAL ELECTRIC. D'abord, au départ, c'était un rachat pur est simple, aujourd'hui c'est un partenariat industriel dans lequel l'Etat français, qui est vigilant sur des filières stratégiques, comme les filières des turbines qui servent à équiper les réacteurs nucléaires ou comme les filières de ce que l'on appelle les greed (phon), c'est-à-dire les réseaux liés à la circulation de l'énergie, c'est enjeux, ces savoir-faire français ne doivent pas être transférés aux Etats-Unis, mais bien rester dans un groupement industriel, dans une stratégie et dans un partenariat industriel, qui permet d'être un partenariat gagnant- gagnant.
PATRICK COHEN
C'est tout de même les Américains qui auront le contrôle opérationnel.
SEGOLENE ROYAL
Je viens de vous répondre, je crois que l'intervention de... c'était le cas dans la solution initiale, et aujourd'hui l'intervention de l'Etat permet justement ce partenariat intelligent, entre nos industriels et les industriels américains.
PATRICK COHEN
Vous êtes au gouvernement, Ségolène ROYAL, en charge des transports, avec votre secrétaire d'Etat, Frédéric CUVILLIER, mais on n'a entendu que lui pendant la grève des cheminots. Pourquoi une telle discrétion sur ce dossier ?
SEGOLENE ROYAL
Parce qu'il y a une répartition des responsabilités, et c'est Frédéric CUVILLIER qui était responsable de ce dossier.
PATRICK COHEN
Donc vous n'aviez pas à intervenir ?
SEGOLENE ROYAL
C'est le choix que j'ai fait.
PATRICK COHEN
Face à la gravité...
SEGOLENE ROYAL
Je pense qu'il est bon, vu la charge des sujets dont j'ai la responsabilité, qu'il y ait une répartition de cette responsabilité.
PATRICK COHEN
Sur l'énergie, EDF, vous avez annoncé l'annulation de la hausse des tarifs qui était prévue au 1er août, mais cette hausse n'est que reportée.
SEGOLENE ROYAL
Je protège le pouvoir d'achat des Français et je veux que les français aient une vision, sur la façon dont les prix qui leur sont demandés, sont établis. Je pense que ça fait partie de la démocratie, et l'augmentation systématique et automatique de 5 % du prix des factures d'électricité, est ressentie de façon très violente par les Français, c'est comme une taxe dont ils ne comprennent pas le sens. Eh bien j'ai engagé la réforme au nom du gouvernement, la réforme de la fixation des prix, par un décret, qui va être publié, et comme cela les Français sauront exactement pourquoi et comment. Aujourd'hui, les prix de l'électricité sont fixés par l'augmentation des coûts de production d'EDF, donc ça ne doit pas être le seul critère, d'une part, et d'autre part, si l'on n'y prend pas garde, en effet, les investissements lourds, notamment sur la sécurité des centrales nucléaires, coûtent, comme le dit très justement EDF, de plus en plus cher. Et il et très important...
PATRICK COHEN
Quand viendra ce décret ?
SEGOLENE ROYAL
Il est très important, je vous explique, qu'à partir de la mise à plat du coût de calcul de l'électricité, on puisse aussi réorienter les investissements énergétiques de la France, et EDF doit s'engager, et d'ailleurs il le fait, dans les énergies renouvelables, et je voudrais d'ailleurs souligner la performance de cette magnifique entreprise nationale, parce que les Français possèdent le capital d'EDF, par l'intermédiaire de l'Etat, à 85 %, qui vient d'équiper le stade de foot de Rio pour la Coupe du Monde, dans une centrale solaire, photovoltaïque, avec le partenaire LIGHT, le partenaire brésilien, et c'est la technologie française d'EDF qui a fait cet équipement. Donc vous voyez qu'EDF peut aussi se positionner très fortement sur ce que l'on appelle le mix énergétique, que je mets en mouvement, dans le cadre de la loi de transition énergétique, et c'est comme ça que nous serons plus forts et que nous maitriserons aussi le coût de l'électricité pour les Français.
PATRICK COHEN
Bravo à EDF. Quand viendra ce décret sur la réforme de mode de calcula de hausse de l'électricité ?
SEGOLENE ROYAL
Il sera prêt fin juillet, donc ensuite, sur cette base...
PATRICK COHEN
Sur cette base-là, il y aura une augmentation à l'automne ?
SEGOLENE ROYAL
... la commission de régulation de l'énergie, qui est une commission indépendante, justement, fera le calcul de la hausse, et au 1er octobre je vous dirai exactement à quoi cela correspond.
PATRICK COHEN
Il y aura une hausse, donc, à l'automne ?
SEGOLENE ROYAL
On verra.
PATRICK COHEN
1er octobre.
SEGOLENE ROYAL
On verra.
PATRICK COHEN
Qui sera en gros équivalente à l'inflation, c'est ça, c'est ce que vous voulez ?
SEGOLENE ROYAL
Pas sûr. Peut-être moins, on verra.
PATRICK COHEN
Peut-être moins que l'inflation ?
SEGOLENE ROYAL
On verra. Ça sera transparent, et tout le monde comprendra pourquoi le prix de l'électricité augmente, ou n'augmente pas, ou même pourquoi certaines énergies baissent et que d'autres augmentent, et c'est ça qui est nouveau, hein, c'est une bonne nouvelle quand même de savoir que les Français vont pouvoir comprendre pourquoi on leur demande tel ou tel prix, et pourquoi à partir de ce calcul-là, il est très important que la France investisse dans les énergies renouvelables.
PATRICK COHEN
Ségolène ROYAL, ministre de l'Ecologie, invitée de FRANCE INTER. On vous retrouve dans quelques minutes avec les auditeurs d'INTER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 juin 2014