Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France Info" le 23 juin 2014, sur le dossier Alstom et le remplacement de l'écotaxe par un péage de transit pour les poids lourds.

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Texte intégral

JEAN LEYMARIE
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN LEYMARIE
L'écotaxe est donc abandonnée, vous la remplacez par ce péage de transit pour les poids lourds, qui est beaucoup moins ambitieux puisque ce péage va concerner moins de routes et moins de camions. Combien va-t-il rapporter ?
MICHEL SAPIN
Pourquoi vous dites il est moins ambitieux ?
JEAN LEYMARIE
4000 kilomètres de route au lieu de 15.000 kilomètres de route !
MICHEL SAPIN
Ça c'est une vision des choses. Quel est l'objectif ? Il faut voir si on atteint ou si on n'atteint pas l'objectif. L'objectif, celui auquel nous adhérons, nous, ce n'est pas vraiment celui que l'écotaxe, manière SARKOZY, si je puis dire, atteignait, nous, notre objectif c'est de faire en sorte que des camions, qui souvent traversent la France, je ne vais pas dire qu'ils sont étrangers, il peut y avoir aussi des camions français qui traversent la France, mais qui traversent la France sans rien payer, ou pas grand chose, parce qu'ils ne payent pas d'impôts, souvent ils font le plein avant, et puis le plein après, sans payer non plus d'impôts sur l'essence ou sur le fuel, donc que ces camions-là, qui sont très nombreux, on en voit sur nos routes, nos autoroutes, ils sont les uns derrière les autres, payent quelque chose pour l'entretien, la construction des routes et la construction de nouveaux modes de transport. C'est ça l'objectif.
JEAN LEYMARIE
Et ça fait combien ça, Monsieur le ministre, au bout du compte ?
MICHEL SAPIN
C'est ça l'objectif. Et ce qui est donc décidé aujourd'hui c'est justement de cibler, sur les itinéraires, où justement passent ce type de camions-là. C'est ce qui a été décidé, ça fait 4000 kilomètres d'autoroutes, mais c'est 4000 kilomètres sur lesquels il en passe énormément de camions, donc il ne faut pas dire 4000, 15.000, on fait une règle de 3, ça rapporte, je ne sais pas combien 3 fois ou 4 fois moins. Ça c'est une règle qui est inexacte.
JEAN LEYMARIE
Non, mais c'est la question que je vous pose, ça rapporte combien alors ?
MICHEL SAPIN
Ça va rapporter moins évidemment. Mais, je voudrais insister sur ce point…
JEAN LEYMARIE
De quel ordre ?
MICHEL SAPIN
De l'ordre de 500 millions, au lieu de 800 millions, mais je voudrais insister sur un point. Ces recettes, elles servent à quoi ? Elles ne servent pas à abonder, comme ça, le fonctionnement de l'Etat, ces recettes servent, auraient servi, devront servir, à financer des travaux, des travaux sur, construction de telle route ou telle autoroute, surtout des travaux…
JEAN LEYMARIE
Des transports en commun.
MICHEL SAPIN
De transports en commun, ou d'alternatives à la route. De ce point de vue là, oui…
JEAN LEYMARIE
Des tramways, des lignes de bus, des lignes de métro.
MICHEL SAPIN
Donc c'est extrêmement favorable à l'environnement.
JEAN LEYMARIE
Vous allez avoir beaucoup moins d'argent justement, quels projets allez-vous abandonner ?
MICHEL SAPIN
Non, il n'y aura pas moins d'argent, nous allons trouver d'autres sources, car il n'est pas question que le budget en faveur de ce type de transports, et en particulier les transports alternatifs à la route, diminue, il ne diminuera pas, la quantité de travaux restera la même que celle qui était prévue, il faudra simplement compléter les ressources de ce péage de transit poids lourds par d'autres ressources qui nous permettront de maintenir le budget des transports.
JEAN LEYMARIE
A quelles ressources pensez-vous aujourd'hui Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
On y travaille, mais il y a des possibilités, s'agissant soit des péages sur les autoroutes, soit il y a d'autres possibilités, dans le cadre des directives européennes qui encadrent, légitimement d'ailleurs, tous ces dispositifs.
JEAN LEYMARIE
Vous gardez la société Ecomouv' ? Ségolène ROYAL envisageait de rompre le contrat avec cette société.
MICHEL SAPIN
Oui, c'est le choix qui a été fait, parce que sinon ça aurait coûté extrêmement cher, et puis, au fond, le dispositif, même s'il porte sur moins de kilomètres, il est là, il est en place, il est prêt à fonctionner, donc nous conservons Ecomouv', mais en même temps nous sommes très attentifs à ce qui se passe dans Ecomouv'. Ecomouv' a été choisie dans des conditions qui sont, certainement régulières, mais c'est quoi Ecomouv' ? C'est confier à une société privée la perception d'un impôt. Il y a un petit quelque chose qui rend nécessaire, quand même, que l'intérêt général soit présent, en tous les cas que l'oeil de l'intérêt général, c'est-à-dire de l'Etat, soit présent pour bien vérifier ce qui s'y passe.
JEAN LEYMARIE
Qu'est-ce que ça veut dire ça, Monsieur le ministre, contrat renégocié avec Ecomouv', entrée dans le capital, de l'Etat ?
MICHEL SAPIN
Ça veut dire un certain nombre de dispositions de cette nature. Contrat renégocié, forcément, puisque le contrat ne portera pas sur le même nombre de kilomètres de route et donc pas dans les mêmes conditions, donc le contrat lui-même sera évidemment renégocié avec Ecomouv', et puis nous verrons s'il est nécessaire, éventuellement, de rentrer au capital d'Ecomouv', pour là, encore, non pas décider, mais surveiller la bonne utilisation, la bonne gestion, de la perception de l'impôt.
JEAN LEYMARIE
Vous avez entendu les commentaires ce matin, personne n'est satisfait, ni les Bonnets rouges en Bretagne, ni vos alliés écologistes.
MICHEL SAPIN
Oui, mais je ne suis pas sûr que tout le monde ait bien compris. Donc la Bretagne, en l'occurrence, ne sera plus concernée, parce que, vous savez…
JEAN LEYMARIE
Encore un axe toujours concerné…
MICHEL SAPIN
Oui, mais c'est là où passe des camions qui viennent d'Amsterdam et qui s'en vont vers le Portugal ou l'Espagne, c'est cet axe qui, on appelle l'Autoroute des Estuaires, qui vient du Nord, au-dessus de la Bretagne, et qui descend en dessous de la Bretagne, donc c'est parfaitement légitime qu'il en soit ainsi. Mais par contre, de Brest à Rennes, ça paraissait peu légitime, parce que ce n'est pas là que sont les camions que nous voulons viser. Quant aux autres, je ne suis pas sûr qu'ils aient compris tout. Quand je vous dis le budget des transports ne diminuera pas, la quantité de travaux ne diminuera pas, je pense que c'est de nature à rassurer un certain nombre de gens.
JEAN LEYMARIE
L'oeil de l'Etat, disiez-vous Michel SAPIN, il est présent également dans le capital d'ALSTOM, dont l'Etat va prendre 20 %...
MICHEL SAPIN
Il le sera, oui.
JEAN LEYMARIE
Ça va coûter combien là encore ?
MICHEL SAPIN
Ça ne coûte pas… là aussi c'est une vision assez étonnante. Lorsque l'Etat, l'Etat est gestionnaire de son capital, de ses biens, nous avons des actions dans un certain nombre de sociétés, différentes…
JEAN LEYMARIE
Donc vous en vendez d'un côté pour prendre 20 % d'ALSTOM.
MICHEL SAPIN
On en vend d'un côté pour en prendre de l'autre, c'est la gestion d'un capital, ça ne coûte rien, c'est une bonne gestion, c'est une gestion active de ce qui appartient à l'Etat. Il y a des endroits où notre présence pouvait être utile il y a 10 ans, et n'a plus grand intérêt aujourd'hui, et d'autres endroits, c'est le cas pour ALSTOM, où notre présence est absolument nécessaire pour réussir cette belle opération de rapprochement, d'alliance, entre ALSTOM et GENERAL ELECTRIC.
JEAN LEYMARIE
Manuel VALLS dit « ALSTOM c'est l'anti-Florange. » On se souvient qu'à l'époque Arnaud MONTEBOURG voulait nationaliser les hauts fourneaux, Jean-Marc AYRAULT, alors à Matignon, avait refusé. Est-ce que vous le regrettez ?
MICHEL SAPIN
Non, mais nationaliser, ça ne veut pas dire grand chose, là on ne nationalise rien du tout. Rentrer à 20 % c'est peser, c'est avoir des droits de vote, c'est peser pour vérifier que ce qui a été l'exigence de l'Etat, s'agissant de ALSTOM et de GENERAL ELECTRIC, est bien respecté dans la durée. La nationalisation c'est d'un autre temps, ça ne sert à rien de s'approprier la totalité du capital, j'utilise là des termes qui sont des termes purement dogmatiques. Non. Une présence active, ça c'est nécessaire, et lorsque l'on n'a plus de présence nécessaire dans une entreprise on en sort, on entre dans une autre. Là où le Premier ministre a dit « c'est une méthode différente », c'est que, oui, nous avons su, le gouvernement a su, être cohérent, débattre, décider, mettre en oeuvre. Le gouvernement décide et met en oeuvre, c'est ça que les Français attendent.
JEAN LEYMARIE
Et il met en oeuvre son plan d'économies, ce sera tout à l'heure devant les députés, Michel SAPIN, face à la droite, et face aux socialistes qu'on appelle « frondeurs », également, ces députés qui réclament une autre politique, qui attendent des gestes, et, par exemple, ils vous demandent de ne pas geler les allocations logement, c'est très concret. Y êtes-vous prêt ?
MICHEL SAPIN
Oui, mais ça, ça a déjà été dit, et d'ailleurs, c'est des allocations logement pour l'année prochaine, donc nous en reparlerons au moment de la loi de Finances pour 2015. Là nous décidons, aujourd'hui, des économies à faire en 2014, et là toutes les économies que nous devions faire en 2014 seront faites, et nous décidons, surtout, de la manière d'aider les entreprises, aujourd'hui, à investir et à embaucher, parce que c'est ça le Pacte de responsabilité. Le Pacte de responsabilité et de solidarité c'est deux choses, les entreprises, c'est par elles que l'emploi, là, doit passer, et l'investissement va passer…
JEAN LEYMARIE
L'emploi, vous parlez d'emploi Monsieur le ministre…
MICHEL SAPIN
Et c'est les ménages les plus modestes, parce que les ménages les plus modestes ont besoin d'un surcroît de pouvoir d'achat, non pas en augmentant, comme ça, les prestations, mais en diminuant les impôts qui pèsent sur eux.
JEAN LEYMARIE
Vous parlez d'emploi. La rapporteur du Budget, Valérie RABAULT, a fait des calculs, d'un côté, d'après elle, votre plan d'économies va créer des emplois, effectivement, mais d'un autre côté il va en retirer, en retrancher, il pourrait détruire 250.000 emplois. C'est une bonne politique ça ?
MICHEL SAPIN
Oui, mais ça ce n'est pas Valérie RABAULT qui a fait les calculs…
JEAN LEYMARIE
Elle est allée chercher ces chiffres chez vous à Bercy.
MICHEL SAPIN
C'est un certain nombre d'économistes qui font des calculs de cette nature, qui sont des calculs complètement en chambre, c'est des calculs extrêmement théoriques.
JEAN LEYMARIE
Les calculs de la rapporteur du Budget sont des calculs en chambre ?
MICHEL SAPIN
Je viens de vous dire que ce n'est pas la rapporteur du Budget qui a fait ce type de calculs, elle se fait l'écho de calculs de cette nature, qui sont des calculs en chambre. Ecoutez, s'il suffisait d'avoir des dépenses publiques très élevées pour avoir une croissance très élevée, la France serait champion du monde, puisque c'est nous qui avons les dépenses publiques les plus élevées, et pourtant on a un problème de croissance. Donc il faut passer par une autre voie. La croissance dont nous avons besoin, elle reprend, mais pas suffisamment, elle passe par les entreprises, elle passe par de l'investissement, elle passe par l'emploi créé dans ces entreprises.
JEAN LEYMARIE
D'un mot, très vite s'il vous plaît Michel SAPIN. Le bras de fer entre BNP Paribas et la justice américaine, est-ce qu'un accord est proche, comme le dit le « Wall Street Journal » ?
MICHEL SAPIN
Je le souhaite, parce que je pense que, aujourd'hui, BNP ne peut plus rester dans cet entre deux, BNP a besoin de connaître les décisions qui seront prises par la justice et les autorités américaines. L'Etat français, le gouvernement français, le président, le Premier ministre, moi-même, nous avons joué notre rôle, dire, aller aux Etats-Unis : « attention, punir le passé, peut-être, mais punir l'avenir, non. »
JEAN LEYMARIE
Merci Michel SAPIN
source : Service d'information du Gouvernement, le 24 juin 2014