Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "RTL" le 26 juin 2014, sur les prévisions de croissance économique, le pouvoir d'achat des Français.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Rien ne va, ou rien ne va plus. L'INSEE, qui n'est pas un adversaire politique, prévoit une croissance très molle en France cette année, 0,7 %, encore moins que votre timide 1 %. Et ce n'est pas la querelle de chiffres qui est intéressante, mais ceci : pourquoi la croissance est-elle aussi molle en France, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Dans cette étude de conjoncture, qui est une prévision, il faut toujours… c'est un art très difficile, celui des prévisions, parce que…
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, mais ce n'est pas la même que vous.
MICHEL SAPIN
Ça consiste à s'occuper de l'avenir, et on ne connaît jamais l'avenir, véritablement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi c'est mou ?
MICHEL SAPIN
Dans cette note de conjoncture l'INSEE dit la croissance est là. C'est la nouveauté. Nous sortons d'une période, 5 ans, 6 ans, c'est extrêmement douloureux, ça fait des dégâts considérables, dans l'économie, dans la société, avec le chômage, dans le budget aussi parce que ça entraine des déficits, donc on sort tout juste, mais elle ne décolle pas, deuxième phrase, elle ne décolle pas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi ?
MICHEL SAPIN
Il y a deux bonnes nouvelles et une mauvaise nouvelle dans cette étude de conjoncture. Les deux bonnes nouvelles sont les suivantes. Premièrement, le pouvoir d'achat des Français va augmenter, est en train d'augmenter, et va augmenter, et donc la consommation des Français, qui est un élément important pour le fonctionnement de notre économie, va augmenter. La deuxième bonne nouvelle, parce que c'est tout l'objectif de notre politique aujourd'hui, c'est que les marges des entreprises, les capacités à investir et à embaucher des entreprises, vont augmenter. C'est l'objectif du CICE, c'est l'objectif du Pacte de responsabilité.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et la mauvaise nouvelle ?
MICHEL SAPIN
Et la mauvaise nouvelle, c'est ce qui se passe dans le domaine du logement, dans le domaine de la construction. Si la construction était restée à un niveau normal, je ne dis pas puissant, normal, il y aurait 0,4 % de croissance supplémentaire, c'est-à-dire que nous serions au-delà de la prévision du gouvernement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous ne répondez quand même pas à ma question, qu'est-ce qui ne va pas, pourquoi c'est mou ?
MICHEL SAPIN
Je viens de répondre sur un point très précis…
JEAN-MICHEL APHATIE
Non, c'est quand même mou. C'est mou.
MICHEL SAPIN
Je viens de répondre sur un point très précis qui est celui du logement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Avec 0,7 ou 1 % on ne créera pas d'emplois. Pourquoi c'est mou, qu'est-ce qui se passe ?
MICHEL SAPIN
Je répète. Ce que l'on voit aujourd'hui, c'est qu'il y a un secteur, et qui est un secteur extrêmement porteur, et de croissance, et d'emploi…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça n'explique pas tout.
MICHEL SAPIN
Qui explique la totalité de la différence entre les prévisions de l'INSEE et les prévisions du gouvernement. Mais, la réalité, mais je le dis depuis le début, c'est que nous sommes dans une économie hésitante. Nous avons des acteurs économiques, des entreprises, qui sont hésitantes, et lorsqu'on a en face de soi des gens qui sont hésitants - ils ne sont plus dans la déprime, ils sont dans l'hésitation – quelle est la réponse ? La réponse c'est la cohérence, c'est la cohésion, c'est la détermination. Nous avons décidé, nous proposons, nous mettons aux voix, et nous appliquons. Est-ce que je peux terminer par un dernier commentaire ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui.
MICHEL SAPIN
Savez-vous quelle était la prévision de l'INSEE, l'année dernière, dans la même note du mois de juin 2013 ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Non, mais il n'est pas question de savoir qui a tort, qui a raison.
MICHEL SAPIN
Eh bien elle est, la prévision – c'est juste pour dire que c'est un exercice très difficile – était de -0,1, la réalité a été de +0,4. Nous avons donc raison de maintenir notre prévision de 1 % de croissance.
JEAN-MICHEL APHATIE
Les députés socialistes frondeurs, eux, n'ont pas raison quand ils disent que vous êtes sur de mauvais rails, ils n'ont pas raison ?
MICHEL SAPIN
C'est leur thèse.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ils n'ont pas raison ?
MICHEL SAPIN
Nous aurions profondément tort si nous changions, tous les matins, de politique économique. Quand vous avez une économie hésitante, quand vous avez des chefs d'entreprise qui vous disent « le CICE c'est bien, mais j'entends dire que vous allez peut-être changer, que ça ne sera peut-être pas la même chose l'année prochaine. » Non. Il faut cette cohérence, cette visibilité, c'est le seul moyen pour redonner du nerf, pour redonner du muscle, à notre économie, et, à partir de là, de la croissance, de l'investissement et de l'emploi.
JEAN-MICHEL APHATIE
Quand François FILLON dit, hier, « le Code du travail en France est monstrueux », il a tort ou il a raison ?
MICHEL SAPIN
Mais il était comment le Code du travail lorsqu'il était Premier ministre ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce n'est pas ma question.
MICHEL SAPIN
Oui, mais c'est aussi une part de la réponse, non pas à vous, mais à monsieur FILLON.
JEAN-MICHEL APHATIE
Aujourd'hui, il a tort ou il a raison ?
MICHEL SAPIN
Il y a des gens qui tout d'un coup reprennent des anciennes, des espèces de…, il y a des trucs à la mode, là il y a un nerf à la mode, ce serait que le Code du travail serait, aujourd'hui, le frein à tout.
JEAN-MICHEL APHATIE
« Monstrueux » dit-il, il a tort ou il a raison ?
MICHEL SAPIN
… il voit des monstres qui ne sont pas ceux auxquels il faut s'attaquer.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il a tort ?
MICHEL SAPIN
Non, ce que je veux dire par là c'est que, les mots comme ça, les mots « monstrueux », n'ont aucun sens économique, aucun sens social.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il a tort ?
MICHEL SAPIN
Il a tort d'utiliser des termes de cette nature, parce que ce sont des termes qui sont faits pour faire peur. Le monstre, il est là pour faire peur, en tous les cas aux enfants, mais il n'y a qu'aux enfants que ce monstre-là fait peur.
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que le Code du travail, l'épaisseur, le nombre des articles, est-ce que c'est un problème aujourd'hui en France ?
MICHEL SAPIN
Il suffit de l'écrire plus petit pour qu'il soit moins gros, donc ce n'est pas le problème, la question n'est pas celle-là.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah là là ! Vous êtes farceur là.
MICHEL SAPIN
Mais non, ce n'est pas que je suis farceur, c'est que par rapport…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous évitez la question.
MICHEL SAPIN
Par rapport à ce type de remarque, pas vous, parce que vous êtes là, vous redites ce que disent d'autres, et en particulier un certain nombre de chefs d'entreprise, ça ne règle rien. Qu'il faille simplifier, qu'il faille, je l'ai fait, je l'ai fait, modifier le Code du travail, pour que, par exemple, lorsqu'une entreprise est au bord du gouffre, lorsqu'elle a un problème de licenciements, on puisse agir dans des conditions qui soient plus protectrices des salariés, mais qui permettent à l'entreprise d'aller plus vite, et dans de meilleures conditions, c'est oui. Donc, qu'il y ait des modifications à apporter, ça c'est un vrai débat, qu'il nous dise ce qu'il veut changer, ça c'est un vrai débat, mais utiliser des termes comme ça, ça ne sert à rien.
JEAN-MICHEL APHATIE
Nous ne travaillons pas assez, c'est une étude REXECODE qui le disait hier, par rapport aux Allemands, c'est la Cour des comptes qui l'a dit, il faut faire travailler davantage, notamment dans la fonction publique. Tous ces gens-à se trompent, Michel SAPIN, ou ce sont des pistes qu'il va falloir un jour explorer ?
MICHEL SAPIN
REXECODE dit toujours la même chose, parce qu'il parle toujours au nom des mêmes. C'est un organisme fait d'économistes de grande qualité…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais de droite.
MICHEL SAPIN
Mais, voilà, de droite et de patronal…
JEAN-MICHEL APHATIE
Dis-moi d'où tu parles et ce que tu dis n'est pas juste.
MICHEL SAPIN
Non, pas forcément, mais j'entends ça, toujours, toujours, toujours…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais est-ce que c'est faux ?
MICHEL SAPIN
Toujours, toujours, toujours, parce que les Français, vous avez l'impression qu'ils ne travaillent pas les Français ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que c'est faux ? Je ne sais pas…
MICHEL SAPIN
Vous croyez que les Français ils ne se lèvent pas tôt, comme vous ou moi ?
JEAN-MICHEL APHATIE
La Cour des comptes, quand elle dit…
MICHEL SAPIN
Vous croyez que les Français, pour certains, ils ne travaillent pas tard ?
JEAN-MICHEL APHATIE
La Cour des comptes dit la même chose.
MICHEL SAPIN
Les Français travaillent, ils travaillent bien, et s'il y a des investisseurs en France, si GENERAL ELECTRIC veut être plus présent en France, qu'il ne l'est encore aujourd'hui, y compris par une alliance avec ALSTOM, c'est qu'il doit y trouver quelques avantages. Et parmi ces avantages il y a…
JEAN-MICHEL APHATIE
La technologie d'ALSTOM est attirante.
MICHEL SAPIN
Pourquoi veut-il créer 1000 emplois ? ce n'est pas une histoire de technologie, c'est que parmi ces avantages, il y a la qualité de la main-d'oeuvre française, sa capacité à travailler, et ce que tout le monde considère, quand on fait ce type de comparaison, sa compétitivité, à cette main-d'oeuvre française, qui est supérieure à beaucoup d'autres.
JEAN-MICHEL APHATIE
Dans ces conditions, hélas, le chômage ne va pas baisser, nous connaîtrons les chiffres de mai ce soir. Quelle est la tendance Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Je n'en sais rien du tout…
JEAN-MICHEL APHATIE
…
MICHEL SAPIN
Je ne suis pas ministre du Travail, je ne suis plus ministre du Travail.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le premier informé, REBSAMEN, ne vous a pas appelé ?
MICHEL SAPIN
Je n'ai pas à l'être. Le premier trimestre de cette année a été plat, trop plat, quand on a un trimestre très plat, du point de vue économique, c'est rare que ça fasse évoluer dans le bon sens le chômage.
JEAN-MICHEL APHATIE
Si on se parle franchement, on peut se le dire ce matin Michel SAPIN, l'année prochaine l'objectif des déficits à 3 % ne sera pas atteint ?
MICHEL SAPIN
Moi j'ai cet objectif-là, et je prends les moyens de faire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais il n'est pas réaliste.
MICHEL SAPIN
Mais je fais de la politique. Il y a ceux qui font de la prévision…
JEAN-MICHEL APHATIE
La confiance ça passe aussi par la sincérité.
MICHEL SAPIN
Non, non, parce que je suis totalement sincère quand je dis ça. Il y a ceux qui font de la prévision, c'est leur métier, c'est un art difficile, on se trompe tout le temps, il y a ceux qui font du commentaire, c'est leur métier, c'est un art difficile, parce qu'on risque…
JEAN-MICHEL APHATIE
…
MICHEL SAPIN
Non, on risque de se tromper, on ne se trompe pas tout le temps, on risque de se tromper. La prévision on se trompe, dans un sens ou dans l'autre… moi je suis un politique, j'agis. Et donc, qu'est-ce que je sais ? je sais que pour l'année prochaine, si nous voulons tenir notre objectif, et pas l'objectif de 3 %, qui est une sorte d'objectif nominal, mais les vrais objectifs, le chômage qui recule, l'investissement qui augmente, la capacité pour les Français d'avoir plus de moyens, plus de richesses, il faut deux choses. Premièrement, aller jusqu'au bout du Pacte de responsabilité, il faut donner des marges aux entreprises. Et, deuxième chose, il faut tout financer par des économies, pas par des augmentations d'impôts, ça, ça a été fait pendant 4 ans successifs, 2 ans de droite, 2 ans avec nous, c'est terminé, c'est par les économies, dans les dépenses publiques, que nous pourrons aujourd'hui financer l'ensemble des nouvelles mesures en faveur des entreprises ou des ménages.
JEAN-MICHEL APHATIE
D'un mot. La négociation avec les Américains et BNP Paribas est terminée, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Je ne sais pas si elle est terminée, mais je ne souhaite qu'une chose, c'est que, le plus rapidement possible, BNP sache à quoi elle doit s'en tenir.
JEAN-MICHEL APHATIE
Michel SAPIN, ministre des Finances, et des Comptes publics, était l'invité de RTL ce matin. Bonne journée.
LAURENT BAZIN
Merci Michel SAPIN, bonne journée à vous. Vous aviez des chaussettes rose fluo, m'a-t-on signalé.
JOURNALISTE
Très jolies.
LAURENT BAZIN
Donc vous voyez la vie en rose, fluo ?
MICHEL SAPIN
Fluo, non, rose, oui. J'aime le rose, mais ce n'est pas d'aujourd'hui. Je n'ai pas besoin d'être frondeur pour aimer le rose.
LAURENT BAZIN
C'est dit.Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juin 2014