Interview de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication France-Info le 20 juin 2014, sur le conflit des intermittents du spectacle et les conséquences sur les festivals de l'été.

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Média : France Info

Texte intégral


RAPHAËLLE DUCHEMIN
Votre invitée politique Jean LEYMARIE, ce matin, est le ministre de la Culture.
JEAN LEYMARIE
Bonjour Aurélie FILIPPETTI.
AURELIE FILIPPETTI
Bonjour.
JEAN LEYMARIE
Manuel VALLS a donc annoncé plusieurs mesures pour apaiser, pour rassurer les intermittents, mais, pour la CGT Spectacles, ce sont des mesurettes, le syndicat brandit la menace d'une grève cet été pendant les festivals. Irez-vous plus loin, ferez-vous un geste supplémentaire ?
AURELIE FILIPPETTI
Manuel VALLS a fait un grand discours sur la culture, pas seulement sur la question de l'indemnisation du chômage, il a rappelé le poids, la force de la culture dans la fierté dans la citoyenneté et aussi dans l'attractivité de notre pays, la culture et les festivals c'est dans tous les territoires, dans toutes les communes, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines, c'est vraiment de la vie économique et c'est un poumon d'activités auquel nous sommes tous attachés. A partir de là, il y avait une crise et des inquiétudes liées à l'indemnisation du chômage des artistes et des techniciens, les réponses ont été très fortes et j'espère et je pense qu'elles seront de nature à apaiser les inquiétudes des intermittents.
JEAN LEYMARIE
Donc vous n'irez pas plus loin, madame la ministre, qu'on comprenne bien ?
AURELIE FILIPPETTI
On est allés très loin ! Parce que ce qu'a annoncé le Premier ministre c'est qu'on va changer de fond en comble les règles qui régissent le fonctionnement de l'assurance chômage pour les artistes et les techniciens du spectacle. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu'eh bien l'Etat va assumer la charge financière de ce qui aurait été une mesure pénalisante pour les intermittents, le différé dans l'indemnisation, le différé dans le versement de leur indemnisation chômage, ce différé aurait être étendu à partir du 1er juillet, eh bien l'Etat va compenser à l'UNEDIC, donc va verser de l'argent à l'UNEDIC pour compenser la non application de ce différé pour les intermittents, donc leur situation sur ce point-là ne changera pas ; et puis, il y a un trio de sages qui va être chargé de mener une réforme d'ensemble pour sécuriser…
JEAN LEYMARIE
Et de penser à l'avenir !
AURELIE FILIPPETTI
Et pour pérenniser aussi le système.
JEAN LEYMARIE
On va en parler, Aurélie FILIPPETTI, mais je reste sur l'actualité de cet été et l'inquiétude dans de nombreux festivals. Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui de grands festivals, ou de petits festivals d'ailleurs, sont toujours en danger ?
AURELIE FILIPPETTI
Ecoutez-moi je souhaite vraiment… On en a besoin ! Ce serait vraiment extrêmement dommageable pour tous, évidemment tous les territoires, tous les festivals, mais surtout pour tous les artistes qui aiment ce qu'ils font, qui sont attachés à leur création, qui ont mis tout leur coeur, toute leur passion, tout leur talent dans la préparation des spectacles, il faut qu'ils puissent jouer. Et leurs inquiétudes elles ont été entendues, leurs inquiétudes c'était quoi ? C'était cet accord du 22 mars dans la partie différée - bon eh bien ça c'est réglé puisque ça ne sera pas appliqué – et puis c'est, plus généralement, les règles de l'indemnisation du chômage pour les intermittents qui posent un certain nombre de problèmes, notamment depuis la réforme de 2003. Il y a des propositions qui ont été faites depuis 11 ans, notamment les propositions d'un comité qu'on appelle le comité de suivi où tout le monde est représenté, ces propositions elles seront examinées, toutes les propositions seront examinées par ce groupe, cette concertation pilotée par 3 personnes totalement irréprochables et incontestables…
JEAN LEYMARIE
Oui ! Ca fait 2 ans, 2 ans que vous êtes au pouvoir…
AURELIE FILIPPETTI
Non ! Pas du tout.
JEAN LEYMARIE
Et le problème arrive là dans l'urgence et il faut le régler.
AURELIE FILIPPETTI
Non ! Vous savez les règles, le paritarisme, le dialogue social c'est fondamental dans les objectifs, les priorités du gouvernement, donc il fallait respecter ces règles du paritarisme, mais on a vu que ces règles en ce qui concerne l'intermittence – parce que c'est un sujet qui est toujours malheureusement traité en quelque sorte à la marge de la grande négociation sur l'assurance chômage qui concerne tous les chômeurs – eh bien ces règles elles connaissent un certain nombre de limites. Donc on va changer l'architecture, la gouvernance de ce qui concerne l'indemnisation chômage pour les intermittents et ce sont 3 personnes, donc : Hortense ARCHAMBAULT, qui est l'ancienne directrice du Festival d'Avignon, qui est vraiment une personnalité tout à fait respectée et unanimement reconnue dans le monde de la culture, avec le député Jean-Patrick GILLE qui vient de mener ce travail de médiation et avec Jean-Denis COMBREXELLE, l'ancien directeur du Travail, tous les 3 ils vont piloter la réforme à venir.
JEAN LEYMARIE
Je l'ai dit la CGT proteste mais la CFDT aussi, la CFDT qui avait pourtant signé l'accord du 22 mars, selon elle vous rompez – et je la cite – l'équité entre les salariés Aurélie FILIPPETTI car vous dites finalement à une catégorie, les intermittents : « les efforts ce n'est pas pour vous »…
AURELIE FILIPPETTII
Les efforts…
JEAN LEYMARIE
Est-ce que c'est juste ça ?
AURELIE FILIPPETTI
Les efforts seront partagés par tout le monde, parce que je rappelle que dans la réforme…
JEAN LEYMARIE
Il y a une exception-là pour les intermittents, vous venez de nous le dire ?
AURELIE FILIPPETTI
Non ! Non, non c'est faux. Dans la réforme du 22 mars il y avait 3 mesures qui concernaient les intermittents : la première de ces mesures c'est la hausse des cotisations, la hausse des cotisations elle s'appliquera et de manière plus forte pour les entreprises du spectacle et pour les intermittents que pour les autres salariés du secteur privé, ça c'est la première mesure ; la deuxième mesure, c'est qu'il y aura désormais un plafond de cumul entre les indemnités chômage et les rémunérations et ce plafond sera plus sévère pour les intermittents là encore qu'il ne l'était jusqu'à présent. Ces deux mesures sont des mesures d'économies, ça va permettre de dégager à minima 70 millions d'euros d'économies pour l'UNEDIC et ces 70 millions d'euros portent sur les intermittents. Donc, on le voit, ils feront quand même des efforts…
JEAN LEYMARIE
La CFDT a tort-là ?
AURELIE FILIPPETTI
Et ces 2 efforts sont acceptés. En revanche la mesure du différé, c‘était celle qui posait problème et celle-là eh bien c'est celle-là qui sera annulée.
JEAN LEYMARIE
Mais cette préoccupation de la justice entre les salariés est-ce que vous l'entendez, est-ce que vous la comprenez ? La CFDT insiste là-dessus, elle n'est pas la seule ?
AURELIE FILIPPETTI
Il faut arrêter de stigmatiser les intermittents qui sont des artistes et des techniciens du spectacle et qui cotisent comme tous les salariés et même avec des cotisations plus fortes que l'ensemble des salariés, vous savez dans ce qu'on appelle l'intermittence il y a 250.000 personnes, il y en a 100.000 qui touchent des indemnités chaque année, donc tous les autres cotisent sans toucher d'indemnités et donc on voit bien qu'aujourd'hui on ne peut pas dire qu'il y a une rupture de solidarité, tout le monde cotise à la même caisse - il n'y a qu'une seule caisse – et donc il faut qu'évidemment cette solidarité interprofessionnelle, qui est la base du contrat social en France, continue à s'appliquer à tout le monde.
JEAN LEYMARIE
Ils seraient 250.000 à cotiser, c'est-à-dire 2 fois plus qu'il y a 10 ans, il y a 2 fois plus de salariés dans ce système d'intermittence qu'il y a 10 ans, est-ce que c'est normal, est-ce que le nombre d'intermittents peut continuer à augmenter comme ça indéfiniment ?
AURELIE FILIPPETTI
Vous savez moi ce qui me peine beaucoup dans ces débats à répétition sur l'intermittence c'est que, à chaque fois, on a l'impression que les artistes et les techniciens du spectacle seraient des privilégiés et que presque il faudrait qu'ils s'excusent de faire et d'exercer des fonctions où, pourtant, ils ont une précarité très grande, extrêmement grande. Evidemment il y a de la précarité – et je suis bien placée pour le savoir, je suis élue de Moselle, une région industrielle, il y a de la précarité dans beaucoup de secteurs aujourd'hui en France – mais la précarité dans le domaine du spectacle elle est très forte, les artistes aujourd'hui, leur revenu pour les 3/4 d'entre eux, c'est 9.000 euros annuel de revenu d'activités, donc c'est ça qu'il faut rappeler, les ¾ des artistes c'est 9.000 euros annuel. Donc évidemment qu'ils ont besoin d'avoir un accompagnement par des indemnités chômage mais arrêtons de les considérer comme des privilégier.
JEAN LEYMARIE
Merci Aurélie FILIPPETTI.
AURELIE FILIPPETTI
Merci.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Merci beaucoup ! L'interview elle est en ligne, comme tous les matins, franceinfo.fr.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juin 2014