Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à des questions sur la violence à l'école et sur le service public de l'électricité et la notion d'acheteur unique, à l'Assemblée nationale le 13 février 1996.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 13 février 1996

Texte intégral

M. le président. La parole est à M. André Rossinot.
M. André Rossinot. Monsieur le Premier ministre, la violence a toujours été inhérente à la nature humaine mais aujourd'hui elle atteint un paroxysme qui s'exprime jusques et y compris dans l'enceinte de la communauté éducative que représente l'école de la République.
Nous savons les efforts qui ont été déployés tant par François Bayrou que par Jean-Claude Gaudin, au titre de la politique de la ville, pour rassembler des moyens humains et matériels.
M. Jean Glavany. Et les idées ?
M. André Rossinot. Je voudrais insister également, monsieur le Premier ministre, sur le rôle de la télévision quant à la transmission d'images de violence en direction de nos enfants. Il y a là un véritable problème de société qui dépasse les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui.
Quels sont les moyens que vous entendez prendre pour protéger la communauté éducative et faire en sorte que les services publics de l'Etat, des collectivités territoriales et des associations travaillent davantage en synergie au-delà du problème de l'école ? N'est-il pas temps de poser sur la place publique le problème de la violence et de la façon dont notre société, dans son ensemble, entend y porter remède ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le député, la violence à l'école est un scandale qu'aucun d'entre nous ne peut accepter. Tout simplement parce qu'il s'agit de nos enfants, de leur sécurité, de leur intégrité physique, que nous ne saurions laisser mettre en cause, mais aussi de l'harmonie et de la sérénité qui doivent régner dans le lieu où ils passent une grande partie de leur temps, voire, pour beaucoup d'entre eux, la plus grande.
Voilà pourquoi il nous faut aujourd'hui réagir et rappeler que l'école de la République est à la fois le creuset de la nation et le fondement du pacte républicain. Pour tous ceux ? c'est mon cas comme pour beaucoup d'entre vous ? qui ont été élevés dans la tradition de l'école de Jules Ferry, il s'agit là d'un lieu sacré...
M. Jean-Claude Lefort. Laïc, pas sacré !
M. le Premier ministre. ... qui doit inspirer le respect de toute notre communauté. Lieu sacré, creuset de la nation, …
Plusieurs députés du groupe communiste et du groupe socialiste. Lieu laïc !
M. le Premier ministre. Certains, c'est vrai, ont perdu depuis longtemps le sens du sacré ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Creuset de la nation, l'école doit donc être ouverte sur le monde, car elle a parfois trop souffert d'être coupée des réalités, mais aussi protégée du monde, car l'apprentissage des savoirs fondamentaux, la formation de la personnalité ne sauraient se développer autrement que dans le calme, la tranquillité et le respect mutuel. C'est animé de ces convictions et avec le souci de faire respecter ces principes que le Gouvernement entend traiter le problème de la violence à l'école.
Je voudrais d'abord, monsieur le député, et sans qu'il s'agisse d'en minimiser la gravité, ramener les événements actuels à leur juste proportion, car, à en lire certains, on pourrait croire que l'ensemble de nos écoles sont aujourd'hui menacées par ce fléau. Ces derniers jours, ce sont vingt-cinq établissements du second degré sur 11 600 au total et deux écoles sur 62 000 qui ont été atteints par des phénomènes de violence grave. Certes, c'est trop, c'est beaucoup trop, c'est inacceptable mais je voulais donner ces chiffres à l'Assemblée nationale.
Au cours des derniers mois, toute une série de mesures ont été prises par le ministre de l'éducation nationale. L'an dernier, 175 établissements ont été classés comme sensibles et bénéficient, de ce fait, d'un encadrement renforcé...
M. Jacques Brunhes. Insuffisant !
M. le Premier ministre. ... mais le moment est venu d'aller plus loin. Merci de dire la même chose que moi, monsieur le député.
C'est la raison pour laquelle nous allons travailler dans quatre directions. D'abord, le renforcement de la présence des adultes dans les établissements scolaires sous diverses formes. Ensuite, la protection des établissements contre les intrusions extérieures. J'ai demandé que soit pris dans les plus brefs délais un texte qui permettra de sanctionner l'entrée dans l'école de ceux qui n'ont pas à s'y trouver. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Troisième direction, la mobilisation de toutes les énergies pour encourager les initiatives qui permettent de responsabiliser les jeunes. Enfin, le développement de la coopération entre l'école, la police et la justice. Ces décisions seront prises en concertation avec tous ceux qui sont directement impliqués dans l'école.
M. Jean-Claude Lefort. Enfin une commission !
M. le Premier ministre. Les chefs d'établissement, tout d'abord, dont je salue le dévouement qui va parfois jusqu'à l'abnégation ? les événements récents l'ont montré ?, les enseignants dont le métier est une vocation, et qui assument l'une des plus belles responsabilités dans notre société, les parents d'élèves qui doivent non pas être simplement des spectateurs inquiets de ce qui se passe à l'école mais aussi des acteurs, et je retiens votre suggestion, monsieur le député, les responsables des chaînes de télévision qui ne peuvent pas non plus éluder la responsabilité qui est la leur. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Dans les prochains jours, je réunirai donc, avec le ministre de l'éducation nationale, les représentants des établissements scolaires, des enseignants, des parents et des responsables des chaînes de télévision pour recueillir leurs analyses et leurs propositions. Le Gouvernement proposera ensuite à la représentation et aux élus les mesures qui s'imposent de façon à rétablir à l'école les principes républicains auxquels nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. François Vannson.
M. François Vannson. Monsieur le Premier ministre, votre rencontre avec le chancelier Kohl, hier à Bonn, a été sans aucun doute l'occasion de faire le point sur la construction européenne. Le moteur de cette démarche est la mise en place de la monnaie unique,...
M. Jean-Claude Lefort. Parlons-en !
M. François Vannson. ... instrument économique essentiel à la poursuite de la construction européenne, et fortement attendue par l'ensemble des acteurs économiques. Monsieur le Premier ministre, vous avez indiqué vouloir tenir les engagements de la France et respecter le calendrier prévu avec l'ensemble de nos partenaires. Vous avez eu aussi l'occasion d'aborder la notion du service public de l'électricité.
Pouvez-vous préciser si, en ce domaine, un terrain d'accord avec nos partenaires vous a semblé possible ?
Pouvez-vous assurer la représentation nationale de votre volonté de respecter la date du 1er janvier 1999...
M. Jean-Claude Lefort. Et le référendum ?
M. François Vannson. ... pour la mise en place effective de la monnaie unique ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le député, les entretiens très chaleureux que j'ai eus hier avec le chancelier Kohl et avec le président Herzog m'ont permis de mesurer, une fois encore, la force du lien franco-allemand.
L'entente entre nos deux pays se manifeste d'abord par une approche commune des grandes échéances européennes qui tomberont d'ici la fin du siècle :
La conférence intergouvernementale, qui va débuter dans quelques semaines. La France et l'Allemagne ont fait à leurs partenaires des propositions communes pour lancer cette conférence.
La réalisation de l'union économique et monétaire. Je le répète, la France et l'Allemagne sont décidées à tenir les engagements que leurs peuples ont souscrit en ratifiant le traité de l'Union européenne, qu'il s'agisse des critères ou qu'il s'agisse du calendrier.
Enfin, l'élargissement. La France comme l'Allemagne considèrent qu'il est à la fois de leur devoir et de leur intérêt d'accueillir dans l'Union européenne, dès que la conférence intergouvernementale sera achevée, tous les membres de la famille européenne, ces nouvelles démocraties qui frappent à notre porte.
Cette entente se manifeste aussi par une approche commune de nos relations avec nos grands partenaires : avec les grands partenaires de l'Union européenne comme les Etats-Unis, nos amis et alliés ; mais aussi avec la Russie, grand peuple, grande nation. J'y serai demain. Le chancelier Kohl s'y rendra quelques jours après. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)
Je ne comprends pas l'indignation du groupe communiste à l'idée d'un voyage à Moscou. C'est assez amusant ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Nous réaffirmerons l'un et l'autre notre soutien au processus de réforme qui est engagé en Russie.
La bonne entente franco-allemande se manifeste encore par notre volonté de concertation sur les grandes réformes que nous conduisons les uns et les autres. Je pense à la redéfinition de la politique de défense en France, dont nous aurons l'occasion de reparler et dont j'ai informé le chancelier Kohl, et aux politiques de l'emploi.
Enfin, elle se manifeste par notre solidarité dans des dossiers où nos intérêts sont pourtant, a priori, contradictoires. C'est le cas du marché intérieur de l'électricité, dont j'ai parlé hier et que vous avez évoqué dans votre question.
Depuis 1992, les Etats européens débattent d'un projet de directive sur la libéralisation du marché de l'électricité. Et depuis le début de ces négociations, la France défend la préservation de son système de production, de transport et de distribution de l'énergie électrique, tout simplement parce qu'il a réussi et qu'il permet aujourd'hui aux usagers ? particuliers ou entreprises ? de bénéficier, partout sur le territoire national, de l'énergie électrique la moins chère d'Europe. Merci donc au général de Gaulle d'avoir engagé le programme nucléaire en France ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. Jean-Claude Lefort. Marcel Paul, vous connaissez ?
M. le président. Monsieur Lefort...
M. le Premier ministre. Cette réussite a été rendue possible par le respect de deux principes : la capacité de programmer nos investissements à long terme et le maintien du service public de la distribution, comprenant notamment une péréquation tarifaire.
Nous avons déjà convaincu nos partenaires que la programmation à long terme des investissements était nécessaire. Cela est acquis.
Nous les avons convaincus aussi qu'un mode de mise en concurrence régulière, par un acheteur unique, était compatible avec le traité et les principes de libre concurrence.
Mais ces acquis ne sont pas suffisants. Et nous ne saurions aujourd'hui laisser remettre en cause l'organisation de la distribution électrique en France.
Nous sommes tombés d'accord, le chancelier Kohl et moi-même, pour considérer qu'il ne fallait pas chercher à encadrer les spécificités nationales, mais que le bon sens voulait que le principe de subsidiarité en la matière soit strictement respecté. A chacun d'organiser son service public comme il l'entend. De même que doit être respecté le principe de réciprocité entre nos Etats.
Un des résultats les plus positifs de ces entretiens a été l'affirmation d'une solidarité franco-allemande, pour reprendre ce problème entre Bonn et Paris avant que nous ne soyons obligés de passer sous les fourches Caudines d'une majorité au conseil de l'énergie.
M. Pierre Mazeaud. Jamais !
M. le Premier ministre. Je le dis ici avec beaucoup de solennité : nous ne cherchons pas à imposer notre conception du service public à la française aux autres, mais nous ne laisserons pas les autres démanteler notre conception du service public à la française. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)source http://www.assemblee-nationale.fr, le 17 juillet 2014