Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à des questions sur la privatisation de Thomson CSF et l'annonce d'un débat à l'Assemblée nationale sur ce dossier, à l'Assemblée nationale les 16 et 29 octobre 1996.

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Circonstance : Décision du gouvernement le 16 octobre 1996 de choisir le groupe Lagardère comme repreneur de Thomson

Texte intégral

* M. le président. La parole est à M. Olivier Darrason.
M. Olivier Darrason. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Ce matin, dans un communiqué, le Gouvernement a annoncé sa préférence pour Lagardère Groupe en ce qui concerne la reprise du groupe électronique Thomson SA. Ce choix, qui sera soumis à la commission de privatisation, va dans le sens d'une réelle prise en compte de la spécificité des industries de défense et de la nécessité d'en regrouper les différents métiers, au moment même où nos concurrents les plus agressifs adoptent la même stratégie.
Matra-Défense deviendrait ainsi le premier groupe européen et le deuxième groupe mondial d'électronique civile et militaire, avec la moitié de son chiffre d'affaires réalisé à l'étranger.
Estimez-vous, monsieur le Premier ministre, que la stratégie française de regroupement franco-français dans un premier temps, d'alliances européennes, dans un second temps, ait des chances d'être comprise par nos partenaires politiques et industriels européens, ce qui permettra de sauvegarder la prééminence de la base industrielle et technologique de la France en Europe, seule garante de l'avenir et donc de l'emploi dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le député, avant de vous répondre sur le fond, je rappellerai la procédure qui a été suivie et qui a garanti la stricte égalité de traitement entre les différents candidats qui se sont manifestés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Bataille. Aucune transparence !
M. le Premier ministre. Il a été décidé de procéder à une privatisation de gré à gré, sans cahier des charges, placée sous le contrôle d'une personnalité tout à fait indépendante, M. Ducamin président honoraire de section au Conseil d'Etat. M. Ducamin, a déposé la semaine dernière son rapport auprès de la commission de privatisation, qui y constate que l'égalité de traitement a bien été respectée et que la transparence a été assurée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. Christian Bataille. Le Parlement n'a pas été consulté !
M. le Premier ministre. Sur ces bases, et à partir de la préférence que le Gouvernement a exprimée ce matin, les deux offres seront transmises à la commission de privatisation, sans l'avis conforme de laquelle aucune décision ne pourra être prise ; la commission appréciera en particulier la façon dont sont garantis les intérêts de l'Etat.
M. Christian Bataille. A quoi servent les élus de la nation ? Les avez-vous consultés ?
M. le Premier ministre. Cette décision interviendra après que la Commission de Bruxelles se sera prononcée sur la conformité de l'opération aux règles de concentration en vigueur dans le cadre de l'Union européenne et sur les règles concernant les aides publiques accordées à ces entreprises.
M. Christian Bataille. Aucune transparence !
M. le Premier ministre. Enfin, l'information de l'ensemble des collaborateurs de Thomson sera assurée dès aujourd'hui puisque M. Roulet, qui assure la présidence du groupe, a convoqué les conseils d'administration et recevra les syndicats pour les informer.
Voilà pour la procédure.
M. Christian Bataille. Et nous, à quoi servons-nous ?
M. le président. Monsieur Bataille !
M. le Premier ministre. En ce qui concerne le fond, le choix que j'ai été amené à faire hier,...
M. Henri Emmanuelli. Pas vous, Chirac !
M. le Premier ministre. ... et qui a été exprimé ce matin, repose tout entier sur une logique industrielle de défense. Nous nous sommes demandé quelle solution permettrait le mieux d'affirmer nos intérêts dans ce domaine et de constituer un groupe industriel de taille mondiale à forte capacité exportatrice.
M. Christian Bataille. A quoi sert l'Assemblée ? (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. Monsieur Bataille, je vous en prie ! Un peu de calme !
Poursuivez, monsieur le Premier ministre.
M. le Premier ministre. Le groupe industriel Thomson-Matra, qui sera constitué si la commission de privatisation donne un avis conforme, se situera au deuxième rang mondial de l'électronique professionnelle. Il constituera un ensemble intégré capable de fournir des systèmes d'armes clés en main, avec une force de frappe commerciale à l'exportation sans équivalent sur le marché européen.
Le groupe Lagardère a pris quatre engagements. Premièrement, celui de conserver un contrôle d'au moins 50 % ? sous la forme de joint venture, comme on dit ? dans chacune des filiales qui seront constituées avec différents partenaires européens et donneront à ce groupe toute sa dimension européenne. Deuxièmement, celui de faire nommer les dirigeants par Thomson-Matra. Troisièmement, celui de conserver la maîtrise commerciale. Quatrièmement, celui de conserver la maîtrise technologique.
J'ajoute qu'il n'y aura pas de modification de la situation des filiales actuelles du groupe Thomson SA, en particulier de Sextant Avionique ? cette question m'ayant été posée par certains d'entre vous.
En ce qui concerne la société SGS, spécialisée dans les composants électroniques, les pouvoirs publics veilleront à ce que l'évolution de l'actionnariat français de cette entreprise, très performante permette la poursuite de son développement.
Pour Thomson Multimédia, la proposition que nous avons retenue prévoit la reprise de ses activités par un groupe sud-coréen, Daewoo Electronics (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) bien connu de nombreux élus français, notamment en Lorraine, où il a des implantations industrielles fort importantes.
Cela nous permettra d'ouvrir sur l'ensemble du marché mondial et sur tous les types de produits l'activité correspondante. Daewoo a pris l'engagement de maintenir l'emploi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) de créer des emplois, de conserver son siège social et de maintenir ses sites de recherche en France. Nous aurons donc sur notre territoire le leader mondial de l'électronique grand public. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Malgré les vociférations que nous entendons ici ou là ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ?, je voudrais essayer de continuer à informer l'Assemblée nationale.
Je ne doute d'ailleurs pas que nous assisterons à la résurgence desdites vociférations lorsque je vous dirai que le groupe Thomson SA, nationalisé en 1982, n'a pas bénéficié, depuis cette époque, des recapitalisations qui auraient été nécessaires, si bien qu'aujourd'hui son endettement s'élève à 25 milliards de francs. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. ? Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Christian Bataille. Ce que vous dites est scandaleux !
M. le Premier ministre. Une fois de plus, il faut payer la facture, ce qui entraînera une recapitalisation à hauteur de 11 milliards.
Le nouveau groupe représentera 17 milliards de fonds propres et ne sera pas endetté.
M. Christian Bataille. Vous vendez l'argenterie à la Corée !
M. le Premier ministre. Monsieur le président, je suis conscient que je dépasse un peu mon temps de parole, mais la question le mérite et j'insisterai sur les aspects sociaux du dossier.
La complémentarité qui existe entre les activités de Thomson-CSF et de Matra fait qu'il n'y aura pas de restructurations industrielles, et cette précision figure clairement dans l'offre du repreneur. J'ai déjà indiqué les engagements de Daewoo concernant l'emploi.
M. Laurent Cathala. Jusqu'aux élections !
M. le Premier ministre. Enfin, une information exhaustive des personnels sera assurée avant que la décision définitive soit prise, d'ici à la fin de l'année.
M. Christian Bataille. Est-ce que vous informerez l'Assemblée ?
M. le Premier ministre. La France prend ainsi le pari de l'excellence et de l'avenir pour nos industries de défense, dont la vocation mondiale est clairement réaffirmée. Je fais confiance à l'encadrement, aux chercheurs et à tous les personnels de ces groupes pour relever ce défi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
* M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu.
Mme Janine Jambu. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'industrie.
De plus en plus nombreuses, révoltées, hostiles sont, parmi les salariés, les populations, les élus de notre pays, les réactions à la privatisation de Thomson.
Chacun sent bien que c'est l'avenir industriel de la France qui est en jeu. 72 % des Français interrogés condamnent le bradage d'un des fleurons de notre pays contre un franc symbolique.
Ils n'acceptent pas le mépris affiché par M. le Premier ministre dans ses dernières déclarations à l'égard des salariés, de leur savoir-faire, des technologies de pointe dont ils sont les créateurs.
Ils n'acceptent pas non plus les réponses apportées par le Gouvernement à cette opération de dépeçage, qui rétrécit Thomson-CSF aux seuls militaires et offre Thomson Multimédia à l'entreprise sud-coréenne Daewoo, dont l'ancien PDG et directeur d'une filiale du groupe vient d'être arrêté pour corruption.
Au moment où les besoins en électronique civile sont immenses, offrant des possibilités d'emplois stables en France, au moment où le PDG de Thomson Multimédia affirme que l'entreprise renouera avec les profits une fois sa dette réduite, vous faites le choix à la fois le plus rétrograde et le plus contraire à l'intérêt national en recapitalisant l'entreprise à hauteur de 11 milliards aux frais des contribuables, et, surtout, au seul profit des Sud-Coréens.
Les députés communistes ont demandé une commission d'enquête et un débat à l'Assemblée nationale sur ce sujet majeur. Le Gouvernement ne peut pas se dérober devant ses responsabilités politiques.
Monsieur le ministre, je vous demande de geler immédiatement le processus engagé et d'ouvrir avec tous les intéressés un grand débat public sur le développement de la filière électronique française. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Madame le député, je souhaiterais que nous puissions également aborder ce sujet avec sérieux et réflexion, comme vous l'avez d'ailleurs fait.
M. le ministre de l'économie et des finances a, la semaine dernière, en réponse à plusieurs de vos questions, expliqué quelle procédure avait été suivie et quelles précautions avaient été prises sous le contrôle d'une personnalité indépendante pour que chacun des candidats à la reprise de Thomson-CSF soit traité de manière égale.
Au terme de cette procédure, j'ai moi-même examiné le dossier.
Je l'ai fait en conscience, en en discutant avec les membres du Gouvernement concernés et je suis arrivé à la conviction personnelle que la meilleure offre du point de vue des intérêts de la France, de notre défense nationale, de notre industrie et du maintien de l'emploi pour les personnels du groupe Thomson, c'était la proposition Lagardère. J'ai donc fait part, comme la procédure le prévoyait, d'une préférence.
Ce dossier est maintenant transmis à la commission de privatisation qui est composée de personnalités tout à fait indépendantes, dont personne n'a jamais mis en doute la hauteur morale.
La commission de privatisation est saisie des deux offres et de tous les éléments de ces deux offres. Elle doit émettre un avis ? un avis conforme ?, qui sera publié.
Mesdames, messieurs les députés, une fois cet avis connu, et quel que soit son contenu, je demanderai que soit organisé à l'Assemblée nationale un grand débat public sur tous les aspects de ce dossier ? financiers, industriels et sociaux ? de façon que l'on joue cartes sur table, avant que la décision du Gouvernement ne soit prise. Et chacun prendra alors ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Jean-Claude Lefort. Très bien !source http://www.assemblee-nationale.fr, le 10 juillet 2014