Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à RTL le 24 juin 1999 sur la loi sur les 35 heures.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Ernest-Antoine Seillière, invité d'Olivier Mazerolle
Olivier Mazerolle : Bonjour Ernest-Antoine Seillière.
Ernest-Antoine Seillière : Bonjour.
Olivier Mazerolle : Hier matin, dans Les Echos, vous accusiez le gouvernement d'astuce politique médiocre et de se livrer, vous lui reprochez de se livrer à des manuvres. Il est duplice ce gouvernement ?
Ernest-Antoine Seillière : Oh, vous savez, chacun a son style. Moi, je suis un entrepreneur, je les représente, je vais au contact du terrain, cet après-midi, je vais à Niort, j'aurai 500 entrepreneurs de terrain devant moi, j'étais à Annecy, j'étais au Mans, j'en rencontre des milliers, bon, je m'exprime comme je m'exprime pour dire ce qu'ils pensent. C'est mon boulot.
Olivier Mazerolle : Oui, mais enfin, elle n'aime pas Martine Aubry. Elle vous reproche des attaques personnelles
Ernest-Antoine Seillière : Oui, non mais ça
Olivier Mazerolle : La duplicité, ce n'est pas gentil quand même
Ernest-Antoine Seillière : Ecoutez, ne pas être d'accord avec un ministre, ce n'est pas une attaque personnelle
Olivier Mazerolle : C'est plus que pas d'accord, vous lui reprochez de ne pas être franc du collier quand même
Ernest-Antoine Seillière : Oh, je ne reproche absolument rien à personne, sauf que quand je dis " cadeau au patronat ", dit-on, alors qu'on nous donne un an pour appliquer une loi qui n'est pas applicable, je dis ce n "est pas un cadeau, c'est simplement le bon sens. Et je connais le truc depuis 10 ans : chaque fois qu'on veut passer quelque chose, ont dit, cadeau au patronat. C'est assez médiocre. Parce qu'à force d'être répété, ça ne convainc plus personne.
Olivier Mazerolle : Alors, beaucoup pensent que vous protestez tout simplement parce que vous ne voulez pas laisser Martine Aubry seule face à la CGT ou face à sa gauche.
Ernest-Antoine Seillière : Non. Je proteste parce que nous voyons dans cette loi des 35 heures, dont nous avons dit au départ combien nous trouvions qu'on faisait fausse route en confiant à la loi le soin d'organiser dans le détail 1,2 million d'entreprises. Nous voyons dans cette loi quelque chose qui nous isole en Europe, qui est unique, qui est pratiquement unique au monde. Et donc, nous le disons : ne le faites pas ! Alors, on a voté la loi des 35 heures, nous sommes démocrates et républicains, OK, on va les appliquer vos 35 heures. Et on s'est mis à négocier. Alors, on a négocié et on a mis 70 métiers en réalité en condition de mettre en place les 35 heures par des accords entre les syndicats et les entrepreneurs. Ca, ca existe. Alors, ce que nous lisons, dans la presse d'ailleurs parce que nous n'avons pas eu un papier, nous, depuis 18 mois sur tout ça, c'est quand même formidable !
Olivier Mazerolle : Pas de communication du gouvernement ?
Ernest-Antoine Seillière : Aucun papier ! En 18 mois, ma seule information sur les 35 heures, c'est la lecture de mon quotidien habituel. Alors, j'avais presque envie de répondre par le courrier des lecteurs ! Mais ce n'est pas des méthodes, vous comprenez ! On ne peut pas accepter ça !
Olivier Mazerolle : Mais vous avez vu Martine Aubry récemment ?
Ernest-Antoine Seillière : Je l'ai vue une fois ! Une fois en 6 mois ! No mais vous trouvez que c'est normal ça aussi ? J'ai été décommandé, éternellement, enfin on ne voulait pas me voir, on trouvait ça compromettant. Ce ne sont pas des relations normales. Ce que nous aimerions, nous les entrepreneurs, c'est d'être traités normalement, comme on l'est dans tous les pays d'Europe, c'est-à-dire comme des gens qui font la richesse nationale, qui font les biens et les services, qui tous les matins se mettent à risques pour faire tourner notre pays. Ca se respecte, ça ! Alors, écoutez-nous !
Olivier Mazerolle : Vous êtes vexé, c'est ça le fond de votre problème
Ernest-Antoine Seillière : Mais pas du tout. Nous ne sommes pas du tout vexés, qu'est-ce que vous dites là ! Nous demandons simplement en effet à être pris au sérieux dans un pays qui sans nous n'existe pas. Je vous rappelle, c'est tout de même très important, les entrepreneurs dans un pays. Encore une fois, ils sont 1,2 million et tous les matins, ils se mettent à risques pour faire l'emploi, pour faire l'expansion. C'est beaucoup plus important que beaucoup d'autres choses !
Olivier Mazerolle : Alors, tout de même, une période de transition d'un an, la flexibilité, l'annualisation, la progression modérée du Smic on vous a entendu quand même. Le gouvernement n'est pas indifférent.
Ernest-Antoine Seillière : Pas du tout ! On a mis en place une usine à gaz dont les contradictions sont telles que personne n'y comprend plus rien. Nous l'avons dit d'ailleurs, vous savez, un candidat au bac n'aurait pas la moyenne sur ce dossier ! Et tout le monde s'y prend les pieds ! Les experts eux-mêmes ! Nous n'y comprenons plus rien ! Appliquer dans une entreprise de terrain, de moyenne taille, tout ce bazar est un rêve ! Donc, nous disons : laissez les partenaires sociaux appliquer et déterminer entre eux les 35 heures dans leurs métiers et dans leurs entreprises, respectez ce qui a été conclu, permettez aux conversations de se poursuivre et que la loi ne s'en mêle pas !
Olivier Mazerolle : Parfois, certains accords ont été conclu avec la signature d'un seul syndicat et Martine Aubry souhaite que, désormais, les accords soient conclus avec des syndicats qui représentent au moins la moitié des salariés. Ce n'est pas démocratique ?
Ernest-Antoine Seillière : Alors, écoutez, là, bon vent pour ces initiatives, encore une fois, lues dans mon quotidien habituel
Olivier Mazerolle : Le Monde
Ernest-Antoine Seillière : sur lequel il n'y a jamais eu Je ne fais pas de publicité, ça aurait pu être dans Tricotons d'ailleurs, pourquoi pas. Ce que je veux dire simplement, c'est que nous n'avons pas, nous, à nous mêler de cette affaire. Si madame Aubry veut remettre en cause la représentativité des syndicats, bon vent ! Nous, MEDEF, nous nous sommes modernisés, nous sommes revenus sur le terrain, nous faisons des propositions, nous sommes non partisans, nous savons ce que nous faisons, nous sommes au contact des entrepreneurs. Que les autres s'occupent de leurs problèmes.
Olivier Mazerolle : Alors, tout de même, certains ont envie de vous dire : mais, est-ce que dans un pays démocratique, ce n'est quand même pas la majorité politique à l'Assemblée Nationale qui décide, plutôt que les entreprises ?
Ernest-Antoine Seillière : Ah, écoutez, il y a deux démocraties. Il y a la démocratie politique et puis il y a la démocratie économique et sociale, c'est-à-dire en fait les accords entre partenaires sociaux. Si la démocratie politique, c'est-à-dire la loi, veut casser les accords entre partenaires sociaux, je ne vous cache pas que l'on va au conflit. C'est quelque chose qui n'est pas concevable. Le législateur, qui nous a invités, après avoir voté la première loi, à négocier - et nous le faisons donc très activement depuis pratiquement 8 à 9 mois, avec, encore une fois, des accords qui couvrent actuellement 10 millions de salariés - si le législateur arrive en disant : écoutez, tout cela, ça ne nous plaît pas, ce n'est pas dans l'esprit de la loi ou je ne sais pas quoi, donc, ça n'existe pas. Alors, on casse et vous renégociez. Eh bien aussi bon vent pour nous faire renégocier dans ces conditions !
Olivier Mazerolle : Mais, attendez, conflit, vous avez un sabre de bois tout de même. Il faudra bien appliquer la loi.
Ernest-Antoine Seillière : On appliquera la loi. Mais, si vous voulez, la première loi, on l'applique déjà puisqu'on négocie pour mettre en place les 35 heures
Olivier Mazerolle : Oui, mais la seconde loi, si elle ne vous plaît pas, qu'est-ce que faites
Ernest-Antoine Seillière : Ah, écoutez, on verra bien. On verra bien ce que les entreprises de terrain nous dirons de faire. Moi, je les représente. Si c'est inapplicable, une loi inapplicable, je ne sais pas si ça peut s'appliquer.
Olivier Mazerolle : Mais conflit, est-ce que Enfin, c'est des paroles en l'air ou c'est du concret ?
Ernest-Antoine Seillière : Pour l'instant, ce sont certainement des paroles en l'air, mais vous savez, notre conflit, nous avons lancé une lettre ouverte des entrepreneurs disant à madame Aubry : respectez-nous, entendez-nous, respectez la négociation sociale, ne confiez pas à la loi et à l'imagination créatrice de vos bureaucrates n'importe quoi. Eh bien, j'ai déjà 50 000 retours, on en attend 100 000. Ca compte dans un pays 100 000 entrepreneurs qui disent quelque chose !
Olivier Mazerolle : Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent : il nous faut bien une protection politique, parce que sinon les patrons, quand ils sont livrés à eux-mêmes Regardez ce qui se passe avec Daewoo en Lorraine, les employés font grève, l'entrepreneur dit : on va fermer.
Ernest-Antoine Seillière : Je dis à ceux-là qu'ils arrêtent de lire Zola et de croire qu'on est au XIXème siècle, ça ne trompe plus personne. Les entrepreneurs sont en train de faire des projets dans l'entreprise, l'entreprise n'est pas le lieu des conflits sociaux et des prélèvements comme le gouvernement veut nous le faire croire. Il y a 1,2 million d'entreprises dans lesquelles on fait ensemble, avec ses salariés et ses cadres, des projets pour faire tourner le pays. Qu'on arrête de nous donner, en effet, un exemple. Ca peut arriver qu'il y ait un conflit mais ce n'est pas comme ça que l'entreprise française fonctionne.
Olivier Mazerolle : Hier, tout de même, dans LE FIGARO, Jean-François Revel relevait que la France est un pays où 54 % du produit national brut est contrôlé par l'Etat. Est-ce que vous n'êtes pas en porte-à-faux par rapport à l'état d'esprit du pays ?
Ernest-Antoine Seillière : Oh, mais être en porte-à-faux par rapport à l'état d'esprit, ça, c'est bien possible ! Mais quand on aura décliné en PIB Je vous rappelle que la croissance française est de 30 % inférieure depuis 8 ans à ce qu'elle est dans la moyenne européenne. Je vous rappelle que les investissements français ne se sont pas renouvelés en 8 ans ; Alors, si c'est ça que le pays veut avec ses 54 % d'économie d'Etat et sa majorité, il l'aura ! Mais je veux dire que les entrepreneurs, qui sont libres depuis que l'euro est en place et qu'on a mis en place le grand espace européen, ils iront créer leur entreprise ailleurs ! Et c'est déjà ce qui ce produit ! Et c'est bien ce qui m'inquiète ! Que les jeunes veulent créer leurs entreprises ailleurs que dans notre pays et que l'esprit d'entreprise faiblit ! Alors, on verra ce que c'est qu'un pays dans lequel il n'y aura plus que l'Etat, ses réglementations, et les entrepreneurs qui commencent à aller ailleurs. C'est ça que nous voulons éviter. C'est notre rôle, à nous, les entrepreneurs, de faire dans l'économie française, de la richesse et de l'emploi pour notre pays. Et nous sommes décidés à nous faire entendre pour qu'on prenne cette voie-là, et non pas les voies un peu absurdes, très technocratiques qui mènent au déclin de notre pays si on va, en effet, trop loin.
Olivier Mazerolle : Merci Ernest-Antoine Seillière.
(source http://www.medef.fr, le 13 février 2001)