Déclaration de M. Kader Arif, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, sur le massacre d'habitants du village de Marsoulas en Haute-Garonne par des soldats nazis en juin 1944, à Marsoulas le 14 juin 2014.

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Circonstance : Commémoration du massacre de Marsoulas (10-06-1944), à Marsoulas (Haute-Garonne) le 14 juin 2014

Texte intégral


Madame la Ministre, chère Carole,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Conseiller général,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Madame la Secrétaire générale de l'Association des médaillés de la Résistance,
Monsieur le président départemental de l'Association nationale des Anciens combattants de la Résistance,
Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous dire l'émotion profonde qui est la mienne d'être aujourd'hui à vos côtés pour commémorer un des épisodes les plus tragiques de votre histoire : le massacre de 27 hommes, femmes et enfants de Marsoulas par les soldats nazis le 10 juin 1944.
C'est une émotion bien sûr pour le ministre que je suis, chargé de faire vivre notre mémoire nationale. C'est une émotion sans doute plus forte pour le Haut-Garonnais qui vient aujourd'hui commémorer l'histoire de sa région, de notre région, sur ces terres qui nous sont chères, madame la ministre, chère Carole.
Il faut savoir parfois arrêter le temps pour mesurer ce que peut engendrer la haine. Je le fais chaque 21 juillet en mémoire de ceux que la rafle du Vel d'Hiv a emportés. Je l'ai fait le 27 janvier à Toulouse pour saluer la mémoire de toutes les victimes des génocides. Je l'ai fait à Figeac il y a quelques semaines pour commémorer la rafle qui a coûté la vie à tant de femmes, d'hommes et d'enfants du Lot.
Je l'ai fait mardi dernier à Oradour-sur-Glane aux côtés du Premier ministre. Je l'ai fait, pendant deux ans, à travers tout le territoire national car la France, partout, est marquée de l'empreinte de cette barbarie. Et Marsoulas n'y a pas échappé.
Au milieu du paysage de la Résistance, au milieu des lieux de France touchés par la barbarie nazie, votre village occupe une place à part. Il y a la prison de Saint-Michel à Toulouse, il y a la forêt de Bouconne. Il y a Marsoulas.
Marsoulas, c'est d'abord la solidarité de femmes et d'hommes qui, au péril de leur vie, apportent toute leur aide aux maquisards des Pyrénées, ceux de Betchat, ceux de Bélesta.
Marsoulas, c'est ensuite un destin singulier, intimement lié à celui d'Oradour. Un destin qui a basculé le 10 juin 1944, il y a 70 ans. 4 jours auparavant, le débarquement de 155 000 hommes sur les plages normandes faisait naître un souffle de liberté dans toute la France. Un souffle qui redonnait vie aux femmes et aux hommes qui subissaient l'Occupation. Un souffle qui traversait les régions, les territoires, les villes, pour faire espérer le temps de la Libération. Mais un souffle qui s'arrêta là, le 10 juin 1944 à 7h, aux portes de Marsoulas.
Ce jour-là, les soldats de la division Das Reich pénètrent dans la ville. Pourquoi Marsoulas ? La ville se trouve alors sur ce chemin macabre tracé par des soldats nazis animés d'une volonté destructrice. Marsoulas est, comme Tulle et Oradour-sur-Glane, la cible des colonnes SS qui ont ordre de rejoindre le front de Normandie via Cahors, Brive et Limoges. Ordre aussi de semer la terreur sur leur passage.
A Marsoulas, les habitants sont conduits de force à l'extérieur de leur maison. Familles déchirées, familles dévastées, familles décimées. Les derniers regards s'échangent en signe de derniers adieux.
Chemin de la Fontaine, les deux premières maisons se font face. A droite, celle de Joséphine Blanc qui vit auprès de sa fille et de son gendre, Jean-Baptiste Cazenave, et de leurs trois enfants. Le jeune Paul, alors âgé de 9 ans, assiste à la mort de ses parents et de sa sœur. Il est le seul rescapé : « Nous étions, pour la dernière fois, serrés les uns contre les autres, sentant notre fin bien proche », raconte-t-il 44 ans après.
9 hommes, 6 femmes et 12 enfants meurent dans le massacre sur les quelques 125 habitants que compte alors le village. Marsoulas, c'est plus qu'un massacre, plus qu'une tragédie. C'est un crime contre l'humanité reconnu au moment du procès de Nuremberg sur la base du rapport détaillé et des photos des victimes fournis par M. David Dautresme, alors sous-préfet de Saint-Gaudens qui se rend sur les lieux du drame au soir du 10 juin 1944.
Derrière les cris des 27 victimes de Marsoulas retentissent ceux des 642 victimes d'Oradour et ceux des millions de morts que la déportation, les camps de concentration et d'extermination ont emportés. Ce crime ne fut pas isolé dans la région. Il y eut celui de Betchat, de Mazères, de Saint-Martory, de Bagnères-de-Bigorre.
Marsoulas et le territoire des Comminges et de Cassagne, c'est aussi la force, la détermination et le courage de celles et ceux qui ont, malgré les massacres, poursuivi la lutte et le combat. C'est ce qu'a raconté l'écrivain Roland Dorgelès, réfugié pendant la guerre dans les maquis pyrénéens dans son ouvrage Carte d'identité en janvier 1945 : « Ils pouvaient arrêter, déporter, torturer, pendre : ils ne pouvaient pas soumettre, ils ne pouvaient pas vaincre ».
C'est pourquoi Marsoulas n'est pas dans la mémoire collective qu'un symbole des malheurs de la région et de la barbarie orchestrée par les soldats SS. Médaillée de la Résistance, votre ville est aussi un symbole fort de courage, d'esprit de sacrifice, d'amour de la liberté, de respect de la dignité humaine.
S'il a eu ses martyrs, votre territoire a aussi eu ses héros. Je pense à Jean Albert, originaire de Salies-du-Salat, qui traverse les Pyrénées au péril de sa vie et atteint l'Espagne en 1942 pour rejoindre les forces de la France Libre. Emprisonné pendant plusieurs mois, il s'évade à l'été 1943, débarque en Afrique du Nord, participe à la campagne d'Italie et au débarquement de Provence.
Je pense à Jean Blasco, dit « capitaine Max », commandant le maquis de Betchat, dépendant de la Haute-Garonne et de l'Etat-major FTP de Toulouse. Je pense bien sûr à ce jeune maquisard de 16 ans qui, au matin du 10 juin, surveillait les alentours depuis le clocher de l'église de Marsoulas. Ce jeune maquisard qui survit au massacre. Beaucoup de résistants de la région ont payé de leur vie le combat pour la liberté. Leur sacrifice est le terreau sur lequel refleurirent, ici en Haute-Garonne il y a 70 ans, la Liberté, la Solidarité et les valeurs de la République.
Cette Résistance de Haute-Garonne, j'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer. J'ai salué la mémoire de François Verdier dans la forêt de Bouconne le 2 février dernier. J'ai rendu hommage à cette terre d'exil et de refuge pour des Polonais, des Italiens, des Espagnols, des Allemands et bien d'autres. Aujourd'hui à travers le souvenir du sacrifice des habitants de Marsoulas, c'est à nouveau à toute la Résistance de Haute-Garonne que je rends hommage. Au moment où votre ville s'apprête à recevoir le drapeau national des médaillés de la Résistance, je veux dire que Marsoulas est l'un des plus beaux endroits pour célébrer les valeurs, universelles et intemporelles, de la Résistance.
Ce drapeau, monsieur le maire, votre ville le reçoit d'une autre grande ville résistante, Lyon. Une ville que le général De Gaulle a proclamée « capitale de la Résistance » depuis le balcon de la mairie le 14 septembre 1944. Ce drapeau, votre ville le reçoit aussi devant les représentants de 11 des 17 villes médaillées de la Résistance venus saluer l'engagement et le sacrifice des Marsoulasiens et des Marsoulasiennes.
Mesdames et messieurs, nous avons aujourd'hui un devoir à l'égard des victimes ; c'est d'élever nos consciences à la compréhension des tragédies que la haine et le racisme engendrent. Nous avons un devoir de transmettre cette histoire aux plus jeunes pour qu'ils soient préservés d'un tel drame, pour qu'ils vivent dans le respect de la dignité humaine.
Nous avons un devoir à l'égard des survivants et rescapés ; c'est de leur donner la parole chaque fois que possible pour qu'ils nous livrent ce moment d'histoire. Pour que jamais ne s'efface ni ne s'éteigne leur mémoire. « Si l'écho de leurs voix faiblit, nous périrons » a écrit le poète Paul Eluard.
Aujourd'hui, nous faisons de ce moment d'histoire un temps de mémoire mais plus encore, nous en faisons un cri d'espérance. Espérance pour la France qui a su se rassembler pour vaincre. Espérance pour l'avenir qui se construit à la lumière du passé. Espérance pour la jeunesse qui hérite aujourd'hui de la flamme de la Résistance et des valeurs qu'elle insuffle. Espérance pour le monde car le combat pour l'humanité continue. C'est là le plus beau message de Marsoulas.
Je vous remercie.Source http://section31.anmonm.com, le 16 juillet 2014