Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, dans "Le Monde" du 13 juillet 2014, sur les djihadistes en Irak et sur les interventions militaires françaises au Mali et en Centrafrique.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Un «djihadistan» a vu le jour ces dernières semaines en Irak. Quelles en sont les implications ?
R - Le fait de voir se constituer un «État» terroriste avec des ressources potentielles importantes est un risque majeur pour la sécurité de tous. C'est une conséquence directe de la situation syrienne. La position de la France est de tout faire pour que se mette en place un gouvernement d'union nationale afin de préserver l'identité de l'Irak dans ses frontières. Tous les moyens diplomatiques doivent être mis en oeuvre pour aboutir à cette solution. Laurent Fabius joue pour la France un rôle d'intermédiation très actif.
Q - Avez-vous des regrets de ne pas avoir été suivi par les Américains sur la Syrie en août 2013 ?
R - La question de l'intervention s'est posée. Le président de la République avait pris toutes ses responsabilités, mais il n'était pas envisageable d'y aller seuls. Pas pour des raisons techniques, mais parce que, politiquement, il aurait été insensé pour la France d'être seule.
Q - Au Mali, la France est engagée dans une intervention qui se prolonge. Quel en est le terme ?
R - Le Mali a retrouvé l'intégrité de son territoire, des élections ont eu lieu, la vie économique et sociale a repris. L'objectif principal de notre intervention a donc été rempli : les groupes terroristes n'ont pas pris cet État. Ils ont été sérieusement affaiblis. Plus de 200 tonnes d'armements et de munitions ont été saisies, dont 20 tonnes de nitrate d'ammonium permettant de fabriquer des engins explosifs.
Aujourd'hui, il y a 1.700 militaires français au Mali. La Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali - Minusma - s'est déployée : elle est renforcée par des unités européennes et, parallèlement, les Européens forment l'armée malienne de demain. Il reste à mener à bien la réconciliation nationale avec les populations du Nord. L'Algérie joue un rôle de catalyseur qui est bienvenu. Je suis confiant et optimiste.
Q - Pourquoi rester alors ?
R - L'opération «Serval» au Mali se termine. Le relais sera pris par la Minusma et, à terme, par l'armée malienne. Mais nous devons empêcher que des groupes djihadistes installent, dans le nord du Mali et dans les pays voisins, leur sanctuaire terroriste. Nous allons aboutir très prochainement à une opération militaire régionale qui comptera environ 3.000 hommes. L'objectif unique, désormais, c'est le contre-terrorisme. Cela se mettra en place cet été, en bonne intelligence avec les cinq pays de la zone. Il restera un millier d'hommes au Mali pour lutter contre les groupes terroristes combattants.
Q - La France a-t-elle vocation à devenir le gendarme du Sahel ?
R - Cette zone est l'autoroute des trafics : armes, drogues, humains. Elle va jusqu'en Libye. En y assurant une présence, nous assurons notre propre sécurité.
Q - En Libye, l'ancien chef d'état-major des armées françaises a évoqué la nécessité d'une intervention dans le Sud pour éradiquer la menace djihadiste...
R - On n'a pas à se substituer aux autorités libyennes. Elles doivent prendre les initiatives qu'il faut, avec le soutien de la communauté internationale si elles le demandent.
Q - En République centrafricaine, l'opération s'éternise. Pour quelles raisons ?
R - Je suis allé six fois en RCA depuis décembre 2013. Je constate qu'à chacun de mes déplacements, il y a des progrès. Lors de ma première visite, je n'avais pas pu dormir à Bangui. Lorsque j'y suis retourné, le 8 juillet, j'ai fait des patrouilles dans quasiment toute la ville, y compris dans les quartiers réputés «chauds». La première mission qu'avait notre force était d'éviter le massacre de masse et de sécuriser la capitale. La situation est globalement stabilisée à Bangui. Certes, le départ de nombreux musulmans a réduit les tensions, mais je pense et j'espère qu'ils reviendront chez eux.
Q - Cela n'a-t-il pas été au prix d'un nettoyage ethnique et confessionnel qui a encouragé une partition du pays ?
R - Il y a des volontés de partition de la part de certains anciens Séléka - les ex-rebelles à majorité musulmane. Mais personne dans la région ne veut la partition.
Nous avons 2000 soldats en RCA dont la mission est d'assurer la meilleure sécurité possible et de permettre la transition avec la force des Nations unies qui doit se déployer à partir du 15 septembre.
Nous avons ensuite vocation à nous retirer progressivement et à garder le noyau que nous avions auparavant, c'est-à-dire 400 militaires. Nous devons également réfléchir à la formation des forces de sécurité centrafricaines.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2014