Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France Culture le 16 juillet 2014, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France.

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Média : France Culture

Texte intégral


NICOLAS MARTIN
Le ministre des Affaires étrangères, Laurent FABIUS, est l'invité des « Matins d'été », bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Rebonjour.
NICOLAS MARTIN
Rebonjour. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
LAURENT FABIUS
Avec plaisir.
NICOLAS MARTIN
Et pour commencer, justement, Olivier DANREY en parlait, une réaction à ce report de l'augmentation de la taxe de séjour par les députés cette nuit. Vous vous étiez exprimé contre, c'est donc une victoire pour vous ?
LAURENT FABIUS
C'est surtout une bonne décision pour le tourisme. Je rappelle que le tourisme c'est une industrie absolument majeure en France, ça représente plus de 2 millions d'emplois, et plus de 7 % de notre production nationale, il y a beaucoup de touristes français, et beaucoup de touristes étrangers. Et là ce qui était proposé par certains c'était d'augmenter les taxes sur le tourisme. Alors, le gouvernement s'y est opposé, et moi-même, qui suis chargé désormais aussi de la promotion du tourisme, je m'y suis opposé. Pourquoi ? D'abord parce qu'une mesure concernant la taxe de séjour ne peut être décidée qu'après concertation avec les professionnels, deuxièmement, parce que nous voulons éviter, c'est la décision du président de la République et du Premier ministre, d'augmenter les taxes, d'une façon générale, et on ne peut pas dire d'un côté, on n'augmente pas les taxes, et de l'autre on augmente celle-là. Et puis, troisièmement, évidemment, si on avait augmenté dans les proportions qui avaient été proposées, c'est une pénalisation sur les touristes. Alors, on a toujours à l'esprit…
NICOLAS MARTIN
Passer de 1,5 euro à 8 euros…
LAURENT FABIUS
Pardon ?
NICOLAS MARTIN
De passer de 1,50 euros à…
LAURENT FABIUS
Oui, plus 2 euros qui étaient prévus pour la région parisienne, ça fait une multiplication par 6. Alors, on a toujours à l'idée, mais c'est pour le prince étranger qui va arriver dans un 8 étoiles. Non, ce n'est pas le sujet, ça concerne l'ensemble des touristes, y compris les touristes français. Donc, je pense que la décision qui a été prise est une décision raisonnable, ça veut dire qu'on va avoir du temps pour se concerter avec les professionnels et regarder tout ça à la rentrée, et je pense que c'est sage.
NICOLAS MARTIN
Laurent FABIUS, c'est aujourd'hui que s'ouvrent à Paris les Journées du réseau d'action et de coopération culturelle, des journées dédiées à promouvoir l'action et la diplomatie culturelle française, nous en parlerons tout à l'heure, diplomatie culturelle, mais aussi diplomatie économique, qui reste l'un de vos leviers d'action de prédilection, surtout depuis que votre ministère a récupéré le portefeuille du commerce extérieur. Nous allons parler bien sûr, avec vous, de la situation internationale, de l'impossible paix au Proche-Orient, de l'action de la France en Afrique et notamment au Mali où un soldat français a été tué hier, et puis nous évoquerons également avec vous les questions climatiques et la préparation de la Conférence internationale Paris Climat 2015. A travers tous ces champs d'intervention, y a-t-il une doctrine FABIUS en matière de diplomatie ? C'est ce que nous allons essayer d'élucider avec vous monsieur le Premier ministre, et avec Frédéric METEZEAU, chef du service politique de la rédaction de FRANCE CULTURE, bonjour Frédéric.
FREDERIC METEZEAU
Bonjour à tous. Monsieur le ministre.
LAURENT FABIUS
Bonjour monsieur.
NICOLAS MARTIN
Et puis nous sommes, comme chaque matin, vous le savez maintenant, en live-tweet sur Twitter compte #matinsete. Commençons, si vous le voulez bien, Laurent FABIUS, par la situation internationale et l'offensive militaire d'Israël dans la bande de Gaza. Huitième jour du conflit, on dénombre plus de 200 morts côté palestinien, dont 80 % de civils selon l'ONU, un premier mort côté israélien hier, le cessez-le-feu proposé par l'Egypte qui a fait long-feu. Pour commencer, est-ce que François HOLLANDE a réagi maladroitement mercredi en publiant un communiqué de soutien à Israël sans un seul mot pour les civils palestiniens ?
LAURENT FABIUS
Alors, je vais répondre à votre question, mais auparavant je réponds à la question générale que vous avez posée. Est-ce qu'il y a une doctrine, non pas Laurent FABIUS, mais de la France, sur les problèmes internationaux ? Oui, il y a une doctrine, une approche, qui comporte quatre objectifs, et vous allez m'interroger sur toute une série de sujets, j'essaierai de répondre.
NICOLAS MARTIN
Qu'on va essayer de parcourir au long de cette heure d'entretien.
LAURENT FABIUS
Mais à chaque fois il y a quatre objectifs que nous poursuivons, il n'y en n'a pas 25. Le premier objectif, on va en parler à propos d'Israël et de la Palestine, c'est la paix et la sécurité. La France, partout, recherche la paix et la sécurité, non pas le pacifisme, parce que souvent il faut être fort pour aller vers la paix, mais la paix et la sécurité c'est le premier objectif. Le deuxième objectif c'est ce que j'appelle la planète, c'est-à-dire l'organisation de la planète, et puis la défense de la planète, cette question du climat. Le troisième objectif c'est la réorientation de l'Europe, parce que nous sommes Européens, mais nous pensons que la politique européenne, souvent, ne va pas dans le bon sens. Et le quatrième et dernier objectif c'est le redressement et le rayonnement de la France. Et à chaque que le président de la République, ou le Premier ministre, ou moi-même, avons à prendre des orientations, nous nous référons à ces quatre objectifs. Maintenant je réponds à votre question. Israël, la Palestine…
NICOLAS MARTIN
Sur le communiqué de François HOLLANDE mercredi, qui a fait beaucoup réagir, notamment à gauche.
LAURENT FABIUS
Oui, mais je pense que la réaction elle-même n'a pris qu'une partie de ce qui a été dit. Quelle est notre position, que ce soit le président de la République ou moi-même ? L'objectif numéro 1 c'est le cessez-le-feu, parce que la situation actuelle est terrible. Vous avez d'un côté près de 200 morts maintenant, du côté palestinien.
NICOLAS MARTIN
Plus de 200 morts depuis hier.
LAURENT FABIUS
Plus de 200 morts, donc c'est une situation abominable, et de l'autre vous avez Israël qui fait l'objet d'envois de roquettes de la part du Hamas. Donc, nous, toujours par rapport à cet objectif, de paix et de sécurité, nous disons « cessez-le-feu immédiat. » C'est la raison pour laquelle j'ai soutenu, je l'avais hier au téléphone, le ministre des Affaires étrangères d'Egypte, l'Egypte a proposé un plan, tout à fait satisfaisant, il a été accepté par Israël, malheureusement le Hamas n'a pas accepté, j'espère qu'on va pouvoir y aller parce que ça c'est l'objectif, le cessez-le-feu. Le cessez-le-feu doit déboucher sur une trêve, qui elle-même ne pourra être valable que si on discute à la fois de la sécurité d'Israël et de l'accès de Gaza, bien sûr, il y a les deux aspects. Et ensuite il faut, parce que ça c'est le fond du sujet, aller vraiment vers une négociation politique, car tant que vous aurez une situation, où d'un côté la sécurité d'Israël n'est pas assurée, et de l'autre les droits à la justice des Palestiniens ne sont pas assurés, évidemment vous aurez cette situation dramatique qu'on connaît en ce moment. Donc là encore, objectif numéro 1 de la France, paix et sécurité, ça s'applique bien sûr au conflit israélo-palestinien.
NICOLAS MARTIN
Donc pas de maladresse diplomatique dans ce communiqué de l'Elysée mercredi ?
LAURENT FABIUS
Non, je pense qu'il y a eu une surinterprétation, mais je connais bien la position du président de la République, qui est à la fois bien sûr de défendre le droit à la sécurité d'Israël, et en même temps de dire que les Palestiniens doivent être respectés et que des injustices qui sont faites, qui sont très graves, faites à leur endroit, ne doivent plus exister.
FREDERIC METEZEAU
Oui, vous évoquiez des objectifs assez fermes, cessez-le-feu, trêve et processus de paix, or pour aboutir à un accord politique il faut des envies politiques fortes. NETANYAHOU est affaibli par son extrême droite, ABBAS est affaibli tout court, si je puis dire, le Hamas est divisé entre une aile politique qui négocie au Caire et une aile militaire, OBAMA n'a pas très envie de s'impliquer plus allant dans le conflit israélo-palestinien, il y a quand même une faiblesse politique généralisée dans cette région et des acteurs principaux, l'Union européenne, on le sait, n'a jamais trop pesé, il n'y a pas d'envie politique.
LAURENT FABIUS
Malheureusement vous décrivez assez bien la situation, malheureusement. Le conflit israélo-palestinien c'est un conflit particulier, pourquoi ? Très souvent, dans les conflits internationaux, la question principale c'est « quelle est la bonne solution ? » Et on cherche, c'est l'objet de la diplomatie, à trouver la meilleure solution, les paramètres de la meilleure solution. Là, en ce qui concerne le drame israélo-palestinien, on connaît les paramètres de la solution, c'est tout ce qu'on dit…
FREDERIC METEZEAU
Deux Etats, deux reconnaissances.
LAURENT FABIUS
Sur les deux Etats, Jérusalem, etc. Mais le problème c'est d'arriver à pousser, et même plus que pousser, les deux parties, à accepter cette solution, donc c'est un conflit d'une nature un peu différente des autres. Et, c'est vrai que, les Américains ont essayé, John KERRY, vraiment, s'est donné à fond, mais ça n'a pas fonctionné. L'Europe, je l'ai proposé hier à mon collègue égyptien, est prête à faire des choses, notamment à travers ce qu'on appelle EBAM (phon), c'est-à-dire des forces qui pourraient contrôler les passages entre Gaza et Israël, les pays arabes ont dit leur soutien, et puis il faudrait obtenir l'accord des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Mais je pense que si on se repose uniquement, et je reprends votre réflexion qui était juste, sur la bonne volonté des deux parties, on risque d'y être encore dans un temps indéfini. Donc, la solution est connue, et il faut vraiment que la communauté internationale, tous ceux que vous avez cités, et que j'ai cités, se réunissent autour de ça pour dire, on a là un conflit qui est vraiment malheureusement fondamental et fondateur de beaucoup d'autres conflits…
FREDERIC METEZEAU
Essentiel.
LAURENT FABIUS
Essentiel, qu'il faut arriver à dénouer.
NICOLAS MARTIN
Laurent FABIUS, quelle place, alors, pour rebondir sur ce que vient de dire Frédéric, pour la diplomatie française en 2014 dans ce conflit ? On sait que Nicolas SARKOZY avait essayé, pendant son quinquennat, de replacer la France au centre des négociations au Proche-Orient, sans grand succès, on n'a pas l'impression…
LAURENT FABIUS
Je ne l'avais pas vraiment remarqué, mais…
NICOLAS MARTIN
On n'a pas l'impression que ce soit une priorité de François HOLLANDE.
LAURENT FABIUS
Si, tout à fait, mais la France a, et c'est sa force, à la fois des relations confiantes avec Israël, il y a des points sur lesquels nous sommes d'accord avec sa politique, des points sur lesquels nous sommes en désaccord, mais les relations sont confiantes, et Israël sait bien que nous sommes très attachés à sa sécurité. Mais, en même temps, nous avons des relations proches avec Mahmoud ABBAS, pas avec le Hamas, mais avec Mahmoud ABBAS, et la France a donc cette vertu tout à fait essentielle de pouvoir discuter avec les deux. Et j'envisage moi-même, le cas échéant, si c'est nécessaire, de me rendre en Egypte, parce que c'est là, actuellement, que ça se passe. Donc, nous avons ce rôle-là, nous poussons l'Europe à agir encore davantage, et nous pouvons jouer le rôle de pont, un rôle de pont, qui est essentiel, pas tout seul, bien sûr, mais avec les autres, utilisant notre statut particulier de membre permanent du Conseil de sécurité.
NICOLAS MARTIN
Et au moment où nous parlons une dépêche vient de tomber, Israël appelle 100.000 habitants de Gaza à évacuer leur domicile, peut-être que ça préfigure une offensive terrestre. Frédéric METEZEAU.
FREDERIC METEZEAU
Oui, ce matin dans " l'Express" une interview de l'historien israélien Zeev STERNHELL qui dit « NETANYAHOU est faible parce qu'il est pris en otage par une opinion publique de plus en plus radicale, de plus en plus religieuse. » C'est un peu paradoxal quand il y a plus de 200 morts, mais est-ce qu'effectivement NETANYAHOU est faible en Israël ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, je ne vais pas me prononcer par un jugement sur tel ou tel gouvernement, mais c'est vrai que les considérations de politique intérieure, dans ce pays, comme dans beaucoup d'autres, jouent un rôle important. Moi je veux me situer par rapport à notre objectif, compte tenu du caractère désastreux du conflit aujourd'hui il faut, c'est la position de la France, plaider pour le cessez-le-feu, plaider pour la trêve, plaider pour la reprise de la négociation, dont j'ai donné les termes.
NICOLAS MARTIN
Alors, Laurent FABIUS, un mot à propos de la situation en Syrie et en Irak. Au moment de l'offensive de EIIL dans le nord de l'Irak et quelques jours avant la proclamation du califat vous aviez déclaré, en Conseil des ministres « en 2013 la France avait souhaité agir plus vite et plus fort en Syrie, le fait qu'il n'ait pas pu y avoir d'action a conduit au fait que la situation se dégrade. » Est-ce que vous pensez qu'avec une intervention unilatérale de la France il y a 1 an, au moment de la découverte de l'utilisation d'armes chimiques, le califat n'existerait pas aujourd'hui Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Vous savez, c'est toujours très difficile, et ça n'a pas grand sens de refaire l'Histoire, parce que, par définition, on ne sait pas ce qui se serait passé si. Mais je voudrais faire référence à deux moments. Le premier moment, et c'est repris dans « Les mémoires d'Hillary CLINTON », je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de voir cela…
NICOLAS MARTIN
On l'a reçu la semaine dernière.
LAURENT FABIUS
Très bien ; où, lorsque le gouvernement français a changé, c'est-à-dire en mai, juin 2012, là nous avons eu une première conférence à Genève, et je me rappelle très bien, c'était ma première conférence à laquelle je participais, et d'ailleurs les collègues se moquaient un peu de moi en disant « voilà, tu arrives, tu es tout jeune, mais enfin, pour un tout jeune, quand même, tu as une certaine expérience », donc c'est moi qui tenait la plume. Et, lors de cette discussion, à Genève, je me rappelle que la question qui était posée n'était absolument pas le départ de monsieur Bachar, tout le monde était persuadé que monsieur Bachar allait partir, au point que…
NICOLAS MARTIN
Vous le premier, on préparait déjà l'après Bachar EL-ASSAD.
LAURENT FABIUS
Bien sûr ; au point que dans les couloirs, la question posée c'était « où est-ce que vous aller monsieur Bachar EL-ASSAD ? » Pourquoi ? Parce que, à l'époque, qu'est-ce qui s'est passé. Au départ il y a un petit soulèvement arabe de quelques personnes, en Syrie, et puis après Bachar agit de façon telle que ça devient un énorme cancer, et tout le monde considérait que Bachar n'avait aucune légitimité à rester, mais à l'époque il n'y avait pas d'Iraniens en Syrie, il n'y avait pas de Hezbollah, et il n'y avait pas de groupes terroristes. Malheureusement, et c'est là-dessus que madame CLINTON revient, on était dans une situation préélectorale, les Etats-Unis ceci, les Etats-Unis cela, ce ne sont pas du tout les seuls responsables, moyennant quoi on n'a rien fait – alors que la France disait, et j'avais eu des propos très durs, ainsi que le président de la République – moyennant quoi sept mois après, huit mois après, il y avait des Iraniens sur place, il y avait le Hezbollah, il y avait les groupes terroristes. Alors après s'est passé le deuxième élément, c'est celui auquel vous faites allusion, un certain nombre d'entre nous avaient dit « mais s'il y a utilisation d'armes chimiques, à ce moment-là ça change la nature du conflit, puisque depuis… »
NICOLAS MARTIN
C'est ce que dit OBAMA.
LAURENT FABIUS
Oui, c'est ce qu'il avait dit, « depuis des décennies et des décennies, nous disons la ligne rouge c'est les armes chimiques. » Nous avons montré, preuve à l'appui, que Bachar EL-ASSAD avait utilisé des armes chimiques et tué des centaines de personnes avec les armes chimiques. Et donc, nous nous sommes concertés, avec les Américains, avec les Britanniques, il fallait réagir. Nous avons préparé la réaction, avec les deux autres, simplement les Anglais ont soumis cela à leur Parlement, qui leur a dit « non », et ensuite le président OBAMA, c'est son droit…
FREDERIC METEZEAU
A fait machine arrière.
LAURENT FABIUS
A dit « écoutez, le moment n'est pas venu. » Et du coup il y a eu un basculement, etc., ensuite les Russes sont intervenus, enfin vous connaissez toute cette histoire, et je considère, sans refaire l'Histoire, qu'à ce moment-là ça a donné, de l'image générale, un sentiment, je dirais d'une certaine impunité, d'une certaine faiblesse, et qui a eu, à mon avis, des répercussions sur d'autres conflits. Voilà, je ne veux pas refaire l'Histoire, le président OBAMA est tout à fait maître de sa décision, mais je pense, comme d'autres, que lorsqu'il y a un engagement qui est pris, eh bien on doit faire preuve de fermeté.
FREDERIC METEZEAU
Est-ce que vous considérez, à vous entendre, pardon, vous considérez que Barack OBAMA a peut-être été faible ou indécis ?
LAURENT FABIUS
Non, je ne me permettrais pas ce jugement, d'autant que, il faut être équanime par rapport aux Etats-Unis. Lorsque les Américains intervenaient partout, et souvent à contretemps…
FREDERIC METEZEAU
On leur reprochait.
LAURENT FABIUS
Je pense à l'Irak – on leur reprochait. Lorsqu'ils donnent le sentiment d'être un peu en arriere de la main, on leur reproche aussi. Et je dis cela en particulier à mon collègue John KERRY, en souriant, c'est le propre des critiques qui sont adressées à la puissance, première, mondiale. Mais c'est vrai que, moi je décris cela de la façon suivante : pendant des décennies, après la guerre, nous avons eu un monde qui était bipolaire, d'un côté les Etats-Unis, de l'autre l'URSS, ce n'était pas satisfaisant, mais disons que la plupart des crises étaient réglées par l'alliance, objective, entre ces deux pays. Ça a duré des décennies. Ensuite nous avons eu une période, au moment de la chute du Mur de Berlin, où, au fond, les Etats-Unis étaient le seul maître à bord, c'est ce que j'appelle le monde, non pas bipolaire, mais unipolaire. Et aujourd'hui nous sommes dans un monde « zéropolaire. » C'est-à-dire qu'il n'y a pas de puissance ou de groupe de puissances, compte tenu des difficultés de fonctionnement des Nations Unies, qui puissent se mettre d'accord, on revient à l'affaire israélo-palestinienne, pour régler tel ou tel conflit, d'où les difficultés syriennes, d'où les difficultés irakiennes, avec en plus des nouveaux phénomènes, auxquels il va falloir non seulement réfléchir, mais sur lesquels il va falloir agir. Nous sommes habitués, en diplomatie classique, à traiter d'Etat à Etat, ce qu'on appelle la diplomatie westphalienne, mais EIIL, dont vous avez parlé, ce n'est pas un Etat, Al-Qaïda ce n'est pas un Etat, et les frontières…
FREDERIC METEZEAU
Le Hamas.
LAURENT FABIUS
Mais le Hamas non plus ; les frontières qui traditionnellement étaient la protection des uns et des autres, aujourd'hui sont diluées. Le califat vise à ce qu'il n'y ait plus de frontière entre l'Irak et la Syrie. Donc, il faut que nous adaptions notre action internationale, pas seulement nous la France, mais l'ensemble des puissances, à cette réalité nouvelle qui est extrêmement dangereuse.
NICOLAS MARTIN
Alors justement Laurent FABIUS, quelle réponse à apporter à ce califat autoproclamé, est-ce qu'il faut le chasser, est-ce qu'il faut aider l'armée irakienne à reprendre Mossoul, quelle est la position de la diplomatie française sur ce sujet ?
LAURENT FABIUS
La diplomatie française a une position triple. Premièrement, nous condamnons de la façon la plus sévère et la plus nette, les actions de l'EIIL. D'ailleurs c'est nous qui avons demandé à ce que l'EIIL soit mis sur la liste des organisations terroristes. Quand vous voyez les pratiques de cette organisation, je ne sais pas si vous avez vu, enfin c'était épouvantable, sur Internet, les militants de l'EIIL qui jouent au ballon avec les têtes des gens qu'ils ont assassiné, c'était effrayant…
NICOLAS MARTIN
Mais alors que faire de ce califat, comment on réagit ?
LAURENT FABIUS
Donc là, une condamnation absolument nette et sans la moindre circonstance atténuante si je peux dire, deuxièmement, nous plaidons pour l'unité de l'Irak et de ce point de vue là, l'élection qui est intervenue hier du président du Parlement, monsieur Salim Al-JOUBOURI, va dans le bon sens. Vous savez qu'il y a une tradition en Irak, il faut qu'un poste aille aux Sunnites, un poste aux Chiites et un poste aux Kurdes. Et j'espère que ça va permettre à l'Irak de trouver maintenant un président de la République et un nouveau président de la République et ensuite, troisièmement, nous soutenons l'opposition modérée en Syrie puisque le califat, prétendu califat, l'EIIL finalement agit à la fois sur l'Irak et sur le nord de la Syrie. Evidemment si nous ne soutenons pas l'opposition modérée en Syrie ça va faciliter l'action de l'EIIL. Donc notre position est celle-ci : condamnation de l'action de l'EIIL, agir au soutien de l'unité irakienne et au soutien de l'opposition modérée en Syrie.
NICOLAS MARTIN
Ca veut dire pour le moment, pas d'intervention militaire, pas d'aide à l'armée irakienne, pas de solutions militaires sur le califat précisément.
LAURENT FABIUS
Non c'est l'armée irakienne, à partir de l'unité du gouvernement irakien qui doit agir.
FREDERIC METEZEAU
Vous avez défini à notre micro ce qu'était la doctrine diplomatique de la France, ce monde zéro polaire, il y a quand même un vocabulaire…
LAURENT FABIUS
Malheureusement zéro polaire, nous voudrions qu'il soit multipolaire organisé…
FREDERIC METEZEAU
Qu'il soit mieux organisé. Il y a des mots qui reviennent assez régulièrement notamment dans le discours de François HOLLANDE qui voulait, je cite, punir ceux qui ont gazé les populations civiles, on pense à Bachar El-ASSAD, qui voulait écraser les terroristes au Sahel, est-ce qu'il n'y a pas un vocabulaire au minimum faucon, voire néoconservateur ? Il y a un an et demi, Dominique de VILLEPIN écrivait dans une tribune « le virus néoconservateur a gagné tous les esprits ».
LAURENT FABIUS
Ecoutez, monsieur VILLEPIN que je respecte beaucoup se consacre actuellement à sa carrière d'avocat mais en ce qui concerne la France, non, on peut discuter sur tel ou tel emploie de termes, mais il ne s'agit pas d'avoir une action émotionnelle ou d'y mettre un côté revanche. Nos objectifs sont, je les ai résumés, en particulier la sécurité, la paix, la meilleure organisation du monde, le respect des principes qui sont à la fois les principes de la France et les principes d'une organisation équilibrée du monde, et c'est à partir de là que nous décidons d'agir. Mais c'est vrai que la France, et c'est une des raisons pour lesquelles elle est respectée, non seulement elle prend des positions, c'est normal…
FREDERIC METEZEAU
Elle est devenue aussi le pays le plus interventionniste militairement, le pays occidental le interventionniste militaire depuis que François HOLLANDE est au pouvoir.
LAURENT FABIUS
…mais, elle accepte à condition que les Nations-Unies nous le demandent et à condition que les pays en cause nous le demandent, ça a été le cas au Mali, ça a été le cas en Centrafrique, elle accepte d'exposer les siens, c'est vrai. Et une diplomatie sans objectifs de paix, ça n'a pas de sens, mais la paix sans les moyens de la paix ça n'a pas beaucoup d'efficacité. Et prenez l'exemple de l'Afrique, on parlait tout à l'heure du Mali, je pense que tout le monde reconnait, à commencer par l'ensemble des pays africains, je dis bien la totalité des pays africains, que si la France qui pouvait le faire n'était pas intervenue, aujourd'hui les terroristes auraient pris le contrôle du Mali, ce qui n'est pas le cas.
NICOLAS MARTIN
Ce qui est moins clair en Centrafrique. Laurent FABIUS juste avant de se quitter…
LAURENT FABIUS
En Centrafrique le problème était différent, le problème c'était d'éviter ce qu'on appelé peut-être trop rapidement un génocide, et je rappelle que le jour où nous sommes intervenus, la veille du jour où nous sommes intervenus, il y avait eu 1.000 morts. 1.000 morts en Centrafrique et donc la France a, parce qu'on le lui demandait, les Nations-Unies et la Centrafrique et l'Union africaine, la France est intervenue là-bas, oui.
NICOLAS MARTIN
On reparlera tout à l'heure de la situation en Afrique et des deux opérations africaines au Mali et en Centrafrique, juste peut-être quand même Laurent FABIUS, on en parlait à l'instant, la dépêche qui vient de tomber, une réaction rapide sur Israël qui vient d'appeler 100.000 habitants de Gaza à évacuer leur domicile et donc ce qui laisserait préfigurer une possible intervention militaire terrestre, cette intervention militaire terrestre elle est nécessaire.
LAURENT FABIUS
Oui mais là on rentre dans… dont je parlais tout à l'heure, c'est la raison pour laquelle nous plaidons pour le cessez-le-feu qu'a accepté hier Israël mais qui a malheureusement refusé la branche armée du Hamas, nous ne nous résignons pas à ce que l'escalade continue, c'est une situation désastreuse.
NICOLAS MARTIN
Le ministre des Affaires étrangères Laurent FABIUS est l'invité des « Matins d'été », on continue cette interview juste après le journal de 8h00, on reparlera de la situation en Afrique, du soft-power également, la diplomatie culturelle en ce jour d'ouverture des journées du réseau d'action et de coopération culturelle. (…)
OLIVIER DANREY
Laurent FABIUS, quel profil souhaitez-vous aujourd'hui pour piloter la diplomatie européenne ? Faut-il vraiment aujourd'hui un porte-parole de cette diplomatie ?
LAURENT FABIUS
Oui, c'est souhaitable. Par rapport à ce qui est dit sur madame ASHTON, je serai beaucoup moins sévère parce que Kathy ASHTON a beaucoup travaillé. J'étais encore ce dimanche à Vienne où elle est depuis maintenant près de trente jours pour discuter avec les Iraniens en notre nom sur la perspective nucléaire. C'est une femme compétente, courageuse. Simplement, c'est un travail extraordinairement difficile parce que comme ça a été dit en filigrane dans le reportage, les grands pays conservent une politique étrangère, parmi lesquels la France. Avoir une politique étrangère européenne alors que la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et beaucoup d'autres pays ont aussi une politique étrangère, c'est très compliqué.
OLIVIER DANREY
La diplomatie, c'est finalement la partie européenne la plus difficile sur laquelle il faut s'entendre entre vingt-huit Etats ?
LAURENT FABIUS
C'est difficile. Je ne sais pas si c'est le plus difficile mais c'est difficile. En ce qui concerne la défense, c'est vrai qu'il n'y a pas eu d'avancée énorme mais mis à part la France, la Grande-Bretagne et peut-être deux ou trois autres, qui souhaite une défense européenne ? Malheureusement pas grand monde. Je ne serai donc pas aussi sévère sur madame ASHTON. Je pense qu'elle inaugurait un nouveau poste, celui-ci prendra de plus en plus d'importance mais c'est une femme intelligente et courageuse. Qui sera désigné ? On verra ce soir. Il y a plusieurs candidats ou candidates mais à l'heure où je m'exprime, il n'y a pas de décision prise. […]
NICOLAS MARTIN
Nous sommes toujours en compagnie du ministre des Affaires étrangères Laurent FABIUS. C'est aujourd'hui l'ouverture pour trois jours à Paris des Journées du réseau d'action et de coopération culturelle. Ces journées réunissent chaque année les différents opérateurs de la politique de coopération de la France. Je rappelle que le réseau diplomatique français est le troisième au monde en ordre d'importance derrière les Etats-Unis et la Chine et le premier réseau culturel mondial. Laurent FABIUS, quel est le message de diplomatie culturelle que vous allez porter pendant ces Journées, vous que l'on sait d'habitude plutôt préoccupé par la diplomatie économique que par la diplomatie culturelle ?
LAURENT FABIUS
Le message est précisément de dire au réseau culturel qu'il est fondamental. Vous avez rappelé la réalité de dire que nous avons le premier réseau culturel au monde. C'est une force extraordinaire pour l'influence et le rayonnement de la France. Mon message sera que je n'oppose pas la diplomatie économique et la diplomatie culturelle, ce sont deux facettes du rayonnement français. Comme il se trouve que j'ai désormais sous ma tutelle à la fois le réseau culturel et le réseau économique, nous allons les faire agir de plus en plus. Ils le faisaient déjà et je pense que ça renforcera l'influence de la France. Quand on pense à l'influence de la France à l'étranger, c'est quoi ? C'est bien sûr l'apprentissage de la langue, c'est notre culture, ce sont nos valeurs, mais c'est aussi notre rayonnement scientifique et notre rayonnement économique. Je crois que de plus en plus, on va travailler en termes d'action extérieure de la France et pas de politique étrangère. C'est-à-dire que nous avons une palette et il faut jouer sur toutes les touches et toutes les couleurs de la palette. C'est ça que je vais dire à l'ensemble des collaborateurs du réseau qui sont là et qui sont des gens de grande qualité. Je pense que c'est une des forces de la France. La France n'est pas le plus grand pays du monde mais nous avons le plus grand réseau culturel et il faut donc le maintenir.
NICOLAS MARTIN
Le plus grand réseau culturel certes, mais pour autant un certain nombre d'instituts culturels ont été fermés ces dernières années. Par ailleurs, la Cour des comptes a dressé un bilan assez critique de l'évolution du réseau diplomatique depuis 2007 : réduction de 5 % des effectifs du Quai d'Orsay mais augmentation du coût du réseau de 20 %.
LAURENT FABIUS
Oui. Il faut bien sûr tenir compte des observations de la Cour des comptes. Il y a beaucoup de choses dites par la Cour des comptes qui sont tout à fait justes. Comment je vois ça en tant que patron de l'ensemble de cette maison ? Nous devons garder une présence culturelle extrêmement forte pour les raisons que je vous ai dites. En même temps, nos moyens financiers ne sont pas infinis. On connaît la situation budgétaire de la France et de d'ailleurs la plupart des pays. Il faut donc faire en sorte à la fois de garder notre présence culturelle et même de la renforcer, en même temps de ne pas augmenter nos coûts et aussi en même temps, une troisième nécessité qui est de réorienter géographiquement notre présence. Nous avons été présents sur une vision du monde qui était un peu celle des années soixante mais maintenant, on est en 2014 et il faut préparer les années qui viennent.
NICOLAS MARTIN
Concrètement, quelle est cette réorientation géographique ?
LAURENT FABIUS
Concrètement, cela veut dire qu'il y a des réorientations géographiques. C'est-à-dire qu'il faut que nous soyons davantage présents à la fois en Afrique, en Amérique du Sud et dans les pays d'Asie.
NICOLAS MARTIN
Ce qui signifie la fermeture de quels autres pays ?
LAURENT FABIUS
Pas nécessairement. Cela signifie parfois des réorientations mais cela signifie aussi l'appel à des financements privés. Je pense que ce n'est pas iconoclaste de dire cela. Evidemment, ce n'est pas possible dans tous les pays. Si vous êtes dans un pays pauvre africain, vous n'allez pas faire appel au mécénat mais si vous êtes par exemple aux Etats-Unis, c'est comme cela que ça fonctionne. Il ne faut donc pas se gendarmer contre cela. Il faut à la fois anticiper, garder notre présence forte, anticiper les évolutions, trouver les moyens financiers et trouver surtout les talents. Bien sûr, il y a administrativement un tas de choses à faire mais ce qui fait la force de notre réseau culturel, c'est quand même la valeur exceptionnelle des femmes et des hommes qui le composent. J'ai réuni à la fois le réseau économique et le réseau culturel, c'est la première fois qu'on fait ça. Je vais leur dire de travailler ensemble, de plus en plus en plus ensemble. Ils en sont très demandeurs.
FREDERIC METEZEAU
Avant d'évoquer la conférence climat, j'ai une question sur la diplomatie économique. Est-ce qu'il n'y a pas pour vous une sorte de mise en danger à vouloir être à la fois sur les dossiers diplomatiques et stratégiques et les dossiers économiques ? Je m'explique par un cas d'école : est-ce que des entreprises françaises ne pourraient pas vous dire : « Signez un accord avec l'Iran. On baisse les sanctions parce que c'est un marché gigantesque à conquérir pour nous » ?
LAURENT FABIUS
Ma réponse serait non. Je vous ai dit tout à l'heure quels étaient les grands objectifs de la France. Le premier, c'est la paix et la sécurité donc quand on prend l'affaire iranienne, notre point de vue est clair et net. Que l'Iran ait toutes les possibilités en matière de nucléaire civil oui, mais en matière de nucléaire militaire non. Nous ne voulons pas que l'Iran ait la bombe atomique et d'ailleurs pas simplement nous la France mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Nous définissons une position, on espère trouver un accord et pour le moment c'est très difficile, mais cet accord ne peut se faire que si on respecte l'objectif que j'ai dit sinon il n'y aura pas d'accord.
NICOLAS MARTIN
Quitte à laisser un gigantesque marché en jachère.
LAURENT FABIUS
Mais bien sûr parce qu'on ne peut pas dire : « Vive l'économie ! » au détriment de la sécurité du monde. Ce ne serait pas responsable. En théorie, on peut dire : « Est-ce qu'il n'y a pas opposition ? », dans la réalité je ne vis pas les choses ainsi. De toutes les manières, c'est l'objectif de sécurité et de paix qui doit prévaloir.
NICOLAS MARTIN
Peut-être un mot pour rester sur cette notion de diplomatie culturelle, sur le traité transatlantique. La négociation avec les Etats-Unis fait quand même pas mal râler en France en disant que nous sommes justement en train d'abdiquer une forme de souveraineté culturelle.
LAURENT FABIUS
Précisément non puisqu'il a été décidé de laisser de côté tout ce champ-là pour qu'on respecte la diversité culturelle, ce qu'on appelle l'exception culturelle. Il est évident que si les négociateurs voulaient revenir sur cette décision, la France ne pourrait pas s'y associer. Je précise là-dessus, sur ce qu'on appelle le traité transatlantique, que je n'ai pas a priori de position pour ou contre. Si on peut avoir un traité qui permet à l'Europe et à la France d'être plus présentes aux Etats-Unis, pourquoi pas ? Mais à condition que nos intérêts et nos prérogatives soient respectés. Je vous ai dit qu'il ne faut pas que soit mise en cause l'exception culturelle, de même il ne faut que soient mises en cause les normes auxquelles nous tenons en matière de nourriture, en matière d'agriculture. Il faut aussi éventuellement que les juges des différends soient des juges publics et non pas des juges de tribunaux privés. C'est quelque chose que nous avons dit et qui doit être respecté. Il y a toute une série d'éléments et il faut aussi que nous y trouvions un intérêt. Je vous donne un exemple.
NICOLAS MARTIN
Quel intérêt pourrait y trouver la France justement, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Les marchés publics, c'est très important car ça permet de faire fonctionner les entreprises. Les marchés publics européens sont ouverts à 80 % aux Américains mais les marchés publics américains sont ouverts à 25 % aux Européens. Il faut le corriger et si on le corrige, ça va nous permettre de pénétrer davantage sur les marchés publics de toutes sortes. Là, la négociation n'est pas faite et on jugera donc sur pièce. Si la négociation est positive pour nous, on dira oui mais si la négociation n'est pas satisfaisante, on dira non.
NICOLAS MARTIN
J'aimerais qu'on évoque avec vous un autre dossier important qu'est la conférence Paris Climat 2015. Cette conférence est importante puisque si elle aboutit, ce serait le tout premier accord mondial sur le climat, qui devrait déboucher sur un texte en mesure de limiter à deux degrés le réchauffement climatique d'ici 2100. On mesure l'importance du rendez-vous, pour autant les grandes conférences sur le climat se terminent souvent dans des impasses ou par des textes vidés de leur substance. Quelle est votre recette miracle pour éviter un rendez-vous manqué ?
LAURENT FABIUS[Rires]
Ecoutez ! Le travail, le travail, le travail ! La France va effectivement présider cette conférence à la fin de l'année prochaine et c'est une conférence absolument majeure. Vous avez très bien défini la question. Il y a ce qu'on appelle un dérèglement climatique et on le voit. Il y a non seulement un réchauffement climatique mais un dérèglement.
NICOLAS MARTIN
Vous êtes allé vous-même en Norvège, il n'y a pas longtemps, pour constater la fonte des glaciers.
LAURENT FABIUS
Non seulement, un réchauffement climatique, mais un dérèglement, parce que tous les phénomènes extrêmes, les chaleurs, les froids, les typhons, les tempêtes, sont beaucoup plus importants qu'avant, chaque citoyen peut le constater. En plus il y a généralement un réchauffement, ce qui veut dire que le niveau des mers augmente, avec des recouvrements de toute une série de pays, qui sont inondés, avec des incidences très fortes sur l'agriculture, on ne va pas pouvoir nourrir, du coup, toute la population, avec des incidences sur l'air qu'on respire, donc c'est une affaire majeure. Pas seulement pour 2100, dès aujourd'hui. Et donc, le travail va être d'arriver à convaincre l'ensemble des pays du monde, qu'il faut à la fois un accord normatif, différencié, et en même temps que nous avons des solutions. Et donc, l'originalité va être, à la fois d'avoir, de chercher à avoir un accord juridique, et en même temps de montrer qu'il y a des solutions. Il y a toute une série de villes qui ont fait déjà des choses extraordinaires, toute une série de branches professionnelles, et nous avons pour ça 500 jours, donc c'est 500 jours pour éviter la catastrophe. L'enjeu est colossal, c'est probablement l'une des discussions internationales les plus importantes de l'ensemble du siècle.
NICOLAS MARTIN
Mais encore une fois, Laurent FABIUS, j'y reviens, mais comment éviter un texte ou un sommet qui serait vidé de sa substance, comme le sommet de Vienne par exemple ?
FREDERIC METEZEAU
Avec plein de crochets.
NICOLAS MARTIN
Avec des crochets, de Copenhague.
LAURENT FABIUS
C'est le travail, c'est la diplomatie. On a des éléments positifs, par exemple la Chine qui dans le passé était réticente, se rend compte maintenant qu'il y a un énorme problème pour elle, les Etats-Unis, en tout cas le président OBAMA, est très favorable à un accord, l'Inde elle-même, où je me trouvais la semaine dernière, est en train d'évoluer, l'Europe avance, et il y a des pays qui sont réticents, donc il va falloir convaincre toutes ces personnes, tous ces pays, c'est un travail énorme, mais c'est celui qu'on a confié, notamment à la France.
NICOLAS MARTIN
Et pour autant le charbon reste le principal combustible fossile et sa consommation doit continuer à augmenter, au moins jusqu'en 2030.
LAURENT FABIUS
C'est un énorme problème, parce que, quand on parle des gaz à effets de serre, le principal c'est le CO2, donc à l'origine le charbon, mais il n'y a pas que le CO2, il y a aussi le méthane et d'autres gaz, dont il faut arriver, à terme, à diminuer l'ampleur.
FREDERIC METEZEAU
Nous sommes le 16 juillet 2014, vous êtes entré à Matignon il y a 30 ans moins 1 jour, est-ce que vous saviez, 24 heures avant, que vous seriez nommé Premier ministre ?
LAURENT FABIUS
Non.
FREDERIC METEZEAU
Comment ça s'est passé cette journée du 16 juillet 84, il y a 30 ans ?
LAURENT FABIUS
J'ai gardé un souvenir assez précis. Non, je ne le savais pas un jour avant, je ne le savais même pas quelques heures avant. A l'époque c'était François MITTERRAND qui était président, moi j'étais très jeune, j'avais 37 ans, et il m'a invité à déjeuner, et il m'a dit « écoutez, je songe à changer le gouvernement. » « Oui, Monsieur le président, ah bon ! Et quand ? », « cet après-midi. « Ah ! » « J'ai pensé à vous, mais ce n'est pas absolument sûr » - c'est MITTERRAND qui parle, c'était sa manière de jouer au chat et à la souris. Alors « qu'en pensez-vous ? », j'ai dit « président, je n'en pense rien, c'est votre décision, si vous me parlez de ça vous devez avoir une certaine idée. » Il me dit écoutez, je vous rappellerai dans l'après-midi. » Donc j'ai décommandé mes rendez-vous, quand même, dans l'après-midi, pour réfléchir à tout ça, et le président ne m'a pas rappelé, en fait, mais il m'a fait rappeler par le secrétaire général de l'Elysée en disant « Laurent FABIUS, le président vous a choisi comme Premier ministre. » C'est un souvenir qui à la fois est très fort et en même temps qui montre que MITTERRAND avait beaucoup d'humour dans ses actions. Ce que j'en pense aujourd'hui c'est que, bon à la fois quand on vous propose d'être Premier ministre ça ne se refuse pas, mais que l'expérience, que j'ai acquise maintenant, est aussi une très bonne chose.
NICOLAS MARTIN
Laurent FABIUS, le ministre des Affaires étrangères, était l'invité des « Matins d'été », merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
LAURENT FABIUS
Merci à vous. Ah, je voulais vous dire quelque chose.
NICOLAS MARTIN
Rapidement Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Tout à l'heure monsieur POIVRE d'ARVOR a dit que vous aviez des bons sondages, bravo, mais je voudrais vous dire qu'en ce qui me concerne j'aime bien venir à votre micro. Pourquoi ? Parce que c'est un des rares micros où on peut articuler, un sujet, un verbe, le cas échéant un complément. Or, la réalité du monde, notamment international, est complexe, et je pense que vos invités, de même que vos auditeurs, apprécient qu'on puisse décrire la complexité du monde.
NICOLAS MARTIN
Dites-le à François HOLLANDE.
LAURENT FABIUS
Pourquoi ?
NICOLAS MARTIN
Qu'il est invité, quand il veut.
LAURENT FABIUS
Il viendra sûrement ; parce qu'on ne peut pas répondre à des problèmes aussi compliqués que ceux que vous avez posés, uniquement par des onomatopées.
NICOLAS MARTIN
Nous voilà gâtés. Merci Monsieur le ministre.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juillet 2014