Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à des questions sur la place des femmes dans la vie politique, les relations France - Israël et la politique économique et sociale du gouvernement, à l'Assemblée nationale le 8 novembre 1995.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 8 novembre 1995

Texte intégral

* M. le président. La parole est à M. Didier Mathus.
M. Didier Mathus. Monsieur le Premier ministre, nous connaissons votre attachement à la revalorisation du rôle des femmes dans la vie politique (Rires sur les bancs du groupe socialiste) sujet sur lequel vous êtes abondamment intervenu dans les magazines au mois de mai dernier.
M. Robert Pandraud. Ridicule !
M. Didier Mathus. La presse de ce matin nous a d'ailleurs fait part d'une avancée décisive en la matière en rappelant que le Président de la République a souhaité, hier, que, désormais, davantage de femmes soient distinguées au titre de la Légion d'honneur.
M. Robert Pandraud. Minable !
M. Didier Mathus. Au-delà des dispositions qui ont été prises hier, pourriez-vous nous indiquer, monsieur le Premier ministre, les mesures que vous entendez mettre en oeuvre pour célébrer dignement la journée internationale de la femme, le 8 mars prochain ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Robert Pandraud. Grotesque !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (« Nouveau ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens d'abord, au nom de la nouvelle équipe gourvernementale que j'ai constituée hier...
M. Jean-Pierre Brard. Machiste !
M. le Premier ministre. ...et qui a été nommée par le Président de la République, à remercier la majorité de l'accueil qu'elle nous fait et du soutien qu'elle nous apporte. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. Debout ! Debout !
M. Jean-Michel Ferrand. Et vous, couchés !
M. le Premier ministre. Je sais que ce soutien ne sera pas mesuré et que ne sera pas mesurée non plus l'action critique de l'opposition. Je l'en remercie à l'avance !
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. le Premier ministre. Monsieur Mathus, je vais répondre de manière précise à votre question, puisque je constate que vous êtes un lecteur assidu de la presse, du moins de celle qui est parue ce matin !
M. Charles Ehrmann. De l'Humanité !
M. le Premier ministre. Gouvernement Rocard numéro 1 : cinq femmes sur quarante et un membres. (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre) soit 12 p. 100.
Gouvernement Rocard numéro 2 : six femmes sur quarante-huit membres, (« Hou ! »sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) soit 12,5 p. 100. Gouvernement Cresson...
M. Patrice Martin-Lalande. Virée !
M. le Premier ministre. ... six femmes sur quarante-cinq, pourcentage 13. p. 100.
Gouvernement Bérégovoy : soit un petit mieux, c'est vrai : sept femmes sur quarante et un, soit 17 p. 100. Gouvernement Balladur : trois femmes sur vingt-neuf... (« Hou !» sur les bancs du groupe socialiste. )...soit 10,3 p. 100.
Gouvernement Juppé première manière : douze femmes sur quarante, soit plus de 25 p. 100.
M. Augustin Bonrepaux. Huit virées !
M. le Premier ministre. Dans le Gouvernement Juppé deuxième formule, nous en sommes à 13 p. 100. Je fais donc encore aussi bien, que l'exemple prestigieux que vous avez donné au cours des années 1988 à 1993. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Cela dit, et sans sous-estimer l'importance du sujet que vous avez évoqué, dans la situation grave que connaît aujourd'hui notre pays, il convient plutôt de mettre en exergue, pour les Françaises et les Français, le sens de la recomposition de l'équipe gouvernementale qui a été décidée hier.
Pour engager une deuxième phase de cette action gouvernementale, j'ai souhaité une équipe moins nombreuse et organisée différemment.
Il a donc été décidé de créer un grand ministère du travail et des affaires sociales, autour de Jacques Barrot (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République), afin de mener à bien la réforme de la sécurité sociale dont nous allons discuter la semaine prochaine. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Jacques Barrot a déjà été le coordonnateur de ce travail. Il en sera le maître d'oeuvre au cours des prochains jours.
Ensuite, nous avons voulu renforcer le pôle « finances » autour de Jean Arthuis, avec l'arrivée de Alain Lamassoure et de Yves Galland (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) pour préparer la réforme des prélèvements obligatoires que nous examinerons au début de l'année prochaine.
M. Augustin Bonrepaux. Et les femmes ?
M. le Premier ministre. En troisième lieu, a été consolidé le pôle « aménagement du territoire et politique de la ville » avec l'arrivée de Jean-Claude Gaudin (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) maire de la deuxième ville de France, il a, dans ce domaine, une compétence particulière.
Enfin, avec Franck Borotra et François Fillon, nous avons instauré un pôle fort dans le domaine de l'industrie et des services publics.
Telle est la signification de ce remaniement gouvernemental qui nous permettra, avec le soutien de la majorité, de travailler mieux et de travailler plus vite ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Henri Emmanuelli. Allons ! Debout, messieurs !
M. Jean-Pierre Balligand. Quelle hécatombe !
M. le président. Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.
* M. le président. La parole est à M. Didier Bariani.
M. Didier Bariani. Monsieur le Premier ministre, c'est avec consternation et une profonde émotion que, samedi, les amis d'Israël ? et ils sont nombreux sur tous les bancs de l'Assemblée ? ont appris le drame qui a endeuillé à la fois Israël et la paix. Yitzhak Rabin symbolisait en effet les efforts considérables d'Israël pour la paix et cet engagement d'homme d'Etat lui valait le respect du monde entier.
Les fossoyeurs de la paix se rejoignent dans la terreur. Puissent-ils être condamnés définitivement par l'aboutissement des accords en cours, ce qui serait le plus grand hommage que les hommes de bonne volonté pourraient rendre à Yitzhak Rabin.
La présence à ses obsèques du Président de la République, accompagné du ministre des affaires étrangères, a constitué un geste fort qui a montré que notre pays était aux côtés d'Israël, aujourd'hui ébranlée, en état de choc au lendemain de ce crime odieux. L'Assemblée nationale, par votre voix et votre présence, monsieur le président, s'est associée à cette manifestation sincère et profonde de sympathie.
Cet événement tragique est survenu dans un climat déjà difficile, car l'opinion est divisée alors que l'extrême droite se radicalise et devient intransigeante.
Dans la situation politique confuse qui domine aujourd'hui, les conséquences de ce drame peuvent être incalculables.
Au nom du groupe de l'UDF et du groupe d'amitié France-Israël qui comprend des députés appartenant à tous les groupes politiques je voudrais savoir, monsieur le Premier ministre ? et, compte tenu de l'importance du sujet, j'espère que vous aurez à coeur de répondre personnellement ? comment la France compte soutenir l'Etat d'Israël au cours des semaines à venir, qui s'annoncent difficiles pour ce grand pays ami, et quelle forme prendra notre solidarité à l'égard du peuple israélien qui traverse aujourd'hui une difficile et douloureuse épreuve. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président du groupe d'amitié France-Israël, comme chacune et chacun d'entre vous, je le pense, j'ai été bouleversé par l'assassinat de Yitzhak Rabin.
Je veux donc d'abord rendre hommage à l'ami.
J'ai rencontré Yitzhak Rabin, pour la première fois, au mois de juillet 1993. J'étais alors ministre des affaires étrangères. Ce fut un premier contact rude, car l'homme était entier, courageux, sans concession.
M. Jean-Pierre Balligand. Et de gauche !
M. le Premier ministre. Face à un drame de cette nature, il faudrait éviter de ramener les choses à la petite politique politicienne ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Jean-Pierre Balligand. Pourquoi ne dirait-on pas qu'il était socialiste ?
M. le Premier ministre. J'ai ensuite rencontré Yitzhak Rabin à de très nombreuses reprises pendant les deux années qui se sont écoulées entre ce premier rendez-vous et sa mort. De réels liens d'amitié se sont tissés entre nous. J'ai donc été touché personnellement, comme tous ceux qui le connaissaient, par ce drame.
Au-delà des relations personnelles, c'est au combattant de la paix que je tiens à rendre hommage. Après avoir été un chef de guerre prestigieux, il avait su revêtir le vêtement de l'artisan de la paix. Il l'a fait avec un courage, une détermination, une ténacité admirables, en reconnaissance desquels les dirigeants du monde entier sont venus, comme l'a fait le Président de la République au nom de la France, s'incliner devant sa dépouille.
Aujourd'hui nous avons, envers Israël, un devoir de solidarité plus grand que jamais. Nous l'avons d'ailleurs assumé dès les premiers temps du processus de paix, dès l'accord d'Oslo. La France a, en effet, été l'un des tout premiers pays, l'une des toutes premières puissances à soutenir, sans réticence et sans hésitation aucune, le processus de paix. Nous avons été aux côtés des artisans de la paix, des Prix Nobel de la paix : Rabin, Pérès, Arafat. Cela s'est traduit par un resserrement réel des liens entre la France et Israël, notamment à l'occasion des voyages que j'ai pu effectuer sur place.
Nous avons aussi tout fait pour que se resserrent les liens entre Israël et l'Union européenne. C'est ainsi sous la présidence française qu'a été menée à bien la négociation du nouvel accord entre l'Union européenne et Israël, même si sa signature est intervenue quelques semaines plus tard. Dans quelques jours, précisément à la fin du mois de janvier, l'Union européenne supervisera les élections palestiniennes ; contribuant à la mise en oeuvre du processus de paix. Enfin, dans quelques jours, se tiendra ? encore à l'initiative de la France ? la conférence Euro-méditerranéenne, qui peut tout changer dans le destin de la Méditerranée et où, à côtés de nos partenaires de l'union européenne, Israël aura toute sa place, avec l'ensemble des pays de la région.
Voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous sommes déterminés à continuer à faire pour donner au peuple israélien, comme à tous les peuples du Proche-Orient, la chance de la paix. C'est la mission qui nous incombe aujourd'hui afin de donner à Yitzhak Rabin sa vraie victoire : victoire sur la guerre, victoire sur la mort, victoire sur la haine.
Soyons de toutes nos forces aux côtés d'Israël, aux côtés de tous les peuples de la région, pour qu'Israël et les Palestiniens gagnent vraiment et pour toujours la bataille de la paix dans la sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre, du groupe République et liberté et du groupe socialiste.)
* M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Monsieur le Premier ministre, le changement de Gouvernement, après la récente intervention télévisée du Président Chirac sur Antenne 2, confirme votre volonté d'instaurer une nouvelle ère d'aggravation de l'austérité pour les Françaises et les Français. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Mme Muguette Jacquaint. Mais oui !
M. Alain Bocquet. Oubliées les promesses électorales sur la réduction de la fracture sociale !
A la suite de la rencontre avec le chancelier Kohl, c'est une capitulation sur la monnaie unique.
Où et quand les Françaises et les Français ont-ils été consultés sur ce qui conditionne leur avenir ? Une fois de plus, ils ont été trompés par un gouvernement qui a cédé devant le mur de l'argent-roi.
Maastricht et les marchés financiers vont-ils dicter la politique de la France ?
Ce qui préoccupe les Françaises et les Français, ce n'est pas le replâtrage à la hâte du Gouvernement, encore que le renvoi dans leur foyer de huit femmes ministres est un beau sujet pour l'Observatoire de la parité que vous venez de mettre en place ! Les Françaises et les Français veulent savoir si l'on va ou non donner la priorité à l'emploi, au pouvoir d'achat et répondre aux aspirations de notre jeunesse.
Vous ne voulez pas prendre en compte les attentes du mouvement social qui s'exprime dans l'unité et avec un grand esprit de responsabilité. Vous avez tort ! Lutter contre les déficits peut servir l'emploi, mais à condition de s'attaquer aux causes de la crise ; taxer les mouvements de capitaux sans états d'âme ; taxer au même niveau que les salaires les revenus financiers pour apporter 77 milliards de francs à la sécurité sociale ; transformer 500 000 CES en emplois stables pour les jeunes. Voilà des exemples de mesures simples et efficaces. (« Simplistes ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du centre.) Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, monsieur le Premier ministre, vous vous refusez obstinément à les mettre en oeuvre ?
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président du groupe communiste, je ne vais pas refaire l'histoire budgétaire de notre pays depuis quinze ans, mais, à partir des années 80, on a dépensé beaucoup plus. Vous en étiez !
M. Alain Bocquet. Si peu !
M. le Premier ministre. Pas vous-même, mais vos amis au Gouvernement.
On a vu le résultat : au bout de deux ou trois ans, il a fallu arrêter les frais. La France courait à l'abîme.
De 1986 à 1988, nous avons redressé les choses : c'est la seule période de notre histoire budgétaire récente où le déficit des comptes publics a sensiblement diminué. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Mais vous avez été battus !
M. le Premier ministre. Puis M. Rocard est revenu au pouvoir et il a réhabilité la dépense publique : la dette a été multipliée par trois et le déficit aussi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)
Je vous le dis avec solennité et détermination : nous rompons avec cette politique de facilité et génératrice de chômage.
M. Henri Emmanuelli. C'est faux !
M. le Premier ministre. Car, pendant le même temps, le chômage a triplé.
Nous allons faire une autre politique qui consiste à maîtriser les déficits, à réduire les dépenses, à réunir les conditions d'une baisse sensible des taux d'intérêt qui apportera de l'oxygène à tous les acteurs économiques, et à engager le processus qui permettra le moment venu de baisser la pression fiscale. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Brard. La pensée unique. La pensée atrophiée !
M. le Premier ministre. Voilà la vraie réponse au fléau du chômage qui mine à l'heure actuelle l'économie et la société française.
M. Henri Emmanuelli. Trichet à Matignon !
M. le Premier ministre. J'ajoute que nous avons depuis quelques mois mis en place des instruments de lutte contre le chômage de longue durée comme vous n'en avez jamais imaginés : 100 000 contrats initiative-emploi en trois mois et la baisse du chômage de longue durée, voilà le début de la réduction de la fracture sociale ! Voilà une vraie politique de lutte contre l'exclusion.
C'est sur ce cap, fixé par le Président de la République ? lutte contre les déficits et lutte contre le chômage, parce que c'est un seul et même combat ? que nous allons continuer notre action ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Protestations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 21 juillet 2014