Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur le remaniement du gouvernement, au Sénat le 9 novembre 1995.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement au Sénat le 9 novembre 1995

Texte intégral

M. le président. La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le Premier ministre, le gouvernement le plus éphémère de la V' République vient de prendre fin, et ce en pleine discussion budgétaire. Quelle belle démonstration d'estime pour le travail parlementaire !
Certes, la configuration du défunt gouvernement avait de quoi surprendre : les chevauchements d'attribution ont vite semé la confusion ; le découpage ministériel collait peu aux réalités administratives, l'émiettement du secteur des affaires sociales entre plusieurs ministères en étant la plus parfaite illustration.
Par cette démission, monsieur le Premier ministre, vous reconnaissez non seulement votre erreur de « casting » mais aussi l'incohérence de votre premier gouvernement, et je ne parle pas du limogeage du ministre de l'économie et des finances, qui ne sera resté que quelques semaines !
Enfin, le décalage entre les promesses du candidat Chirac et l'action gouvernementale illustre bien les contradictions de votre majorité. Le Gouvernement tourne le dos aux engagements du candidat de « l'autre politique ».
Vous vouliez réduire la fracture sociale : vous exaspérez les banlieues. Vous vouliez lutter contre le chômage : vous n'avez pas de résultat. Vous vouliez, paraît-il, redresser l'image de la France à l'étranger : vous avez isolé notre pays. Vous parliez de réforme structurelle de la sécurité sociale : vous commencez par prendre une mesure d'urgence en augmentant le forfait hospitalier.
A force de jouer les équilibristes, on finit par tomber. C'est ce qui est arrivé à votre gouvernement !
Et quel remaniement ! Quatre arrivées et de nombreux départs !
A ce propos, quelques semaines seulement après la conférence de Pékin et à quelques jours de la journée de la femme, le départ de la plupart des femmes de votre gouvernement est du plus mauvais effet, et nombreuses sont nos concitoyennes qui peuvent y voir une sorte d'humiliation.
Vous aviez pourtant déclaré, le 19 octobre dernier : « J'ai voulu montrer la voie en prenant douze femmes dans mon gouvernement. Si j'ai choisi ces femmes, ce n'est pas pour mettre des touches de couleur sur les photos prises sur les perrons des palais nationaux, mais c'est parce que j'avais besoin d elles pour m'aider à réformer notre pays et le rendre plus juste et plus solidaire. »
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas une question !
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le Premier ministre, ma question est triple.
Un remaniement ministériel signifie soit un aveu d'échec, soit la volonté d'un nouveau départ. Que signifie le vôtre ?
Par ailleurs, après vos déclarations sur la présence des femmes au Gouvernement et la manière dont vous les avez remerciées, quel est, à votre sens, la place des femmes dans notre société ?
Enfin, vous avez déclaré mardi dernier après l'annonce de la composition du nouveau gouvernement, que ce qui vous manquait, c'était « le moral, l'optimisme, l'enthousiasme ». Inquiet comme nombre de nos concitoyens, pour la santé de la France, je vous pose simplement la question : quand comptez-vous retrouver le moral ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le sénateur, dans la peinture que vous avez faite de ce remaniement ministériel, j'ai cru déceler comme une touche de regret ou d'envie. N'injuriez pas l'avenir, on verra bien ! (sourires.)
Le moral, moi, je ne l'ai jamais perdu. Lorsque j'ai évoqué la nécessité de l'enthousiasme et de l'optimisme, je m'adressais à nos concitoyens, en leur disant que la France avait certes des points forts et des points faibles, mais que ce qui lui manquait le plus, c'était le moral. Le Gouvernement, lui, n'en manque pas.
S'agissant du remaniement auquel nous venons de procéder, permettez-moi de vous rappeler que j'en suis revenu, c'est vrai, en ce qui concerne la proportion des femmes, à la moyenne des gouvernements socialistes d'après 1988, gouvernements que vous avez soutenus activement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes.)
J'ai souhaité, par ailleurs, faire bénéficier ce gouvernement de compétences nouvelles. Certains des nouveaux ministres sont d'ailleurs ici présents.
Et comme je souhaitais disposer d'une équipe plus homogène, et donc par la force des choses moins nombreuse, j'ai été amené, bien entendu, à prendre les décisions que vous évoquiez.
Il s'agit, je l'ai expliqué à la télévision à l'adresse des Français, d'un nouveau départ dans l'action gouvernementale, d'une nouvelle phase de cette action. Mais nous n'avons pas changé de cap. Permettez-moi de rappeler que je me suis exprimé ici en mai dernier et que la majorité de cette assemblée a approuvé le discours que je lui ai tenu.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les godillots !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Vous avez une longue expérience, en ce domaine : de 1981 à 1986 et de 1988 à 1993. A l'époque, les godillots étaient beaucoup plus lourds à porter !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout !
M. Alain Juppé, Premier ministre. En mai dernier, j'ai déclaré ici même que la lutte contre les déficits et la lutte contre le chômage étaient un seul et même combat.
Il est bien évident que nous ne pouvons pas poursuivre indéfiniment la politique que vous avez menée si longtemps. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.)
Triplement du déficit de l'Etat, triplement de l'endettement de l'Etat : voilà quelque chose d'insupportable dont les Français ont pleinement conscience.
M. Paul Raoult. Ça ne marche plus ! Voilà deux ans et demi que vous êtes au Gouvernement !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il fallait rompre avec cette politique... (Exclamations sur les travées socialistes.)
Je comprends qu'il soit désagréable pour vous que l'on rappelle tout cela, mais c'est la vérité, et je pourrais l'illustrer par des chiffres très précis. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Entre-temps, il y a eu M. Balladur !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il fallait donc rompre avec cette politique, de même qu'il fallait rompre avec une politique qui aboutissait à des taux d'intérêt asphyxiant l'économie française.
C'est par une politique de remise en ordre de nos finances publiques, par une politique qui favorise la détente des taux d'intérêt - je note, à cet égard, un mieux depuis quelques jours - que nous permettrons l'activation de la croissance et donc la diminution du chômage.
Voilà la cohérence de notre politique, voilà ce à quoi la nouvelle équipe gouvernementale, que j'ai l'honneur de diriger, va s'attaquer avec détermination et, j'en suis sûr, avec le soutien de sa majorité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
source http://www.senat.fr, le 21 juillet 2014