Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur la lutte contre la pauvreté et le risque d'exclusion sociale, Paris le 2 juillet 2014.

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Circonstance : Remise du rapport annuel de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) à Paris le 2 juillet 2014

Texte intégral


Mesdames, Messieurs
L'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale nous convie à un rendez-vous annuel en publiant son rapport, et je salue ici son président, Jérôme Vignon, ainsi que les chercheurs et experts qui y ont contribué. Je salue également les membres du CNLE dont les travaux se nourrissent des études de l'observatoire.
Ce rapport qui m'est remis aujourd'hui décrit et mesure l'intensité des effets d'une crise qui aggrave la pauvreté et le risque d'exclusion.
En effet, tous ceux qui interviennent auprès des plus fragiles le constatent : on n'a jamais autant distribué de denrées alimentaires, hébergé de familles, aidé de ménages à régler leurs factures d'énergie…. Ces réalités là, un budget dans le rouge dès le 20 du mois, des choix difficiles qui sacrifient des dépenses pourtant capitales comme la santé, ces réalités là qui sont celles que vivent des millions de personnes en France (8,7 millions de personnes victimes de pauvreté en 2012 dites vous), ces réalités là sont celles que vous vous efforcez d'approcher de façon quantitative.
En cela, l'observatoire est un outil déterminant pour les politiques sociales : il permet de mesurer le chemin qu'il reste à parcourir pour une société française plus inclusive.
Oui, nous avons besoin de chiffres pour objectiver des réalités complexes, faire surgir des formes de pauvreté cachées, voire honteuses, ou au contraire pour démentir ceux qui veulent monter en épingle des situations particulières.
Mais je n'attends pas seulement d'un observatoire qu'il décrive des réalités sociales, ou qu'il s'efforce de rende visible « statistiquement » des personnes qui ont déserté l'espace public ; j'attends d'un observatoire qu'il mette en lumière des corrélations, qu'il dégage des facteurs explicatifs. Car mon travail c'est de bien comprendre ces phénomènes pour agir au mieux, et agir au plus tôt pour prévenir les ruptures. Comment s'enclenchent les engrenages qui mènent à la pauvreté et l'exclusion ? Pourquoi ici les situations personnelles continuent à se dégrader malgré des politiques ambitieuses et des acteurs plus que jamais engagés ?
Cela ne suffit pas de constater, il faut comprendre. Et je trouve insatisfaisant de ne pas mettre en regard de ces constats l'engagement massif de certaines collectivités locales particulièrement ambitieuses sur le front de la pauvreté. D'un département à l'autre, on n'a pas la même réponse face à la dégradation de la situation économique et sociale. Je crois fondamentalement au primat du politique: oui, j'en suis convaincue, on peut freiner l'impact de la crise sur des conditions de vie par des politiques audacieuses qui améliorent le quotidien des plus pauvres. C'est le cas dans le Nord, dans le Languedoc Roussillon, en Meurthe et Moselle…. Plus que jamais, le choix que font les citoyens de leurs élus locaux est déterminant.
Vous parlez d'irréversibilité des situations de pauvreté. Irréversible, le mot est fort. Et c'est un mot qui ne fait pas partie de mon vocabulaire. C'est cette fatalité que je combats, c'est le sens de mon engagement politique.
Mon rôle en tant que secrétaire d'Etat chargée de la lutte contre l'exclusion, c'est de redonner des raisons d'espérer, c'est de faire en sorte que se conjuguent les énergies publiques et privées, individuelles et collectives, nationales et locales, pour que la société toute entière s'emploie à resserrer les liens pour construire un avenir qui ne laisse personne au bord du chemin.
C'est l'ambition du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale adopté en janvier 2013, engagement sans précédent d'un gouvernement déterminé à attaquer sur tous les fronts en même temps les effets de la crise que vous décrivez.
- Un plan largement concerté et co-construit avec tous les acteurs, y compris les personnes en situation de pauvreté,
- un plan qui mobilise 11 ministres
- Un plan qui a rapidement été suivi de mesures d'urgence combinées avec des réformes plus structurelles destinées à faire évoluer nos politiques sociales.
- Un plan destiné à réduire les inégalités et prévenir les ruptures, à venir en aide et accompagner vers l'insertion, tout en coordonnant au mieux l'action sociale et en valorisant ses acteurs.
- Un plan qui repose sur les principes de non stigmatisation et du juste droit.
Les données qui ont servi de base au rapport sont de 2012, pour les plus récentes. Elles décrivent donc une réalité qui ne prend pas en compte les effets des premières réalisations concrètes du Plan :
- la hausse du plafond de la CMU qui a permis de développer l'accès aux soins en ouvrant des droits nouveaux à 750 000 personnes supplémentaires.
- La revalorisation du RSA, du minimum vieillesse et du complément familial,
- Le plafonnement des frais bancaires et l'automatisation des tarifs sociaux de l'énergie.
Et puis il y a les expérimentations en cours, qui ont comme mots d'ordre : simplification et décloisonnement. Cela demande du temps, et c'est un peu frustrant pour des responsables politiques, mais je suis convaincue qu'il faut co-construire avec les acteurs de terrain et tester les projets de réformes d'abord sur quelques territoires pour ne pas risquer de graver trop vite dans le marbre des dispositifs qui se révèleraient inopérants.
Les travaux en cours sur la simplification administrative, la garantie jeunes, les points conseils budget seront peu visibles dans les chiffres nationaux de l'observatoire mais sont destinés à termes à produire des améliorations fortement appréciées par le citoyen dans sa vie quotidienne.
Je voudrais également insister sur la déclinaison territoriale du Plan pauvreté : c'est au plus près des personnes qu'il doit se traduire concrètement, avec la création de places en crèches, la création de places d'hébergement, la stratégie d'accès aux droits déployée par les CAF avec les rendez-vous des droits. Des préfets se sont mobilisés pour organiser la feuille de route, je pense notamment au travail remarquable de certaines régions, comme l'Aquitaine, dans la mise en oeuvre opérationnelle des mesures du Plan. Je le redis : les collectivités locales sont en premières lignes, et j'en sais quelque chose puisque je suis élue départementale.
Et puis, la prudence s'impose en matière de mesure de la pauvreté. De votre propre aveu, certaines évolutions d'indicateurs viennent en contradiction avec les constatations des acteurs de terrain. Leurs baromètres nous alarment régulièrement sur la diminution drastique du « reste à vivre » des ménages. La pauvreté monétaire, celle qu'on a le plus l'habitude de mobiliser, est relative puisqu'elle est indexée sur le revenu médian. Cela ne suffit pas. Quant à la « pauvreté en condition de vie », qui cherche à d'appréhender le niveau de privation matérielle, elle a un inconvénient majeur : elle n'intègre pas les personnes sans domicile fixe et celle qui sont hébergées. Ce sont elles qui constituent pourtant la frange la plus vulnérable de la population. Et ces personnes les plus touchées par la pauvreté, ce sont les femmes seules avec enfant, de moins de 30 ans. J'y suis particulièrement sensible.
Et c'est pour cela que je souhaitais recevoir votre rapport ici, au Palais de la femme, où celles-ci peuvent trouver un toit et un accompagnement. Comme je suis sensible également au caractère insupportable de la pauvreté des enfants : 41 % des enfants issus d'un foyer monoparental vit sous le seuil de pauvreté.
Et pourtant, notre système de solidarité a joué pleinement son rôle d'amortisseur de crise, vous le précisez bien. Avec toutes ses imperfections et sa complexité, il a permis à notre pays de rester l'un des plus redistributifs d'Europe. Vous esquissez d'ailleurs des comparaisons entre les pays, et la France est parmi ceux qui résistent le mieux : l'évolution de l'exclusion y reste limitée, quand elle explose ailleurs. La encore, il s'agit de choix politiques forts, qui font mentir ceux qui se complaisent à dire l'impuissance du politique. Et je sais la contribution que l'on vous doit, Monsieur Vignon, dans l'élaboration des objectifs ambitieux de l'Union Européenne pour réduire la pauvreté à horizon 2020. Même s'il est désormais avéré qu'ils ne seront pas atteints, ils devront rester le coeur de la politique de cohésion mise en oeuvre par la nouvelle Commission.
Quant à la France, elle prend ses responsabilités dans un Pacte qui prend la mesure des contraintes budgétaires lourdes du pays mais qui préserve les plus pauvres.
Et sachez que loin d'entamer ma motivation devant l'ampleur de la tâche qui m'est confiée, votre rapport et la situation préoccupante qu'il décrit ne fait que renforcer ma combativité.
Je vous remercie.
Source www.onpes.gouv.fr, le 9 juillet 2014