Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France Info le 12 août 2014, sur le convoi humanitaire russe en Ukraine, l'aide française aux victimes irakiennes de l'Etat islamique et sur la situation à Gaza.

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Média : France Info

Texte intégral


MATHILDE MUNOS
L'invité de France Info ce matin est le Ministre des Affaires étrangères. Bonjour Laurent FABIUS.
MONSIEUR LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES LAURENT FABIUS
Bonjour.
MATHILDE MUNOS
Avant de parler du Proche et du Moyen Orient, j'aimerais votre réaction à cette dernière information sur l'Ukraine. La Russie envoie un convoi humanitaire en Ukraine. Vous craignez que ce ne soit pas seulement un convoi humanitaire ?
LAURENT FABIUS
Oui, c'est tout le problème. La Russie dit : “J'envoie des camions pour des raisons purement humanitaires”, mais il y a une règle dans ces opérations. C'est que ce n'est possible qu'avec l'accord du pays dans lequel on envoie cette aide humanitaire et avec l'aide de la Croix Rouge. Or, cette question n'est pas encore réglée. Evidemment, il faut être extrêmement prudent parce que cela pourrait être une couverture de la part des Russes pour s'installer près de Louhansk et de Donetsk et pratiquer la politique du fait accompli.
MATHILDE MUNOS
Il y a donc là une violation du droit international ?
LAURENT FABIUS
Il y a des discussions avec la Croix Rouge. Cette opération n'est possible et justifiable qu'à partir du moment où la Croix Rouge aura donné son aval, où il n'y aura pas de forces militaires autour et il n'y aura pas simplement les Russes mais d'autres et l'Ukraine serait d'accord, ce qui à l'heure où je parle n'est pas le cas.
MATHILDE MUNOS
Et si la Croix Rouge ne donne pas son accord, qu'est-ce qui se passe ? Les camions arriveront à peu près d'ici deux jours. Ils partent aujourd'hui de Moscou.
LAURENT FABIUS
A ce moment-là, il ne faut pas les autoriser à passer.
MATHILDE MUNOS
Ça veut donc dire une action ? une réaction de quelqu'un ? de la communauté internationale ?
LAURENT FABIUS
Non. Je pense qu'il y a une pression des Russes et il faut qu'en face de la pression des Russes, la Croix Rouge qui est une organisation tout à fait respectée et respectable agisse comme elle doit le faire avec la communauté internationale.
MATHILDE MUNOS
Laurent FABIUS, la France a commencé à apporter de l'aide humanitaire en Irak. Qu'en est-il de l'aide militaire ? Vous avez dit que vous vouliez que ça se fasse dans un cadre européen. Où en êtes-vous de vos discussions avec nos voisins ?
LAURENT FABIUS
Prenons les choses une par une si vous le voulez bien. Sur le plan humanitaire, j'ai convoyé dimanche dernier dix-huit tonnes à destination d'Erbil. Dans les deux jours qui viennent, il va y avoir un nouvel envoi de vingt tonnes d'équipements, de potabilisation d'eau et de médicaments. Cela va être fait dans les deux jours et arrivera aussi dans la région kurde. Dans les jours suivants, il y a un troisième envoi qui est prévu en matière de vivres. Ça, c'est sur le plan humanitaire français. J'ai demandé immédiatement à la suite de mon voyage à l'Europe qu'on établisse un pont européen humanitaire. C'est-à-dire que ce ne soit pas la France toute seule ou la France et tel pays de manière désordonnée mais que l'ensemble des pays d'Europe puisse coordonner leur action pour qu'il y ait un pont. Aujourd'hui même, il y a une réunion de ce qu'on appelle le COPS (Comité politique et de sécurité), c'est-à-dire les représentants des différents pays au niveau européen, pour mettre en musique cela, et j'espère que cela va être fait. Ça, c'est sur le plan humanitaire.
MATHILDE MUNOS
Pour l'instant, aucun pays ne vous a donné son accord ?
LAURENT FABIUS
Si. Mais la réunion d'aujourd'hui a pour but de coordonner l'action des différents pays européens. J'espère bien qu'ils vont donner leur accord. On ne peut pas rester sans réaction lorsqu'on voit des centaines et des milliers de gens, d'enfants et de femmes mourir de faim. C'est de cela qu'il s'agit.
MATHILDE MUNOS
Et pour l'aide militaire ?
LAURENT FABIUS
Ça, c'est l'humanitaire. Deuxio, il y a le politique et tertio, il y a le militaire. Sur le plan politique, vous avez vu ce qu'il se passe. Très heureusement, l'ancien Premier ministre monsieur MALIKI qui était responsable d'une grande partie de ce désastre, a été remplacé par monsieur AL-ABADI que nous soutenons. Le président MASSOUM, qui est le président irakien, dit à monsieur AL-ABADI : “Vous êtes en charge”, mais MALIKI s'accroche si je puis dire. La position de la France est tout à fait claire : nous soutenons le Premier ministre qui a été désigné régulièrement et nous espérons bien qu'il y aura un gouvernement d'union nationale. Ça, c'est sur le plan politique interne.
MATHILDE MUNOS
Et le troisième point, le plan militaire.
LAURENT FABIUS
Le troisième point est l'aspect militaire. Il y a un déséquilibre évident parce que d'un côté, cet horrible groupe terroriste de l'Etat islamique dispose d'armes très sophistiquées, qu'ils ont d'ailleurs prises pour une bonne part à l'armée irakienne qu'ils ont mise en déroute. De l'autre côté les Peshmergas, c'est-à-dire les combattants kurdes, sont extrêmement courageux mais n'ont pas les mêmes armes. On peut rester comme cela et dire : “C'est désolant, on n'y peut rien” mais telle n'est pas notre position. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à madame ASHTON de réunir au plus vite le Conseil des affaires étrangères, l'ensemble de mes collègues, pour qu'on prenne au niveau européen des décisions sur ce point.
MATHILDE MUNOS
Pour le moment, il n'y a aucun accord avec d'autres pays ?
LAURENT FABIUS
Il n'y a pas eu de date encore et je redemande que ce soit fait d'urgence. Je sais bien que dans les pays occidentaux, c'est la période paraît-il des vacances, mais enfin quand il y a des gens qui meurent – j'allais dire qui crèvent – il faut revenir de vacances. J'ai demandé et madame MOGHERINI, la ministre italienne, aussi, que cela soit fait en urgence et j'attends que l'urgence soit respectée.
MATHILDE MUNOS
Quel serait l'objectif ? Arrêter la progression de ces combattants islamistes ? c'est-à-dire les circonscrire à une région particulière ou les détruire et les empêcher de construire leur Etat islamique ?
LAURENT FABIUS
Vous savez, quand vous voyez ce que font ces gens et ce qu'ils ont l'intention de faire, c'est en gros tuer tous ceux qui ne pensent pas comme ça, qui n'abjurent pas leur religion, pratiquer les tortures, les viols systématiques. Enfin, ce sont des gens absolument inhumains ! Il ne s'agit pas simplement de dire : “C'est regrettable. Passons notre chemin.” Il s'agit d'aider les Kurdes et les Irakiens à avoir les moyens de résister et, si possible, de les battre. Car leur objectif, madame, ce qu'ils appellent le Khalifa islamique, ce n'est pas simplement l'Irak, c'est l'Irak, c'est la Syrie, c'est la Jordanie, c'est Israël, c'est la Palestine, excusez du peu. C'est ça, l'objectif. Et nous, nous tous, qui ne pensons pas comme eux, que ce soit sur le plan Proche ou Moyen Orient ou sur le plan de l'Europe, nous sommes des chiens à écraser et à détruire. Quand on est dans cette situation, il faut évidemment garder son calme, mais il faut aussi donner les moyens aux uns et aux autres de résister, et si possible de les neutraliser. Faisons attention à un point, tout de même, j'attire votre attention là-dessus. C'est qu'il y a beaucoup de combats qui ont lieu au niveau des Kurdes, c'est-à-dire au Nord de l'Irak, mais vous avez vu peut-être que si les Kurdes ont pu reprendre deux villages hier, en revanche il y a une ville qui n'est pas loin de Bagdad, qui a été prise par l'Etat islamique, et quand vous regardez la carte, faisons attention à ce qu'il n'y ait pas simplement l'attention portée sur ce qui se passe au Nord de l'Irak, mais il y a aussi la question de Bagdad. J'étais dimanche à Bagdad, qui est une ville totalement en état de guerre, vous avez des tanks à tous les coins de rues, et le front est à cent vingt kilomètres.
MATHILDE MUNOS
Laurent FABIUS, à quelques centaines de kilomètres de là, un autre conflit ensanglante la région, entre les Israéliens et les Palestiniens, des négociations sont en cours en Egypte, négociations auxquelles le Hamas participe. Le mouvement islamiste est-il devenu, de fait, un partenaire avec lequel il faut discuter ?
LAURENT FABIUS
Non, vous savez quelle est la position de la France et de l'Europe, nous ne reconnaissons pas le mouvement Hamas, dans la mesure où celui-ci maintient dans ses objectifs, l'objectif de la destruction d'Israël. Et nous avons dit, et c'est une position internationale, que pour qu'il y ait un dialogue officiel, il faudrait que le Hamas, comme l'a fait le Fatah, le président Mahmoud ABBAS, à la fois reconnaisse l'Etat d'Israël, les accords qui ont été passés et en même temps renonce à la violence. Bon.
MATHILDE MUNOS
Mais la France est quand même le seul pays occidental à avoir aujourd'hui un consulat à Gaza. Alors, officiellement c'est un centre culturel, mais c'est une représentation diplomatique.
LAURENT FABIUS
Non non, mais Gaza et le Hamas, même si c'est le Hamas qui domine Gaza…
MATHILDE MUNOS
Et qui dirige.
LAURENT FABIUS
Nous, nous nous situons par rapport aux Palestiniens. Bon. Mais en ce qui concerne Gaza et Israël, j'ai eu hier soir au téléphone mon collègue, le ministre des Affaires étrangères égyptien, et je veux rendre hommage au rôle de médiation que les Européens jouent là-dedans, je lui ai… nous avons discuté du fond, il ne reste plus qu'un jour pour prolonger la trêve, puisque la trêve a été conclue pour trois jours, j'espère qu'il va y avoir des progrès, mais les positions…
MATHILDE MUNOS
Il vous a dit que ça semblait bien parti ou pas ?
LAURENT FABIUS
Non, les positions sont encore lointaines, mais nous travaillons pour qu'il y ait des progrès, et vous avez peut-être noté que la France, accompagnée de l'Angleterre et de l'Allemagne, a fait des propositions au nom de l'Europe, pour que, en particulier, nous puissions superviser le contrôle de ce que l'on appelle la zone de Rafah, c'est-à-dire entre Gaza et l'Egypte, parce que cela permettrait de desserrer le blocus, et donc il faut assurer la sécurité d'Israël, mais il faut faire en sorte que ce blocus soit allégé. Et donc c'est l'Europe, sur la proposition de la France, qui est allante dans cette direction.
MATHILDE MUNOS
Merci beaucoup Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères, et invité de France Info ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 août 2014