Texte intégral
Le 1er Mai n'a pas donné lieu cette année, et contrairement à l'année passée, à un défilé unitaire de la part des syndicats. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Marc Blondel : Pour Force Ouvrière, la tradition du 1er mai est célébrée en référence aux origines du mouvement syndical, c'est-à-dire à l'indépendance et la rébellion. À Chicago, en 1886, les travailleurs américains qui avaient choisi le 1er Mai comme date symbolique l'ont fait sur la base de leurs revendications. Le 1er Mai, c'était le Moving Day, le jour du déménagement, celui où les contrats étaient reconduits ou renégociés. Ils étaient temporairement libres de tout engagement, l'internationalisation est venue ensuite notamment avec le massacre de Fourmies. C'était donc et cela reste pour nous un jour de revendication et de liberté.
Si nos revendications coïncident ponctuellement avec une ou plusieurs autres organisations, un cortège unitaire est logique. Mais, pour nous, le 1er Mai est d'abord l'occasion de marquer nos positions, de nous faire entendre. Quand il y a des positions différentes, pourquoi faudrait-il faire un cortège commun ? Il n'est pas malsain que les différences s'expriment. C'est la démocratie.
Au contraire une unité de façade tromperait les travailleurs et l'opinion publique.
Bien sûr, il est impossible de ne pas revenir sur les mouvements sociaux de ces dernières semaines. Selon vous, quelle est la raison de la recrudescence des licenciements actuels ?
Marc Blondel : Le profit, tout simplement ! Et, de manière tactique, certains patrons ont attendu que les municipales soient passées.
Si Marks Spencer a licencié, c'est en partie parce que les clients fréquentaient moins certains magasins. Mais c'est aussi parce que c'était une façon d'envoyer un signal aux actionnaires et de "rendre" à ceux-ci, selon les mots de son P-DG, plusieurs millions de Livres. De plus, l'annonce a été faite à Paris, en violation du droit français, parce que la priorité c'était la Bourse de Londres: il fallait prévenir les actionnaires en premier ! C'est la raison pour laquelle je suis allé manifester le 17 mai à Londres devant le siège de Marks Spencer avec les salariés menacés.
L'analyse plus détaillée semble nous conduire vers une opération immobilière.
Que pensez-vous des mesures présentées par le gouvernement pour tenter de lutter contre ces licenciements (entre autres le renchérissement des coûts des licenciements pour les entreprises qui font des bénéfices) ? Sont-elles réellement utiles ou bien restent-elles simplement conjoncturelles ?
Marc Blondel : J'ai exprimé le sentiment, lorsque Mme Guigou nous les a exposées, que c'était très loin du compte. Non pas que cela n'aille pas dans un sens favorable à l'information des salariés, mais est-ce suffisant? Les salariés de Danone/Lu ont été mieux informés, consultés, etc. Sans doute aussi y aura-t-il plus d'argent de consacré, mais au bout du bout, il y aura quand même licenciement.
Je ne crois pas à l'éthique en matière économique. La nature du capitalisme est d'être brutal quand il s'agit de ses intérêts. La seule façon de contrebalancer les choses c'est par le rapport de force, et la seule façon de le construire c'est par le syndicalisme. Mais il faudra renforcer les capacités d'intervention du syndicalisme au plan européen et international.
Je ne crois ni aux actions extérieures du type boycott ni aux actions spontanées, par nature éphémères.
La multiplicité des licenciements collectifs dans les établissements industriels de petite ou moyenne importance me fait craindre la désertification industrielle des petites et moyennes localités. L'État ne peut donc négliger cette situation.
À ce sujet, vous avez annoncé, dans un article du Monde, votre intention de discuter d'une "mobilisation commune" dans la perspective de la journée nationale d'action contre les licenciements prévue par la CGT le 22 mai prochain. Quelles sont vos conditions, vos exigences ?
Marc Blondel : J'avais effectivement déclaré, dès le 1er Mai, sur le plateau de TF1, et en présence de Bernard Thibault, que j'étais prêt à envisager une action dans l'unité pour peu, mais c'est évidemment essentiel, que les revendications soient claires et partagées.
Nous ne voulons pas saucissonner les problèmes alors que toutes les difficultés sont liées. Nous mettons donc trois thèmes en avant :
1° l'emploi (contre les plans sociaux et la précarité) ;
2° les salaires ;
3° les retraites.
Nous avons manifesté par dizaines de milliers, le 25 janvier, sur les retraites, dans l'unité des organisations afin de contraindre le MEDEF à cesser son chantage sur les retraites complémentaires et cela a marché. Mais nous savons bien que ce n'est que partie remise. Il faut donc bien maintenir la pression et continuer à mobiliser et maintenir la pression sur les pouvoirs publics comme sur le patronat.
Par ailleurs, nous refusons d'aller manifester à l'Assemblée nationale, au moment de l'examen du projet de loi de modernisation sociale sur les licenciements, si c'est pour aller soutenir une composante de la majorité contre une autre. Ce n'est pas notre rôle de rentrer dans les grandes manuvres politiques.
Le site Internet de Force Ouvrière (http://www.force-ouvriere.fr) est très complet, de quand date-t-il ? Internet est-il devenu un média indispensable à l'action syndicale ? Quelle est son importance pour la diffusion de vos idées et mobilisation de vos adhérents ?
Marc Blondel : Nous l'avons installé en 1996 au moment de notre déménagement dans nos locaux du 141 avenue du Maine. Il nous semblait indispensable d'afficher notre présence sur Internet au moment du développement de ce nouvel outil. Il a eu un certain succès puisqu'il a même fait l'objet sinon d'un plagiat, du moins d'un détournement des informations qui y sont contenues au profit d'un site installé à l'étranger !
Nous travaillons actuellement à sa refonte car les besoins des internautes grandissent ce qui, au passage, pour un site syndical est plutôt un signe de bonne santé! Par ailleurs, nous avons développé un réseau Intranet en direction de nos propres structures syndicales qui nous permet un gain de temps précieux dans les transmissions des dossiers, circulaires et communiqués.
Il ne faut pas surestimer l'impact d'Internet aussi nous travaillons toujours à élargir la diffusion de notre journal FO Hebdo. Nous avons d'ailleurs l'intention de faire de la formation au NTIC, les technologies nouvelles de l'information, un des éléments des négociations professionnelles et de l'élargissement du droit syndical. En même temps, nous formons nos militants à l'expression écrite, la rédaction des tracts. Bref, nous faisons en sorte que Gutemberg et Mac Luhan marchent d'un même pas.
Que pensez-vous d'un site comme le nôtre ?
Marc Blondel : C'est une bonne idée. Le journalisme "en ligne" est appelé à se développer. Je souhaite qu'on y joue la carte du sérieux et du dossier de fonds plutôt que celle du "scoop" et du sensationnalisme.
Bon courage, en tout cas.
Propos recueillis par Nicolas Ballot.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 28 mai 2001)
Marc Blondel : Pour Force Ouvrière, la tradition du 1er mai est célébrée en référence aux origines du mouvement syndical, c'est-à-dire à l'indépendance et la rébellion. À Chicago, en 1886, les travailleurs américains qui avaient choisi le 1er Mai comme date symbolique l'ont fait sur la base de leurs revendications. Le 1er Mai, c'était le Moving Day, le jour du déménagement, celui où les contrats étaient reconduits ou renégociés. Ils étaient temporairement libres de tout engagement, l'internationalisation est venue ensuite notamment avec le massacre de Fourmies. C'était donc et cela reste pour nous un jour de revendication et de liberté.
Si nos revendications coïncident ponctuellement avec une ou plusieurs autres organisations, un cortège unitaire est logique. Mais, pour nous, le 1er Mai est d'abord l'occasion de marquer nos positions, de nous faire entendre. Quand il y a des positions différentes, pourquoi faudrait-il faire un cortège commun ? Il n'est pas malsain que les différences s'expriment. C'est la démocratie.
Au contraire une unité de façade tromperait les travailleurs et l'opinion publique.
Bien sûr, il est impossible de ne pas revenir sur les mouvements sociaux de ces dernières semaines. Selon vous, quelle est la raison de la recrudescence des licenciements actuels ?
Marc Blondel : Le profit, tout simplement ! Et, de manière tactique, certains patrons ont attendu que les municipales soient passées.
Si Marks Spencer a licencié, c'est en partie parce que les clients fréquentaient moins certains magasins. Mais c'est aussi parce que c'était une façon d'envoyer un signal aux actionnaires et de "rendre" à ceux-ci, selon les mots de son P-DG, plusieurs millions de Livres. De plus, l'annonce a été faite à Paris, en violation du droit français, parce que la priorité c'était la Bourse de Londres: il fallait prévenir les actionnaires en premier ! C'est la raison pour laquelle je suis allé manifester le 17 mai à Londres devant le siège de Marks Spencer avec les salariés menacés.
L'analyse plus détaillée semble nous conduire vers une opération immobilière.
Que pensez-vous des mesures présentées par le gouvernement pour tenter de lutter contre ces licenciements (entre autres le renchérissement des coûts des licenciements pour les entreprises qui font des bénéfices) ? Sont-elles réellement utiles ou bien restent-elles simplement conjoncturelles ?
Marc Blondel : J'ai exprimé le sentiment, lorsque Mme Guigou nous les a exposées, que c'était très loin du compte. Non pas que cela n'aille pas dans un sens favorable à l'information des salariés, mais est-ce suffisant? Les salariés de Danone/Lu ont été mieux informés, consultés, etc. Sans doute aussi y aura-t-il plus d'argent de consacré, mais au bout du bout, il y aura quand même licenciement.
Je ne crois pas à l'éthique en matière économique. La nature du capitalisme est d'être brutal quand il s'agit de ses intérêts. La seule façon de contrebalancer les choses c'est par le rapport de force, et la seule façon de le construire c'est par le syndicalisme. Mais il faudra renforcer les capacités d'intervention du syndicalisme au plan européen et international.
Je ne crois ni aux actions extérieures du type boycott ni aux actions spontanées, par nature éphémères.
La multiplicité des licenciements collectifs dans les établissements industriels de petite ou moyenne importance me fait craindre la désertification industrielle des petites et moyennes localités. L'État ne peut donc négliger cette situation.
À ce sujet, vous avez annoncé, dans un article du Monde, votre intention de discuter d'une "mobilisation commune" dans la perspective de la journée nationale d'action contre les licenciements prévue par la CGT le 22 mai prochain. Quelles sont vos conditions, vos exigences ?
Marc Blondel : J'avais effectivement déclaré, dès le 1er Mai, sur le plateau de TF1, et en présence de Bernard Thibault, que j'étais prêt à envisager une action dans l'unité pour peu, mais c'est évidemment essentiel, que les revendications soient claires et partagées.
Nous ne voulons pas saucissonner les problèmes alors que toutes les difficultés sont liées. Nous mettons donc trois thèmes en avant :
1° l'emploi (contre les plans sociaux et la précarité) ;
2° les salaires ;
3° les retraites.
Nous avons manifesté par dizaines de milliers, le 25 janvier, sur les retraites, dans l'unité des organisations afin de contraindre le MEDEF à cesser son chantage sur les retraites complémentaires et cela a marché. Mais nous savons bien que ce n'est que partie remise. Il faut donc bien maintenir la pression et continuer à mobiliser et maintenir la pression sur les pouvoirs publics comme sur le patronat.
Par ailleurs, nous refusons d'aller manifester à l'Assemblée nationale, au moment de l'examen du projet de loi de modernisation sociale sur les licenciements, si c'est pour aller soutenir une composante de la majorité contre une autre. Ce n'est pas notre rôle de rentrer dans les grandes manuvres politiques.
Le site Internet de Force Ouvrière (http://www.force-ouvriere.fr) est très complet, de quand date-t-il ? Internet est-il devenu un média indispensable à l'action syndicale ? Quelle est son importance pour la diffusion de vos idées et mobilisation de vos adhérents ?
Marc Blondel : Nous l'avons installé en 1996 au moment de notre déménagement dans nos locaux du 141 avenue du Maine. Il nous semblait indispensable d'afficher notre présence sur Internet au moment du développement de ce nouvel outil. Il a eu un certain succès puisqu'il a même fait l'objet sinon d'un plagiat, du moins d'un détournement des informations qui y sont contenues au profit d'un site installé à l'étranger !
Nous travaillons actuellement à sa refonte car les besoins des internautes grandissent ce qui, au passage, pour un site syndical est plutôt un signe de bonne santé! Par ailleurs, nous avons développé un réseau Intranet en direction de nos propres structures syndicales qui nous permet un gain de temps précieux dans les transmissions des dossiers, circulaires et communiqués.
Il ne faut pas surestimer l'impact d'Internet aussi nous travaillons toujours à élargir la diffusion de notre journal FO Hebdo. Nous avons d'ailleurs l'intention de faire de la formation au NTIC, les technologies nouvelles de l'information, un des éléments des négociations professionnelles et de l'élargissement du droit syndical. En même temps, nous formons nos militants à l'expression écrite, la rédaction des tracts. Bref, nous faisons en sorte que Gutemberg et Mac Luhan marchent d'un même pas.
Que pensez-vous d'un site comme le nôtre ?
Marc Blondel : C'est une bonne idée. Le journalisme "en ligne" est appelé à se développer. Je souhaite qu'on y joue la carte du sérieux et du dossier de fonds plutôt que celle du "scoop" et du sensationnalisme.
Bon courage, en tout cas.
Propos recueillis par Nicolas Ballot.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 28 mai 2001)