Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication à France-Inter le 3 septembre 2014, sur le contrôle des chômeurs et le budget de la culture.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Nouvelle ministre de la Culture et de la Communication. Un contrôle renforcé des chômeurs c'est une boulette ou c'est une politique ?
FLEUR PELLERIN
Ecoutez la politique c'est celle qui doit nous conduire à baisser le niveau de chômage qui est trop élevé en France. Vous savez que depuis deux ans et demi nous sommes engagés avec le président de la République et avec le Premier ministre dans une politique qui est extrêmement difficile parce que la situation économique est difficile pour résorber le chômage en France et pour redonner un emploi aux jeunes, aux chômeurs de longue durée qui sont beaucoup trop nombreux en France, c'est cela la politique qui est menée.
PATRICK COHEN
Et vous convenez que ce n'est pas en contrôlant les chômeurs qu'on fera baisser le chômage.
FLEUR PELLERIN
Mais le contrôle fait partie des missions de Pôle Emploi, c'est ce qu'a rappelé François REBSAMEN. Le principal me semble être ailleurs.
PATRICK COHEN
Donc c'était une boulette.
FLEUR PELLERIN
Ce n'était pas une boulette, ça fait partie des missions de Pôle Emploi et encore une fois ce qui est important et ce sur quoi nous sommes tous mobilisés c'est redonner un emploi à chacun de nos concitoyens.
PATRICK COHEN
Vous voici donc Fleur PELLERIN à la tête d'un ministère sacrifié, c'est du moins l'avis de votre prédécesseur Aurélie FILIPPETTI qu'elle a écrit dans sa lettre adressée au président et au Premier ministre. J'ai du subir une baisse sans précédent du budget de la culture, pourtant symbole de la gauche pendant deux années consécutives. D'accord avec ce constat ?
FLEUR PELLERIN
D'accord avec le constat que l'ensemble des administrations ont été mises à contribution pour redresser les finances publiques. C'est vrai que la culture joue un rôle très particulier pour la gauche parce que beaucoup de raisons que nous allons sans doute évoquer après parce que la culture a un rôle émancipateur, peut aider un certain nombre de nos concitoyens à s'élever dans la hiérarchie des positions sociales, enfin pour toutes ces raisons c'est une politique qui a une place à part dans une politique de gauche. Et c'est vrai que…
PATRICK COHEN
Mais qui n'a plus sa part dans le budget de l'Etat.
FLEUR PELLERIN
Le budget du ministère de la Culture a subi un certain nombre de réductions, de baisse au cours des deux premières années de mandant mais comme l'ensemble des ministères qui ont été mis à contribution. Le président de la République lorsqu'il a fait campagne avait bien dit que nous aurions à faire des efforts, qu'un certain nombre de ministères seraient tout particulièrement préservés parce qu'ils représentent un investissement dans l'avenir, il s'agit notamment de l'Education Nationale. Il est normal que l'ensemble des ministères soient mis à contribution. Moi je vais essayer de faire en sorte que les ressources soient stabilisées, d'ailleurs c'est un engagement qui a été pris par Manuel VALLS. Les ressources seront stabilisées dans les trois prochaines années.
PATRICK COHEN
Mais il faudrait vous battre.
FLEUR PELLERIN
Je me battrais bien évidemment pour…
PATRICK COHEN
Au sein du gouvernement ?
FLEUR PELLERIN
Préserver ce budget mais surtout pour mieux l'utiliser et faire en sorte que les dépenses puissent vraiment être au service d'une véritable politique culturelle que je m'attacherai à définir dans les prochaines semaines.
PATRICK COHEN
Alors vous nous direz qu'elle est votre ambition ? Qu'elles sont vos priorités ? L'un de vos premiers dossiers incontestablement c'est l'arrivée dans quelques jours en France de NETFLIX, ce service de diffusion de séries et de films qui a conquis le marché américain déjà, un tiers des foyers sont abonnés. Est-ce que vous vous résignez à ce que NETFLIX échappe aux obligations de ses concurrents notamment en matière de fiscalité ou de financement de la création audiovisuelle.
FLEUR PELLERIN
Vous savez NETFLIX ce n'est pas un OVNI par rapport à d'autres entreprises, nous avons un problème que vous avez bien souligné…
PATRICK COHEN
C'est un OVNI mais sauf qu'il n'est pas maintenant en France.
FLEUR PELLERIN
Vous avez un problème qui est que nous n'avons pas le même niveau de fiscalité dans les différents pays européens et que pour ces raisons un certain nombre d'entreprises qui ont le choix dans leur installation privilégient des pays comme le Luxembourg, les Pays-Bas ou l'Irlande parce que la fiscalité y est plus intéressante puisqu'elle était sur les sociétés ou bien que la fiscalité de ces pays permet de faire transiter les bénéfices jusqu'à des paradis fiscaux…
PATRICK COHEN
En l'occurrence pour NETFLIX ce sera Amsterdam.
FLEUR PELLERIN
Cette situation elle est bien connue. Et c'est une situation qui ne doit pas se régler en vilipendant les sociétés qui font ce choix parce que c'est un choix de rationalité économique, il doit être fait en essayant de faire en sorte qu'on harmonise les conditions fiscales au niveau européen. Ca c'est un combat que j'ai mené depuis deux ans pour essayer de travailler dans ce sens.
PATRICK COHEN
Il y a encore du chemin.
FLEUR PELLERIN
Il y a du chemin mais le commissaire SEMETA avant la fin du mandat de la présente commission qui est donc en charge de la fiscalité avait accepté de commencer à travailler, de mettre en place un groupe de travail dont fait partie d'ailleurs un français pour examiner ces solutions et donc cela c'est un travail qui se mène au niveau européen. Ce n'est pas une raison pour vilipender à chaque fois toutes les multinationales qui utilise cette facilité et c'est une possibilité qui est offerte…
PATRICK COHEN
Non mais sans vilipender est-ce que vous partagez le sentiment des patrons de chaîne qui parlent de concurrence déloyale à l'égard de NETFLIX ?
FLEUR PELLERIN
Cette situation aboutit effectivement à créer des conditions de concurrence qui ne sont pas tout à fait équitables entre ceux qui sont installés en France qui payent des impôts en France, qui payent la TVA dans le pays destination, qui payent l'impôt sur les sociétés en France et qui respectent les obligations qui sont liées à l'exception culturelle française, donc au financement, au mécanisme de financement de la culture et c'est vrai que ça crée une discrimination ou en tout cas ça ne met pas tous les acteurs sur le même terrain de jeu. Donc là j'entends bien moi la préoccupation des autres acteurs mais ma préoccupation première en tant que ministre de la Culture c'est bien de faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens est accès à une offre, une offre légale, on n'avait pas prononcé le mot de piratage mais il y a aussi cette question là évidemment dans le paysage. Le fait de pouvoir avoir accès à une offre légale avec un catalogue important de films et de séries, c'est déjà ça en premier lieu qui permettra de réduire les pratiques de piratage d'un certain nombre de personnes. Donc ce qui me préoccupe aujourd'hui c'est de voir si les acteurs classiques ou les acteurs français en tout cas sont à même de répondre en termes d'offres à l'arrivée de NETFLIX, et je crois que dans les prochains jours, dans les prochaines semaines il y aura un certain nombre d'annonces qui montreront bien que finalement cette arrivée…
PATRICK COHEN
Des annonces de la part des opérateurs…
FLEUR PELLERIN
De la part des diffuseurs français, va stimuler aussi la capacité des innovations des autres acteurs et donc moi j'appelle de mes voeux évidemment une réaction mais commerciale ou de marketing, d'innovation des autres acteurs.
PATRICK COHEN
Parce que si la part de marché des opérateurs français diminue c'est la création qui va en souffrir mécaniquement.
FLEUR PELLERIN
Oui c'est possible, mais il est possible aussi que la part de marché, que le marché lui-même augmente, c'est-à-dire que l'offre que va apporter NETFLIX, qui est beaucoup composé de séries et de séries américaines en particulier, mais pas seulement puisqu'il ne vous aura pas échappé que NETFLIX va également investir dans une fiction française…
PATRICK COHEN
Marseille…
FLEUR PELLERIN
Qui sera réalisée totalement en France, qui sera produite et post-produire en France avec des acteurs français, tournée en français et donc d'une certaine façon NETFLIX participe déjà même si ce n'est pas dans le cadre réglementaire au financement de la création en France.
PATRICK COHEN
Autre dossier audiovisuel, la redevance qui nous finance, radios et télévision publique. LE FIGARO nous explique ce matin que le faible taux d'inflation cette année entraîne, va entraîner un manque à gagner de 25 à 30 millions d'euros. Deux options pour vous, gouvernement, augmenter la redevance ou bien étendre cette taxe à tous les supports permettant de regarder la télé, tablette, ordinateur, Smartphone etc., où va votre préférence ?
FLEUR PELLERIN
C'est une discussion que j'aurais avec le ministre en charge du budget.
PATRICK COHEN
Et ce sera l'une ou l'autre option ?
FLEUR PELLERIN
S'il faut trouver de l'argent en jouant sur le taux ou l'assiette de la redevance c'est forcément une de ces options. Il n'y en a pas beaucoup d'autres, mais vous savez bien que compte tenu de la situation actuelle, des difficultés rencontrées par l'ensemble de nos concitoyens en termes de pouvoir d'achat évidemment une hausse de la fiscalité n'a pas forcément les faveurs du gouvernement, donc il va falloir engager une réflexion, voir s'il y a d'autres pistes explorées à côté de la redevance et examiner la solution qui sera la plus à même de préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens tout en garantissant évidemment le financement du service public.
PATRICK COHEN
Est-il imaginable comme le demande le patron de FRANCE TELEVISIONS Rémy PFLIMLIN de rétablir la publicité sur les chaines publiques entre 20 heures et 21 heures.
FLEUR PELLERIN
Moi sur ce sujet je n'ai pas une religion de principe, totalement arrêtée, on diffuse des matchs par exemple ou des compétitions sportives dans lesquelles il y a de la publicité, donc la question peut se poser, je ne pense pas qu'elle se pose dans l'immédiat. Je pense qu'elle doit faire l'objet d'un débat. Je viens de prendre mes fonctions ?
PATRICK COHEN
Il y avait beaucoup de débats sur la publicité.
FLEUR PELLERIN
Oui, oui, c'est vrai, c'est vrai.
PATRICK COHEN
Sur les télés publiques depuis 5 ou 6 ans.
FLEUR PELLERIN
Pour moi ce n'est pas un totem ou un tabou absolu, je crois qu'il faut examiner quels sont les meilleures solutions pour assurer la pérennité du financement de l'audiovisuel public.
PATRICK COHEN
Donc c'est ouvert.
FLEUR PELLERIN
Donc c'est ouvert, pas forcément pour le projet de finances de cette année mais en tout cas j'examinerai toutes les solutions.
PATRICK COHEN
Quid de l'avenir de LCI et d'abord, est-ce que vous avez compris la décision du CSA de ne pas laisser LCI accéder à la TNT gratuite.
FLEUR PELLERIN
Une des premières mesures de ce gouvernement a été de renforcer les pouvoirs du CSA, d'assurer son indépendance, de lui donner de nouvelles compétences donc je ne vais pas ici commenter dans un sens ou dans l'autre une décision prise par une autorité qui a une autorité indépendante dont je respecte par définition les décisions.
PATRICK COHEN
Mais dont vous pouvez mesurer les conséquences en termes de pluralisme de l'information et d'aspect social.
FLEUR PELLERIN
Nous aurons très prochainement, enfin j'aurais très prochainement évidemment un entretien avec les responsables de TF1, avec Nonce PAOLINI, nous entretiendrons de cette question et j'examinerai avec lui la façon dont il envisage des perspectives de LCI.
PATRICK COHEN
Mais donc vous ne dites pas c'est une affaire privée qui ne me regarde pas ?
FLEUR PELLERIN
C'est une affaire qui concerne le portefeuille de la communication, et je suis ministre de la communication, donc il est légitime que je m'y intéresse. Ce que je ne souhaite pas commenter c'est la décision du CSA qui lui appartient et pour lequel il est souverain.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 septembre 2014